Chapitre 66 Olivia
Je me retrouvai à deux cent vingt pieds* au-dessus de la baie de San Francisco, marchant tranquillement sur la promenade du pont Golden Gate, alors que le soleil se couchait à l'Ouest. Le tableau était vraiment magnifique, jamais en me réveillant ce matin je n'aurais imaginé me retrouver ici en fin de journée.
J'avais toujours voulu venir voir ce pont qui faisait tant parler de lui et grâce à Cole, c'était devenu possible.
Main dans la main, nous avancions et nous nous contentions de nous sourire de temps en temps, ainsi que de nous prendre dans les bras l'un de l'autre. Un baiser par-ci, un baiser par-là, quelques petites photos souvenirs... c'était vraiment une très belle journée, je ne pouvais définitivement pas me plaindre. Je voulais qu'elle ne se termine jamais. J'aurais aimé avoir mon appareil photo sur moi afin de prendre des clichés dignes de ce nom, mais ceux faits avec le portable de Jayden suffiraient pour que je puisse me rappeler notre première journée ensemble, même si je priais pour ne jamais l'oublier.
Après quelques heures passées à nous amuser au Six Flags Discovery Kingdom en faisant plusieurs tours de montagnes russes de toute sorte, nous avions pris le chemin pour San Francisco et étions arrivés à temps pour voir le coucher du soleil. J'avais vraiment passé un superbe moment au parc d'attractions, surtout, que j'avais toujours voulu m'y rendre, mais n'en ayant jamais eu l'occasion auparavant. Toutefois, ce cadre qui se dressait devant moi était tout simplement merveilleux. Toutes les couleurs qui se dépeignaient à l'horizon, un mélange de rose et d'orange, rendaient le ciel tout simplement spectaculaire à observer.
La brise chatouillait doucement mes joues et faisait virevolter légèrement mes cheveux. Je marchais désormais à quelques pas de Jayden en me laissant porter par le vent qui soufflait en cette magnifique fin de journée. Je dépliai mes bras et fis un tour sur moi-même, le sourire aux lèvres et les yeux fermées. J'avais clos mes paupières parce que j'étais sur le point de me mettre à pleurer et que je voulais éviter ça plus que tout. J'aurais tellement aimé qu'Alex soit là avec moi en cet instant.
Ça ne voulait pas dire que je regrettais d'être venu sur ce pont avec Cole, loin de là, mais malgré le fait que mes sentiments envers ce garçon à mes côtés se soient multipliés au fil des semaines et surtout, au cours des derniers jours, je n'en oubliais pas moins mon frère, principalement lorsque j'étais heureuse. Et là, je l'étais. Je l'étais vraiment. Et lorsque je m'en rendais compte, un sentiment de culpabilité me saisissait. Mon cœur se serrait jusqu'à avoir du mal à respirer, comme en cet instant, voilà pourquoi j'avais pris quelques pas d'avance sur Cole. Je ne voulais pas qu'il me voit dans cet état.
Cette sensation passerait, il suffisait juste que je me souvienne des paroles que mon jumeau m'obligeait à répéter la plupart du temps : vis et sois heureuse.
Demain, je parlerai de cet avocat à ma mère et nous prendrions rendez-vous avec lui. Si Mr Sheppard disait qu'il voulait nous aider, alors je devais saisir cette opportunité en or pour sortir mon frère de prison. Peut-être pourrait-il faire en sorte d'annuler sa caution ou de la réduire pour qu'il puisse sortir le temps que le procès ait lieu, surtout, qu'il n'y avait pas encore de date fixée.
Je m'approchai de la rambarde et regardai droit vers l'horizon, en tentant de faire le vide dans ma tête. Quelques secondes plus tard, je sentis le corps chaud et ferme de Cole se presser doucement contre le mien, tandis qu'il m'enveloppait de ses bras. Jamais auparavant je ne m'étais sentie aussi en sécurité quelque part. Son souffle chatouilla l'arrière de ma nuque et finalement, il déposa un léger baiser sur mon cou.
— C'est beau, n'est-ce pas ? lui demandai-je en observant le coucher du soleil.
Il attendit quelques secondes avant de répondre et finit par dire, alors que je sentais son regard fixé sur moi :
— Magnifique.
Un léger sourire vint étirer le coin de mes lèvres, car je savais qu'on ne parlait pas de la même chose. Il était en train de faire allusion à moi, il n'avait pas besoin de le dire de manière plus explicite.
