Chapitre 41 - Ivy
En bas de l'immeuble où vivait Jake, je fus secouée par un énorme frisson qui me parcourut de la tête aux pieds. L'endroit était vraiment glauque, pas du tout rassurant. Il se trouvait dans l'une des parties de la ville les plus conflictuelles, là où la police avait tendance à intervenir. Ce n'était pas bien différent du quartier où se trouvait le Grace Hall, où séjournait Kelly.
Mon petit ami ne semblait pas du tout rassuré, ses mains tremblaient légèrement sur le volant. Il était nerveux de me faire découvrir l'endroit où il créchait. Il avait sans doute peur que je ne trouve pas ça assez bien, ou encore que je le méprise. Mais ça n'arriverait pas. Je m'en fichais, tant que je pouvais passer la nuit auprès de lui.
Mes retrouvailles avec ma sœur avaient été horribles. J'ignorais ce à quoi je m'attendais, mais j'avais sans doute espoir qu'elle ne veuille pas me voir juste pour une question d'argent. J'avais encore du mal à croire qu'elle m'ait demandé de voler nos parents pour la dépanner. Heureusement que Jake était intervenu et avait pris les choses en main, sinon, je crois bien que j'aurais fini par céder. Elle savait quelle corde sensible toucher pour m'ébranler et me faire culpabiliser. Je m'en voulais de lui avoir refusé mon aide, mais je ne pouvais pas continuer comme ça. Je ne voulais pas être celle qui aurait contribué à sa destruction. Pour ça, elle devra se débrouiller toute seule. Elle ne pourra plus compter sur moi pour garder ses secrets, ces derniers pesaient vraiment lourd sur mon cœur, et cela depuis des années. Je n'avais que treize ans, qu'aurais-je été censée faire ? Je l'ignorais, mais je ne pouvais m'empêcher de m'en vouloir de m'être tue. Si elle avait reçu l'aide adéquate à l'époque, peut-être bien qu'elle n'en serait pas là aujourd'hui. Si j'avais trahi son secret, je l'aurais aidé. Désormais, de quoi servait-il d'en parler ? Il était trop tard.
Un jour, je recevrai un coup de fil de la morgue où l'on m'annoncera que Kelly avait été retrouvée morte dans une ruelle. À chaque fois qu'un numéro inconnu m'appelait, cette peur me tiraillait le ventre. J'avais alors l'impression que mon cœur prenait place au niveau de ma gorge, battant la chamade à cet endroit bien précis. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de l'aimer et me faire du soucis pour elle, mais Jake avait raison : je ne pouvais pas continuer comme ça. J'avais suffisamment donné, et elle ne faisait aucun effort pour changer. J'avais atteint ma limite.
— On est arrivés, m'annonce-t-il, toujours aussi agité.
Je tournai mon regard vers lui pour lui sourire timidement.
La situation était étrange, je ne saurais comment l'expliquer. J'ignorais ce qui allait se passer cette nuit entre nous, mais étrangement, ça ne me faisait pas peur. Je me sentais sereine, étrangement à l'aise en sa présence. Est-ce que l'idée de coucher avec lui m'avait effleuré l'esprit lorsqu'il m'avait proposé de venir ? Oui. Et au lieu de prendre peur, j'avais accepté son offre. J'avais besoin de penser à autre chose, de m'enlever Kelly de la tête. Ça ne voulait pas dire que je le voyais comme une distraction, mais je savais qu'il pouvait m'aider.
Bien évidemment, il n'avait aucune idée de ce que j'avais en tête, d'ailleurs, je ne savais pas si cela se réaliserait. En tout cas, c'était bien présent dans mon esprit. L'idée était alléchante, comme aucune autre auparavant. Est-ce donc mon petit côté rebelle qui ressortait ? Peut-être bien. En tout cas, ce soir, je ne comptais pas rester sur la touche. Si je voulais que quelque chose se passe, je devais le lui faire comprendre, haut et fort. Certes, j'étais timide et je n'avais aucune idée de séduction, mais il fallait bien que j'apprenne un jour.
— T'es sûre de vouloir entrer ? me demanda-t-il, dubitatif.
— Oui, ricanai-je. Tu ne veux pas que je vienne ?
— Si ! Ce n'est pas ça le problème, c'est juste...
