00h07
L'usine est vraiment immense, à ce que j'en vois.
Je parcours les couloirs au pas de loup, Defender aux aguets. Je m'arrête à chaque angle, à chaque changement de direction, fou d'adrénaline, craignant tomber sur les unités qui ont descendu les pauvres cons de mon équipe. L'air sent le rance, l'humidité glacée entrepose des flaques sales aux pieds des murs.
Tout le long, c'est le même spectacle : un sol au lino déchiré, collant de crasse, jonché de papiers gras et autres saloperies du genre seringues usagées, quelques capotes grisâtres. Je longe une grande enfilade de fenêtres rectangulaires. La plupart d'entre-elles sont collées de vieux journaux jaunis par le temps, et une seule laisse passer l'air glacial de la nuit, fracassée par un jet de pierre bien placé.
Je m'en approche, me plaquant au maximum à la paroi et y jette un rapide coup d'oeuil. De ce côté, le bâtiment donne sur une immense cour intérieure, à moitié plongée dans le noir.Un réseau de passerelles court en hauteur, enlaçant les murs de brique sale de liens ternes. Une échelle descend le long du mur qui fait face à la fenêtre pétée, à cent mètres de là, peinte d'un jaune terni par les ans.Un vieux camion, reposant sur ses jantes, se trouve en contre-bas. Et autour, des containeurs, des caisses et du lino, toujours du lino.
Je me demande bien comment je vais sortir de là ; j'ai écrasé ma radio en me planquant derrière les caisses pour échapper à Foxtrot-Bravo. Et je m'éloigne de plus en plus de l'entrée de service...
Je ne veux pas prendre le risque d'aller traîner là-bas pour tomber sur ces connards en treillis blanc et gris. Il devait bien y avoir une autre issue, et Dieu seul sait où elle est. Le seul plan d'évacuation que j'ai repéré avait disparu sous un graffiti épais clamant FUCK en lettres irrégulières.
Fuck, ouais.
Autant pour moi.
Y'a pas une seule putain de lumière qui fonctionne correctement tandis que je me déplace lentement. C'est dangereux. Je n'arrête pas de balayer le sol jonché de déchets de ma Defender pour ne pas glisser sur une canette et m'exploser le crâne sur une bouteille de whiskey vide. Ce que je vois est désolant : des coursives sombres, des canalisations qui fuient, des meubles renversés, des moniteurs fracassés, des papiers éparpillés comme autant de pellicules un peu partout. Au sol, ce sont des fioles artisanales de crack crasseuses, des mégots de cigarettes grises, des signes d'une vie malsaine, illégale, souterraine, une vie de rat galeux.
Ça me fout la gerbe, j'ai envie de sortir et inspirer de l'air frais ; je deviens claustrophobe. Il me semble humer une odeur de sang pourri à chaque pas, mais je sais que ce n'est qu'une illusion. Cette odeur me restera bien longtemps dans le nez, après ce que je venais de voir, c'est sûr. Voilà bien dix minutes que j'erre dans ces boyaux nauséabonds, que j'évite d'écraser des rats peureux et que j'ouvre des portes au pif, prêt à faire feu au moindre truc louche.
Je tombe sur des remises qui puent le renfermé, je pousse des cartons pleins de dossiers inutiles de mes bottes, j'évite au maximum de m'approcher des fenêtres qui ne sont pas opaques. Je tends l'oreille au moindre craquement ou souffle, je sursaute quand les courants d'air font claquer les portes et je me blottis dans la première cachette que je vois, guettant des voix et des bruits de pieds.
Je me sens comme une sale bête traquée.
Je finis par tomber - tout à fait au hasard - sur une cage d'escaliers en béton. Je m'y engage avec méfiance. Le ciment suinte d'humidité, l'odeur de moisi me prend à la gorge. Il règne un noir total, là-dedans, un noir glacial qui pue la charogne.
J'hésite.
Peut-être me sera-t'il plus aisé d'avancer sur le toit, d'avoir ainsi une vue d'ensemble. Et peut-être trouverais-je une échelle de secours... Je braque la luminole de la Defender sur les marches et j'y vois un cadavre de rat. L'odeur s'explique en partie. Je commence à monter, glissant parfois et me rattrapant au dernier moment. Il fait un noir de four, ici. Plus haut, je crois entendre un sémillement de pas, mais j'ai dû rêver. Les ténèbres sont notre peur de gosses, peuplées de monstres de dessous de lit, d'affreux ogres de nos placards. Je ne peux m'empêcher de soupirer de soulagement quand je parviens au dernier étage, le troisième. J'emprunte une volée de marches plus étroites qui mènent au toit ; la rambarde est d'un vert passé, et la rouille est nettement visible sous les écailles de la peinture fanée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top