Ses yeux bleus posés sur moi m'électrisaient et sa peau contre la mienne élevait la température de mon corps au summum. Je n'arrivais toujours pas à croire à ce qui se passait entre nous. En arrivant au manoir et en le rencontrant pour la première fois, jamais je n'y aurais songé. Il était tellement différent de ce que j'avais pu imaginer, qu'à chaque journée qui passait, j'étais de plus en plus étonnée.
Nous restâmes dans cette même position, jusqu'à ce que le moindre rayon de soleil disparaisse pour laisser place à la noirceur de la nuit et à la lumière de la lune.
Lorsque le spectacle fut terminé, Cole attrapa doucement ma main dans la sienne et nous fîmes ainsi le chemin de retour, en traversant la moitié du pont, jusqu'à où nous avions laissé la Jeep.
C'était apaisant de marcher main dans la main en silence avec lui, il n'était que quiétude, et cela faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi en paix avec quelqu'un. J'ignorais comment il le faisait, mais il avait ou le don de m'énerver, ou celui de me transporter totalement loin de ma réalité. Lorsque j'étais avec lui, tout paraissait plus simple et j'oubliais aisément tous les poids qui m'accablaient. En ces quelques jours, il était devenu mon issue de secours, la personne avec laquelle je voulais être lorsque ça n'allait pas fort. Et je devais bien avouer que l'importance qu'il avait pris dans ma vie en si peu de temps me fichait la trouille.
J'étais terrifiée de ressentir tellement de choses si fortes envers lui, et en même temps... heureuse de pouvoir les éprouver. J'ignorais où tout cela me mènerait, mais franchement, pour le moment, je n'avais pas envie d'y réfléchir. Je voulais simplement profiter de l'instant présent, avec lui, sans prises de tête, sans contraintes. Ça me convenait et ça avait l'air d'être pareil pour lui... pour l'instant.
— Tu veux aller dîner ? me demanda-t-il. Personnellement, je meurs de faim.
Et il y avait de quoi, car finalement, nous n'avions rien avalé au parc après nous être dit que ce n'était pas vraiment une très bonne idée vu les attractions qu'on allait faire. Si nous avions mangé, nous aurions dégobillé au premier quart de tour. Ainsi, nous étions restés à jeun.
— Je suis d'accord, ricanai-je en même temps que mon ventre se mit à gargouiller.
Surtout que moi, j'avais pu prendre mon petit-déjeuner, alors que lui, j'en doutais fortement. Nous nourrir était donc une très bonne idée.
— Qu'est-ce que tu aimes manger ? continua-t-il en sortant son téléphone portable de sa poche et en ouvrant Google Maps, sans aucun doute pour chercher un restaurant non très loin d'où nous nous trouvions. Chinois ? Italien ? Indien ? Nous pouvons aller où tu veux.
C'était dingue la manière dont il cherchait à s'effacer pour me faire plaisir, tout comme avec le spectacle de dauphins au parc. Il n'approuvait pas ce genre de divertissements mais il avait voulu faire un effort pour moi. Il n'avait pas eu besoin d'être explicite, je l'avais parfaitement vu.
— Et si on allait où toi tu veux ? lui proposai-je.
Il tourna son regard très doucement vers moi et me contempla, vraiment surpris par mon offre. Il était végétarien et je respectais ça plus que tout, il avait une force de volonté qui me manquait. J'avais plusieurs fois réfléchi à changer mon régime alimentaire, mais n'y étais jamais arrivée, car à chaque fois, il y avait quelque chose qui m'empêchait de me tenir à mes bonnes résolutions. Mais je devais également avouer que même si je ne mangeais pas de la viande tous les jours, j'aimais en consommer, avec modération cependant.
— Je suis certaine qu'il y a plein des restos veggies dans le coin, poursuivis-je en saisissant mon portable et en lançant une nouvelle recherche. Tu aimes les saveurs orientales ?
D'après ce que Google me disait, il y avait même des restaurants asiatiques végétariens dans le coin, du coup, ça me faisait vraiment envie, curieuse de savoir ce qu'ils avaient à proposer. Puis la nourriture chinoise, c'était vraiment mon petit pêché mignon.
— J'adore les saveurs aigres-douces, finit-il par répondre.
— Bien ! Alors il y a un resto à Chinatown, The Lucky Creation, spécialisé en cuisine végétarienne. Regarde ces photos.
Je virevoltai l'écran vers lui et fis défiler les photos des plats les unes à la suite des autres. Il ne s'agissait pas de clichés pris par les propriétaires du restaurant, mais bel et bien par des clients, et on pouvait dire que tout ça avait l'air succulent.
— C'est vrai que ça donne envie.
— Tu veux y aller ?
