OBSCURITÉ
Je recule d'un pas, surprise par sa présence.
— Monsieur Anderson, dis-je maladroitement, sans détacher mes yeux de lui.
Il reste silencieux un instant, m'observant d'un regard que je ne parviens pas à décrypter. Puis, il soupire, sortant un petit étui de la poche intérieure de sa veste avant de me le tendre.
— Prends ça et porte-les ce soir, m'ordonne-t-il, son ton glacé et distant.
Intriguée, je prends l'étui et l'ouvre, découvrant à l'intérieur une paire de lentilles de contact, presque identiques à la couleur naturelle de mes yeux. Une chaleur amère me monte aux joues, mêlant surprise et humiliation. Je relève les yeux vers lui, cherchant des réponses dans son expression implacable.
La colère gronde en moi. D'un geste vif, je lui tends l'écrin, mais William reste immobile, me dévisageant avec une insistance calculée. La rage prend le dessus, je jette violemment la boîte au sol.
— Je vous ai dit que je n'irais pas à ce gala ! Pourquoi insistez-vous autant ? craché-je, le regard braqué dans le sien.
Il ne bronche pas.
— Comme tu me l'as si clairement fait comprendre, je ne suis pas ton père, dit-il sèchement. Tu seras donc ravie d'apprendre que j'ai enfin saisi ton message.
— Donc ? rétorqué-je, refusant de le laisser s'en tirer avec son air détaché.
Il avance d'un pas, son ton se durcissant davantage.
— Donc... Tant que tu vivras sous mon toit, ne t'attends pas à être traitée comme une invitée. Tu feras ce que je te dis, un point c'est tout.
Un rire nerveux m'échappe.
— Vous pensez sérieusement pouvoir m'enchaîner à vos règles ? Ce n'est pas la peine d'essayer. Je préfère encore mourir, dis-je en me détournant pour partir.
Mais avant que je n'aie pu faire un pas, sa main attrape brutalement mon poignet, m'immobilisant. Je me retourne pour lui faire face, la rage bouillonnant dans mes veines. Nos regards s'affrontent, le sien brûlant de colère, le mien d'un défi féroce.
— Lâchez-moi ! m'écrié-je, tentant de me dégager de son emprise.
William finit par relâcher mon poignet, mais je perds légèrement l'équilibre, un vertige soudain m'envahissant. Il fait un pas vers moi, tendant instinctivement la main pour me stabiliser, mais je recule aussitôt, refusant tout geste de sa part.
— Si tu refuses de venir à ce gala, sois prête à en assumer les conséquences, Valentina, dit-il, sa voix coupante.
Je l'interromps, ma voix tranchante.
— Faites-vous une raison, Monsieur Anderson. Je ne viendrai pas. Si vous voulez m'humilier ou me punir pour ça, allez-y. Mais jamais, vous m'entendez ? Jamais je ne me mêlerai à votre famille.
Sa mâchoire se crispe, son regard s'assombrit encore davantage.
— Petite insolente, gronde-t-il. N'oublie pas la main qui t'a nourrie.
— Je ne vous ai rien demandé ! m'écrié-je avec amertume. Vous m'avez imposé cette vie. Vous m'avez prise en otage. Peut-être auriez-vous dû vous couper cette main. Cela m'aurait épargné de vous rencontrer !
Je m'approche, mes mots devenant des lames.
— Je vous hais, monsieur Anderson. Et vous savez très bien ce qui finira par arriver. Vous savez parfaitement comment cette histoire se termine pour moi.
— Valentina, arrête, commence-t-il, mais je le coupe une dernière fois.
— Un jour, je finirai par me faire mour...
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase. Sa main s'abat violemment sur ma joue. La douleur irradie, ma tête bascule sous l'impact, et une larme s'échappe malgré moi. Je secoue la tête, un rire amer franchissant mes lèvres, avant de croiser à nouveau son regard.
Il semble choqué par son propre geste, mais je ne lui laisse pas le temps de réagir. Je le fixe, les yeux emplis de défi.
— Vous n'auriez jamais dû faire ça, dis-je calmement, une colère froide dans la voix.
