Chapitre 62 Olivia
Je n'arrivais pas à quitter Ivy du regard.
Ce que Jake m'avait dit à peine trois heures plus tôt ne cessait de me turlupiner l'esprit. Était-ce vrai ? Avait-elle menti quant à l'agression de mon protecteur pour couvrir son père ? Cela me semblait tout bonnement insensé, Ivy n'était pas ce genre de personne, je le savais. Elle était douce, bienveillante, alors pourquoi faire quelque chose d'aussi mesquin à quelqu'un ?
— Je suis vraiment contente de te connaître enfin, Ivy, dit ma mère, aux anges.
Mon amie et moi donnions en cet instant un coup de main en cuisine. J'avais certes promis qu'il y aurait des pizzas, mais ma génitrice voyait les choses autrement. Elle avait accueilli Ivy les bras ouverts et ne m'avait posé aucune question quant à sa venue, je lui avais simplement annoncé qu'elle resterait dormir et que nous utiliserions sans aucun doute la salle de cinéma du manoir. Je m'étais attendue à ce qu'elle réplique, mais au contraire, elle m'avait souri et serrée dans ses bras.
Elle savait que j'avais perdu tous mes amis à L.A, par conséquent savoir que je m'intégrais à Fairfield devait sans aucun doute lui enlever un poids considérable des épaules. Bien qu'elle le cache à la perfection, elle s'inquiétait énormément pour ma vie sociale, et connaître Ivy lui certifiait que petit à petit, je trouvais ma place dans cette nouvelle ville.
— Que font tes parents dans la vie, ma belle ?
— Mon père est inspecteur de police et ma mère est femme au foyer.
En entendant le métier de son paternel, ma mère qui était en train de couper des carottes en lamelles, s'arrêta un instant et je la vis retenir son souffle ainsi que perdre un peu de couleur. Toutefois, elle se ressaisit rapidement.
— Tu as des frères ou des sœurs ? demanda-t-elle en reprenant sa tâche.
— Une sœur aînée, elle étudie à l'UCLA depuis quatre ans, je ne la vois pas souvent.
Chaque fois qu'Ivy parlait de sa sœur Kelly, je sentais comme une espèce d'angoisse la submerger. Je savais que depuis qu'elle était partie faire ses études supérieures, sa sœur avait évité de retourner chez ses parents, elle les esquivait, même en laissant de côté Ivy, qui semblait pourtant avoir son aînée en très grande estime.
— Ce ne doit pas être aisé pour tes parents non plus, je me doute, continua ma mère en ouvrant le four pour sortir le rôti et en insérant un récipient rempli de divers types de légumes.
Je me doutais que c'était pour Cole, étant donné que nous, nous allions manger du rôti de porc avec de la purée de pommes de terre et des haricots vers. J'en connaissais une qui allait sauter de joie et qui allait tout faire pour narguer son frère.
— Ils s'y font, ils comprennent que ses études sont très importantes, finit par répondre mon amie après un bref moment d'hésitation.
Elle avait beau dire ça, mais je sentais que ce n'était pas du tout ça. Elle m'avait une fois dit que sa sœur vivait avec un garçon et qu'ils n'étaient pas mariés, ça ne devait pas du tout faire plaisir à ses parents si croyants et stricts. Je me doutais qu'ils n'avaient même pas envie de voir leur fille tant qu'elle vivrait dans le « pêché ». Parfois, j'avais vraiment du mal à croire qu'encore à notre époque certaines personnes continuent à voir les choses ainsi, je trouvais ça tellement démodé et ancien. Je n'arrivais pas à comprendre comment des parents pouvaient renier un enfant juste parce qu'il décidait de suivre sa propre voie.
— Eastridge Hills n'a pas vraiment changé, remarqua Ivy. Je venais beaucoup autrefois, il y a quelques années, mais depuis, je n'y ai plus remis les pieds. Le quartier est exactement comme dans mes souvenirs.
— Tu venais chez Amber, n'est-ce pas ? devinai-je.
Elle hocha la tête tandis qu'elle continuait à préparer la purée de pommes de terre.
— Chez Aiden aussi, nous étions souvent tous les trois ensemble.
