HÉSITATION
L'individu continue à me parler pour s'assurer que je vais bien. Grosse erreur de sa part.
Cette voix... Je la reconnais enfin. Mon souffle se bloque. Lorenzo Anderson. Une vague de confusion et de panique m'envahit. Que fait-il ici, caché derrière un masque ? Est-il l'un de ces manifestants ? Pourquoi risquerait-il de se mêler à ce chaos ? Ces questions tourbillonnent dans mon esprit, mais je n'ai ni la force ni le courage d'y répondre.
Je déglutis difficilement, luttant contre les tremblements qui menacent de trahir ma panique. Si ma voix vacille, il pourrait me reconnaître. Alors, je reste brève, les lèvres serrées. Je murmure un remerciement presque inaudible, évitant soigneusement de croiser son regard. Une fois ces mots lâchés, mes jambes s'activent, m'entraînant loin de lui, sans réfléchir, sans me retourner.
Enfin, je gagne la ville. Le vacarme des klaxons et le grondement monotone des moteurs m'accueillent. Ces bruits, d'ordinaire agaçants, m'apaisent presque après le tumulte inhumain que je viens de fuir. Ils n'ont rien de menaçant. Ils ne hurlent pas, ne frappent pas. Pour la première fois depuis des heures, une partie de la tension dans mes épaules se relâche. Pourtant, chaque pas me rappelle ma réalité : la douleur cuisante de mes écorchures, la brûlure lancinante dans ma gorge, le poids d'un chaos qui s'accroche encore à moi.
J'atteins enfin l'arrêt de bus, ignorant la douleur dans mes jambes. Mes mains écorchées, marquées de terre et de sang séché, semblent incarner tout ce que je ressens à l'intérieur : une douleur brute, exposée, qui refuse de cicatriser. Comme le fardeau de mon âme brisée.
Assise dans le bus, je prends mon téléphone. Joseph. Je dois savoir s'il va bien. Je l'appelle encore et encore. Rien. Chaque sonnerie sans réponse me pèse un peu plus, comme une pierre ajoutée au poids dans ma poitrine.
« Et si... ? Non, il doit aller bien. Il doit s'en être sorti. »
Le temps s'étire dans ce silence oppressant. Ma montre affiche dorénavant dix-neuf heures lorsque j'arrive au terminus. Les ombres du soir s'allongent sur les trottoirs, et une brise fraîche me fait frissonner. Je resserre ma veste contre moi, comme pour me protéger de ce monde qui semble vouloir m'écraser.
C'est en baissant les yeux que je remarque vraiment l'état de mes mains. Sales. Égratignées. Le reflet lacéré de moi-même.
— Comment vais-je pouvoir expliquer ça ? murmuré-je à voix basse, incapable de cacher l'angoisse dans mon ton.
Et mon visage ? Je n'ose pas y penser. Mes yeux brûlent encore, et chaque inspiration me pique la gorge, comme si les fumigènes avaient laissé une marque indélébile. Je secoue la tête pour repousser ces pensées. Mary Anderson ne doit rien savoir. Pas un mot. Si elle voit mes blessures, elle exigera des explications. Et si elle découvre que Lorenzo était là... Je frémis à cette idée. Elle ferait de ma vie un enfer.
Je me retrouve devant le portail de la demeure. Un pas, et je serais "chez moi". Pourtant, je reste figée. Pourquoi cette maison, censée représenter un refuge, me donne-t-elle l'impression d'étouffer ? Pourquoi est-elle pire que l'air vicié de la manifestation ?
Je serre les poings, ignorant la douleur de mes écorchures. La colère, la frustration, et ce besoin de disparaître me dévorent. Chaque pulsation dans mes mains semble résonner avec cette envie viscérale, ce cri silencieux qui hurle en moi. Même si personne ne peut l'entendre... Personne à part moi.
— Pas encore, murmuré-je pour moi-même.
Je ne peux pas m'en aller. Pas maintenant. Pas avant d'avoir découvert la vérité. Ce besoin de justice me ronge, m'obsède. Tant que je ne saurai pas ce qu'il s'est réellement passé... Je serai prisonnière. Mais une fois que j'aurai mes réponses, une fois que j'aurai réparé les torts... Alors, seulement alors, je pourrai m'éteindre. Reprendre cette liberté qu'on m'a arrachée... et enfin m'envoler.
Prenant une grande inspiration, je pousse le portail. Un pas après l'autre, je rentre, bien décidée à jouer mon rôle encore un peu plus longtemps.
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