Il se pinça les lèvres, arborant un rictus qui me réchauffa instantanément le cœur. Il était gêné, il pensait sans aucun doute que je n'avais pas ma place dans un lieu pareil. Toutefois, là où il se trouvait, j'y serai également.
— C'est petit, vieux et je dors sur un matelas à même le sol, m'avoua-t-il. Quant à l'odeur, ce connard de Drake fume h24, alors l'arôme à cigarette est imprégné dans les murs.
— Je suis certaine que tu fumes aussi de temps en temps.
— J'ai arrêté il y a un moment. En prison, c'était un peu la seule chose que je pouvais faire pour me distraire et me calmer. Mais j'ai cessé ma consommation depuis que je suis sorti.
— C'est bon à savoir, le taquinai-je en lui faisant un clin d'œil. On y va ?
Il serra le volant entre ses mains avant d'hocher la tête et sortir. Il fit le tour de la voiture pour venir ouvrir ma portière, tel un véritable gentleman. Une fois dehors, il m'attrapa la main avec convoitise, puis ferma à clé la Camaro.
Nous ne tardâmes pas à rentrer dans l'immeuble et à en monter les marches. Ses paumes étaient moites, je me concentrai sur ce détail plutôt que sur la fragrance nauséabonde qui recelait par moments lorsque nous montions les escaliers. Mon dieu, je le plaignais vraiment de devoir vivre dans un lieu pareil. Ça me faisait vraiment de la peine. Il fallait à tout prix que je l'aide à trouver un meilleur endroit, en plus, vivre avec un dealer pouvait lui attirer encore plus d'ennuis. J'irai parler avec sa mère s'il le fallait pour qu'elle le laisse retourner chez lui. Oui, je pourrais demander de l'aide à Elijah, j'étais certaine qu'il serait partant. Il m'avait plus d'une fois parlé de l'endroit où vivait son grand-frère, mais il fallait vraiment le voir pour le croire.
Une fois devant la porte de l'appartement, Jake introduisit la clé dans la serrure pour l'ouvrir. Le battant grinça et il m'invita à entrer la première après avoir allumé la lumière. Les lieux étaient très austères, il y avait pratiquement aucun meuble. La cuisine était petite, équipée d'une cuisinière à gaz qui avait connu des jours meilleurs, tout comme d'un micro-ondes qui semblait avoir pris feu. Quant au salon, il y avait un canapé trois places vieux, tout défoncé, ainsi qu'un fauteuil en meilleur état. La table basse en bois avait des traces de cigarette sur la surface, comme si on les avait éteints dessus. À croire que ce Drake ignorait ce qu'était un cendrier.
La couleur des murs avait sans doute dû être blanche dans le temps, mais désormais, elle dégageait une nuance grisâtre qui donnait l'impression qu'ils étaient sales.
Derrière moi, je pouvais sentir Jake, tendu de la tête aux pieds. Je me fis violence pour tout cesser d'analyser, mais je comprenais désormais sa réticence quant au fait de m'emmener ici. Il n'avait pas honte à avoir. Il avait un toit sur la tête, c'était suffisant. C'était plutôt son colocataire qui m'inquiétait. Je me doutais qu'il ne devait pas être assez bête pour planquer de la drogue chez lui, mais je n'étais pas rassurée pour autant.
— Je vais te montrer où tu vas dormir, se racla-t-il la gorge en fermant la porte d'entrée.
Il me dépassa, puis se dirigea vers la deuxième porte qui faisait face au salon. Je le suivis et trouvai une petite pièce où un matelas gisait par terre. Il y avait une table de nuit, mais pas d'armoire ou de commode, simplement des boites en carton où je soupçonnais ses vêtements d'être empilés.
Il commença à fouiller dans l'une d'entre elles tandis que j'essayais de ne pas trop regarder autour de moi. La peine ne devenait que plus grande, il devait déprimer dans un taudis pareil. Il méritait tellement mieux que de vivre ici, avec ce dealer qui semblait avoir un problème avec la propreté. Contrairement au reste de l'appartement, la chambre de Jake était la plus propre, je ne pouvais pas en dire de même des pièces communes. Je ne voulais d'ailleurs pas imaginer l'état de la salle de bain, ça risquait d'être tout un spectacle.
— Tiens, dit Jake en me sortant de mes pensées. Ça pourra te servir de pyjama.
