L'Âge de Mort - Prélude Fanfiction Ewilan, concours instagram (11/2021)

1er novembre 2021, @laquetedewilan sur instagram: 𝐶𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑚𝑖𝑠𝑠𝑖𝑜𝑛, 𝑠𝑖 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑙'𝑎𝑐𝑐𝑒𝑝𝑡𝑒𝑧, 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑖𝑠𝑡𝑒 𝑎̀ 𝑒́𝑐𝑟𝑖𝑟𝑒 𝑢𝑛 𝑟𝑒́𝑐𝑖𝑡 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑠𝑒 𝑑𝑒́𝑟𝑜𝑢𝑙𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑢𝑟𝑎𝑛𝑡 𝑙'𝐴̂𝑔𝑒 𝑑𝑒 𝑀𝑜𝑟𝑡 (𝑠𝑜𝑢𝑠 𝑑𝑜𝑚𝑖𝑛𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑇𝑠'𝑙𝑖𝑐𝘩𝑒𝑠), 𝑖𝑚𝑝𝑙𝑖𝑞𝑢𝑎𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑒𝑟𝑠𝑜𝑛𝑛𝑎𝑔𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑣𝑜𝑡𝑟𝑒 𝑐𝘩𝑜𝑖𝑥. 𝑉𝑜𝑡𝑟𝑒 œ𝑢𝑣𝑟𝑒 𝑑𝑜𝑖𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑛𝑖𝑟 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒 𝟸𝟻𝟶𝟶-𝟹𝟻𝟶𝟶 𝑚𝑜𝑡𝑠 𝑒𝑡 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑒𝑛 𝑓𝑟𝑎𝑛𝑐̧𝑎𝑖𝑠.

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Comme vous le savez sûrement si vous me suivez sur Instagram, je suis une grande fan de Pierre Bottero. C'est donc sans surprise que je suis abonnée au compte qui permet à l'aventure de continuer, notamment par une adaptation en dessin animé, @laquetedewilan. Quand ils ont lancé cette idée de Fanfiction, j'ai à peine hésité avant de me lancer. 3 mois plus tard, le verdict tombait : 6e sur 39 participant.e.s, ce dont je ne suis pas peu fière. Alors pour inaugurer cet ensemble d'écrits qui attendait depuis longtemps dans mes brouillons, je vous présente l'Age de Mort...

PS : Je remercie particulièrement @lenia.tev (compte insta) qui m'a aidée avec une relecture de mon texte avant l'envoi :)

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L'Âge de Mort

Le murmure de ma petite sœur fendit la nuit.

- J'ai froid, Almia.

Encore une fois, je fermai les yeux et tentai de forcer les barrières qui compressaient mon esprit. Plus le temps passait, plus le passage vers ces chemins qui me donnaient accès à tant de choses était laborieux. En insistant encore un peu, j'arrivai à passer de l'autre côté. Les pistes des possibles étaient peu lumineuses, mais l'une d'entre elles menait à ce que je cherchais. Quand je rouvris les yeux, elle avait saisi mes doigts qui, éclairés d'une lueur timide, se réchauffaient quelque peu. Dans la caverne, les formes humaines autour de nous, roulées en boule, tentaient d'éviter au vent glacial que nos barreaux ne pouvaient arrêter.

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Le premier coup de fouet, horloge intransigeante, claqua au lever du jour. Elysia, la tête enfouie dans mes boucles, s'éveilla en sursaut quand je bondis sur mes pieds, suivie de près par les hommes et les femmes qui partageaient notre prison. Il valait mieux pour nous éviter de dormir encore lorsque les créatures arrivaient pour nous mener aux mines.

Au loin, un cri d'enfant retentit, aussitôt suivi de pleurs. Quitter les nourrices pour les travaux forcés n'était jamais facile pour personne, et le premier matin se passait rarement en douceur.

