Chapitre 10 : Tourner la page
Il était encore tôt quand elle sortit vêtue d'un habit traditionnel de Lounska. Elle portait une tunique à motifs en forme de vagues, des bas bleu nuit incroyablement chaud malgré la finesse du textile, des bottines fourrées parsemées de symboles typiques comme la Fleur du Renouveau ainsi que l'Arbre de Maux. Sur ses épaules, elle avait posé son manteau épais, flottant comme une cape. Au niveau du cœur, sur le tissu sombre de la Longue Nuit de Lounska, était brodé un chante-fleur, souvent désigné comme un oiseau mythique au chant merveilleux et au plumage coloré.
Hélène traversa la ville à pied et parvint finalement au Sanctuaire. Dans une tenue similaire à la sienne, Kaylie l'attendait déjà. Sur son manteau nuit, c'était un minuscule oisaurelle qui était brodé. Cet oiseau rare était connu pour passer plus de temps à voleter de-ci, de-là qu'à voler véritablement. Ça lui allait bien. Comme l'oisaurelle, Kaylie était énergique et ne s'arrêtait jamais. Un dicton populaire disait également que l'on pouvait être insouciant comme l'oisaurelle, avançant saut après saut sans s'inquiéter du précédent.
La fille blonde attrapa la main de sa meilleure amie et l'entraîna à l'intérieur du bâtiment. Le hall était particulièrement sobre. Hormis le dallage dessinant des formes géométriques, il n'y avait aucun ornement, que ce soit sur les murs ou sur le plafond de verre. L'endroit était vide et semblait alors étrangement vaste. Contre les murs, des bancs avaient été installés pour les visiteurs. Quelques personnes n'étaient là que pour visiter et ils devaient être déçues du manque flagrant de décorations. Des portes latérales tout au long du hall menaient à d'autres pièces, auxquelles un simple touriste n'avait pas accès. Kaylie traversa l'espace vide d'un pas rapide et s'arrêta devant l'une de ces portes, aux teintes bleutées. Elle semblait hésiter et sa main tremblait quand elle l'approcha de la poignée. Hélène posa sa main par-dessus la sienne et elles ouvrirent ensemble la salle qu'elles avaient réservée.
La pièce n'était pas très grande. Elle ressemblait à un petit salon soigneusement décoré.Ses murs était couverts de tapisseries retraçant l'histoire de Lounska. D'un paysage déserté bientôt rejoint par un groupe de marcheurs, qui installèrent leurs tentes, qui devinrent des maisons de pierres blanches. L'histoire s'arrêtait là, sous un large ciel étoilé, qui à lui seul un mur entier. Au sol, des tapis épais et chauds aux simples motifs géométriques associés à Lounska étaient disposés sous quelques coussins brodés et confortables. Au centre du mur faisant face à la porte, une petite table d'autel avait été préparée. Sur celle-ci étaient simplement posées neuf bougies allumées entre lesquelles un morceau d'étoffe sombre avait été placé. Le tissu n'était pas sans rappeler les manteaux que les deux filles portaient, puisqu'il s'agissait d'un fragment coupé de ce même genre d'habit. La partie concernée était bien sûr la broderie que l'on retrouvait sur chaque pièce unique de ces capes. L'animal représentait était un plipon, une sorte de lapin à la queue longue terminant par un pompon et ayant une magnifique paire d'orailes.
En s'approchant de l'autel, Kaylie se laissa tomber à genoux. Hélène s'installa plus lentement à ses côtés. La blonde prit le plipon entre ses doigts, la gorge serrée. Son amie, qui ne voulait pas briser le silence, murmura doucement.
— Tu veux que je le fasse ?
— ... C'est dans mon sac...
La brune attrapa le petit sac de son amie et en sortit une bougie. Elle l'alluma en la penchant sur l'une de l'autel et l'installa sur une place vacante.
— ... Déjà dix ans... Kay... Elle me manque.
Kaylie ne répondit pas. Elle se contenta de se laisser tomber contre son amie qui la prit dans ses bras et la berça. Du bout des lèvres, Hélène entonna un chant mélodieux, quasi inaudible. Très rapidement, Kaylie ferma les yeux et l'accompagna. Plutôt que des paroles, il s'agissait de sons qui se répondaient sans lien véritable. C'était une harmonie improvisée très répandue en Lounska. Un art maîtrisé uniquement par les personnes y ayant des racines. Bien que ce ne fut pas le cas d'Hélène, elle était l'une de ces rares exceptions. Les deux meilleures amies qu'elle avait eu durant sa vie venaient de là-bas et elle s'était toujours sentie proche de leur culture. C'était ainsi l'une des raisons pour laquelle elle avait eu la chance d'obtenir un manteau brodé du pays.
Quand la mélodie prit fin, les larmes de l'une et de l'autre avaient séché depuis longtemps déjà. La flemme des dix bougies vacillait encore doucement et les deux amies gardèrent le silence pendant de longues minutes avant de finalement se lever et de quitter la pièce si chaleureuse.