Il me donna un t-shirt lui appartenant et qui faisait aisément deux fois ma taille. Je le pris, puis, sans trop savoir pourquoi, je le humai sous ses yeux étonnés, ainsi qu'amusés.
— Tu veux manger quelque chose ? me demanda-t-il en reculant de deux pas. Tu as dîné ?
— Oui, ne t'en fais pas. Je n'ai pas faim.
— D'accord. Hum... euh... je te laisse te changer.
Sans attendre une réponse de ma part, il quitta la pièce et referma la porte derrière lui afin de me donner le plus d'intimité possible.
Il est mignon lorsqu'il fait son timide, pensai-je, amusée. Ça changeait pas mal de son comportement habituel. Me savoir dans son domaine devait vraiment l'intimider.
Je déposai mes affaires sur le matelas et commençai à me déshabiller. Comme à mon habitude, j'ôtai mon soutif, je ne dormais jamais avec. J'enfilai son t-shirt qui m'arriva au niveau de la mi-cuisse, alors que mon corps flottait dedans. Je me sentais bien, en confiance. J'adorais sentir son odeur sur moi, c'était très agréable. J'avais l'impression qu'il m'enlaçait.
Au bout de quelques instants, debout dans cette pièce, je m'assis en tailleur au centre du matelas, songeuse. Mon cœur tambourinait comme un dingue dans ma poitrine, le son résonnait dans ma boîte crânienne et j'avais l'impression que ma respiration était erratique. Plein de pensées me traversaient l'esprit. Mes mains moites ne cessaient de trembler au fur et à mesure que les secondes passaient. J'essayais de laisser Kelly dans un coin de ma tête, de l'oublier, de faire comme si elle n'existait pas. Mais je ne pouvais pas. J'avais la sensation d'être une personne horrible, d'avoir abandonné ma sœur alors qu'elle avait besoin de moi. Combattre cette pensée était épuisant, elle me consumait plus que ce qu'il ne devrait.
La gorge nouée par le sanglot qui menaçait de s'échapper, je fermai les yeux avant de soupirer un grand coup. Il fallait que je cesse d'y songer, rien ne s'arrangerait de toute façon. Qu'aurais-je pu faire ? Céder et lui procurer l'argent dont elle avait besoin pour s'acheter sa dose ? Je ne me serais pas sentie mieux, c'était sûr. Pourtant, je voulais encore croire en elle. J'espérais qu'elle changerait à l'avenir, je ne pouvais m'en empêcher.
Mes parents s'étaient montrés cruels avec elle. Elle les avait déçus, alors ils avaient coupé les ponts. Ils n'avaient pas voulu essayer, retenter le coup. Je crois que mon père savait parfaitement depuis le début que ma sœur ne voulait pas s'en sortir, mais ça n'excusait en rien leur abandon. J'aurais dû ouvrir mon clapet ce soir-là, le premier soir où Kelly avait fait une overdose. Je connaissais les raisons de son pétage de plombs, mais je n'avais rien dit. Je m'étais contentée de garder le secret, pensant que je lui faisais une faveur, alors que je contribuais simplement à sa destruction.
Je me souvenais encore de ce soir-là, de comment elle était rentrée, en pleurs, alors que nos parents étaient absents. Elle se tenait le ventre, criant de douleur. C'était là, que paniquée, j'avais tenté d'appeler les secours, mais qu'elle m'en avait empêchée. Afin d'accéder à sa demande, je lui avais supplié de me dire au moins ce qui se passait, pour que je puisse l'aider. J'étais très jeune à ce moment-là, mais je n'imaginais pas que cette situation déboucherait sur un tel fiasco. Je pensais qu'elle s'en remettrait, qu'elle arriverait à tourner la page, mais ça avait été beaucoup de choses à digérer, à supporter. Elle ne voulait pas en parler aux parents, car leurs croyances allaient à l'encontre de tout ce qu'elle avait fait. Elle avait honte, se sentait humiliée ainsi que trahie. Pourtant, elle devait voir celui qui lui avait tout pris tous les jours au lycée. Aaron s'était comporté comme la pire des ordures. Je n'avais même pas de nom pour qualifier la monstruosité de son geste. C'était lui qui avait détruit Kelly, et en me taisant, j'y avais également contribué. Je n'en avais jamais parlé à personne. D'une part, parce que je ne voulais pas trahir ma sœur, et d'une autre, parce que je me sentais mal d'avoir tout gardé pour moi pendant si longtemps.