Après tout, il en était de même avec tout le monde. Elysia y avait presque échappé, car j'avais tout fait pour la protéger. Oh ! Comment aurais-je pu oublier ce matin brumeux, il y a pourtant une bonne dizaine d'années, où j'avais décidé de prendre, à onze ans à peine, sous mon aile cette fillette à l'air si chétif ? Tout en lui évitant les fouets dès ses premiers jours, j'avais comblé en elle mon besoin désespéré d'une famille à laquelle me raccrocher. Néanmoins, dans ce monde, on n'échappait jamais longtemps à l'horreur. Les châtiments, qu'ils lui fussent destinés ou non, allant jusqu'à des mises à mort publiques, ne pouvaient épargner l'innocence d'une enfant. A leur bas âge notamment, les durs travaux qui faisaient notre quotidien étaient une réelle épreuve. Aussi, à la mine, nous nous arrangions pour que les plus jeunes ne soient chargés que d'y tenir les lampes.

Lorsque le Ts'liche s'approcha de la grille qui nous retenait prisonniers, ma sœur se rangea derrière mon dos. Son regard reptilien parcourut l'ensemble des pauvres êtres captifs que nous étions, avant de se braquer sur nos barreaux. En une fraction de seconde, une fente suffisamment large pour que nous la traversions les uns après les autres fut là. Cela avait eu lieu presqu'instantanément, mais comme chaque matin j'avais senti ce que je n'arrivais pas à appeler autrement que son "esprit" -bien que le monstre qu'il était m'en ôtât toute envie- pénétrer dans la dimension aux possibles. Ce qui, une fois de plus, parvint à m'étonner, fut la facilité avec laquelle il gagnait ces chemins, comme si son esprit n'était pas constamment oppressé par un grillage plus solide encore que celui dans lequel ils nous retenaient.

Une fois que nous fûmes tous à l'extérieur, la brèche n'exista plus, et nous nous engageâmes dans les couloirs sinueux, creusés à même la roche, qui nous menaient au puits de mine. Là, nous nous laissâmes avaler par la terre, jusqu'à des profondeurs toujours plus abyssales. Puis, comme chaque jour, d'aussi loin que je me souvienne, je pris la pioche qui avait été laissée là la veille, gagnai le fond de la veine et commençai à frapper en cadence.

Au bout de ce qui me sembla être un millier de coups contre la pierre, je tournai la tête pour vérifier que personne ne me surveillait et m'arrêtai un instant. Les répercussions de la dureté de la roche et du métal dans mes bras ainsi que le frottement du manche au creux de mes paumes, liés au manque d'air à cette profondeur, faisaient de cette tâche une corvée plus qu'éreintante. Je regardai le faible tas de fer que j'avais extrait en songeant avec dépit qu'il ferait bientôt partie d'une cotte de maille que porterait l'un de nos geôliers, ou encore qu'il leur permettrait de créer une nouvelle prison pour mes semblables. Les pas que j'entendis alors se rapprocher coupèrent court au fil de mes pensées, et je fis mine de ne jamais m'être arrêtée. Ce fut la relève qui apparut pour nous indiquer d'emporter le fruit de notre travail dans des étages supérieurs. Ravis de cesser cette besogne fastidieuse, nous nous exécutâmes rapidement. Les couloirs sinueux de la mine nous menèrent à des salles plus éclairées que la moyenne où il nous était demandé d'éliminer la terre et la pierre de nos récoltes, avant de trier les métaux qui seraient ensuite envoyés aux forges.

Enfin, après un maigre repas fait d'un pain sec et de pâté de termites, un Ts'liche apparut et nous mena aux forges. Le matériel que nous manions ici-bas était suffisamment menaçant envers ces créatures pour qu'un gardien y soit attitré. Là, frôlant les fourneaux à chaque instant, nous changions les métaux, de roche à fusion, et de fusion à lingots qui seraient menés on ne savait où.

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La sortie de la forge nous vit roussis, vidés de toute force, et surtout assoiffés. L'effort sous la chaleur, sans la moindre pause, nous avait totalement desséchés, aussi il nous fut impossible de résister à l'abreuvoir d'eau fraîche qui se présenta à nous, sur le chemin du retour. Le groupe trouva dans l'euphorie l'énergie d'y courir. Le bonheur du liquide contre ma peau et dans ma gorge fut coupé court par le gardien qui nous refusait cela. Ligne incandescente. Le fouet avait claqué.