***
Bien loin de ce lieu sacré, Kyle avait passé la journée enfermé dans sa chambre à étudier. Bien sûr, il lui avait été difficile de résister à la tentation de jouer mais quand il avait finalement succombé et qu'il s'était connecté, il avait fini par renoncer. Pour la simple raison que son meilleur ami virtuel n'était pas présent. Quand vint le soir, la notification de connexion tant attendue arriva et le jeune homme s'offrir une pause détente.
*Échange privé*
Kilo : Hey ! J'aurais cru que tu serais là plus tôt aujourd'hui
23 : Salut. J'avais des trucs prévus.
Kilo : Ah, je vois. Ça te dit de rejoindre les autres sur Des Div ?
23 : Non. Mais vas-y si tu veux.
Kilo : ... Tu vas bien ?
23 : ... Je sais pas trop.
Kilo : Tu veux en parler ? Tu as encore eu des ennuis ?
23 : Non c'est pas ça... Ça faisait plusieurs jours que je passais mon temps à ressasser des vieux souvenirs et... Je crois que j'ai réalisé seulement aujourd'hui la raison pour laquelle je repensais à ça.
Kilo : ?? Tu veux garder ça pour toi ?
23 : Ça fait 10 ans. Mais ça fait toujours aussi mal.
Kilo : ...
23 : C'était... Quelqu'un de très important pour moi. Elle était comme le Phare de Mawiren.
Kilo : Tu m'avais jamais parlé de ça... Pourtant ça fait...
23 : Presque 10 ans qu'on se connaît, oui.
Kilo : Je crois que je comprends mieux ce que tu m'as dit l'autre fois.
23 : Je me suis enfermé dans un monde virtuel. Parce que je supportais plus les cris à la maison.
Kilo : Et maintenant ?
23 : Maintenant... Ça crie moins. Puisque je suis parti avec ma mère. Mais... C'est plus comme avant, même entre nous deux.
Kilo : Est-ce que... Je peux te demander qui elle était pour toi ? Non, laisse tomber, t'as pas à en parler si tu veux pas.
23 : J'imagine que mettre des mots sur les choses, ça peut être bénéfique. C'était ma meilleure amie. Il y a eu un accident. Mon père en avait marre qu'elle soit si souvent à la maison, alors il lui a demandé de rentrer. Ma mère... Elle ne l'a pas raccompagnée, alors maintenant, elle s'en veut. Et moi... Je l'ai vue s'éloigner depuis la fenêtre de ma chambre. Sa maison n'était pas loin et pourtant... Ce type est arrivé à toute allure. Les deux sont morts sur le coup.
Kilo : Attends tu... Tu as tout vu ?! P'tain... Je sais plus quoi dire...
23 : C'est peut-être pour ça que rien ne m'atteint. Tant que ça ne concerne que moi.
Kilo : Comment ça ?
23 : Parfois, j'ai l'impression d'être une coquille vide. Toutes les insultes qu'on m'adresse, je les entends pas. Mais... Dès que ça concerne une autre personne, spéciale pour moi, je crois que je pourrais tuer.
Kilo : Tu as retrouvé quelqu'un à protéger ?
23 : Elle a toujours été là. Elles étaient sœurs. Elles étaient comme deux Phares de Mawiren dans la Longue Nuit de Lounska.
Kilo : Un seul Phare ne suffit pas à éclairer cette nuit, n'est-ce pas ?...
23 : ... Exact. Alors, j'imagine qu'on survit, en attendant la Nouvelle Aube.
Kilo : Je suis désolé que tu aies dû vivre tout ça. J'aimerais tellement pouvoir faire quelque chose pour te réconforter... Je me sens tellement impuissant...
23 : Merci, Kilo. Pouvoir enfin me confier à toi, sans jugement, ça me soulage un peu. Je pensais que je n'avais pas besoin d'oreille attentive, j'avais tort.
Kilo : Je serais toujours là pour toi. Pour quoi que ce soit. Tu sais quoi, je vais même te faire une promesse.
23 : ?
Kilo : J'arrête tout. Toutes mes conneries. À partir de demain, je ferai tout pour réparer mes torts. Et quand on se rencontrera enfin, je pourrais te dire merci de vive voix. Pour m'avoir rendu meilleur et je ferai en sorte que tu sois fier de moi. Je veux pas être un mauvais ami pour toi, je veux être quelqu'un qui soit à ta hauteur.
23 : Kilo...
Kilo : Quoi ? Ça fait un moment que j'y pense de toute façon ! Que je réfléchis à ce que je peux faire pour me faire pardonner.
23 : ... Tout ne peut pas s'arranger juste parce qu'on le décide... Alors ne sois pas trop déçu.
Kilo : ... Tu... N'as pas tort. J'avoue que pour... "Elle", je n'ai pas encore de solution. Mais... Je crois que je suis quand même prêt à essayer.
23 : ... Bon courage, l'amoureux transi.
Kilo : Rah... Tu m'aides pas et tu te fiches encore de moi ! Tu as de la chance que je t'apprécie trop pour t'en vouloir !...
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