J'essuyai les larmes qui s'échappèrent de mes yeux et tentai de me reprendre avant de sortir de la chambre. Cette nuit, je ne voulais pas être seule.
Une fois dans le salon, je ne vis Jake nulle part, mais j'entendis rapidement la douche couler. Alors, patiemment, j'allais m'installer sur le canapé. Seigneur ! Il était plus que défoncé, j'avais l'impression de poser mes fesses directement sur les ressorts.
La porte de la salle de bain s'ouvrit et Jake en sortit, vêtu d'un pantalon de jogging, torse nu et se frottant les cheveux à l'aide d'une serviette, qu'il garda par la suite autour de son cou.
— Tu te sens bien dans ce t-shirt ? me demanda-t-il en venant se poser sur la table basse en face de moi.
Mais je ne l'écoutais pratiquement plus, mon cerveau était beaucoup trop occupé à enregistrer ce que mes yeux voyaient. C'était la première fois que je le voyais sans haut, alors je n'avais pas envie d'en rater une miette. Ses muscles étaient plutôt bien développés, sans en faire des caisses, puis quant à ses abdos et ses pectoraux, je crois bien que je pourrais y faire glisser mes mains sans m'en lasser. Et autre chose aussi, éventuellement.
Il ricana, me ramenant à l'instant présent.
— T'as jamais vu un mec torse ou quoi ?
— Si ! Mais... pas toi.
Jake se jeta un coup d'œil, puis haussa les épaules, l'air de rien.
— Il y a rien d'extraordinaire. J'ai la même chose que les autres, tu sais ?
— J'en doute fort ! m'exclamai-je.
Il me fixa d'un air goguenard avant de poursuivre.
— Mes tablettes de chocolat te font à ce point de l'œil ? Je peux aller me couvrir, si tu veux. J'espère que tu ne vas pas me faire une hémorragie nasale, espèce de petite perverse, me taquina-t-il.
Je pris le coussin qui se trouvait sur le canapé et le lui balançai, amusée par ses gamineries.
— Tu veux parler de ce qui s'est passé plus tôt ou tu préfères garder ça pour toi ? me demanda-t-il, en reprenant un air sérieux, voire grave.
Mon sourire s'effaça et, automatiquement, je ramenai mes jambes pliées vers mon torse, que je me dépêchai d'entourer de mes bras. Je posai la tête dessus, réfléchissant à sa question. J'aimerais lui en parler, mais ce n'était pas si simple. J'avais réussi à regagner sa confiance, s'il apprenait ce que j'avais tu, alors il me regarderait avec d'autres yeux.
— Tu sembles t'en vouloir pour quelque chose, Ivy, devina-t-il. Mais j'ignore totalement quoi. C'est comme si tu devais quelque chose à ta sœur. Je ne comprends pas.
— J'ai toujours su la cause de ce mal-être qui l'habite et je n'ai rien dit. Je l'ai laissée s'enfoncer, simplement parce qu'elle m'a demandé de garder le secret. Si j'en avais parlé à nos parents dès le moment où j'ai appris ce qui lui était arrivé, les choses auraient été tout autres, confiai-je. Alors oui, je considère être fautive de sa situation.
Je laissai échapper un soupir, puis Jake posa, après avoir hésité un moment, une main sur mon genoux nu. Face à son contact, ma peau se hérissa et tout mon être s'enflamma comme par magie. J'avalai ma salive tandis que je le regardai droit dans ses yeux verts. Il me contemplait, l'air désolé.
— Que s'est-il passé ? Tu sais que tu peux m'en parler, je n'irai le raconter à personne.
En effet, ce n'était pas comme s'il allait voir mon père pour aller lui balancer toute l'histoire. Peut-être bien que ça me ferait du bien de dire les événements à haute voix, ça changerait par rapport à ces dernières années où je n'avais fait que le coucher sur papier ou le garder au fond de moi.
— Kelly sortait avec Aaron McCall, le grand frère d'Aiden.
— Oui, tu me l'as dit.
— Eh bien, c'est ça ce qui a poussé Kelly vers cette situation. C'est ce mec, cette famille. Ils... ils lui ont fait quelque chose de terrible. Ce ne sont pas des êtres humains, murmurai-je.
Jake fronça les sourcils, puis vint s'asseoir à côté de moi.