Puis, je lui tourne le dos et quitte la maison, mes pas résonnant lourdement, porteurs d'un poids bien plus profond que celui de cette confrontation. Je quitte la demeure d'un pas rapide, refusant de me retourner. Mes épaules sont tendues, témoins muets de la tempête qui gronde en moi.
🌸🌸🌸
Depuis la cuisine, Lorenzo, qui a assisté à toute la scène en silence, échange un regard avec Rosita. Celle-ci, visiblement troublée, pose une main sur son bras pour tenter de l'apaiser, mais il l'écarte doucement avant de rejoindre son père dans le hall.
Lorenzo s'approche de William, ses pas lourds résonnant dans l'espace. Il se plante devant lui, les bras croisés sur son torse, son regard sombre perçant celui de son père.
— Tu crois vraiment qu'elle restera si tu continues de la traiter comme ça ? demande-t-il sur un ton calme, mais empreint d'un reproche à peine voilé.
William, visiblement irrité, passe une main sur son visage avant de répondre sèchement :
— Elle doit s'endurcir. Ce monde n'est pas fait pour les faibles. Alors ne t'en mêle pas, Lorenzo.
Lorenzo éclate d'un rire amer, presque moqueur, avant de secouer la tête.
— Tout ce que je dis, c'est qu'il y a d'autres moyens de t'y prendre. Forcer quelqu'un n'a jamais donné de résultats. Tu devrais le savoir mieux que personne.
William lève un sourcil, intrigué par le ton provocant de son fils. Il s'approche d'un pas, dominant légèrement Lorenzo de sa stature imposante.
— Pourquoi la défends-tu ? demande-t-il d'un ton incisif. Est-ce qu'elle t'intéresse ? Ou alors... ressens-tu quelque chose pour cette femme ?
Lorenzo recule d'un pas, surpris par la question. Il laisse échapper un rire nerveux, secouant la tête comme si l'idée même était ridicule.
— Ne dis pas n'importe quoi, réplique-t-il, presque offensé. Je te rappelle que je suis fiancé. Et franchement, poursuit-il, désabusé, l'as-tu bien regardée ? Qu'est-ce que j'aurais à gagner en voulant être ou rester auprès d'une femme comme elle ? Ne me fais pas rire.
Le silence s'installe, pesant, tandis que Lorenzo fixe son père, cherchant à déchiffrer l'expression de ce dernier. William reste impassible, mais un muscle de sa mâchoire tressaille légèrement, signe d'une tension qu'il tente de dissimuler.
— Va droit au but, Lorenzo, finit-il par dire d'un ton tranchant. Dis ce que tu as sur le cœur au lieu de tourner autour du pot.
Lorenzo hausse les épaules, puis pointe du doigt l'étui de lentilles de contact toujours abandonné sur le sol.
— Puisque tu insistes... Quel mal y a-t-il à ce qu'elle refuse de venir à ce gala ? En quoi est-ce important ? Pour une fois, je suis d'accord avec elle. Elle ne fait pas partie de cette famille, et elle n'en fera jamais partie. Alors pourquoi cet acharnement ? Et franchement, offrir ça, dit-il en désignant l'étui d'un geste las, c'était complètement déplacé. Qu'est-ce que tu voulais prouver ? Que son apparence est un problème pour toi ?
William reste silencieux, ses traits fermés. Lorenzo laisse échapper un soupir exaspéré et secoue la tête, comme s'il n'attendait aucune réponse. Il tourne les talons, s'apprêtant à quitter la pièce.
— Tu ne comprends rien, Lorenzo, lance soudain William, brisant le silence.
Lorenzo s'arrête, mais ne se retourne pas. Il reste figé, attendant que son père développe.
— Tout ce que je fais, je le fais pour son bien, reprend William, sa voix plus basse, presque hésitante. Elle n'a aucune idée de ce qui l'attend si elle ne suit pas les règles de ce monde. Tu penses peut-être que je suis cruel, mais c'est la seule façon de la protéger.
Lorenzo laisse échapper un rire amer avant de jeter un dernier regard par-dessus son épaule.