Un frisson parcourut mon échine dorsale en m'imaginant ce pauvre abruti avec un aspect enfantin. D'ailleurs, c'était juste prononcer son nom et j'avais des envies de meurtre à son égard. J'aurais tellement aimé le déglinguer, mais ce connard avait je ne sais quelles informations sur moi et mon passé à L.A. Il n'avait pas remis le sujet sur le tapis, ce qui voulait dire deux choses : ou il cherchait le moment propice pour me pourrir, ou alors, ça n'avait été que du bluff et il n'en savait pas plus sur moi. Dans le doute, je préférais me méfier.
Je ne devais à aucun moment baisser ma garde avec lui.
— Qu'est-ce qu'on mange ? demanda Joey en déboulant dans la cuisine.
Il avait sa console de jeux à la main et il semblait avoir été appelé par la bonne odeur du rôti qui venait tout juste de sortir du four. Je devais bien avouer que moi-même j'en avais l'eau à la bouche et que mon estomac ne cessait de gargouiller depuis que je l'avais senti.
— Qui est-ce ? continua-t-il en fixant Ivy et sans avoir eu une réponse à sa question précédente.
Je m'approchai de lui et m'assis à ses côtés. Franchement, j'adorais ce gamin, je le trouvais tout simplement adorable et à croquer. Je ne pouvais cesser de le comparer à la photo que j'avais vu de Cole lorsqu'il était petit, et malgré le fait qu'ils soient demi-frères, je trouvais qu'ils se ressemblaient pas mal. Tous deux ayant les mêmes iris bleus et cette bouille tout simplement irrésistible.
— C'est mon amie Ivy, la présentai-je.
— Elle est très jolie.
Son compliment la fit rire et elle s'approcha du gamin, un sourire aux lèvres, pour lui ébouriffer les cheveux.
— Toi, tu dois être le petit frère de Cole. Tu es bien plus mignon que lui, le complimenta-t-elle, ce qui suffit à arracher à Joey un sourire qui allait d'oreille à oreille.
Certes, avec sa petite tête blonde, il faisait penser à un angelot, contrairement à son frère qui avait plutôt des allures de démon... si on ne le connaissait pas suffisamment.
— Je vois que tu m'apprécies énormément, Ivyann, dit une voix derrière nous.
Je n'eus pas besoin de me retourner pour savoir que Cole nous observait alors qu'il était appuyé nonchalamment contre l'encadrement de la porte. Pour sûr, il avait les bras croisés sur la poitrine et il tirait la tronche, surtout en découvrant que dans sa cuisine se trouvait la « gentille mais insupportable petite blonde avec ses airs de bonne sœur », pour réutiliser les mots qu'il avait employés pour définir Ivy il y a quelques jours. Même si je savais qu'il ne la portait pas dans son cœur, pour une étrange raison qui m'échappait, ce n'était pas une raison pour que je ne l'invite pas.
— Oh, Jayden ! s'exclama ma mère, tout sourire. Tu es enfin rentré. Ça a été la journée ?
— Oui, tu ne t'es pas endormi en cours aujourd'hui ? le provoqua mon amie avec un petit sourire mesquin arborant le coin de ses lèvres.
Franchement, j'avais de moins en moins envie de lui faire face, sachant d'avance qu'il ne devait pas du tout être content de la savoir ici. Mais que faire ? Elle était bel et bien là.
— Oui, j'ai été sage, ironisa-t-il de sa voix rauque et profonde, tandis qu'il avançait dans notre direction.
Les poils de ma nuque se hérissèrent lorsque je le sentis à peine à quelques centimètres de mon dos. Puis bientôt, ce fut son odeur qui me chatouilla les narines, ce qui signifiait qu'il était vraiment tout près de moi.
Ivy leva les yeux au ciel, se détourna de lui pour s'adresser à ma mère en lui demandant où se trouvait la salle de bains, l'air soudain un peu gênée. Amusée, ma génitrice se nettoya les mains à son tablier, s'approcha d'elle et la saisit légèrement du bras afin de lui montrer l'une des nombreuses salles d'eau du manoir. Le petit Joey, visiblement subjuguée par la beauté étincelante d'Ivy, se leva et les suivit de près, nous laissant ainsi Cole et moi... complètement seuls.