— Ma sœur était inconditionnellement amoureuse d'Aaron. Elle lui aurait tout donné. À l'époque, Aiden et moi étions amis, certifiai-je, mais tout a changé avec l'annonce de ma sœur. Pendant les vacances d'été, avant la rentrée en terminale, elle a découvert qu'elle était enceinte.
Ça me fit tout drôle de le dire à haute voix.
Jake arqua un sourcil, surpris. Il y avait de quoi, ce n'était pas de cette façon que mes parents avaient élevé Kelly. À l'époque, je n'étais au courant de rien, bien que je sentais qu'elle était bizarre. C'était lors de la tragédie que j'avais tout appris.
— Elle avait peur, mais elle voulait garder ce bébé. Elle l'a par conséquent dit à Aaron, et il lui a dit d'avorter.
— Tes parents sont catholiques, non ? me questionna-t-il, voyant où ça allait coincer.
— Et ma sœur l'était aussi. On nous a toujours appris que l'avortement c'était mal, que ça allait à l'encontre de la volonté de Dieu et que ce n'était ni plus ni moins qu'un meurtre. Je ne vois pas les choses comme ça. Je considère que ce n'est pas le cas, et que chacune est libre de faire ce qu'elle souhaite avec son corps. Et ce que ma sœur désirait, c'était le garder. Elle voulait prendre ses responsabilités. Elle ne voyait pas la venue de cet enfant comme une entrave dans sa vie, mais comme un bénédiction. Mais Aaron et les McCalls ne voyaient pas les choses de la même manière. Alors, ils l'ont obligée.
Ses sourcils se froncèrent tandis qu'il se raidit, ne comprenant visiblement pas ce que je racontais. Pouvait-on obliger quelqu'un à faire une chose pareille ? Eh bien, oui, avec les moyens de ces ordures.
— Aaron a fait venir ma sœur chez lui et avant qu'elle ne s'en aperçoive, elle est tombée dans les pommes. Elle s'est réveillée dans un des lits de la maison avec une douleur fulgurante. Elle n'a pas eu besoin de demander pour savoir ce qu'on lui avait fait. Ils lui ont arraché la vie qui grandissait à l'intérieur d'elle. Je crois bien qu'ils lui ont brisé le cœur à jamais, car plus jamais elle n'a été la même. Lorsqu'elle est rentrée à la maison, j'étais seule, nos parents étaient à un dîner. Elle s'est terrée dans sa chambre sans même me dire ce qui lui arrivait.
— C'est horrible.
— Ces monstres avaient fait venir un médecin de leur connaissance pour qu'il procède à l'avortement chez eux, avec les anciennes méthodes. Et afin qu'elle se laisse faire, ils lui ont mis une drogue dans sa boisson. Ce sont les parents d'Aaron qui ont tout planifié, afin que leur rejeton n'ait pas un petit bâtard. La cruauté de certaines personnes n'a aucune limite. Après ça, Kelly m'en a parlé et m'a fait promettre de ne jamais le raconter à nos parents. Elle avait honte d'avoir désobéi en couchant avec Aaron, et de ce qu'on lui avait obligé à faire. Pour elle, elle avait tué son bébé et elle s'en voulait atrocement. Elle faisait des cauchemars, n'allait plus en cours et elle s'est rapidement retrouvée toute seule, ou entourée de mauvaises personnes. Afin de faire taire la douleur, elle a commencé à toucher à toute sorte de substances... et nous en sommes là aujourd'hui, soupirai-je.
Le dire à haute voix m'avait libéré d'un énorme poids que je me trimballais depuis trop longtemps. J'avais treize ans lorsque c'était arrivé, et je m'étais vue totalement dépassée par la situation.
— Tu pensais aider ta sœur, certifia-t-il. Tu étais trop jeune, elle n'avait pas le droit de faire reposer une telle responsabilité sur tes épaules.
Peut-être bien, mais elle n'avait que moi pour pouvoir soulager sa souffrance.
— Je l'aime de tout mon cœur, tu sais ? Mais... je n'en peux plus, geignis-je. Je pensais sincèrement que ce soir, elle voulait me voir pour autre chose que le fric. Je suis trop idiote.
Je séchai mes larmes et Jake caressa l'arrière de ma tête, afin de me consoler.