Un sourire en coin étira ses lèvres et il finit par hocher la tête, tout en caressant tendrement l'arrière de la mienne. Et telle une gamine heureuse, je me mis sur la pointe des pieds et déposai un baiser baveux sur sa joue, avant de m'éloigner de lui, lui tirer la langue et me mettre à courir sur la promenade du Golden Gate, espérant qu'il me rattraperait rapidement.
***
Assis à une table du Lucky Creation, nous attendions que nos commandes arrivent. Pendant ce temps, on nous avait servi un thé, trop fort à mon goût, mais qui semblait beaucoup plaire à Jayden. L'une des serveuses nous avait dit qu'il s'agissait d'une infusion à base de fleur de lotus, pourtant moi, je ne percevais cette fleur nulle part dans la saveur.
En un premier temps, nous avions un peu hésité à entrer, surtout à cause de la façade de l'immeuble. Le restaurant se retrouvait entouré par d'autres de ses homonymes dans ce coin de Chinatown et les lieux ne semblaient pas très accueillants au premier abord. Les murs extérieurs tombaient presque en lambeaux et sa mine grisâtre ne faisait pas vraiment envie. Mais ayant lu plusieurs avis sur le chemin qui disaient qu'il ne fallait pas se fier aux apparences, nous avions tout de même tenté le coup.
Le local était assez petit, mais très conviviable. Il y avait pas mal de monde, cependant, on nous avait trouvé une table facilement. Nous avions été accueillis par la propriétaire des lieux et en nous intéressant à son établissement, elle nous avait raconté qu'elle l'avait ouvert il y a près de trente ans, donc en sachant ça, Cole et moi nous étions dits que cette longévité devait être due à quelque chose d'autre qu'à la façade de l'immeuble. La décoration des lieux n'étaient pas vraiment asiatique, même les tables ou les chaises, mis à part une ou deux lanternes chinoises et quelques affiches sur les murs en chinois, c'était vraiment quelque chose de très austère. Mais les avis sur la nourriture et le service lus sur le web étaient tous vraiment très positifs, c'était vraiment ça qui nous avait donné envie de tenter.
— C'est petit, mais chaleureux, commenta Cole en regardant tous ces gens autour de nous. Et la nourriture a l'air excellente.
En effet, lorsque nous étions entrés, une table venait d'être servie et je n'avais pas pus empêcher mes yeux de lorgner sur la nourriture, mon ventre s'était alors mis à gargouiller à l'extrême. Il le faisait encore, surtout lorsque les arômes provenant de la cuisine arrivaient jusqu'à mon nez.
Je mourais littéralement de faim.
Plus qu'un verre de thé offert par la maison, j'aurais préféré que ce soit des dumplins ou des nems, histoire de remplir un peu mon estomac famélique.
— Bon sang, qu'est-ce que j'ai faim, se plaignit Cole en se pliant en deux.
— J'espère que le repas va vite arriver, sinon je vais me transformer en chèvre et commencer à grignoter les nappes de table en papier.
Ma remarque le fit rire et je sentis son pied toucher le bout du mien sous la table, en signe de complicité. Sans même le vouloir, je me mis à rougir atrocement, c'était le genre de gestes que je trouvais mignons à souhait, comme le fait d'être en voiture et qu'il pose sa main sur ma jambe. J'adorais ça.
— Ça ne te gêne vraiment pas de manger ici ? On aurait pu aller dans un chinois classique, j'aurais bien trouvé un plat végétarien.
— Ce n'est pas juste que moi j'ai le choix et que toi tu doives te rabattre sur un seul plat. Et oui, ça ne me gêne pas, je ne vais pas mourir parce que je ne mange pas de viande, plaisantai-je.
Ça me faisait sourire qu'il se fasse tellement de soucis. Je savais parfaitement que j'aurais pu manger de la viande devant lui sans aucun problème, il avait sa manière de voir les choses mais il ne l'imposait pas au reste du monde, un peu comme ce qui était arrivé avec le spectacle des dauphins. Il ne faisait pas la morale et était suffisamment empathique pour se mettre à la place d'autrui, tout en sachant que tout le monde ne pensait pas pareil.
— D'ailleurs, cela fait longtemps que tu es végétarien ?
Son sourire s'effaça brutalement de son visage et il fronça les sourcils avant de baisser le regard vers le contenu de sa tasse de thé, qu'il tenait entre ses mains.
Avais-je demandé quelque chose qu'il ne fallait pas ?
— Depuis plus de sept ans désormais, finit-il par répondre après un lourd silence recouvert par le bruitage de la cuisine du restaurant.