Lorsque la cuisine fut submergée par un silence de plomb, Cole s'approcha de moi jusqu'à toucher mon dos de son torse et placer ses mains de chaque côté de mon corps sur le plan de travail contre lequel j'étais appuyée. Mon cœur commença alors à battre la chamade lorsque son souffle fut tout près de mon oreille. Des petits courants électriques parcoururent toute mon échine dorsale et une chaleur atroce m'envahit de la tête aux pieds. Je pouvais même sentir mes joues brûler davantage à chaque seconde qui passait.
— Tu as décidé de me torturer aujourd'hui ? murmura-t-il.
Ma respiration resta coincée au fond de ma gorge lorsque sa main quitta le plan de travail et s'aventura sur la peau de mon bras nu, la laissant courir tout le long, jusqu'à arriver à mon épaule. Il écarta mes cheveux de ma nuque et descendit les bretelles de mon t-shirt et de ma brassière avant d'y poser ses lèvres. Je me tendis de tous mes muscles et fermai les yeux tout en soupirant de bien-être.
Mince, il ne pouvait pas me faire ça alors qu'Ivy, ma mère et son frère étaient à tout juste quelques portes de nous. Bon sang, c'était la cuisine ! N'importe qui pourrait entrer à n'importe quel moment !
Je me levai du tabouret en faisant passer mes envies à un second plan et tentai de me montrer pragmatique. Je devais réfléchir avec ma tête, pas avec mes hormones en révolution d'ado. Il fallait que je sois beaucoup plus maline que ça, et lui aussi.
— Recule, lui ordonnai-je en me retournant et en posant une main sur son torse afin de l'écarter de moi.
Cole plissa le front, mais s'exécuta, faisant ainsi en sorte que je n'ai pas à me répéter.
— Qu'est-ce que tu crois être en train de faire ?
— Je pourrais te poser exactement la même question, rétorqua-t-il en croisant ses bras sur sa poitrine et en me jaugeant. Qu'est-ce que la bonne sœur fait ici ?
Je roulai des yeux. Franchement, j'en avais marre qu'il la traite comme ça. Aux dernières nouvelles, elle ne lui avait jamais rien fait, alors je ne comprenais pas pourquoi ce sale comportement vis-à-vis d'elle.
— Je te rappelle qu'Ivy est mon amie, j'avais envie de passer du temps avec elle, alors je lui ai proposé de venir dormir. Je vis aussi ici et je peux faire ce que je veux.
Puis, d'ailleurs, en y réfléchissant mieux...
— Et je n'ai pas de comptes à te rendre ! Ce n'est pas parce que toi tu n'invites jamais personne que je dois m'en priver.
Je ne connaissais que deux de ses amis, mais en plus d'un mois, jamais ils n'étaient venus ici, que ce soit pour passer du temps après les cours ou pendant le week-end, rien. Et je devais bien avouer que c'était quand même assez bizarre, mais en le connaissant, finalement, ça ne m'étonnait pas tellement. Pourtant, j'étais certaine qu'il squattait pas mal chez Elijah, peut-être bien qu'il faisait pareil avec Veronica.
Cole me foudroya du regard et serra les mâchoires. J'avais en cet instant l'impression d'avoir fait un bond dans le temps d'une semaine. Je n'avais pas forcément envie de me prendre la tête avec lui, mais je n'aimais pas la façon dont il traitait Ivy.
— Dis-lui que tu as changé d'avis et renvoie-la chez elle.
Mes globes oculaires s'écarquillèrent face à tellement d'égoïsme de sa part. Non mais il s'entendait ? Réfléchissait-il au moins avant d'ouvrir sa grande bouche pour sortir de telles conneries ?
— Hors de question, je ne vais pas annuler ma soirée entre filles pour te faire plaisir. Fais-toi une raison !
— Fais-le, insista-t-il en saisissant mon poignet droit.
Même s'il l'avait fait tendrement, je me dégageai, un peu trop violemment à mon goût, mais sa demande commençait vraiment à me casser les pieds. Je ne comprenais pas pourquoi est-ce qu'il ne laissait pas tomber. D'accord, nous avions passé les dernières nuits ensemble, mais cela ne voulait pas pour autant dire que j'étais obligée de le faire ou d'être à sa disposition.
— Tu ne comprends donc pas l'anglais, Jayden ? N.O.N. Non ! Faut-il que je te le dise en une autre langue ? No ! Nein ! Bu ! Alors laisse tomber, parce que la seule chose que tu vas réussir à faire, c'est à me mettre en rogne. Je ne vais pas dire à Ivy de rentrer chez elle et si tu fais quelque chose pendant le diner pour qu'elle se sente mal à l'aise, je te promets que je mettrai fin à cette chose qu'il y a entre nous, le menaçai-je.
