21%

La caverne était naturelle. Grande. Le couloir taillé s'arrête abruptement et donne sur une grande ouverture dont on ne voit pas les bords. Des tubes luminescents éparpillés par l'équipe archéologique achèvent de consumer leur feu chimique.

Le général lève le sien : la grotte doit faire cinquante mètres de large, un gros dôme percé de stalactites et de stalagmites. Les roches sont recouvertes de mousse brune et des racines violacées, plus petites, mais semblables à celles qui ont déclenché la décharge d'électricité statique à l'entrée. Pas de faune apparente.

C'était silencieux et froid, ordinaire d'obscurité. Et pourtant il y avait là quelque chose qui allait marquer à jamais l'histoire de la science.

Je fais un relevé atmosphérique. 22% d'oxygène présent dans l'air. Notre métabolisme est habitué à 20,93% précisément. Un peu moins, et le corps peut compenser, pas longtemps, mais on peut tenir. Par contre, un peu plus, et c'est la fameuse hyperoxie vécue par l'équipe militaire qui accompagnait l'archéologue. Entre 20,93% et 22%, cela ne fait pas beaucoup, mais cela suffit. À vrai dire, même seulement 21% pourrait poser problème à long terme, et nous ne parlons que de 7 unités de variation sur 10 000.

Comme je l'ai dit, la vie s'accroche, mais il est fascinant de voir notre sensibilité à quelque chose d'aussi massif et d'aussi volatil que l'atmosphère.

À 22% je ne pourrais pas travailler de façon durable ici sans mettre ma santé en danger. On a demandé donc l'installation d'un laboratoire étanche à l'entrée de la caverne : juste à la fin du couloir, une maison de plastique blanc et transparent, avec un tuyau qui courait le long des centaines de mètres sous la roche pour pomper l'air chaud, mais sain, du désert.

Quand les militaires ont apporté, avec leurs masques à gaz, un lit de camp et une malle de rations, j'ai compris que je n'allais plus revoir le soleil avant longtemps...

Donc dans cette grande caverne qui peut m'intoxiquer, j'ai ma petite bulle de respiration : une maison rectangulaire grand comme un appartement d'étudiant parisien. Bureau, instruments scientifiques, et même mes livres ! Une radio dont l'antenne courait le long du tuyau d'oxygène me permettait de communiquer avec l'équipe gardienne à l'extérieur qui elle-même sonnerait le général ou Diane si nécessaire.

Les installations ont pris deux jours. J'étais excité mais pas très à l'aise à la pensée que s'il y a avait une fuite, une petite fissure dans l'étanchéité du tout, je pourrais entrer en hyperoxie et non seulement risquer la mort mais en plus ne pas avoir la lucidité d'esprit de revenir à l'air libre...

J'étais aussi inquiet pour les plantes de silicium. Je ne m'expliquais pas l'hyperoxie soudaine de l'équipe archéologique. À 22%, ils auraient du se sentir mal à partir d'un temps plus long. La seule explication logique c'est qu'il y avait une bulle d'oxygène contenue ici, et que l'exploration du couloir, et l'aération due à nos allées et venues a fait chuter drastiquement cette proportion d'oxygène. Rappelons que le métabolisme observé du végétal au silicium était plus lent. Chez nous l'oxygène se dépose naturellement dans les muqueuses pulmonaires, mais peut-être chez cette forme de vie, plus lente, il fallait une pression plus forte, ou une présence disons de 30 à 40% d'oxygène dans l'air. À 22% seulement, peut-être que tout l'écosystème allait mourir.

Dernière source d'inquiétude, le général. Dès qu'on retournait coté désert, son téléphone sonnait. À chaque fois, il fronçait les sourcils, il posait des questions sur des assauts, des attaques, des embuscades, des bombardements. Alors non seulement j'allais au bout du monde, comme Gilgamesh, mourir étouffé, mais si je pointais le nez dehors, j'allais recevoir des bombes ? Je me demandais si j'avais la meilleure ou la pire mission du monde.

Néanmoins nous avons commencé à travailler. Diane était à mes cotés le jour, et rentrait à la base à la nuit tombée, même si cela ne signifiait plus rien pour moi désormais.

Les découvertes étaient réellement stupéfiantes. Les racines violacées étaient donc une seule grande plante de silicium, basée sur un cycle SiO2 et dioxygène. Le principal obstacle à la biochimie du silicium était la fragilité de longues chaînes moléculaires basées sur le silicium. Avec le carbone, les liaisons étaient fortes, mais le silicium...un sucre en silicium aurait été fragile. La solution nous est apparue immédiatement : les molécules étaient formées d'une part organique, avec du silicium, de l'hydrogène et de l'oxygène, puis, aux points prévus de fragilisation, se minéralisait. On avait donc un sucre qui était formé de petits cailloux de silicium. Et les cailloux de silicium formaient un cycle de minéralisation comme il existe un cycle de l'eau, se décristallisant pour soutenir les mécanismes énergétiques. Mais la plante fonctionnait aussi avec de l'eau, donc il y avait un liquide, quelque part, et surtout des feuilles, et je voulais vraiment creuser un trou dans le plafond pour accéder à la probable caverne supérieure.

Ces simples découvertes auraient fait la une internationale de tous les journaux et ouvert des pans entiers, nouveaux, de la biologie. Je notais mes observations stupéfiantes d'une main tremblante, nageant en pleine science fiction. Diane m'arrachait mes notes au petit matin pour les lire. Elle me disait les emporter pour les mettre au propre. Un jour, mon regard a croisé le sien et je pensais très fort « dis donc toi, tu n'es pas en train de voler mon travail ? ». Elle devait savoir lire dans les pensées...elle m'a dit d'un ton sec : « Non, je ne vais pas voler votre travail. Mon métier ne me permet pas d'être dans la lumière. Il y aura votre nom à la fin. Vous aurez vos honneurs et vos prix. »

Ils m'utilisaient. La science doit prendre son temps. Il aurait fallu 1000 ans pour tirer tous les enseignements nécessaires de cet endroit. Mais certaines nuits, la terre tremblait. Les bombes fracassaient et éclataient le sol, et ce n'était pas loin d'ici. Diane me me pressait pas parce qu'elle cherchait des résultats rapides, mais parce que peut-être nous serions délogés bientôt. Elle m'arrachait mes notes pour les emporter parce que peut-être cet endroit finirait écroulé sous une tonne de rochers. Avec moi en-dessous.

Et elle avait raison. Il est arrivé quelque chose de terrible. 

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