Éreintés, les bras engourdis et la peau encore rouge des flammes, brûlée par les fouets, nous retournâmes à nos prisons. Là nous attendaient nos quelques bûches journalières sur lesquelles chauffait doucement un ragoût à la composition inconnue. Lismae, une femme d'une cinquantaine d'années, offrit de servir la soupe à tout le monde, proposition qui fut reçue par de nombreux sourires. Dans cet enfer, la plus petite marque de solidarité réchauffait le cœur de chacun. Les bols tournèrent, et des conversations à voix basse s'engagèrent. Les Ts'liches n'étant pas connus pour leur caractère tolérant, les gêneurs finissaient régulièrement dans leur assiette, aussi nous préférions éviter de tenter le diable. Je laissai mes pensées vagabonder, bercée par les murmures derrière moi, jusqu'à ce que l'un d'eux attire mon attention.

- Dessinateur ? Tu t'méprends, le verrou Ts'Liche les a tous rendus impuissants, lâcha un homme, plus fort que le reste des conversations.

Dessinateur... oui c'était bien cela. Il me semblait que c'est ainsi qu'on appelait mon pouvoir quand j'étais enfant. Je peinais à me souvenir avec qui j'aurais pu en discuter, exactement, mais le don était là, sans que l'on m'en ait reparlé un jour. Avant même de le réaliser, je tendais l'oreille.

- Et pourtant si ! On parle d'un homme qui aurait le pouvoir de tous nous libérer, réfuta un petit barbu.

- Oh pitié... va te coucher, Pyrt, intervint Lismae, qui mangeait à proximité. J'ignore où tu t'es procuré ton alcool, mais il est sans aucun doute de mauvaise qualité.

- Détrompe-toi ! Ce n'est pas de l'alcool, mais d'un mineur qui a longtemps côtoyé les bûcherons que je sais tout cela. Ils ont, tu le sais aussi bien que moi, bien plus de liberté, donc d'informations, que nous.

La femme le regarda dans les yeux, toujours aussi méfiante, avant de s'installer face aux deux hommes. Le dénommé Pyrt l'observa s'installer, puis poursuivit :

- Il s'appelle Merwyn Ril'Avalon, et accompagne les insurgés des Marches du Nord.

- Ce pays de fous ? protesta le second, à qui il manquait une jambe. On raconte que l'froid leur a givré la caboche, l'hiver dernier. Ils sont tous devenus fous, ils ont été abattus en masse. 'vaut mieux se tenir à l'écart, avec eux... Cela dit, tant qu'ils ont encore à manger, moi j'peux rester là malgré ma jambe, ajouta-t-il plus bas.

- Fadaises ! le coupa le premier homme. Je vous dis que nous tenons notre sauveur.

J'avais profité du débat pour m'approcher du petit groupe, et hasardai une question :

- Vous savez ce qu'il fera avec son pouvoir ?

Les trois paires d'yeux qui se braquèrent instantanément sur moi me firent regretter aussitôt mon élan de curiosité.

Alors que les autres n'étaient que surpris d'avoir étés épiés, Lismae se reprit aussitôt.

- Tu ne devrais pas te mêler de ça, gamine. Tu t'attireras des ennuis.

- Oui, comme nous tous, tenta de couper court l'invalide. Ton idée n'est qu'une manière absolument déraisonnable de raccourcir encore le peu de temps qu'il nous reste à vivre. A quoi bon provoquer nos gardes avec de vains projets ?

- Tu veux dire que ta condition d'esclave ne te donne en rien cette envie de les faire payer ?

- Tout ce que je souhaite, c'est rester en vie.

S'appuyant sur une béquille de fortune, il se leva, et ajouta :

- Et je ne peux que te conseiller de faire de même, jeune fille.

Le silence prit pendant quelques instants la place qu'il laissa en s'éloignant. Le bois finissait de brûler, et les gens s'installaient tant bien que mal au milieu des tissus de corde rêche pour affronter la nuit.

Pyrt s'allongea sans même s'éloigner, et parut s'endormir presque aussitôt. Le regard dans le vide, Lismae déclara :

- Tu sais, ma petite, ce qu'il dit a peut-être l'air de n'avoir aucun sens, mais cette rumeur enfle entre les ouvriers. Je ne sais pas quel pouvoir possède ce Merwyn, mais il parvient à nous donner un espoir dont la saveur nous a échappé il y a si longtemps...

Il me fallait encore lui demander tant de choses, mais la réalité me rattrapa avec la petite main d'Elysia sur ma manche.

- Viens dormir, Almia.

