16 - Lever de lune

Arrivé à hauteur du sommet de la montagne, j'ai assisté à un spectacle stupéfiant. Le haut de la montagne brille comme le soleil, et je ne peux soutenir le regard plus de quelques secondes...impossible de savoir la distance.

Derrière la radiance, je vois en contre-jour une silhouette immense : une statue qui aurait émergé du sommet. Un torse fin surmonté d'une tête avec deux cornes, et 3 paires d'ailes dans le dos. Diane aurait vu un scarabée, moi je voyais une représentation colossale et immobile du dieu Pazuzu, dont la seule statue, que j'avais vue une fois au Louvre, était paradoxalement, d'une taille très petite.

Je le voyais immobile et j'avais vu des choses bien étranges jusqu'à présent. Je ne croyais pas réellement à la présence ici d'un dieu démon redoutable - même si cette jolie plage et l'eau bleue de l'océan contribuaient plus à tuer et torturer qu'à apporter la vie telle que je la connaissais.

Je godille, j'ajuste l'altitude dans un air devenu respirable et moins froid - presque 7 degrés - et la luminosité tombe d'un coup. Je comprends que le sommet de la montagne est recouvert d'une épaisse couche de mousse brune et de bactérie sauveuse - cet organisme qui prend cette propriété réflexive de la lumière si particulière. J'aurais du le savoir depuis le début, plutôt que de parler de « lumière mystérieuse...».

Pazuzu n'était pas Pazuzu. C'était le sommet de la plante immense de silicium. Là, en haut de la montagne que sa tige titanesque enserrait, six grandes feuilles, grandes comme des immeubles, s'épanouissaient dans le ciel comme les ailes des anges antiques. Et pour les cornes, il s'agissait des tiges courbées qui se terminaient par des fleurs blanches.

Je manoeuvre mon ballon pour atterrir, épuisé, en haut de la montagne. Si tout est recouvert de mousse, le haut de la montagne forme une cuvette rectangulaire, surmontée de la plante violette et de ses fleurs. C'est comme une grande maison.

Je fais des relevés d'oxygène. Tout va bien. Je vais pouvoir vivre ici. Je m'allonge dans mon ballon et je m'endors comme une masse. Je rêve de nuages blancs et de draps d'hôtels luxueux. Un rêve heureux, utérin, comme enserré dans une présence maternelle. La bâche blanche de ma maison étanche est encore sur moi quand je me réveille.

J'installe ma nouvelle maison. Mon ballon redevient ma base, plus petite, avec tous les bricolages que j'ai du y faire. Comme un igloo, le fait même de rester à l'intérieur garde la chaleur de mon corps et amène la température à quelque chose d'agréable. Un corps humain dégage 80 watts en continu, autant l'exploiter.

Je peux enfin respirer et penser, sans avoir peur de mourir. J'ouvre mes réserves. 1 semaine et demie de nourriture et d'eau en gros. Je renifle une mousse brune. Les chaînes carbonées la-dedans pourraient me permettre de délayer mes rations pour transformer cette semaine en mois. Mais il reste le problème de l'eau. Je songe mélancoliquement que je vais être bon à recycler mon urine - et je regrette déjà toutes les fois où j'ai perdu toute cette eau potentielle pour rien.

En l'état, je vais me dégourdir les jambes au soleil et dans l'air froid. Mon petit recoin recouvert de mousse au sommet de la montagne me plaît. Je suis heureux comme celui qui devait mourir la veille apprend qu'il a une semaine de plus !

Les fleurs de la plante de silicium plongent depuis les hauteurs de la cuvette jusque vers moi. Je dis « fleurs » mais imaginez des marguerites dont le pistil plat serait grand comme un homme. Et blanc. Tout est démesuré ici. Les tiges supportant les fleurs, violettes sombres, descendent le long de la cuvette comme des serpents curieux. Curieux de me voir, ce qui est curieux en soi, puisque les fleurs sont normalement tournées vers le soleil.

Je grimpe sur un bord. Les pierres schisteuses sont dressées comme un mur sous la mousse. Tout glisse. D'ici je vois l'horizon sur 180 degrés. Que de l'océan. Pas même, au très loin, la piste d'une terre émergée. Je vais de l'autre côté. Encore l'océan. Et la, pas même la piste...en fait...si...il y a quelque chose. Il y a quelque chose de grand, de très rond. La calotte d'un dome immense, qui se lèverait au loin. Ce spectacle est si nouveau pour un humain qu'il me faut du temps pour le comprendre : une lune immense est en train de se lever. Quand je dis immense, je pense qu'il est possible qu'elle soit vingt fois plus grosse que la lune de la terre.

Je pense aux effets de marée. Est-ce que cette lune immense peut entraîner une vague haute de deux mille mètres ? Est-ce que la planète sur laquelle je me trouve est une lune de cette grosse boule qui va se lever dans le ciel ? Combien de temps va durer sa révolution autour de ma planète ? Vais-je pouvoir la voir tout entière ?

Quand je vois de telles merveilles, je me dis que non seulement je dois survivre, mais je dois transmettre. Je dois revenir sur la terre, ou tout du moins renvoyer ce dictaphone, pour que vous puissiez savoir. Quelle chance, au final, que ce soit un scientifique et non un militaire qui soit ici. Je vous donnerai toutes les informations pour que vous puissiez revenir, parfaitement préparés, prêts à comprendre les quelques mystères que je n'aurais pas perçés. J'avais détesté le discours de Diane sur l'exploration des exoplanètes. Elle n'a rien compris. En tant que scientifique, je ne crois pas en l'astrologie. Mais l'astrologie est née d'une intuition fondamentalement juste : celle que le destin des hommes est écrit dans le ciel. Et c'est le cas. Je suis amoureux de la biologie mais c'est une science humble, au regard de l'épopée désespérée, ardente, puissante de l'humanité face à l'étude des corps célestes. Il y a dans les astres dérivants les métaux, l'eau et les composants organiques qui manqueront fatalement un jour à nos descendants. Il y a dans les mystères de leurs trajectoires la clef de notre survie, et celle de notre grand départ vers d'autres mondes, une migration lointaine, nécessaire, destinée. Il y a enfin, quelque part, l'espoir ténu que peut-être, nous ne soyons pas seuls. Qu'au delà des abîmes interstellaires nous attende une altérité sentiente nécessaire qui nous ouvre les yeux et nous transforme en quelque chose de meilleur. Nous pensions jusqu'à présent que cette voie vers la transcendance se ferait avec les fusées et l'étude des astres - et bien de toute évidence non.

Elle se fera en regardant et en comprenant des fleurs.

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