— Si c'est ça ta façon de protéger quelqu'un, alors je préfère encore être ton ennemi, lâche-t-il avant de quitter la pièce.
William reste seul dans le hall, les mots de son fils résonnant encore dans l'air. Il baisse les yeux sur l'étui de lentilles, le ramasse lentement et le serre dans sa main.
🌸🌸🌸
Une fois dehors, je prends une grande inspiration avant d'expirer lourdement, comme si ce simple geste pouvait soulager le poids écrasant sur ma poitrine. Mes pas s'enchaînent dans l'allée principale, mais mon esprit, lui, erre ailleurs. Je repasse en boucle ces derniers jours cauchemardesques, chaque instant me paraissant plus sombre que le précédent. Une question me hante : pourquoi dois-je continuer à subir tout cela ? Pourquoi cette quête de vérité me consume-t-elle à ce point, alors qu'elle pourrait ne jamais me donner satisfaction ? Est-ce vraiment nécessaire de rester dans cette maison, entourée de personnes qui me haïssent sans jamais chercher à me connaître ?
Un profond soupir m'échappe tandis que les questions s'entrechoquent dans mon esprit. Mon rythme ralentit alors que je m'approche de la grande fontaine au centre de l'allée. À cet instant, mes jambes cèdent. Un vertige me submerge et, avant que je ne touche le sol, deux mains puissantes m'agrippent fermement, stoppant ma chute.
— Ne flanche pas maintenant, ma mère nous observe au loin, murmure une voix masculine que je reconnais sans peine.
Je lève les yeux et découvre Christopher, son visage grave tourné vers l'avant. Sa main soutient mon dos tandis que l'autre maintient fermement mon bras. Mon cœur s'emballe autant de surprise que d'incompréhension. Comment est-il arrivé à cet instant précis ?
Nous avançons jusqu'à dépasser le grand portail, ses gestes se montrant étonnamment protecteurs. Une fois hors de la propriété, je me dégage de son emprise, reculant instinctivement. Mon regard, empli d'interrogations, se pose sur lui.
— Est-ce que tu vas bien ? demande-t-il, visiblement préoccupé.
Ses mots, empreints d'une sincérité désarmante, me laissent sans voix. Perturbée, je fronce les sourcils, incapable de formuler une réponse immédiate. Il s'approche doucement, tendant une main dans ma direction, une offrande d'aide et de soutien. Mon corps réagit par réflexe, reculant d'un pas.
— Je vais bien, dis-je d'un ton qui se veut assuré, mais vacillant sous le poids de l'incertitude. Merci, ajouté-je finalement, presque dans un murmure, tandis qu'un frisson parcourt mon échine.
Christopher, attentif au moindre détail, retire sa veste sans un mot et la pose doucement sur mes épaules. Son geste est naturel, mais ses mains restent un instant de trop sur mes épaules, comme pour s'assurer que je suis en sécurité. Son regard, perçant et insistant, rencontre le mien, et un profond malaise s'installe en moi.
— Pourquoi ? murmuré-je, ma voix vacillant sous l'émotion. Pourquoi êtes-vous si gentil avec moi ?
Un sourire en coin se dessine sur son visage, presque désarmant par sa simplicité.
— Pourquoi pas ? répond-il simplement, son ton dénué de moquerie. Allez, monte, je vais te déposer à ton travail.
Face à la détermination dans sa voix et l'intensité de son regard, je comprends qu'il n'y a ni place pour une discussion ni pour un refus. Résignée, je m'installe à l'arrière de la voiture, attachant ma ceinture sans un mot. Christopher me rejoint et s'assied à mes côtés, son regard ne quittant pas le mien. Son insistance me rend nerveuse.
— Je vais bien, répété-je, cette fois avec un ton plus tranchant, espérant clore toute tentative de conversation.
Bien qu'il ait montré des signes de bienveillance, ma méfiance envers chaque membre de cette famille demeure intacte. Comment pourrais-je leur accorder ma confiance alors qu'ils incarnent tout ce que je redoute ?