Même si cela ne faisait qu'un mois qu'on se connaissait, j'arrivais très bien à cerner Cole et je savais que pour obtenir ce qu'il voulait, il serait prêt à saboter ma soirée.
— Je ne suis pas ta chose, conclus-je.
Il se mordit l'intérieur de la joue tandis qu'il me fixait, semblant à deux doigts d'éclater de rage. Je savais que ça ne lui faisait pas plaisir, mais je devais mettre certains points sur les « i ». Le fait que j'aime passer du temps avec lui, ne voulait pas pour autant dire que je ne voulais pas le passer avec d'autres personnes, en l'occurrence mes amis. Depuis que j'étais arrivée à Fairfield, je n'avais pas eu d'autres occasions de fréquenter Ivy qu'au sein du lycée, ce qui soyons honnêtes, ne donnait pas vraiment de marge pour connaître quelqu'un. Je l'appréciais vraiment beaucoup et je voulais avoir une véritable relation d'amitié avec elle. Et si Cole ne comprenait pas ça, alors je n'avais strictement rien à faire avec lui.
Les garçons possessifs, je m'y connaissais et je l'avais pensé différent. Mais peut-être m'étais-je précipitée ?
— Ne le prend pas ainsi, tu sais bien que je ne te considère pas comme ça, marmonna-t-il en baissant la tête et en se frottant la nuque, l'air mal à l'aise.
Je soupirai, vraiment énervée. Je ne voulais plus lui parler, sinon, il réussirait vraiment à me pourrir ma soirée, déjà que le coup de Jake m'avait assez agacé, désormais Cole ne faisait qu'en rajouter une couche. J'en avais marre, je voulais juste qu'on me laisse profiter tranquille de ma soirée avec mon amie. Était-ce donc trop demander ?
— Qu'est-ce que vous faîtes ? demanda ma mère en revenant dans la cuisine et en nous trouvant alors que Cole et moi nous regardions en chien de faïence.
Mais alors que je m'apprêtais à répondre, le jeune maître des lieux se tourna vers elle, tout sourire, et lui dit de manière nonchalante :
— On papote bien tranquillement. Désolé Clara, mais je ne vais pas pouvoir rester diner.
Je fus vraiment surprise par ce retournement de situation. Vraiment ? Il partait parce qu'on s'était pris le bec ?
— Oh... tu en es certain ?
— Oui, je dois aller quelque part.
— Tu vas faire du sport chez Amber ? demanda Joey en arrivant, accompagné de près d'Ivy.
C'était quoi ces conneries ? Faire du sport chez... Oh ! D'accord, je saisissais ce que le gamin voulait dire par « faire du sport », c'était sans aucun doute ce que son grand-frère lui disait lorsqu'il allait chez une fille pour la sauter.
Et Amber ? Il avait couché avec cette fille ? Je pensais qu'il avait meilleur goût que ça, à croire que je m'étais lourdement trompée sur son compte.
— J'y vais, dit-il sans m'accorder un seul regard et en partant.
Il était tendu de la tête aux pieds, pourtant, il se contrôlait, même si je me doutais qu'il rêvait de frapper fort contre quelque chose ou quelqu'un. Ça ne me plaisait pas de le voir ainsi, mais je devais bien lui faire comprendre d'une manière ou d'une autre que je ne serais pas tout le temps à sa disposition. Et si pour le lui faire entrer dans la tête, je devais me montrer ferme et devenir une garce, je n'hésiterais pas une seule seconde.
***
Assises dans les sièges de la salle de cinéma du manoir, Ivy et moi regardions un film d'horreur. Elle m'avait avoué ne jamais en avoir vu un, alors j'avais trouvé que cette soirée était sans aucun doute l'idéale pour l'initier au genre. Je n'en étais pas particulièrement fan, mais il m'arrivait parfois d'en regarder. La plupart du temps au lieu d'être effrayée, je me tapais des barres tellement c'était ridicule.
Pour le coup, nous avions pioché dans la grande collection de DVDs des Coleman et avions choisi Les Griffes de la Nuit, version deux-mille dix. Je n'avais jamais regardé un seul film avec Freddy Krueger, c'était une première pour moi, et franchement, je me demandais sérieusement pourquoi il y avait tellement de films de cette franchise, parce que l'histoire était vraiment à chier.
