La découverte d'un monde mystérieux est comme les avancées de la science : à chaque mystère dévoilé, à chaque épreuve franchie, dix autres se présentaient à moi.

Parlons d'abord des choses prosaïques : la chaleur, le manger, le boire, le coucher. La situation est bien meilleure. Oh, il ne fait pas chaud, en dépit du soleil permanent, mais ma cabane de plastique étanche a une serre naturelle, et quand je suis à l'intérieur, même avec une ventilation, je me sens bien. Après diverses analyses, la mousse brune, qui est une sorte d'excrétion de la bactérie sauveuse, est un repas calorique intéressant. Il me manque certains oligo éléments pour résister à la dénutrition à long terme, mais je pense pouvoir les trouver dans la roche siliceuse de cette montagne.

Et pour l'eau ? Je pouvais la retirer de l'air ambiant, mais par le plus grand des hasards, j'ai trouvé une autre source, tout à fait étonnante. Une fleur de silicium, au pistil blanc énorme, était tournée énigmatiquement vers ma cabane. J'ai voulu faire un prélèvement au milieu, et le pistil est devenu abondamment humide, assez soudainement, expulsant l'équivalent d'un bon seau de liquide en une minute. Du liquide qui s'est avéré être de l'eau riche en sels minéraux.

Un autre problème de réglé, mais donc, un nouveau mystère. Un mystère dont la résolution était stupéfiante : cela avait la forme d'une fleur, cela était relié à la structure de la plante de silicium. Mais ce n'était pas une fleur. C'était une terminaison optique : une cornée, une rétine, un nerf optique. Et l'eau, c'était ses larmes. Cette plante, très lente, me regardait agir. Je serais pour elle un moucheron éphémère qui s'agiterait quelques minutes dans son temps relatif, avant de mourir.

J'aimerais que l'on revienne un petit peu à Gilgamesh. Sur mon lit de mousse et de plastique, je prenais un peu de repos après des jours et des jours d'organisation et de travail, et ayant faim d'humanité, je me suis replongé dans l'épopée commentée.

Écoutez bien.

Gilgamesh passe par la route du Soleil et arrive au Jardin des Dieux. Les buissons de métal, la rosée en agate. Là se trouve Siduri, une divinité qui tient une taverne. J'ai envie d'appeler cette plante Siduri. Siduri me donne à boire. Siduri est la seule chose vivante - à part les bactéries - dans ce jardin des dieux, et elle porte comme la déesse un voile - ici un voile de brume. Je suis en train de me dire...avec tous ces corps à l'entrée...peut-être qu'il y a des milliers d'années, on allait dans cet endroit maudit, cet endroit à la fois familier et étrange. Les sumériens y sont allés, et ceux qui ont pu y survivre, ont raconté ce qu'ils ont vu. Il n'y a rien d'extraordinaire. Et c'est intéressant : cela veut dire qu'ils ont vu tout ça, et en sont revenus. Je peux donc revenir. J'espère. À moins qu'une fois encore, je fantasme sur des coïncidences.

Toujours dans les sumériens. Les dieux sont appelés Annunakis. Selon mon ouvrage, les annunakis se reconnaissent au fait qu'ils portent sur le corps une substance indéterminée et brillante, appelée le Melam. Vous savez ce que je crois ? Je pense que le Melam, c'est la bactérie sauveuse. Des gens sont passés par l'entrée. Ils sont arrivés dans ce monde, mourraient sans comprendre. On les enterre devant le passage, en rituel. Et puis l'un d'entre eux, un petit malin, se barbouille de mousse brune à l'entrée. Il vit des jours là bas. Le soleil ne tombe pas, une lune géante dans le ciel. Il revient vivant du jardin des dieux, brillant à cause des propriétés réflectives de la bactérie. C'est un Annunaki.

Moi aussi je suis devenu un Annunaki. Et moi aussi j'ai rencontré Siduri. Je suis allé plus loin que tous mes ancêtres, mais il reste des mystères à comprendre.

La lune s'est dressée, immense, dans le ciel. Elle occupe une bonne partie de mon temps désormais. Déjà, elle est d'une taille immense, ce qui facilite son observation. Ronde et grande, elle prend un bon quart du ciel quand vous regardez dans sa direction. Sa taille est telle que je ne pense pas qu'elle orbite réellement autour de cette planète - elle doit former un système binaire, et ce duo danse autour du soleil. Elle est composée des reliefs habituels sur notre lune : cratères, mers et montagnes bien discernables car elle est en contre jour du soleil plus lointain.

Mais plus extraordinaire, elle dispose d'un océan à sa surface. Peut-être de l'eau, peut-être de méthane, peut-être même de Melam, qui sait ? Mais c'est une grande surface lisse, un disque dans le disque, poli comme un miroir. Et ce miroir commence à refléter la planète sur laquelle je suis.

Je ne suis pas en train d'observer cette lune - ou cette planète jumelle. J'observe ma planète. Et vous savez quoi ? Ce n'est pas une planète océan. Oui, pas de bol, je suis tombé sur une île minuscule au milieu de l'eau. Mais il y a, à l'est, c'est à dire sur ma gauche quand je regarde le soleil, une masse de terre monolithique, colossale. J'en fait des croquis chaque jour, même si le reflet est altéré par les imperfections de la surface de l'océan.

Il y a des canaux et des immenses structures en forme de trapeze. J'ai envie de rêver qu'il existe là bas des civilisations intelligentes, qui utilisent ces superstructures pour faire prospérer un peuple doué de conscience et aux ambitions pacifiques...malheureusement, les astronomes avaient vu des canaux similaires sur Mars. (Et quand je dis Mars, je pense à Nirgal, le mot babylonien pour l'astre, et la représentation sur Socotra, j'essaie de faire des liens...c'est idiot).

Oui Diane, vous aviez raison. On a 0.01% de chance de tomber sur monde où il y a autre chose que des bactéries, et j'ai pas eu cette chance. Mais ces bactéries m'ont sauvées. Et j'ai Siduri. Je vais faire des boutures, des expérimentations, je vais percer ces mystères.

Mais plus tard. Le Melam m'a donné une idée. Je vais m'en recouvrir comme les Annunaki, et je vais descendre la montagne. Peut-être que ces marches d'escaliers avaient été taillées par des hommes ? Peut-être...et peut-être que les corps que j'ai vu, et bien...peut-être que je ne les avais pas rêvés.