Lorsque nous arrivons enfin devant la librairie, je retire sa veste et la lui tends sans même oser croiser son regard. Je murmure un dernier « merci » avant de quitter précipitamment la voiture, coupant court à toute conversation. Mes pas me portent jusqu'à la devanture du magasin, mais je m'arrête brusquement.
Devant la librairie, un amoncellement de fleurs et de petits mots tapissent le sol. Chaque pétale, chaque mot écrit à la main porte la trace d'une douleur collective, un hommage silencieux à Joseph. Je m'approche lentement, mes doigts frôlant certains messages tandis que les souvenirs douloureux de cette journée me submergent. Une larme coule doucement le long de ma joue, suivie par une autre, jusqu'à ce que mes sanglots deviennent impossibles à contenir. Le poids de sa perte, aussi brutal qu'injuste, s'abat sur moi comme une vague implacable.
Il me faut plusieurs minutes pour rassembler mes forces et ouvrir la librairie. Une fois à l'intérieur, je m'efforce de canaliser mon esprit sur mon travail. Chaque mouvement est calculé, chaque tâche devient une ancre à laquelle je m'accroche désespérément pour ne pas sombrer. Pourtant, malgré mes efforts, je sens mon corps faiblir davantage.
Pendant la pause déjeuner, je me rends à la pharmacie la plus proche, espérant trouver un remède miracle qui soulagerait ces symptômes qui s'acharnent sur moi depuis ce matin. Les comprimés font effet, mais seulement temporairement. Quelques heures plus tard, les tremblements reviennent, plus violents encore, accompagnés de cette fièvre indomptable.
Refusant de céder, je plonge encore plus profondément dans le travail. Je trie les livres, je classe, je m'absorbe dans l'écran de l'ordinateur, comme si l'ordre extérieur pouvait compenser le chaos intérieur qui me dévore. Les minutes deviennent des heures. Ce n'est que lorsque j'observe, distraitement, la fenêtre que je réalise que la nuit est tombée. Le ciel, d'un noir profond, reflète mon épuisement.
Mécaniquement, je regarde ma montre : dix-neuf heures passées. Mon corps proteste, mais je continue. J'éteins l'ordinateur, ferme la caisse et coupe toutes les lumières. La librairie est plongée dans une obscurité pesante et pour une fraction de seconde, j'hésite à rester là, protégée par ces murs silencieux. Mais je n'ai pas le choix. Je dois rentrer.
Dehors, l'air frais de la nuit me fait frissonner. Je me dirige vers le centre-ville, espérant trouver un bus ou un taxi pour rentrer à la demeure Anderson. Deux kilomètres me séparent de l'arrêt le plus proche. Chaque pas est un défi. Mes jambes vacillent, mes mains tremblent, et ces frissons... Ces frissons incessants m'enveloppent comme un voile glacé. La fièvre qui semblait s'être apaisée plus tôt, revient avec une intensité accrue, brûlant mes tempes et alourdissant mes pensées.
Pourquoi suis-je dans cet état ? Les questions se bousculent dans mon esprit. Je ne suis pas malade, je n'ai pas attrapé froid, et je ne me souviens pas d'avoir été en contact avec quelqu'un d'infecté. Alors, pourquoi ? Serait-ce mon corps qui cède sous le poids des derniers événements ? Ou pire, est-ce le retour de ces crises que je croyais derrière moi ? Non, impossible. Ces crises venaient toujours avec des migraines insupportables, et pour l'instant, ma tête est épargnée... du moins, pour le moment.
Je poursuis mon chemin, chacun de mes pas plus lourd que le précédent, jusqu'à ce que j'atteigne enfin la ville. Mon souffle est court, je suis à bout de forces. À l'arrêt de bus, un rapide coup d'œil aux horaires me fait grimacer. Le dernier bus est passé il y a vingt minutes. La poisse. Il ne me reste plus qu'à trouver un taxi pour rentrer.
Alors que mes jambes menacent de céder, une idée germe dans mon esprit, froide et calculatrice. Le souvenir de ma confrontation avec William ce matin revient avec force. Il m'a mise au défi, m'a humiliée, mais ses paroles ont éclairé une vérité que je ne peux plus ignorer. Je n'ai pas le choix. Même si je déteste l'idée de me rendre à ce gala, je dois y aller.