Cette nuit-là, je tentai à de nombreuses reprises de créer quoi que ce soit. La prison que je sentais jour après jour se construire entre ce monde et moi s'était consolidée. Incapable de rester prisonnière de mon esprit, je tentai de lutter à m'en faire mal à la tête pendant ce qui me parut être une éternité, en vain. Les chemins des possibles me restèrent interdits.

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Le lendemain matin vit mourir l'espoir qui avait allumé une étincelle dans l'œil de Lismae. Mes projets d'en apprendre plus sur cette rumeur de révolte ou sur ce pouvoir dont je ne savais rien furent anéantis par ceux des Ts'liches de se nourrir. L'infirme fut dévoré sous nos yeux et une dizaine d'autres furent emportés pour subir le même sort dans les jours qui suivraient. Pyrt en faisait partie. Je n'oublierai jamais le regard d'Elysia quand elle les suivit.

Puis mon monde s'effondra.

Coup de fouet. Triage. Forge. Mine. Soupe. Sommeil.

Jour. Travaux. Nuit.

Fatigue. Peur. Froid. Douleur.

Une semaine passa ainsi, sans que le moindre mot franchisse mes lèvres, sans que je prenne conscience du monde qui semblait m'entourer.

Le matin du huitième jour, le fouet ne claqua pas. Au-delà de nos barreaux, le monde était à feu et à sang. Et par-dessus tout, le monde dans ma tête était libre. Les chemins dans ma tête prirent une lumière nouvelle, et la frontière vola en éclats.

Ce moment qui aurait dû susciter soulagement ne souleva que panique. Au dehors, des cris, des coups, des morts. Ceux qui avaient toujours retenu leur hargne se reprirent aussitôt, et saisirent la grille à pleines mains pour la briser. Avant même que je finisse de réaliser ce qui se passait, elle avait disparu, transformée en cendres. Un dessinateur ! Je n'étais pas préparée à l'action de l'un d'eux, aussi je fus incapable de l'identifier. Puis la foule m'emporta au cœur de la révolution.

Je voulus fuir un instant, mais la mémoire de toute la souffrance endurée me percuta avec la découverte d'un corps anonyme, éventré par un Ts'liche. Je chancelai, m'agenouillai. Quand je me relevai, la rage accumulée m'habitait, et je me jetai dans la bataille. Ils m'avaient pris ma sœur, je le leur rendrais au centuple. Je saisis d'une main une barre de fer, de l'autre une poutre de bois sec. Je mis feu à l'une, et brandis l'autre, prête à m'en servir, alors que je diffusais les flammes sur tous les bâtiments qui nous rappelaient l'horreur. Tout autour de moi, les combats faisaient rage.

Très vite, il fut évident que les dessinateurs étaient plus nombreux que prévu dans la bataille et avaient un poids non négligeable. La faible maîtrise d'un don jusque-là dissimulé, et l'attention particulière qu'y portèrent nos ennemis rendaient la tâche ardue, mais la force du désespoir face à leur surprise laissait place à l'espoir. Le nombre faisait notre force.

