Prix Nobel
Diane ne m'avait pas menti : un corridor de toile avait été aménagé dans ma tente pour aboutir à un sas de plastique qui donnait sur une salle de travail très propre et disposant de matériels neufs et de haut niveau. Ce n'est que dans des entreprises internationales que j'ai eu accès à tant de luxe : des spectromètres de modèle inconnu, des spectrophotomètres, des viscosimètres, des brillancemètres, des oxymètres, des appareils de mesure de point de fusion, et bien sûr divers microscopes, dont un petit microscope à effet tunnel. Un paradis pour biologistes.
Au centre de la pièce, mes échantillons de dragonniers et d'arbre concombre. Diane avait mis dans une éprouvette la petite araignée rouge qui ne se trouvait que sur l'île. Cette première étude d'échantillons « ordinaires » allait me permettre de me faire la main sur le matériel. Le spectromètre sans nom, de couleur noire, me semblait être un prototype. Ses performances étaient stupéfiantes tant en matière de précision que de rapidité.
Vous apprendrez donc que le bois du dragonnier est composé à 49% de carbone, et 41% d'oxygène, et des pouillèmes d'hydrogène, d'azote, de calcium, de potassium, de magnésium, de fer et de manganèse, et d'une pincée de soufre - ce qui en fait, dans sa composition atomique, quelque chose de très ordinaire. Pensez-y la prochaine fois que vous admirez quelqu'un : cette personne est composée certainement des mêmes éléments chimiques que vous.
J'étais en train de retirer mes gants et mon masque, l'imprimante sortait mes relevés quand le général Moulin et Diane sont entrés dans le laboratoire. Diane avait une mallette de plastique gris à la main, grande comme une trousse de secours.
Elle la pose avec précaution sur la table et me dit que je dois analyser le contenu.
Depuis son monologue de la veille, j'avais pris la décision de ne plus travailler avec elle, mais de détruire sa carrière. Je l'ai ignorée, et j'ai demandé au général d'ordonner à Diane de sortir, car je voulais m'entretenir avec lui.
Le général a réfléchi, assez longuement, et il m'a dit : je ne peux pas faire ça. Nous sommes dans deux corps d'armée différents. Et il n'y a rien que vous ne pouviez me dire que vous ne pouviez pas lui dire.
Ils étaient tous les deux impassibles. Deux robots. J'étais crevé, alors j'ai ouvert la mallette. Des tubes à échantillon et des lames avec des résidus minéraux. À priori, des morceaux d'écorce, un pistil, un peu de terre. Mes deux observateurs désagréables se sont assis et m'ont regardé. Ils ne me lacheront pas tant que je n'en aurai pas fini. Je me fis la promesse que si je ne trouvais rien de particulier et qu'ils continuaient avec leurs attitudes cryptiques, j'en prendrais un pour taper sur l'autre, avant de les passer dans leur foutu spectromètre de l'an 40 000.
Une première observation du prélèvement végétal éveille tout de suite mon attention. Les cellules sont plus grandes d'un facteur 20. Leur fonctionnement est figé. Elles sont structurées très régulièrement, en triangles, losanges, hexagones. Non, elles sont bien vivantes, mais leur fonctionnement est très très lent.
Les protéines qui réagissent à la lumière flottent librement à l'intérieur de la cellule. Habituellement, elles sont confinées dans la membrane, afin d'initier le processus photosynthétique. Cependant, si l'échantillon a été traumatisé avant l'observation, cette situation est peut-être logique.
Pas de thylakoides. Je lève la tête et croise le le regard impassible de mes observateurs. Les thylakoides sont des éléments cellulaires indispensables à la photosynthèse. C'était comme si je voyais un homme vivre mais je constatais qu'il n'avait pas de poumon. Voici une plante très curieuse, donc...je passe du temps au microscope. Je sais qu'ils veulent que je passe à l'analyse spectrométrique, mais je veux voir ce miracle de mes yeux. J'ai l'intuition que les protéines flottant dans la cellule se recombinent lentement pour former un pseudo thylakoide...cela créerait de façon ponctuelle de l'énergie. Cet organisme est-il lent à cause de ce fonctionnement, ou a-t-il adopté ce fonctionnement parce qu'il était compatible avec une croissance très lente ?
Diane m'ordonne de passer à l'analyse chimique des éléments. Je croise son regard et je comprends.
À l'œil nu, l'échantillon n'a pas cette douceur rugueuse du végétal. Il est sec, froid, dur. Il est comme la vigne d'or portant des grappes de lapis-lazulis du jardin des dieux de Gilgamesh. C'est un métal...vivant. Ou plutôt, une plante de métal.
Les mains tremblantes, je replonge dans le motif angulaire de la cellule. Les longues molécules organiques s'accrochent à un système cristallin partiel de forme cubique diamant. Ce n'est pas du bismuth. C'est du silicium. L'être vivant de silicium, respirant de l'oxygène et rejetant du SiO2, tel qu'il a été imaginé par mes confrères biochimistes, est viable. Il est sous mes yeux, étincelant de vie tranquille. Et ce n'est pas un échantillon aseptisé de laboratoire : il y a dans son mécanisme biologique la patine des millions d'années.
Il y a, quelque part, dans ce foutu désert, une plante étrangère à toute autre, qui peut changer le monde de la biologie.
Je tremble. J'ai du mal à me maîtriser, ou même à penser. Face à ce bouleversement, le prix Nobel est peu de chose, mais tout va changer. C'est le début de quelque chose d'immense.
Voyant mon trouble, ils savent que j'ai compris et qu'une analyse spectrométrique est inutile. D'une voix étranglée, je demande : « Où se trouve cette plante ? »
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