Je serre les poings, me forçant à accepter ce qui me paraît être un mal nécessaire. Cette réception est une opportunité. Une chance d'entrer dans le cercle vicieux des Anderson, de me rapprocher de leurs contacts et peut-être, avec un peu de chance, de croiser quelqu'un qui pourrait être lié, de près ou de loin, à la tragédie de ma famille. Cela pourrait être l'occasion que j'attendais depuis si longtemps. Je ne peux pas la laisser passer.
Alors, malgré la douleur, la fatigue écrasante et les frissons qui refusent de s'apaiser, je continue d'avancer, déterminée.
Il est un peu plus de vingt heures trente lorsque j'arrive enfin à la demeure Anderson. Chaque pas me semble une épreuve, mais je me précipite à l'intérieur, espérant trouver Rosita. Ce soir, grâce à ce fichu gala, je sais qu'il n'y aura pas de repas de famille, ce qui me soulage.
Mon regard cherche frénétiquement Rosita, balayant les pièces jusqu'à ce que je l'aperçoive dans la cuisine. Sans réfléchir, je m'y engouffre à toute vitesse.
— J'ai besoin de votre aide, dis-je subitement, ma voix tremblante d'urgence, la faisant sursauter.
Elle se retourne rapidement, visiblement alarmée par mon arrivée précipitée.
— Valentina, que se passe-t-il ?
— Donnez-moi un remède contre la fièvre. Je dois me rendre au gala de charité ce soir, et pour ça, il faut que je sois en forme.
Son visage se fige, ses yeux s'emplissant d'une incompréhension palpable.
— Quoi ? lance-t-elle, choquée. Pourquoi voulez-vous vous rendre là-bas ? Après ce que monsieur Anderson vous a fait subir ce matin ? Vous n'avez aucune raison de vous plier à ses exigences !
— Justement, c'est pour ça que je dois y aller, rétorqué-je d'un ton ferme. Écoutez, Rosita, vous avez vos raisons d'être ici, tout comme j'ai les miennes. Alors, ne posez pas de questions et aidez-moi. S'il vous plaît.
Elle me scrute longuement, décelant probablement ma détermination dans mon regard. Finalement, elle acquiesce doucement.
— Bien sûr, murmure-t-elle.
Elle s'active immédiatement, préparant une mixture étrange dans une casserole. Une odeur âcre et envahissante remplit la pièce lorsqu'elle verse le liquide dans un verre avant de me le tendre. Je grimace en sentant l'odeur monter à mes narines.
— Qu'attendez-vous ? Buvez, m'encourage-t-elle avec un hochement de tête insistant.
Je me pince le nez et avale d'un trait cette concoction infâme, retenant à peine un haut-le-cœur. Tandis que je tente de reprendre mes esprits, Rosita m'entraîne vers ma chambre. Là, sur le lit, trône un paquet soigneusement emballé d'un nœud de soie jaune. Je m'arrête, interloquée.
— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je, le regard rivé sur l'objet.
— Ouvrez-le, répond-elle, haussant légèrement les épaules comme pour signifier qu'elle n'en sait rien.
Avec précaution, je défais le nœud et découvre à l'intérieur une magnifique robe rouge et une paire d'escarpins. La robe, sans manches, est élégante et raffinée, avec un voile léger qui lui confère une aura presque mystique. Les chaussures, ornées de strass dorés, complètent parfaitement l'ensemble. Je reste bouche bée.
— Savez-vous qui a laissé ça ? demandé-je, encore sous le choc.
— Regardez dans la boîte. Il doit y avoir une note, suggère Rosita.
Je fouille rapidement et trouve effectivement une petite carte dissimulée sous le papier de soie. En la lisant, mes mains tremblent légèrement :
« Tu ne souhaites pas venir au gala de charité et je comprendrais tout à fait que tu n'y viennes pas. Mais peut-être changeras-tu d'avis. Je déteste aussi m'y rendre. Peut-être qu'avec toi à mes côtés, la soirée sera plus amusante. Penses-y. — Jessica. »
— Allez-vous vraiment y aller ? demande Rosita, brisant le silence.