Une brutale détonation sembla ébranler le monde. La mine avait pris feu. Un sifflement furieux franchit les mandibules de nos ennemis, aussitôt couvert par le vacarme de la foule qui sortit des forges, armée d'outils disparates mais dangereux dans des mains décidées. Le chuintement des lames osseuses que les Ts'liches déployèrent devant eux sonna comme une promesse de mort à laquelle répondirent les plus téméraires par un cri guerrier qui lança l'assaut. Le choc fut plus terrible encore que l'explosion qui avait eu lieu. Quant à moi, je me décidai enfin à rejoindre les dessinateurs dans leur offensive. Je reculai jusqu'à me glisser sous une portion de grille, afin de voir tout en bénéficiant d'une légère protection. La concentration dont j'avais besoin m'empêcherait de me défendre si l'on venait à m'attaquer par surprise. J'inspirai profondément, puis me glissai dans ce second monde. J'empruntai un chemin aléatoire et m'y aventurai, bien plus loin que mes lueurs habituelles. Soudain, l'image d'une flambée attira mon attention. Je me concentrai dessus, et ouvris les yeux. J'avais grandement sous-estimé le temps que cela m'avait pris, et les combats étaient à un stade tout autre que celui auquel je les avais laissés. De nombreux -trop nombreux !- corps jonchaient le sol, mais ils étaient assortis de carapaces reptiliennes à l'air irréel. Ma flamme se trouvait sur l'une d'elle. Le feu se propageait lentement, mais face à ce qui l'entourait, c'était tout bonnement dérisoire. Il me fallait viser plus gros. Je retournai dans la dimension aux possibles et m'élançai aussi rapidement que possible sur un chemin. J'avais compris une chose : plus je m'éloignais, plus les choses ayant une réelle importance apparaissaient. J'ignorai quelques créations dont l'effet n'était pas suffisamment certain pour que je m'y attarde et poursuivis aussi vite que possible mes recherches. J'ignore combien de temps me prit l'action, mais quand je repris conscience de la réalité, le ciel se noircissait déjà. Nul ne comprit réellement avant que la masse noire s'abatte sur nos ennemis. Des centaines, des milliers de corbeaux. Avec un seul objectif. Tuer ? Non. Les dessinateurs, voyant les Ts'liches distraits par l'amas de volatiles, comprirent aussitôt. Une volée de projectiles les percuta de plein fouet. Je m'affalai, épuisée, et contemplai avec un mélange de fascination et de terreur la foule enragée fondre sur les monstres.

Et soudain, le silence. La bestialité avait achevé son œuvre. Des Ts'liches, il ne restait que des carapaces embrasées qui se consumaient en une odeur abominable. Le sol était jonché de débris qui permettaient de cacher les innombrables corps. Tout était sang, suie, sueur. Le monde retenait son souffle. Nous nous dévisagions, incapable d'accepter la fin du carnage qui s'était déroulé sous nos yeux, sous nos doigts. Un enfant couvert d'ecchymoses s'avança lentement vers un abreuvoir où il entreprit de tremper ses mains qu'il passa sur son visage. Il fut observé par les survivants pétrifiés, puis quelqu'un l'imita. Les uns après les autres, les mécanismes prirent le dessus sur l'horreur vécue, et nous allâmes nous rafraîchir et rincer nos plaies. Il me semblait ne connaître personne. Je réalisai alors que nos tyrans passés avaient fait de nous des inconnus, si bien qu'entre ceux qui n'avaient jamais eu le même travail que moi et ceux qui avaient amené la liberté avec eux, j'étais seule.

Très vite, je décidai de m'éloigner, à la recherche de... à vrai dire je l'ignorais. Il me fallait juste fuir cette atmosphère. Instinctivement, je pris le chemin de mon ancienne prison, que je trouvai saccagée. Je ne sais si cette vision me soulagea, ou si elle était la preuve irréfutable de tout ce que j'avais perdu. Ma rage contre leur monde avait été consumée au combat, désormais le mien était vide. Je m'assis dans la poussière et fermai les yeux, néanmoins le silence n'avait pas quitté les restes du champ de bataille, aussi j'entendis clairement les pas de la personne qui m'avait suivie.

A quelques mètres, comme hésitant, l'individu s'arrêta, puis s'assit. Il s'offrit un temps de réflexion ou d'observation, se racla la gorge, puis se lança :

- Sais-tu ce qu'est un dessinateur ?

Un homme. Une voix qui avait trente ans. Inconnue.

- Qui es-tu ?

- Cela ne change rien, tu ne me connais pas, je ne te connais pas, et si tu refuses mon offre, cela restera ainsi.

Je ne répondis rien. Il s'attendait sûrement à ce que je l'interroge sur ladite proposition, mais je n'en fis rien. Il se montra imperturbable, et poursuivit :

- Tu n'es pas restée invisible lors de la bataille, même si ton don demeure encore peu maîtrisé. Nous pensons que tu es loin de ton plein potentiel.

- Nous ?

- Sais-tu qui est Merwyn ?

J'ouvris alors les yeux et le fixai. Un regard acier, des cheveux gris, presque blancs.

- Nous venons des marches du nord, et nous aidons Merwyn à libérer les hommes du joug des Ts'liches. La disparition de ce verrou dans les spires, c'est son œuvre. Il est...

- Je sais qui il est.

- Mais que sais-tu de son pouvoir ? Du nôtre, devrais-je dire.