— Ça te dérange d'en parler ?
Il hocha la tête négativement et releva la vue afin de me fixer pendant quelques instants, tout en se pinçant les lèvres.
— Alaric avait tendance à manger des steaks saignants, presque crus. Il disait tout le temps que si on cuisinait plus cette bonne viande de bœuf, les nutriments n'étaient plus ce qu'ils devaient être. Je n'étais pas vraiment fan de viande à la base, j'avais de la peine pour les animaux. Que ce soit une vache, un poulet ou un cochon, je ne pouvais m'empêcher de les imaginer vivants pour seul but de finir dans mon assiette.
Qu'un gamin de dix ans ait conscience de ça, c'était vraiment extraordinaire, mais à la fois très pesant. Sa conscience devait énormément le travailler, il était très – peut-être trop même – empathique. Au premier abord, jamais ça ne m'aurait effleuré l'esprit.
— Toutefois, j'en mangeais en petite quantité. Mais avec Alaric... eh bien, disons qu'une autre de ses manières de me torturer était de me faire avaler ces steaks à moitié crus. Ça le faisait marrer.
Bon sang, c'était tout simplement horrible. Mais en même temps, venant de cette personne, je pouvais m'attendre à absolument tout. Comment pouvait-on être aussi sadique ? Qu'est-ce qui se passait dans la tête de ce type pour en être arrivé à ce point ? Violenter physiquement et mentalement son beau-fils et agresser sexuellement sa belle-fille... Sadique, pédophile et manipulateur, j'espérais vraiment que ce type ne sortirait jamais de prison.
— Je finissais toujours par vomir. Je peux encore sentir le goût de la viande crue dans ma bouche et depuis... je suis tout simplement incapable d'en manger. Et je ne peux plus voir ou sentir l'odeur de la viande de bœuf, ça me noue les tripes et me rappelle ce que cet enfoiré me faisait subir pour son propre plaisir.
— Et ta mère ? Elle était absente pendant les répas ? demandai-je, vraiment choquée.
— Si seulement, pouffa-t-il avec amertume. Elle le laissait faire, car selon elle, je devais apprendre à manger de tout et ne pas être aussi « exquis ».
Il attrapa les baguettes qui se trouvaient en face de lui et commença à les faire virevolter autour de ses doigts. Ses yeux les fixaient et brillaient d'une lueur presque animale, je m'imaginais bien ce qui devait en cet instant lui traverser l'esprit. La haine se lisait dans son regard, il repensait à toutes ces fois où cet homme l'avait torturé et où sa mère n'avait absolument rien fait pour l'en empêcher.
— Désolé, je n'aurais pas dû demander, finis-je par dire, mal à l'aise de l'avoir obligé à revivre ces moments atroces.
— Ça va, répondit Cole en esquissant un sourire en coin, mais je pus y desceller une grande tristesse derrière ce geste. À peine étais-tu arrivée au manoir, que tu as compris en partageant un seul repas avec moi que j'étais végétarien. Ça fait plus de sept ans que je le fais avec mon paternel, il ne l'a jamais remarqué.
Mon cœur se serra à l'extrême dans ma poitrine. Je savais qu'il détestait son père pour énormément de raisons, mais surtout, à cause de la négligence dont il avait fait preuve par le passé et dont il faisait encore maintenant. Ne pas savoir le régime alimentaire de son enfant était – selon moi et n'importe quelle personne un tant soit peu sensée – quelque chose d'extrêmement grave. Si Mr Coleman n'avait pas été plein aux as, il aurait perdu la garde de ses enfants depuis fort longtemps. Le rôle d'un parent ce n'était pas seulement de pouvoir de la nourriture, des vêtements et un toit, non, ça allait bien au-delà, mais cet homme ne semblait pas l'avoir compris. Pourtant, après tout ce qui était arrivé à Cole et à Amara, il aurait dû.
Si pendant un moment j'avais éprouvé une quelconque sympathique envers cet homme, mon opinion de lui ne cessait de se détériorer au fur et à mesure que Cole s'ouvrait à moi. Je me demandais vraiment comment il faisait pour lui parler ou vivre sous le même toit que lui. Finalement, ce n'était pas bien étonnant qu'il ait vécu dans la pool house, le plus loin possible de son paternel.