Je déglutis difficilement avant de murmurer :
— Si j'y vais... pouvez-vous m'aider à me rendre... présentable ?
Un sourire sincère éclaire son visage. Elle s'éclipse un instant et revient avec une mallette noire qu'elle ouvre devant moi. Du maquillage soigneusement rangé y brille sous la lumière.
— Je vais m'occuper de vous. Faites-moi confiance, dit-elle doucement.
Elle se met immédiatement au travail, ses gestes précis et fluides. Elle s'occupe de mon visage, puis de mes cheveux, et enfin, m'aide à enfiler la robe. Alors que je suis encore dans l'incertitude de ce à quoi je peux ressembler, Rosita me tend une petite boîte contenant les lentilles de contact.
— Est-ce vraiment nécessaire ? demandé-je, ma voix teintée de réticence.
— Ce n'est pas obligatoire, mais si vous voulez faire une impression marquante, cela pourrait aider.
Je réfléchis quelques secondes avant de céder. Avec un soupir résigné, je prends la boîte et mets les lentilles, retenant un frisson désagréable.
— Alors, comment suis-je ? demandé-je timidement.
— Allez voir par vous-même, répond-elle en me désignant la salle de bains.
Je m'y rends et reste figée devant mon reflet. Ce que je vois dépasse tout ce que j'aurais pu imaginer. Rosita a fait des merveilles. Mon maquillage est à la fois discret et sophistiqué, mettant en valeur mes traits sans les alourdir. La robe épouse parfaitement ma silhouette et les lentilles ajoutent une touche subtile mais frappante.
Pourtant, un stress inattendu monte en moi. Peut-être ai-je fait une erreur. Peut-être aurais-je dû rester dans ma chambre, loin de toute cette mascarade. Comme si elle lisait dans mes pensées, Rosita me rejoint et pose une main rassurante sur mon épaule.
— Ne reculez pas maintenant. Mettez-leur en plein la vue, dit-elle avec un sourire confiant.
Je hoche la tête, reprenant un peu de courage. Ensemble, nous quittons la chambre. En bas de l'escalier, Christopher, luttant avec son bouton de manchette, lève les yeux et se fige en me voyant. Rosita s'approche pour l'aider, mais son regard reste fixé sur moi, une étincelle indéchiffrable dans ses yeux.
— Je me réjouis que tu aies changé d'avis. Que dirais-tu de m'accompagner à cette soirée ? propose-t-il soudainement.
— Votre mère ne risque-t-elle pas de s'énerver si elle nous voit arriver ensemble ? demandé-je, incertaine.
— Si ça peut te rassurer, je ne ferai que te déposer. Ensuite, chacun ira de son côté. Ça te va ?
Je hoche la tête en réponse à Christopher, trop épuisée pour formuler une réponse plus élaborée. Ensemble, nous nous rendons au gala de charité. Une fois arrivés devant l'immense bâtisse illuminée, comme convenu, nous nous séparons. Je m'avance seule, le cœur battant, dans cette atmosphère qui m'étouffe déjà.
Dans le hall d'entrée, tout n'est que marbre, lustres étincelants et conversations feutrées. J'arpente les couloirs, cherchant la salle principale, avant de me retrouver en haut d'un majestueux escalier. La salle s'ouvre sous mes yeux comme une scène de théâtre. Chaque personne en bas semble jouer un rôle précis, parée de tenues luxueuses et de sourires impeccables. Leurs regards montent jusqu'à moi, comme si mon entrée marquait un acte important de cette pièce. Mon stress monte en flèche, chaque œil posé sur moi m'écrase un peu plus.
Je suis à deux doigts de faire demi-tour lorsque mon regard croise celui de Lorenzo. Il vient d'arriver, accompagné de William. Ils se figent en bas des marches. Une tension invisible semble s'installer dans l'air. Je ne sais pas si leur présence est un réconfort ou une menace, mais je prends une profonde inspiration. Je ne peux pas reculer maintenant. Je n'ai plus le choix.
