Un poussin monstrueux (05/2021)
Il est là. Sous mon lit. Je le sens. Je le sais.
Dès qu'il fera noir dans ma chambre, il sortira.
Que fera-t-il en premier ? Peut-être qu'il m'arrachera la jambe. Peut-être qu'il m'avalera d'un coup. Ou encore, il me coupera en morceaux et je serai son dîner pendant quelques semaines, le temps qu'il se trouve un autre enfant à terroriser.
Alors, pour oublier que je dois dormir bientôt, je joue avec mon ami Doudou, qui s'occupe de son bébé, une princesse miniature. Doudou est doué avec les enfants. Il brosse les beaux cheveux de la princesse.
La porte s'ouvre.
- Coucou mon ange. Il est huit heures. Tu dois dormir maintenant. Lâche ta poupée, elle sera encore là demain, ne t'en fais pas.
La voix est douce et apaisante.
- Maman !
- Oui, mon ange. Je viens te faire un bisou, puis dodo !
- Oh non ! S'il te plaît ! Lis-moi une histoire !
- Il est tard. Sinon tu seras fatiguée demain matin. Je te fais un bisou, puis j'appelle papa. Il viendra aussi.
- D'accord.
Je suis forcée d'accepter, j'aime pas quand maman s'énerve. Mais j'aime pas quand elle part.
Maman se penche vers moi et me serre très fort contre son cœur. Quand elle s'éloigne, ses yeux ne brillent plus comme des soleils, alors avant de partir elle revient me faire un bisou. Ses lèvres sont les plus douces du monde. Papa dit qu'elle donne des bisous d'ange, et il a toujours raison, donc ma maman est un ange. Et les bébés sont comme leur parents, c'est pour ça que maman dit que je suis un ange.
J'attends papa longtemps, assise en boule sur mon lit. La porte s'ouvre à nouveau.
- Tu es là, princesse ? demande la voix chaleureuse.
- Papa ! Tu me racontes une histoire ?
- Maman m'a prévenu de ton manège ! dit-il, ses yeux qui rient plongés dans les miens grands ouverts, La prochaine fois, demande moi dix minutes avant l'heure de dormir. Là, il n'est plus l'heure.
Il me serre à son tour, et c'est comme si un nounours en guimauve me faisait un câlin tellement tout est doux et chaud, puis fait smack sur le haut de ma tête. Quand il part, je tends mes bras vers lui. Je veux le retenir. Pendant un instant, on dirait qu'il va rester. Je vais avoir une histoire. Il va dormir avec moi et le monstre aura peur de venir me voir. Puis il fait son visage d'adulte, dit non avec la tête, et continue sa route vers la porte. Avant de fermer la porte, il appuie sur l'interrupteur.
- Non !
Je murmure, tout bas. Je crois pas qu'il m'ait entendue.
Il allume la lumière et se retourne vers moi.
- Qu'est-ce qu'il y a, princesse ?
- Laisse la lumière allumée. S'il te plaît.
J'essaye de lui dire avec mes yeux à quel point c'est important qu'il laisse la lumière. Au moins un petit peu...
- Pourquoi ? A cinq ans on ne dort plus avec la lumière allumée.
- Mais il y a un monstre sous mon lit ! Dès qu'il fait noir, je l'entends. Il faut laisser la lumière allumée où alors il va me manger !
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Il n'y a personne sous ton lit !
- Si ! Je te jure !
Il pense que je suis une menteuse...
- Tu veux que je regarde ? il demande.
- Ou... Oui !
Il fait demi-tour et s'allonge par terre, près du matelas. Il inspecte chaque recoin de la moquette sous mon lit, l'air tres concentré, puis se relève.
- Rien !
Il ment ! C'est sûr. Je veux pas pleurer, mais il peut pas me laisser seule avec le monstre.
- Quoi ? Mais je... je... je l'ai entendu ! J'en suis sûre !
- Bien sûr ! Je te crois ! Mais je pense que, cette nuit, il est de repos, et que personne ne pourra t'embêter. Donc, on peut éteindre la lumière ! il répond, toujours gentil mais il a l'air fatigué.
- Mais je... mais je...
- A demain, princesse.
Et il se retourne, et laisse la pièce dans l'obscurité, fermant la porte derrière lui.
Je serre mon doudou entre mes bras. C'est un éléphant violet. Il s'appelle Pumpo. Je colle mon visage contre lui, pour empêcher les larmes de mouiller mes joues. Par contre, j'arrive pas à empêcher ma lèvre inférieure de trembler et faire un peu de bruit, que j'étouffe dans doudou.
Je suis grande, hein. Je dois pas pleurer. Je dois pas avoir peur. Je dois pas aller allumer la lumière.
Un grognement resonne alors. J'arrête de bouger pendant plusieurs secondes. Je me recroqueville, et serre tous mes muscles. Quand je sens que je pourrais sauter aussi haut qu'un dinosaure, je bondis vers l'interrupteur. Dès que la lumière est de retour, je reprends mon souffle et me glisse dans mon lit, prête à super bien dormir. Je m'allonge et ferme les yeux. Mézalors, la porte de la chambre s'ouvre. Papa, grognon, apparaît.