— Non, tu n'es pas idiote. Tu es gentille, tu veux croire qu'elle changera. Et c'est tout à ton honneur. Mais il faut aussi que tu sois réaliste. Le jour où elle voudra vraiment passer à autre chose et cesser de vivre dans le passé, elle te le fera savoir. En attendant, tu ne peux pas continuer comme ça. Je suis sérieux, Ivy. Elle te fait du mal, j'ai parfaitement vu son comportement. C'est toxique, malsain, ça ne t'apportera rien de bon. Ce n'est pas à moi de te dire ce que tu dois faire, mais je connais les drogués. Je sais comment ils agissent. Et elle t'entrainera au fond avec elle, sans se soucier de ce qui pourra t'arriver.
Je savais qu'il avait raison sur toute la ligne, mais c'était très difficile de me dire qu'il allait falloir que je coupe définitivement les ponts avec elle, comme mes parents avant moi. Je ne voulais pas qu'elle se retrouve seule, mais elle l'était déjà. Je n'étais que son contact qu'en cas d'emmerdes ou de besoins. Elle se fichait de ce qui pouvait m'arriver, elle me l'avait bel et bien démontré ce soir. Ça ne pouvait plus continuer, mais je ne pouvais m'empêcher d'y penser.
— Je suis désolé pour ce qui lui est arrivé, continua Jake. Mais ce n'était pas ta faute. Elle a fréquenté la mauvaise personne et elle a continué à le faire par la suite. Tu as ta vie, Ivy. Elle est déjà assez complexe comme ça pour que tu doives te faire du mouron pour ta sœur, alors qu'elle se fiche de ce qui peut t'arriver à cause d'elle. Sois égoïste et prend la meilleure décision pour toi.
Oui, il avait sans doute raison. Parfois, être égoïste n'était pas une mauvaise chose. Il y avait des fois où l'on devait veiller avant tout à notre propre bienêtre avant celui des autres. Et dans ce cas, Jake était dans le vrai. Je ne pouvais pas continuer comme ça, car le style de vie de Kelly était en train de me pourrir la mienne. J'avais déjà mes parents suffisamment sur le dos alors que jamais je n'avais fait de vagues, qui me surveillaient presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de s'assurer que je ne déconnais pas comme elle.
Je voulais vivre ma vie, aux côtés de Jake.
— Merci d'être venu avec moi aujourd'hui, commençai-je en me tournant vers lui. Et de me laisser squatter ici cette nuit.
Il me sourit tendrement avant d'approcher son visage du mien.
— Lorsque je suis avec toi, j'aime bien me transformer en prince charmant. Jouer les bad boys tout le temps est épuisant.
Sa remarque m'arracha un rire, puis quand ses lèvres se posèrent délicatement sur les miennes, je sentis une espèce d'explosion au creux de ma poitrine. Sa main agrippait tendrement ma nuque tout en faisant des petits cercles sur ma peau à l'aide de son index, sans doute afin de m'enflammer davantage. Mon cerveau se mit en veille, puis me laissa profiter de l'instant comme jamais auparavant. Il était la distraction parfaite, il envoyait ma culpabilité se faire voir en deux-trois coups de langue parfaits.
Ma paume se posa sur son torse, je pus alors sentir à quel point il était brûlant et ô combien son cœur battait vite. Sa peau était douce, elle se hérissait face à mon contact alors que ma main faisait également des petits tracés sur elle. Les yeux fermés, je ressentais toutefois tout ce qui m'entourait.
Sans trop savoir comment, je me retrouvai à califourchon sur Jake, qui désormais, me caressait le haut des jambes alors qu'il continuait à s'occuper de ma bouche. Les choses montèrent d'un cran lorsque je sentis son membre se durcir sous mon corps. Cette réaction mécanique de son corps ne me fit pas peur, au contraire, elle m'excita plus qu'autre chose. Puis lorsque j'entrepris de le toucher à cet endroit bien précis, il m'arrêta dans mon élan et brisa notre baiser, avant de me regarder d'un air effrayé. Avais-je fait quelque chose de mal ?
— On ne peut pas, Ivy.
— Quoi ? Pourquoi ?
Toujours assise sur ses cuisses, je le contemplai se débattre avec ses désirs et ce qu'il pensait être bien.
— Premièrement, je serais vraiment un gros connard si je profitais de cette situation pour coucher avec toi alors que tu es bouleversée. Et deuxièmement, tu es mineure et pas moi.