Avec une élégance que je ne pensais pas posséder, je commence à descendre les marches, priant en silence pour ne pas trébucher sur ces talons auxquels je ne suis pas habituée. Chaque pas est une lutte contre le doute et la peur, mais je tiens bon. Lorsque j'arrive à leur niveau, je sens les regards de la foule peser sur moi comme des juges silencieux. William me sourit légèrement, et son ton, bien que posé, trahit une pointe de soulagement.
— Tu es venue, dit-il simplement.
— Je ne l'ai pas fait pour vous, répliqué-je, ma voix froide, sur la défensive.
Il incline légèrement la tête, comme pour marquer un point qu'il garde pour lui.
— Peu importe, tu es là. C'est tout ce qui compte, répond-il calmement.
Mais ce moment, aussi étrange soit-il, est rapidement interrompu par une présence bien plus acérée : Amanda. Elle apparaît comme un courant d'air glacial, et son regard, d'abord confus, se pose sur moi avec une intensité presque douloureuse. Elle plisse les yeux, cherchant à comprendre ce qu'elle voit, avant de se tourner vers Lorenzo.
— Tu comptes faire les présentations ? demande-t-elle d'un ton acide, ramenant Lorenzo à la réalité, qui depuis ma descente des marches, ne m'a pas quitté des yeux.
Un sourire moqueur se dessine sur le visage du cadet. Il se tourne lentement vers sa fiancée.
— Ne me dis pas que tu ne la reconnais pas, lance-t-il en ricanant. Regarde bien, insiste-t-il en saisissant doucement le bas de son visage pour forcer son regard à se poser sur moi.
Je vois l'instant précis où elle réalise qui je suis. La stupeur puis la rage s'emparent de ses traits. Et, à cet instant, je savoure secrètement sa désillusion. Je la salue poliment, un sourire fin mais respectueux sur les lèvres. Mais Amanda n'a rien de poli à m'offrir en retour. Elle s'approche dangereusement, plantant son regard de prédatrice dans le mien.
— Pourquoi faire tant d'efforts ? Après tout, à minuit, on sait tous que Cendrillon redeviendra cette pauvre petite fille ignorante et dégoûtante, crache-t-elle avec venin avant de s'éloigner, me bousculant au passage.
Je vacille légèrement sous le coup, mais je ne cède pas. Je redresse la tête et tente de garder ma dignité intacte, consciente des regards qui continuent de peser sur moi. Lorenzo, observant la scène, éclate de rire.
— C'est bien la première fois que quelqu'un arrive à lui faire perdre la face, dit-il en s'éloignant, un sourire narquois sur les lèvres.
« Et ce n'est que lé début... »
Je reste ensuite seule avec William, le silence entre nous lourd d'une tension non dite. Je décide de le suivre tandis qu'il me présente à divers invités. Les poignées de mains, les sourires de façade et les conversations superficielles se succèdent. Je joue mon rôle à la perfection, même si je brûle de l'intérieur. La potion de Rosita ne fait plus effet et mon corps commence à céder sous le poids de l'effort.
Jessica, celle que j'espérais voir, reste introuvable, grandissant ma frustration. La soirée avance, je sens mes forces m'abandonner. Incapable de continuer, je m'excuse auprès de William et quitte précipitamment la salle. L'air frais me semble vital.
Dehors, je descends les marches rapidement, bousculant quiconque se trouve sur mon passage. Mon souffle est court et les frissons qui parcourent mon corps me secouent de l'intérieur. Je m'éloigne autant que possible de la bâtisse, espérant trouver un refuge dans l'obscurité. Mais mon corps ne suit plus. Les vertiges m'assaillent avec une intensité nouvelle. Ma poitrine brûle, chaque souffle est une torture.
Je lutte pour avancer, pour atteindre la grille principale. Chaque pas est une victoire douloureuse. Mais alors que je l'ouvre, mon corps décide qu'il en a assez. Ma vue se brouille, mes jambes flanchent. C'est alors que je sens le sol se rapprocher trop vite. Un dernier vertige m'arrache à la réalité, m'emportant dans une obscurité insondable. Mon dernier souffle s'éteint dans la noirceur de la nuit.
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