Chapitre 9 : Fantôme du passé

Plusieurs jours s'écoulèrent sans incidents remarquables. Ryan n'était pas retourné en cours et Melias et Yggler avaient cessé de faire partie de la bande. À cause de ça, Laurenz se sentait un peu perdu, seul et abandonné... Et dès qu'il le pouvait, il suivait Eldeer absolument partout. Kyle traînait toujours avec eux, mais seulement aux pauses et aux repas. Dès que la fin de la journée arrivait, il filait chez lui ou on ne savait où. Il n'avait plus de temps consacré à s'exercer au plavix. Il semblait passer son temps libre à réviser et à apprendre des leçons plus barbantes les unes que les autres. Mais il savait que s'il ne le faisait pas, il ne serait plus jamais libre.

De son côté, Hélène était toujours tracassée du comportement du jeune homme. Elle continuait de ressentir son regard sur Kaylie et elle et se sentait parfois tellement oppressée qu'elle en oubliait de respirer quelques instants.

— Hélène ? Tu regardes encore dans le vide. Tu dors la nuit ?

— Je... Désolée, c'est juste que... J'ai un peu la tête ailleurs en ce moment.

— C'est encore à cause de Kyle ? Tu sais, après réflexion, je crois pas qu'il prépare un mauvais coup...

— Je... Crois pas non plus. Mais... Pourquoi il continue de nous fixer comme ça ?... C'est épuisant... Avec son regard de tueur, là. Ça me rend dingue...

— Son regard... De tueur ? C'est pas sa façon habituelle de regarder les gens ?

— ... Si ? Qu'est-ce que ça change ?

— Ben... Ça veut pas dire qu'il va te tuer. Puis je vais finir par croire qu'il t'obsède !

— C'est plus fort que moi, il me rend nerveuse depuis...

— ... Depuis ?...

— Je sais plus trop... Depuis qu'il... Ne s'en prend plus à moi ? Tu crois pas que c'est bizarre, ça ? Je devrais pourtant être plus détendue, non ?

— ... T'es bizarre. Mais c'est comme ça que je t'adore, tu sais ?

Kaylie lui sourit. Durant un instant, Hélène crut voir Daphné. Son amie avait ce même sourire radieux. Daphné... Elle évitait toujours d'y penser. À chaque fois que ça arrivait, elle s'efforçait de la faire disparaître en se préoccupant d'autre chose. De futiles tâches ménagères. Des heures sur son jeu favori. Des lignes de programme complexes. N'importe quoi ? Mais surtout pas Daphné. Malheureusement, elle ne parvenait plus à la sortir de sa tête et fut distraite pour le reste de la journée. Au moins, elle ignorait le regard persistant de Kyle, c'était bien le seul avantage.

À cause de son esprit tourmenté, elle dût se séparer de Kaylie à la sortie des cours pour retourner aux casiers. Elle avait oublié un livre essentiel pour ses devoirs. Alors qu'elle arrivait dans le couloir qui aurait dû être vide, elle se trouva nez à nez avec le beau brun ténébreux. Il fut tout aussi étonné qu'elle de la croiser et se dépêcha de prendre ses affaires pour filer au plus vite. Mais Hélène l'interrompit.

— Hé. Kyle.

— ... Quoi ?

— Tu... Comment dire... Kaylie...

— Qu'est-ce que tu me veux au juste ?

— Tu aimes Kaylie ?

— Quoi ?!

— Tu passes ton temps à la fixer, je l'ai bien remarqué !

— Mais qu'est-ce que tu racon... Aah, laisse tomber ! C'est pas tes affaires !

— Si ! C'est mon amie. Ma meilleure amie. Alors si tu t'en prends à elle...

— Quoi, qu'est-ce que tu me feras ?

Kyle s'approcha d'un pas rapide et se pencha vers elle. Hélène recula mais fut coincée contre les casiers. Les yeux ébènes du monstre plongés dans les siens. Elle serra les dents. Elle ne devait pas lui montrer qu'elle avait peur de lui. Le jeune homme s'approcha davantage, effleurant presque son visage. Il n'avait pas cessé de la fixer. Il serra le poing et cogna le casier juste à côté de la brune avant de se détourner en soufflant entre ses dents. Alors qu'il partait, il s'arrêta un instant. Sans se retourner, il fit une dernière remarque à Hélène.