Je me doutais qu'il ne pouvait pas demander son émancipation, avec tous les problèmes qu'il trainait derrière lui, je doutais fort qu'un quelconque juge la lui accorde. Si son comportement n'avait pas été aussi rebelle et bordélique ces dernières années, peut-être qu'il l'aurait pu, mais je comprenais pourquoi il agissait ainsi. C'était une manière d'attirer l'attention, toutefois, ça ne semblait pas marcher. Certes, Mr Coleman semblait inquiet pour lui, mais ce n'était visiblement pas suffisant, pas alors qu'il ignorait complètement qui était son fils.
— Je n'ai jamais connu mon père, dis-je tout à coup.
Cole releva instantanément le regard vers moi et fronça les sourcils. Certes, je me doutais que le changement de sujet était brutal, mais je sentais que c'était nécessaire. Il m'avait encore une fois confié quelque chose, c'était à mon tour. Donnant-donnant avait-on convenu, n'est-ce pas ?
— Je ne sais ni où il vit, ni à quoi il ressemble ou encore son prénom. Je sais simplement que ma mère l'a quitté alors qu'elle était enceinte et lui derrière les barreaux. Il n'a jamais cherché à nous retrouver.
Il fit alors une chose qui m'attendrit plus que tout : sa main vint caresser le dos de la mienne très légèrement, par-dessus la table, afin de me consoler. Je n'étais pas triste d'en parler, j'étais habituée à ne pas avoir de paternel, ça avait été ainsi toute ma vie. On ne pouvait regretter quelque chose qu'on n'avait jamais eu.
— Ce n'est pas simple de grandir sans père, murmura-t-il. Je sais de quoi je parle, j'en ai peut-être un, mais c'est comme s'il n'existait pas. Il n'écoute rien, ne voit rien, il n'y a que son entreprise ainsi que ses nouvelles femmes qui ont une quelconque importance pour lui. J'aurais donné n'importe quoi pour ne pas avoir de père et avoir une mère comme la tienne.
Oui, de ce côté-là, j'avais de la chance. Bien qu'elle fut dure avec moi, je savais que c'étaient pour les bonnes raisons. Ma mère s'était toujours occupée d'Alex et moi, nous étions sa priorité, sa vie, et grâce à elle, nous n'avions jamais manqué de rien.
— Je ne disais pas ça pour me faire plaindre.
— Et pourquoi pas ? Tu as le droit de le faire, c'est même normal. Ça n'en reste pas moins un très gros manque. Émotionnellement pour un enfant, c'est dur d'accepter de ne pas avoir de père. Je me doute que les journées à l'école père-fille n'étaient pas aisées pour toi.
En effet, c'était ces jours-là où je ne me rendais jamais à l'école. Je trouvais toujours une excuse pour me défiler, ne me sentant pas à ma place.
— Mais tu n'as pas besoin de lui. Tu es une femme forte et indépendante, ta mère t'a très bien élevée, certifia-t-il.
Je me penchai légèrement au-dessus de la table, comme pour lui confier un secret et dis :
— Ne lui dis jamais ça, sinon ça va lui monter à la tête.
Il sourit à nouveau et nous restâmes penchés sur la table pendant un petit moment, en train de nous admirer mutuellement, avant de ricaner comme deux gosses et de prendre à nouveau place sur nos chaises.
— Excusez-nous pour l'attente, dit une des serveuses en apportant nos plats et en les déposant devant nous.
J'avais tellement faim que j'aurais pu manger absolument tout et n'importe quoi. L'odeur était tout simplement exquise. Pour ma part, j'avais commandé un assortiment de légumes braisés aux vermicelles, ainsi que du riz frit au poulet sans viande – en gros, c'était du tofu aromatisé au poulet. Quant à Cole, il avait opté pour un mélange de légumes braisés à la sauce curry, ainsi qu'un gâteau aux haricots épicé sur du riz. Tout ça avait l'air extrêmement bon !
— Ça ne fait rien, répondit Jayden en offrant un léger sourire à la jeune femme.
Cette dernière était plutôt jeune, elle ne devait pas avoir plus de quinze ans, mais peut-être me trompais-je, après tout, les femmes asiatiques ne faisaient pas souvent leur âge.
— J'espère que cela vous plaira, continua-t-elle avec un sourire qui allait d'oreille à oreille.
— En tout cas, ça à l'air délicieux, ne pus-je m'empêcher de commenter.
— Profitez du repas, termina-t-elle en s'inclina légèrement et en reculant avant de repartir en cuisine.
Cole me regarda, amusé et attrapa à nouveau ses baguettes.
— Bon, eh bien, à l'attaque !
Oh oui !
