15 - Dernière chance
L'idée est de faire une montgolfière. Si vous écoutez ce message trouvé à côté de mon cadavre, ne riez pas. Ne riez pas trop. En vérité, j'ai tout ce qu'il faut sous la main : une enveloppe parfaitement étanche, de quoi fabriquer de l'hydrogène par electrolyse, et une maudite planète sans vent, et aux gaz bien plus lourds que l'hydrogène.
Ce n'est pas un ballon, mais une vraie fusée qui va monter dans le ciel.
À présent, c'est tout ou rien. J'ai cessé de numéroter mes expéditions. Je fais de nombreux aller-retours sur la plage où j'entasse le matériel minimum pour m'enfuir. Adieu spectromètre de masse de l'an 40 000. Les choix sont difficiles.
Je bricole ma maison étanche. Elle est légère mais il me faudra une soupape, sinon je risque de monter dans la stratosphère et mourir de froid.
Paradoxalement, il me faudra du lest. Si je veux redescendre, car tous les scénarios positifs imaginent cette situation, je vais utiliser la soupape pour relacher l'hydrogène dans l'atmosphère. Cependant, plus on est à basse altitude, moins l'hydrogène prend de la place et me tire vers le haut, ce qui fait que je risque de plonger à grande vitesse vers le sol.
Dernier point, il me faudrait un mode de propulsion. Comment se déplacer dans les airs sans aucun courant aérien ? Cela dit, je dis qu'il n'y en a pas mais c'est juste une déduction solide. Solide par l'absence de météo, et surtout par l'immobilité du soleil dans le ciel. Tout comme la lune autour de la terre, cette planète présente une face permanente à son soleil. La dynamique aérienne doit être très différente - pas d'effet coriolis par exemple.
J'ai eu de la chance, en un sens, de tomber sur la face éclairée. Même si, considérant la valeur calorifique de l'eau et l'albédo, je pense qu'il doit faire au pire 10 degrés de moins sur l'autre face. Après tout, je suis dans le Jardin des Dieux. J'imagine que la face sombre doit être le royaume des morts. Oui, vous pouvez continuer à rire.
Donc un mode de propulsion. Par la chimie, j'ai dix mille solutions impossibles à mettre en place car elles impliquent l'utilisation d'une petite flamme, chose qui pourrait transformer mon appareil volant en boule de feu spectaculaire. Une à une, toutes mes solutions tombent à l'eau : soit parce que je pourrais les utiliser trop peu de temps, soit parce que je n'avais pas un petit composant.
Je me résouds à bricoler une solution physique. Au début j'ai pensé à des rames, ou une hélice, mais je ne suis pas assez doué de mes mains. Au final, avec un piquet et une plaque, j'ai mis au point une godille. C'est une rame qui permet de propulser un navire par l'arrière, en faisant un mouvement en huit. Cela n'a pas trop de chance de fonctionner...mais qu'est-ce qui en a ?
Expedition 8. Je suis avec 40 kilos de matériel dans mon ballon de fortune, sur la plage, et une heure d'oxygène par la bactérie sauveuse. L'intérieur de mon ballon est tapissé de mousse brune au cas où. J'enclenche mon processus de la dernière chance. On se retrouve dans la zone sûre.
L'hydrogène se dégage bien par électrolyse depuis l'eau oxygénée - et me fabrique de l'eau dans la foulée. Je bois à ma santé. Mon ballon-tente se gonfle de façon très pointue, craque dans tous les sens. Au bout de 5 minutes, il est tendu comme un arc, la seule chose qui touche terre, c'est moi à travers la tente, qui tient le dispositif de génération de l'hydrogène. 10e minute, nous nous sommes détachés de la terre. Je n'y crois pas. J'aurais du y croire, pourtant. C'est le résultat scientifique.
Il s'est passé quelque chose dans mon ascension. Elle s'est accélérée de façon incontrôlée, comme une bulle folle qui remonte le long d'un océan. J'ai perdu connaissance. Dans ma perte de connaissance, mon matériel électrolytique que je tenais stabilisé a cessé de fonctionner, voilà pourquoi je ne suis pas devenu un glaçon à - 60 degrés dans la stratosphère. Je me suis stabilisé à une très grande hauteur - plus haut que la montagne.
Un appareil de mesure me donne 3870 mètres de hauteur. Il fait -6 degrés. C'est glacial, mais dans mon jus, avec les bactéries, c'est encore supportable. Je fais un relevé. La proportion en oxygène est encore trop grande, de l'ordre de 40%, mais l'air est suffisamment rare pour être supportable. Sur la terre, je manquerais d'oxygène, j'aurais la tête qui tourne, ce qu'on appelle le mal aigu des montagnes. Mais là, la pression partielle est tout à fait confortable. Je mets le nez dans l'air glacial et j'inspire. Cet air ne me tuera pas.
Je dézippe plus largement une large ouverture dans ce qui pourrait être nommé la proue et la poupe de mon ballon. Je suis bien 1000 mètres au dessus de ma montagne. Et ma montagne...c'est une île. Il y a de l'océan dans toutes les directions. Pour la première fois depuis ce terrible incident qui m'a coincé ici, je peux vivre, vivre plusieurs semaines et prendre du repos, et pourtant c'est une catastrophe. Il n'y a qu'une montagne de silicium qui dépasse d'une mer de peroxyde.
Dire que j'ai rêvé de ces mondes exotiques, pensant que la vie s'accroche et apparaît. J'ai rêvé d'être ce touriste attendant comme un peintre la vie apparaître pour la tracer sur son tableau.
Je relâche l'air de ma soupape pour descendre au niveau de la montagne. Ma folle ascension turbulente m'a éloigné considérablement de l'île. Il va falloir godiller longtemps pour atteindre le sommet...mais c'est faisable. Je vais tenter de m'installer là haut. Je ne vois pas bien d'ici, mais je me souviens que d'en bas, le sommet luisait d'une étrange aura.
Cette belle lumière indique peut-être la présence d'eau ou d'autre chose qui pourra m'aider à vivre plus longtemps. Actuellement, je n'en demande pas davantage.
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