— Ça ne fait même pas peur ! me plaignis-je alors que la scène qui se déroulait sous mes yeux était celle d'une fille blonde en train de se faire lacérer sur son lit pendant qu'elle rêvait.
Mais Ivy devait penser autrement, car elle était recroquevillée sur son siège, ses genoux ramenés vers son torse et ses bras autour de ces derniers, tandis qu'elle fermait les yeux par intermittence. Ça me fit rire, ses réactions étaient beaucoup plus divertissantes que le film en lui-même qui était bien pourri.
J'avais voulu me distraire en regardant quelque chose afin de ne pas penser à Cole et à ce qu'il devait être en train de faire en ce moment, mais pour le coup, c'était peine perdue. Mon esprit ne cessait de divaguer vers lui et sur notre dispute dans la cuisine. Peut-être m'étais-je braquée et sans le vouloir, je m'étais montrée trop dure avec lui... mais il avait quand même sa part de responsabilité. Il ne pouvait pas tout simplement me demander de me débarrasser d'Ivy alors que j'étais censée passer la soirée avec elle. Je devais bien avouer que j'avais trouvé son comportement très égoïste et enfantin.
— Est-ce qu'on peut arrêter de regarder ce film ? me demanda mon amie, devenue complètement livide.
Mince, je n'aurais jamais pensé que cette daube de film lui ferait un tel effet. Il n'était même pas gore, mis à part si les griffes de Freddy lui foutaient la pétoche, bien entendu. Puis bon, il y avait une ou deux scènes un peu désagréables, mais rien de bien insupportable.
Je pris donc la télécommande et éteignis le projecteur qui était connecté au lecteur dvd. La salle fut plongée dans l'obscurité la plus totale, je me levai donc en avançant à tâtons et rallumai la lumière. Définitivement, Ivy n'était pas du tout faite pour les films d'horreur, au moins, nous serions fixées là-dessus.
— Il se fait tard, dit-elle en regardant son téléphone.
Je vérifiai le mien et vis qu'il était seulement vingt-et-une heures trente. Soit elle était habituée à se coucher relativement tôt, soit quelque chose n'allait pas.
— Tu veux faire quelque chose ou aller dormir ?
Elle sembla hésiter un instant avant de répondre :
— Nous pourrions parler, t'en dis quoi ?
Je soupirai et me frottai les yeux, m'imaginant parfaitement vers quoi ou plutôt vers qui serait dirigée notre conversation : Jake. Je savais qu'elle crevait d'envie de me demander comment est-ce que je le connaissais, elle ne l'avait pas fait plus tôt parce que ma mère avait été avec nous tout le temps, mais j'avais senti ce besoin en elle de savoir comment cela se faisait que je fréquente un « voyou » – pour réutiliser ses mots – dans son genre.
Ainsi, je m'assis à nouveau à ses côtés et attendis à ce qu'elle me pose la question qui lui brûlait les lèvres. Elle sembla hésiter pendant quelques instants, comme en ignorant la manière de formuler la chose, sans doute cherchait-elle à ne pas me froisser avec ce qu'elle allait me dire, même si je m'en faisais d'avance une vague idée.
— Depuis combien de temps connais-tu Diego Fuentes ?
— Quelques semaines, pourquoi ?
— Vous aviez l'air proches, constata-t-elle.
Oui, en effet, nous l'étions pas mal. Sans doute le fait qu'il soit l'ami de mon frère et qu'il sache la véritable raison de sa présence en prison faisait que j'aie envie d'être proche de lui, ou du moins, de me sentir ainsi.
— C'est lui « ange gardien narcissique », n'est-ce pas ?
Bien évidemment, en ayant vu ce nom sur mon téléphone, il n'était pas vraiment difficile d'en faire le lien. Puis surtout, lorsqu'elle m'avait demandé de qui il s'agissait, j'avais refusé de lui répondre.
Je me contentai alors de hocher tout simplement la tête. Ça servirait à quoi de nier ? Désormais, c'était beaucoup trop évident.
— C'est ton petit-ami ?