Je pris entre mes ustensiles chinois une bouchée de ces légumes braisés aux vermicelles et il m'en fallut très peu pour gémir de plaisir. C'était une véritable explosion de saveurs pour mes papilles gustatives, tout comme le riz frit, il était tout bonnement excellent. À chaque nouvelle bouchée, mon ventre ne criait que davantage sa faim, qui semblait désormais devenue vorace.
Me voir manger comme une pauvre dalleuse faisait ricaner Cole, qui lui, mangeait tranquillement sans perdre une miette de mes réactions. Il fallait le dire, le cuisinier de ces lieux était vraiment doué, tout était tellement tendre et bon, que je n'avais pas vraiment les mots pour décrire ce que j'étais en train de déguster.
Soudain, le portable de Jayden – qui se trouvait posé sur la table, près du mur – se mit à vibrer, mais il ne prit même pas la peine de le regarder. Puis ce fut alors la succession de vibrations qui finit par l'exaspérer, alors il regarda qui pouvait bien le bombarder de textos.
— C'est qui ? me risquai-je à demander.
— Ronnie, répondit-il à ma plus grande surprise.
À vrai dire, je m'attendais à ce qu'il fasse abstraction de ma question, pas qu'il y réponde. Après tout, ça ne me regardait absolument pas.
— Elle te harcèle toujours à ce point ?
— Oui, soupira-t-il, c'est une sale manie qu'elle a.
— Et que veut-elle ?
— Savoir si je suis en bonne compagnie, renchérit-il en me lançant un regard amusé.
Je me raidis et mon sang se glaça dans mes veines. Est-ce que Ronnie était au courant pour nous?
— Tu lui as dit ?
— Lui dire quoi ? fit-il l'innocent.
— Pour nous.
Il reposa ses baguettes près de son assiette et plaça ses coudes sur la table tandis qu'il me scrutait avec une intensité nouvelle.
Pour nous... Je n'étais pas certaine du genre de relation que nous avions, mais il y avait bel et bien quelque chose de plus. Ce n'était pas de l'amitié, ça allait au-delà... mais est-ce que ça allait jusqu'à dire « je suis amoureuse de lui » ? Je l'ignorais pour le moment, la seule chose dont j'étais certaine, c'était que je me sentais fichtrement bien en sa présence et en passant du temps avec lui.
Je ne savais définitivement pas ce que c'était que d'aimer quelqu'un, alors c'était nouveau pour moi. Me plaisait-il ? Certes. Mais de plaire à aimer, il y avait une sacrée marge.
— Non, je ne lui ai rien dit, elle l'a deviné toute seule, mais je n'ai rien confirmé.
— Donc, tu as nié ?
Il garda le silence pendant quelques instants.
— Je n'ai ni nié, ni confirmé, avoua-t-il enfin. Ça te dérange ? Aurais-je dû lui dire à quel point je te trouve repoussante ?
Sa dernière question n'était pas dite sous le ton de la plaisanterie, je sentais que toutes ces cachoteries l'énervaient un peu, et au fond de moi, c'était pareil. Mais pour le moment, je n'avais vraiment pas le choix.
— Non, ça... ça va, soupirai-je en portant mon regard vers mes plats.
— Je comprends que tu ne veuilles pas que ta mère le sache, ni personne du lycée, mais Ronnie est mon amie et jamais elle ne ferait rien pour me nuire.
— Sans doute parce qu'elle a des sentiments pour toi, ne pus-je m'empêcher de répondre.
Et je m'en voulus instantanément. Je me mordis alors la langue, avant d'entendre l'écho du rire de Cole dans tout le restaurant. Plusieurs personnes se tournèrent vers nous et je ne pus m'empêcher de m'empourprer.
Je ne voyais vraiment pas ce qu'il y avait de drôle là-dedans.
— Tu es jalouse ?
— Pas du tout ! me rembrunis-je. Ce n'était qu'un constat !
— Eh bien, je te rassure, ce n'est pas comme ça entre nous.
Vraiment ? Il voulait me faire gober qu'il ne s'était jamais rien passé entre lui et elle ? J'avais vraiment du mal à le croire. Ronnie était sans aucune doute la fille la plus jolie que je n'avais jamais rencontrée, en plus de ça, c'était un véritable amour. Je l'appréciais beaucoup en tant que collègue, elle était appliquée et n'hésitait jamais à donner un coup de main lorsque j'en avais besoin.
— Sérieusement ? Tu n'as jamais couché avec elle ?
— Non, dit-il en prenant une mine sérieuse. Je ne la vois pas comme ça.
— Je sais que tu l'as aidée, tu l'as juste fait par pur altruisme ?