Encore une fois la même rengaine. Ne se fatiguait-il jamais ?
— Tu es seulement deux ans plus âgé que moi.
— Oui, mais ton père est flic et m'a sous une dent, alors, je préfère ne pas voler la petite fleur de sa fille avant que cette dernière ait atteint sa majorité sexuelle. Selon la loi, en ce moment même, tu es incapable de prendre cette décision.
C'était totalement ridicule. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? J'aurai dix-huit ans dans deux mois ! En quoi mon avis aura changé d'ici là ?
— Je suis sûre de ce que je veux, Jake.
Je tentai de l'embrasser à nouveau, mais il esquiva tout en me foudroyant du regard. Il attrapa mes mains, qui étaient déjà parties se balader sur son torse, et les ramena à mes flancs.
— Ne rend pas les choses plus compliqués, je t'en supplie, Ivy.
Alors c'était ça ?
Mes yeux se remplirent à nouveau de larmes.
— Tu... tu ne veux pas de moi ?
Il écarquilla les yeux, puis dut faire un gros effort pour ne pas éclater de rire.
— Si tu ne m'attirais pas, en ce moment même, je n'aurais pas la trique, me confia-t-il. Bien évidemment que je veux de toi, idiote. Là n'est pas le problème. Je me suis promis de ne pas déconner avec toi. Tu n'es pas dans ton état normal, tu as besoin de réconfort et d'une distraction afin de ne pas penser à ta sœur. Mais crois-moi, le sexe n'est pas la solution.
— Je suis prête, Jake !
— Et moi, je crois que non, me contraria-t-il. Tu le fais pour les mauvaises raisons, et je ne veux pas que tu m'en veuilles. De plus, si tu me lances pour ensuite me demander d'arrêter...
Il se mordit la lèvre avant de passer une main sur son visage, l'air perdu.
— Ça fait longtemps que je n'ai pas couché, j'en ai très envie et je ne désire pas que ta première fois se passe mal parce que tu n'es pas sûre de toi. Je ne veux pas que ça se passe comme ça entre nous. Je tiens à toi, Ivy, et je souhaite que ta première fois soit inoubliable. Puis, franchement, je voudrais te faire l'amour ailleurs que dans ce trou.
Je jetai un coup d'œil à l'appartement, et la bulle dans laquelle je me trouvais éclata. En effet, ce n'était pas non plus l'endroit que j'avais rêvé pour perdre ma virginité, bien qu'au fond, l'essentiel était de le faire avec Jake, peut importait le lieu. Mais il était vrai que j'aimerais faire comme Olivia. Louer un endroit joli, éloigné de Fairfield où nous pourrions profiter pleinement.
— Désolée, je ne voulais pas te chauffer.
Il pouffa avant de poser ses mains sur mes hanches et me serrer dans ses bras. Le visage enfouit dans ses cheveux humides, j'humai le parfum de son shampoing. Il avait raison sur toute la ligne. Je voulais coucher pour les mauvaises raisons, et il méritait bien plus que ça. Il était bien plus qu'une distraction. Il était le garçon duquel j'étais amoureuse.
— On attendra ma majorité, le rassurai-je. Mais saches que j'en ai vraiment envie.
Il avait raison, j'avais été égoïste sur ce point. Si jamais mon père l'apprenait, il n'hésiterait pas à le faire plonger à nouveau. Et la dernière chose que je voulais, c'était qu'il ait des ennuis à cause de moi.
— Moi aussi, Blondie. Moi aussi.
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Ivy a enfin raconté ce qui est arrivé à sa soeur 4 ans plus tôt, pourquoi elle est tombée dans le monde de la drogue, et pourquoi elle l'aide malgré tout les coups tordus. Elle s'en veut de n'avoir rien dit et se sent responsable de son état. Néanmoins, Jake lui fait parfaitement comprendre qu'elle n'a rien à se reprocher et que continuer à aider sa soeur lui attirera des ennuis. Puis, l'on termine sur une conversation très différente, à savoir le désir d'Ivy qui éclot et celui de Jake, qu'il se doit de maîtriser afin de ne pas faire une bêtise qui pourrait leur coûter très cher. 😇
J'espère que ce chapitre vous a plu ! 😉
On se retrouve dans deux semaines pour la suite ! 😊
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