Sans même le vouloir, j'éclatai de rire. Bon, je devais bien avouer qu'avec la petit scène de cet après-midi devant Eastridge Hills, il y avait de quoi se poser de nombreuses questions. Mais franchement, je ne me voyais pas du tout sortir – ne serait-ce qu'hypothétiquement – avec Jake, je ne le concevais pas de cette manière. Étant donné qu'il se comportait avec moi comme s'il était mon frère, je le voyais vraiment comme ça. Je ne pourrais pas dire qu'il n'étaitpas beau et à croquer, ça je pouvais parfaitement l'admettre, après tout, j'avais des yeux, mais notre relation n'était et ne serait – j'en étais sûre et certaine – jamais comme ça.
— On est simplement amis, Ivy. Rien de plus. Qu'est-ce qu'il y a ? Il te plait ?
Je la taquinais, bien évidemment. Je pouvais aisément m'imaginer que ce n'était pas à cause de son attirance vis-à-vis de lui qu'elle me posait ces questions. Toutefois, les joues de mon amie virèrent au cramoisi tandis que ses yeux s'écarquillaient légèrement.
— Fais attention à toi, il ne t'apportera que des problèmes. Tu sais qu'il est allé en prison pendant deux ans ?
— Oui, je suis au courant, mais je ne vois pas où est le problème. Il travaille dur pour se construire un avenir, lui certifiai-je. Il a commis des erreurs dans le passé et il en a payé le prix. Un prix beaucoup trop élevé pour ce qu'il avait réellement fait, d'après ce que j'ai compris.
Elle baissa le regard en se rendant compte que je faisais référence à l'arrestation qu'avait effectué son père. Ivy ne semblait pas vraiment très fière de ça et je ne pouvais cesser de me demander qui des deux mentait. Était-ce Jake qui, énervé par le fait de s'être fait coincer et d'avoir passé les deux dernières années en prison, cherchait à rejeter la faute sur quelqu'un d'autre ? Ou alors Ivy, avait-elle vraiment menti sur ce qu'elle avait vu cette nuit-là ? D'ailleurs, comment tout cela était arrivé ?
— Qu'est-ce qu'il t'a dit au juste cet après-midi pendant qu'il me tuait du regard ?
J'esquissai un sourire, qu'elle ne remarque pas l'évidence m'aurait grandement étonnée.
— Que ton père l'avait coffré pour possession de cent grammes de drogue alors qu'il n'en avait que dix sur lui et que tu as témoigné contre lui lorsqu'il a accusé ton père de l'avoir tabassé lors de son arrestation.
Ivy commença à tordre et retordre ses doigts dans tous les sens, sa respiration devint haletante et elle baissa le regard pour cacher ce qui semblait être sa honte. Ainsi... elle avait vraiment fait une chose aussi horrible à quelqu'un ? Mais... pourquoi ? Ce n'était pas son genre, je serais prête à mettre ma main à couper en affirmant une telle chose.
— Il était tard ce soir-là, il devait être près de vingt-trois heures et au lycée, c'était le bal de printemps. J'y suis allée, sans vraiment trop savoir pourquoi. J'étais seule, je n'avais aucun ami, pourtant, je m'y suis rendue. Je portais une petite robe de cocktail couleur saumon, je l'avais achetée exprès pour l'occasion, mais quelqu'un s'est vu obligé de me jeter un verre de punch dessus.
Pas besoin de m'en dire plus : Amber. Qui d'autre aurait pu faire ça sinon ?
— J'ai demandé à mon père de venir me chercher alors qu'il était en plein service. Je pleurais, je me sentais humiliée et lorsqu'il est arrivé sur place, il a commencé à me faire des leçons de morale, puis lorsqu'il a senti que ma robe empestait l'alcool, là ça a juste été le comble. Il était vraiment très énervé contre moi, et mon père est du genre à avoir tendance à élever la voix et à s'emporter. J'avais l'impression qu'au lieu d'être sa fille, j'étais un quelconque voyou qu'il s'apprêtait à coffrer.
D'accord, donc son père était du genre bourru et n'avait absolument aucun tact.