Cela ne voulait pas dire que je pensais Cole égoïste au point de venir en aide à quelqu'un pour avoir quelque chose en retour, loin de là, mais je trouvais cela tout de même bizarre. Cette fille était tout simplement magnifique, n'importe quel garçon aurait profité de la situation pour lui demander certaines faveurs en retour.
— Tu as raison, admit-il, ce n'était pas par altruisme.
Nous y étions donc. Alors, pourquoi l'avait-il fait ?
— Elle me rappelle Amara.
Je retins ma respiration et mon cœur fit un bond incommensurable dans ma poitrine. Bordel, je n'étais vraiment rien d'autre qu'une pauvre idiote, avec de très sales pensées.
— J'ai rencontré Veronica il y a quelques mois, sur un trottoir, dans l'un des coins malfamés de Fairfield.
Sur un trottoir ? Cela voulait donc dire...
— Oui, elle faisait le tapin, m'expliqua-t-il, et elle se shootait à l'héroïne.
Voilà qui expliquait pourquoi elle portait l'uniforme aux manches longues, afin de cacher les traces de piqures sur le pli de ses bras, qui ne devaient pas encore être guéries.
— Elle a vraiment eu une sale enfance, avec des problèmes vraiment très gros. Son père a tué sa mère et s'est ensuite suicidé alors qu'elle était une gamine, elle a par la suite été placée dans plusieurs familles d'accueils. Elle a fini par s'enfuir lorsqu'elle avait quatorze ans et depuis, elle vivait dans la rue.
Mes yeux se remplirent bien malgré moi de larmes. Je me sentais tellement stupide d'avoir pensé des choses pareilles, peut-être bien qu'au fond, j'étais vraiment jalouse.
— Lorsque je l'ai vue, j'ai vraiment cru qu'il s'agissait de ma sœur. Le même âge, des traits très similaires... alors, j'ai voulu faire quelque chose pour l'aider à s'en sortir. Le jour où j'ai failli te renverser sur le parking du lycée, je partais à sa recherche, car elle avait disparu depuis plusieurs jours.
Voilà qui expliquait pourquoi il était aussi énervé et pressé. Tout s'expliquait petit à petit.
— Ça ne justifie pas mon sale comportement, mais... j'étais vraiment très inquiet.
Ainsi, Ronnie était comme une sœur pour lui, cette sœur qu'il avait perdue beaucoup trop tôt. Il se sentait responsable de sa mort à cause de son silence, alors venir en aide à cette fille qui lui ressemblait... c'était comme une manière d'expier ses pêchés, de soulager sa conscience.
En me souvenant d'Amara, cette petite fille que j'avais vue en photo auprès de son frère jumeau, je voyais très bien pourquoi il disait que Ronnie lui ressemblait. En effet, il avait raison.
— Donc oui, je l'ai aidée par pur égoïsme, afin de me sentir mieux. Je n'en suis pas particulièrement fier, je l'admets.
Je fronçai les sourcils, perdue.
— Pourquoi ? L'un des buts d'aider autrui c'est de se sentir soi-même mieux, répliquai-je. Tu as aidé une personne à quitter la rue et à laisser tomber les drogues, tu as de quoi être fier de ce que tu as accompli. Qu'importent tes motivations ? Grâce à toi, elle a une vie meilleure, c'est ce qui compte.
Il haussa les épaules et baissa le regard.
— Et oui, j'étais jalouse, admis-je afin de le faire penser à autre chose. Je ne suis pas aveugle.
— Tu devrais entendre les mecs du lycée parler de toi, ça, ça me rend complètement barge. Je voudrais pouvoir leur refaire le portrait à chaque fois que je les entends dire à quel point tu es « bonne ».
Il leva les yeux au ciel et je ne pus m'empêche de ricaner. Au moins, je n'étais pas la seule à faire des petites crises de jalousie.
— Je déteste voir le regard qu'Aiden te porte, il me donne envie de l'étriper. Ce soir-là, où il t'a violenté, j'ai vraiment cru que j'allais le tuer, m'avoua-t-il. Alors non, Olivia, celui qui devrait être mort de jalousie dans l'affaire, c'est moi.
Je rigolai de plus belle. Il n'était définitivement par au courant que toutes les filles du lycée lui couraient après, en commençant par la rousse écervelée qui lui servait de voisine.
— Et avec Amber ? Il ne s'est jamais rien passé ?
— Écoute, j'ai déjà couché avec des filles, je ne vais pas le nier.
Je n'en doutais pas, l'expertise de ses doigts et de sa langue me l'avait parfaitement confirmé l'autre jour.