- Je croyais t'avoir dit qu'il était l'heure de dormir. Est-ce que tu peux m'expliquer pourquoi ta chambre n'est pas éteinte ?
- Mais... le monstre, papa ! Je l'ai entendu !
- C'est plus l'heure pour tes histoires. Dors, maintenant !
- Mais... je ....
- Ne m'oblige pas à revenir, dit-il d'un ton qui commence à être orageux.
Il éteint à nouveau la lumière et claque violemment la porte de la chambre.
L'obscurité ne prend pas longtemps à faire revenir les grognements, et ma peur aussi.
Cachée sous ma couverture, roulée en boule, je ralentis ma respiration. Si il m'entend pas, peut-être qu'il s'endormira lui aussi. Ou alors il ira manger papa d'abord. Papa est méchant.
Les bruits de la chose coupent le silence de temps en temps. Doudou a peur, alors comme je suis la plus grande, j'essaie de le rassurer. Toudincou, je sens quelque chose me frôler la jambe, à travers mes draps. Sans faire exprès, je crie. J'ai très envie d'aller taper cet interrupteur, mais j'ose pas sortir. Mes parents me gronderaient. Et en y allant, le monstre m'attraperait et ne ferait qu'une bouchée de moi.
Alors je reste dans mon lit, et j'avoue que je pleure un peu.
Le grognement s'amplifie, et se rapproche de moi.
« Pardon » je murmure à papa et maman, quand le souffle de la chose fait trembler mon oreille. J'aurai pas été assez courageuse pour l'affronter. Je fixe le mur, très concentrée, comme si les étoiles collées dessus pouvaient allumer la lumière. Une halène chaude frôle ma joue lorsque la créature ouvre la bouche.
- Ne t'excuse pas, petit poussin ! Et n'aie pas peur !
Mes yeux s'écarquillent quand je découvre qui parle. Dans ma poitrine, le boum boum s'arrête. Les crocs débordent de la gueule de la bête tellement ils sont grands. Ses griffes accrochées au matelas, il grimpe avec ses bras musclés. Une fois redressé, son crâne frôle le plafond de ma chambre. Tous ces poils lui donnent un air de Yéti.
Je recule dans mon lit jusqu'à ce que mon dos touche le mur. Alors je suis coincée, donc je ne peux que le fixer. Il est terrifiant. C'est alors que je remarque ses yeux, deux perles d'un bleu azur. Il est beau comme un ange, dirait maman. Je fixe ses yeux, il y a quelque chose dedans que je connais. Pourquoi il y a comme des larmes ? Un monstre ? Qui a peur ?
- Tu sais, c'est important de respirer..., prononce-t-il de sa voix grave.
J’inspire tout plein de fois. Je dois calmer le boum boum dans ma poitrine avant de pouvoir parler, sinon je bégaye. C'est la maîtresse qui l'a dit.
- C'est toi le montre sous mon lit ?
- Pourquoi tu dis que je suis un monstre ? C'est un peu méchant...
- Bah... parce que tu ressembles à un monstre... et que tu fais du bruit la nuit !
On se fixe sans parler, puis la drôle de chose dit :
- Tu peux... allumer la lumière ?
- Quoi ?
- La lumière. Allumer.
- Non ! J'ai pas le droit ! Papa et maman disent que je suis grande et que je dois dormir dans le noir
Il baisse le regard, sa lèvre du bas tremble. Je fais pareil quand j'ai envie de pleurer.
- Pourquoi tu veux que j'allume la lumière ? Tu peux sortir que dans le noir, je murmure.
- Je peux sortir quand je veux. Mais quand ton papa regarde, je sais simplement me faire discret.
- Alors pourquoi tu fais du bruit que quand il fait noir ?
- Parce que... j'ai... j'ai peur du noir. Je fais du bruit pour que tu allumes la lumière, justement.
- Mais c'est pas gentil, ça. Moi, après, je peux pas dormir. Et je me fais gronder.
- Mais si je ne faisais pas ce bruit, tu n'allumerais pas la lumière. Tu ne sais pas à quel point c'est triste, et sombre, de rester constamment sous un lit. Mais tant qu'il y a de la lumière, c'est faisable. Sauf que dans le noir, j'ai peur. Trop peur.
Après ce discours, il ressemble davantage à ma peluche qu'au monstre que mon imagier dit qu'il est.
- Tu veux que je fasse comment ? Tu as bien vu, tout à l'heure, mes parents ne me laissent pas dormir la lumière allumée.
Il ne répond rien, il a l'air triste.
- Tu veux dormir dans mon lit ?
- Je peux ?
- Si mon papa et ma maman ne te voient pas, oui !
- Merci, petit poussin.
Avez-vous déjà vu un monstre sourire de bonheur ? Je vous assure que, si cela vous arrive, vous ne le regretterez pas. Il n'y a rien de plus beau.
Il est onze heures, quelque part dans ce monde... ou dans un autre. Entourée des bras protecteurs de son nouveau doudou favori, une petite fille s'endort, apaisée, dans le noir.
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