— Ta copine m'intéresse pas. Je sais pas ce que t'as cru voir mais je la regarde jamais.

La jeune femme resta figée pendant ce qui semblait être une éternité. Elle avait cru, durant un instant, que Kyle avait repris ses mauvaises habitudes. Et même qu'il allait la frapper. Elle n'arrivait pas à réaliser ce qui venait de se passer. Mais désormais, elle en avait la certitude : le roi des crétins avait changé. Il s'était... Assagi ? Il lui avait semblé déceler, dans la noirceur de ses yeux, quelque chose de différent. De nouveau. Comme... Une fragilité. Durant un instant, juste avant qu'il ne s'écarte d'elle, Hélène y avait vu de la peur. C'était complètement insensé et pourtant, elle était persuadée de l'avoir vue. À cette pensée si peu naturelle, la brune frissonna. Ou peut-être était-ce dû à l'air frais de l'extérieur. Elle se dépêcha de rentrer chez elle. Cette journée avait été bien trop longue.

***

Le soir venu, Hélène s'allongea dans son lit et fixa le plafond étoilé de sa chambre. Les minuscules tâches de peinture de Lounska semblaient briller d'un éclat nouveau. Il y avait bien longtemps qu'elle n'y faisait plus attention. Peut-être parce que le plafond avait été repeint. Peut-être également parce qu'elle avait déménagé et qu'il n'y avait donc plus d'étoiles peintes dans sa chambre. La jeune fille se redressa et regarda autour d'elle. Le lit d'appoint installé à côté du sien était vide. Où était-elle ? Hélène se leva prudemment et sortit de la pièce sur la pointe des pieds. Il faisait nuit dans la maison et ses parents devaient déjà être couchés. Arrivée dans l'entrée, elle s'aperçut que la porte était entr'ouverte. Elle attrapa son manteau pour se couvrir et sortit en chaussons sur la terrasse. Au centre du jardin, debout dans l'herbe, le visage rivé vers le ciel nocturne, une fillette blonde se retourna vers la nouvelle venue. En reconnaissant la petite brune, elle lui sourit.

— Regarde, Deux-Trois, le ciel du dehors est aussi beau que notre plafond d'étoiles !

Hélène s'approcha d'elle avant de lever la tête.

— C'est vrai. On a fait du bon travail. Tu voulais comparer ? C'est pour ça que tu es sortie ?

— Oui, j'ai pas voulu te réveiller, désolée... Tu veux qu'on rentre ?

— ... On peut rester encore un peu, si tu veux.

La blonde sourit d'un sourire étincelant. Elle incarnait la joie de vivre. Elle était douce et quand elle serait grande, elle deviendrait sans nul doute une femme magnifique.

Hélène fut prise d'un vertige. Son amie s'approcha d'un air inquiet. La brune sentait une douleur brûler sa poitrine. Cette petite fille... Ne deviendrait jamais une magnifique jeune femme. Des larmes coulèrent sur ses joues et finalement, la douleur s'intensifia et Hélène se réveilla.

En ouvrant les yeux, la jeune fille put constater qu'elle était de retour dans l'appartement où elle vivait avec sa mère depuis qu'elles avaient emménagé à Legiform. Elle ajusta ses lunettes en soupirant.

— Daphné... C'est si... Injuste... Je suis tellement désolée...

Hélène enfouit son visage entre ses mains et se mit à sangloter silencieusement. Elle s'était pourtant promis d'aller de l'avant. Alors pourquoi était-elle en train de faire ça ? Sans pouvoir s'arrêter. Une petite voix, douce, la fit redresser la tête.

— Hé. Tu es ma belle Hélène de Troie. Tant que tu es là, moi aussi. Alors s'il te plaît, prends soin de ma sœur. Et tâche d'être heureuse.

La fillette blonde brumeuse lui sourit tendrement avant de disparaître, comme le reste d'un songe éveillé. Hélène se leva et alla passer de l'eau sur son visage. Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait ce fantôme, mais c'était la première fois qu'elle lui parlait. Il était peut-être enfin temps de tourner la page.

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