L'homme repartit longtemps après. Son nom me restait inconnu, et il ignorait encore le mien, mais il m'avait offert quelque chose de bien plus essentiel. Des réponses.

Comme je le pensais, les Ts'liches arpentaient bien la même dimension que moi, et qu'à vrai dire tous les dessinateurs : l'Imagination. Les spires qui la composaient permettaient la création de ce que l'on appelait dessins, une modification éphémère de la réalité. Néanmoins, un pouvoir suffisant aurait la possibilité de figer dans le temps certaines créations.

- Les hommes vont se reconstruire. La fin de ce que nous avons connu n'est qu'un début. Le joug Ts'liche a été combattu sur tout le continent, il a pris fin dans une ultime bataille hier. Le monde est libre. Nous nous rendons dans le Sud où nous bâtirons la plus belle cité de l'Histoire. Mais les limites de la physique et du réel y sont incompatibles. Aussi, elle sera majoritairement dessinée. Ton don est réel, nous serions honorés que tu nous suives.

Les mots m'avaient envoûtés, mais le vide que je ressentais ne me permettait pas de m'engager ainsi avec des inconnus dans un projet alors qu'il me fallait réparer mon âme.

- Le choix n'est pas facile, je le comprends aisément, ainsi ne te presse pas. Nous resterons ici une dizaine de jours, afin d'aider les populations demeurant ici à fonder quelques bases. Tu pourras ensuite choisir de nous accompagner... ou pas.

Sur ce, il se leva, me salua, et s'en alla.

Je demeurai longtemps ici, assise, puis allongée dans la poussière, à fixer le ciel qui changeait de couleur. Lorsque les premières étoiles apparurent, je me levai et entrepris de retrouver le reste des survivants, en espérant ainsi trouver quelque chose pour mon estomac noué, ainsi que de la chaleur. J'y arrivai vite, et parvins à récupérer un bout de pain.

Je scrutai la foule à la recherche d'un visage connu, en vain. Les hommes vivant jusqu'ici séparés étaient nombreux, les morts tout autant et les combats avaient dispersé. Un nuage étouffa la clarté lunaire, le vent souffla, et un frisson parcourut ma colonne. Je saisis une couverture rêche qui avait au moins le mérite d'exister, puis cherchai un coin où passer la nuit. La lune se découvrit alors, nous nimba de sa lueur, et un œil vert capta mon regard. Je me crus morte à mon tour. Ma petite sœur fendit la foule et se logea dans mes bras. Mon cœur se remit à battre. La serrant de toutes mes forces, je ne réalisai pas encore ce que la révolte nous avait offert. Quant à Elysia, une fois sûre qu'elle ne craignait plus rien, le soulagement déferla sur elle et elle fondit en larme.

- On n'était plus... plus que trois... dans... dans la cage, parvint-elle à articuler.

- Ça va aller ma chérie, tu ne crains plus rien, tentai-je de la rassurer, bien peu convaincue moi-même tant la réalité était difficile à admettre.

- Et je t'ai cherchée toute la soirée... j'ai eu si peur que tu n'aies pas survécu...

Je ne trouvai rien à dire, aussi nous restâmes enlacées longtemps. Elle finit par se détacher de moi, visiblement peu épargnée par les doutes :

- Et maintenant ? Les forges, les mines... tout à brûlé. Sans rien ni personne à quoi se raccrocher, que deviendrons-nous ?

"Je ne sais pas... On ira goûter à la liberté !", allais-je répondre avant qu'une voix au nom inconnu retrouve le chemin de ma mémoire.

- On m'a proposé d'aider à bâtir une cité de joyaux où la gravité n'existerait pas. Tu voudrais venir reconstruire le monde avec moi ?



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Voili voilou, c'est tout pour moi :) J'espère que vous aurez retrouvé un peu de l'âme de Bottero, pour ses lecteurs, ou que ça aura piqué votre curiosité si vous ne le connaissez pas encore...

Bisous les gens, et à la prochaine ;)

PS : Oui, encore une Almia, mais pour ma défense quand j'ai commencé cette fanfiction je doutais de pouvoir la finir alors je n'ai pas réfléchi au prénom plus loin que ça, puis je ne me suis pas sentie de changer. Et puis surtout, je ne pensais pas qu'elle finirait ici ^^'

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