Des voix lointaines bourdonnaient dans mon esprit sans que je ne puisse comprendre leurs sens. Comme des murmures incessants, elles s'amplifiaient au fur et à mesure que les heures défilaient. Je fis une grimace au moment où j'entendis une voix entrecoupée de sanglots qui hurlait mon nom.

  Un bandeau m'enserrait la tête, je sentais pointer ce mal de crâne désormais familier.

  Comme la voix continuait de me massacrer les tympans, j'ouvris un œil. Une forte lumière blanche m'assaillit aussitôt, me forçant à refermer les yeux.

-« Elle s'est réveillée ! Anomalia ! Oh Anomalia je t'en supplie rouvre les yeux ! »

  Je reconnus tout de suite la voix de ma mère, avec ses petits sursauts aigus qu'elle n'arrivait pas à contrôler. Alors, non sans me munir d'une bonne dose de prudence, je laissai filtrer avec méfiance un rai de lumière entre mes paupières. Aveuglée par la puissante lumière des néons, je dus cligner plusieurs fois avant de m'habituer au chatoiement cru de la pièce.

  Ma mère, penchée au-dessus de moi, fondit en larmes avant de m'étreindre avec forces.

-« Anomalia ! Tu ne m'as jamais fait aussi peur ! Tu es restée plus de quatre heures endormie, c'est trois fois plus que la dernière fois ! Tu imagines comment j'étais quand on m'a annoncé que tu avais refait une crise et que tu t'étais évanouie après avoir hurlée pendant plus de dix minutes ! », débita ma mère à une vitesse hallucinante.

  Je digérai avec lenteur les informations, choquée.

-« Pardon maman... », dis-je, déconcertée.

  Que s'était-il passé encore ? Qu'avais-je fait ?

  Ma mère se détacha de moi, essuyant ses yeux noyés de larmes.

-« Oh ma chérie... Je sais que tu ne te rappelles de rien mais... j'étais tellement inquiète ! »

 Je lui fis un petit sourire puis haussai les épaules en signe de compréhension. Je faisais des crises d'hallucinations depuis un peu moins de deux ans maintenant, mais j'avais déjà pu m'accoutumer à avoir le cerveau mué en passoire. Ces épisodes avaient gagné en violence et se répétaient : c'était le deuxième en moins d'une semaine. Je voyais bien que ma mère était inquiète, et je l'étais aussi. Mais que pouvais-je faire ?

  Le pire c'était sans doute que je ne m'en souvenais jamais. Seule me restait cet étrange sentiment, comme une impression de vide intérieur. Cette fois comme les autres, je restai avec la sensation d'avoir été privée de mes souvenirs. Des médecins m'avaient examinée il y a une quinzaine de jours et n'avaient rien trouvé de particulier, j'étais tout à fait normale selon eux.

  Sauf que le problème, le voilà ! On ne peut faire plus anormale que moi, même mon prénom le démontre !

  Anomalia... Faut le faire quand même ! Un coup de génie de mes parents dont je me serais bien passée.

-« Anomaliaaa ! hurla mon petit frère, mon cadet de un an, en courant vers le lit sur lequel j'étais maintenant assise.

- Liam ! Tu vas bien ? », lui demandai-je, soucieuse, en voyant un gros bleu sur sa joue. Il monta sur le lit et me prit dans ses bras.

-« Any ! C'est à moi de te demander ça, ne me vole pas mes répliques ! me répondit-il dans un rire. Mais oui, moi ça va très bien, j'ai réglé son compte à ce crétin de Callum. »

  Il me fit un sourire, laissant entrevoir ses dents du bonheur, fier d'avoir tabassé un terminale particulièrement idiot.

-« Liam Wheeler ! Ne te réjouis pas d'avoir fait ça ! lui dis-je en essayant d'avoir l'air convaincante dans mon rôle de grande-sœur réprobatrice, mais un sourire m'échappa.

- Bah, tu sais, il l'avait mérité, tous les élèves de seconde voulaient que quelqu'un le remette à sa place !

- Et bien sûr il a fallu que ce soit toi qui le fasses ! », soupirai-je en levant les yeux au ciel.

  Hilare, il hocha la tête.

  Je ris volontiers avec lui, mais une douleur aigue à l'arrière de ma tête me coupa court dans mon élan de joie. Je passai une main à la base de mon crâne. Je grimaçai en trouvant une belle bosse derrière mon bandage. La douleur venait amplifier la migraine naissante, de plus en plus forte à chaque crise.

  A cet instant précis, un médecin entra dans la pièce. Je me raidis dans mon lit, je me mis à triturer mon bracelet fétiche, pour faire passer mon inquiétude.

-« Excusez-moi jeune homme, déclara-t-il à Liam, mais je dois vous emprunter votre sœur quelques instants. »

-« Je te raconterai mes exploits en maths après. », me souffla mon frère avant de s'éclipser, nous laissant seuls, le docteur et moi.

 J'allais me lever pour serrer la main du médecin mais il m'arrêta d'un geste.

-« Vous n'êtes pas en état de vous lever Mademoiselle Wheeler ! me dit-il d'un ton désapprobateur. Je voulais vous poser quelques questions. Tout d'abord, vous souvenez-vous de ce qu'il s'est passé ? »

  Comme je secouai la tête en signe de négation, il murmura quelques mots dont je ne compris que vaguement le sens.

-«...mise à hurler...bruler vive...sens...avec violence...électrocuté un...sans connaissance... »

   Plus il avançait dans sa longue tirade, plus mes yeux s'écarquillaient de stupéfaction et d'effroi.

   J'ouvris la bouche, puis la refermai, muette de confusion.

  Avais-je bien compris ? Est-ce que moi, petite lycéenne de seize ans, j'avais électrocuté quelqu'un ? C'était tout bonnement impossible !

  Je suis un monstre, tout simplement.