— Nous avons pris la route, puis à un feu rouge, il a aperçu la moto de Diego. Ça faisait longtemps que mon père l'avait dans son collimateur, alors il a garé la voiture à côté de la bécane et m'a dit d'attendre, il devait sans aucun doute savoir qu'il n'était pas loin. Ainsi, il l'a attendu devant sa moto jusqu'à son retour. À l'époque, ton ami devait avoir dix-sept ou dix-huit ans, je n'en sais trop rien, avoua-t-elle. Au lieu de s'enfuir, il a tenu tête à mon père. Je n'ai pas entendu leur conversation, car les vitres de la voiture étaient fermées et qu'ils étaient à plusieurs mètres de là où je me trouvais. L'éclairage n'était pas non plus sensationnel, mais je sais que lorsque mon père a essayé de l'arrêter, il s'est résisté.
— Donc ton père l'a tabassé ?
— Il ne s'est pas laissé faire, soupira-t-elle, comme si cela servait à justifier les actes de son paternel. S'il avait coopéré, les choses n'auraient jamais pris ce tournant. Et pour ce qui est de sa condamnation... Je n'en sais vraiment rien. Mon père est un bon flic, dur certes, mais il fait son boulot du mieux qu'il le peut afin que Fairfield soit un endroit sûr et ton ami faisait tout le contraire.
Certes, vendre de la drogue ce n'était pas le meilleur moyen de faire prospérer la ville, ça avait même l'effet inverse. Toutefois, j'étais toujours dans le doute.
— Mais si tu as vu ton père le frapper, pourquoi ne pas l'avoir dit au juge ?
— Tu aurais déclaré contre ton propre père toi ? Il a fait peut-être une erreur en frappant ce dealer, mais il ne lui a pas rendu la tâche facile non plus. S'il s'était laissé faire, les choses se seraient déroulées autrement.
— Donc, tu as menti en toute connaissance de cause ?
Ivy serra la mâchoires et finit par hocher la tête.
— Mon père est un bon flic, il fait son boulot à merveille. Il est vraiment dévoué à cette ville, depuis toujours. Il ne méritait pas d'être sanctionné pour ça.
Waouh, ses propos me laissèrent complètement bouche bée. De n'importe qui, je m'y serais attendu, mais d'elle ? Alors là, pas du tout !
— Je suis désolée que ton ami soit allé en prison, mais personne ne l'avait forcé à vendre de la drogue. Il a fait ça tout seul, sans l'aide de personne. Et si tu crois qu'il s'est racheté une conduite, tu te trompes lourdement. Je connaissais ce garçon de vue, bien avant cette maudite soirée, et il a toujours trempé dans des affaires louches, que ce soient des bagarres, des courses de voitures illégales, des combats clandestins... ce type, c'était la totale. Tout le monde à Rodriguez connait son nom et sa réputation, c'est loin d'être un ange.
Mes pensées fusaient à cent à l'heure. Je savais déjà que Jake n'était pas tout blanc, mais là, ce qu'Ivy était en train de m'apprendre me laissait carrément de marbre. J'ignorais quoi rétorquer à ça ou comment le défendre face à ce genre d'accusations, parce que le fait était, qu'à la fin, je ne connaissais pas grand-chose de sa vie.
— Mais cela n'explique toujours pas pourquoi ton père l'a coffré pour possession de cent grammes de coke alors qu'il en avait que dix sur lui. Comment tu l'expliques ?
Elle se contenta de hausser les épaules et de se frotter les yeux, ces derniers se fermant de fatigue.
— Je ne peux pas répondre à ça, seuls lui et mon père sont au courant de ce qu'il en retourne réellement. Peut-être que mon père a faussé cette information, ou peut-être que Diego se joue de toi et te ment.
Et le pire dans cette histoire, c'était qu'Ivy avait complètement raison et que je ne pouvais en aucun cas répliquer en affirmant avec certitude que mon ami était innocent. Car oui, il y avait la possibilité qu'il m'ait raconté des bobards et que comme une idiote, j'y aie cru aveuglément.
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Voilà voilà ! J'espère que ce chapitre vous a plu !
On en apprend plus sur Jake à travers cette histoire à laquelle Ivy est mêlée sans vraiment l'avoir voulu, le doute plane donc dans l'air. A-t-il dit la vérité à Olivia ou au contraire, il ne lui a raconté que ce qu'il voulait afin de se défouler sur Ivy et rejeter la faute sur elle ? Questions, questions...
Bref ! On se retrouve MERCREDI PROCHAIN À 17H pour la publication du chapitre 63, qui sera un point de vue de Cole.
Je vous souhaite une bonne fin de semaine et de bonnes vacances (pour ceux qui en ont).
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