— Mais cela ne veut pas dire que je me tape tout et n'importe quoi. Je ne suis pas un acteur porno, je ne l'ai pas fait avec une cinquantaine de filles, j'en suis très loin même. Mais non, Amber ne fait pas partie de ce nombre réduit.
Bien, ça me rassurait, parce que je ne pouvais vraiment pas voir cette fille. Au moins, il savait choisir ses conquêtes, du moins, c'était ce qu'il laissait sous-entendre.
Nous continuâmes à manger et à discuter, sans toucher à des sujets qui pourraient nous rendre tristes ou mélancoliques. Nous abordions tous les sujets frivoles, en commençant par ses lectures et films préférés. Nos goûts étaient très à l'opposé, mais c'était amusant de découvrir toutes ces choses.
Il me parla également de Victoria, la quatrième ex-femme de son père. De toutes les belles-mères qu'il avait eues, il considérait cette dernière comme la mère qu'il aurait aimé avoir. Il m'avoua avoir été très déçu lorsqu'il avait appris que son père avait brisé leur mariage, alors qu'il s'agissait là de la seule de ses femmes qui n'était pas avec lui à cause de l'argent. Il n'arrivait toujours pas à comprendre comment il avait pu laisser tomber une telle femme pour épouser Piper.
Cole ne le disait pas ouvertement, mais je sentais que sa relation avec son actuelle belle-mère était difficile. Chaque fois qu'il parlait d'elle, une étincelle de haine brillait dans son regard, mais en me parlant de Victoria, je comprenais pourquoi il la rejetait. Si cette femme était comme une mère pour lui, alors il devait vraiment lui en vouloir de l'avoir éloignée de lui.
— Je comprends que tu en veuilles à Piper, Cole.
— Ce n'est pas seulement à cause de Victoria, marmonna-t-il en se tortillant sur sa chaise.
— Alors qu'est-ce que c'est ? Je la trouve très ouverte et serviable, grâce à elle j'ai obtenu ce travail au Country Club. Je sais que ce n'est pas pareil, mais peut-être que tu devrais lui donner une chance, tu ne crois pas ?
Jayden se raidit sur sa chaise et m'observa avec attention, il semblait énervé, mais je ne comprenais pas par quoi. Avais-je dit quelque chose de mal ?
Je sentais la tension monter, il respirait de plus en plus vite et de la sueur perlait sur son front. C'était comme s'il était sur le point de m'avouer quelque chose, mais que ça lui coûtait tous les efforts du monde. Son comportement était devenu pour le plus étrange.
— Ce n'est pas ça, Liv. Piper...
— Le repas était à votre goût ? nous interrompit la serveuse en venant chercher nos assiettes vides.
Je me tournai alors vers elle et lui souris, aimablement.
— Oui, tout était succulent.
— Allez-vous prendre un dessert ?
Je me tournai vers Cole et ce dernier regardait désormais ses mains, qui se trouvaient sous la table. Par la manière dont il avait d'ignorer la serveuse, j'en déduisis que nous ne prendrions pas de dessert.
— Non, ça ira. Pouvez-vous nous apporter l'addition ?
— Je reviens tout de suite, dit-elle en prenant la dernière assiette et en repartant d'où elle était venue.
Je me concentrai à nouveau sur Cole. Il était sur le point de me dire quelque chose avant d'avoir été interrompu par l'arrivée de la femme.
— Qu'est-ce qu'il y a avec Piper ?
Il releva la vue et me regarda droit dans les yeux, avant de pousser un long soupir.
— Ne baisse jamais ta garde avec elle.
Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il voulait dire et la conversation s'arrêta là. Cole entra dans un mutisme complet et paya l'addition, enfouit dans ses pensées les plus profondes lorsque nous quittâmes le restaurant.
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Lexique:
220 pieds : environ 67 mètres
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Voilà ! J'espère que ce LONG chapitre vous a plu !
J'ai vraiment pris beaucoup de plaisir à l'écriture, je les trouve si mignons et maladroits lorsqu'ils sont ensemble, ne voulant pas faire de faux pas, mais faisant des erreurs tout de même.
Bref, vous avez appris pourquoi Cole est devenu végétarien. D'un côté c'est à cause de ses convictions, vu que déjà enfant il avait de la peine pour les animaux dont il se nourrissait, et de l'autre, à cause des tortures que lui faisait subir son beau-père et donc, voilà pourquoi il ne peut pas supporter l'odeur des steaks de boeuf.
Donc, on se retrouve la MERCREDI PROCHAIN À 17H pour la publication du chapitre 67 qui sera un point de vue de Cole.
Je vous souhaite une bonne fin de semaine !
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