Chapitre 60 Olivia

Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi bien, aussi légère. Au fond de moi, je savais que j'aurais dû me sentir coupable, mais il n'en était rien. Lorsque j'étais auprès de Cole, tous mes soucis quittaient mon esprit et je ne faisais que vivre l'instant présent. J'ignorais comment l'expliquer, mais c'était ce que je vivais à ses côtés.

Chaque nuit depuis quatre jours, je laissai la fenêtre de ma chambre ouverte pendant la nuit et à partir de minuit, heure à laquelle ma mère était officiellement dans son lit au manoir, il fuguait pour venir me rejoindre. C'était excitant, ainsi qu'amusant.

Nous parlions, de tout et de rien, racontions des anecdotes qui nous donnaient le sourire, en rapport à notre passé, lorsque tout allait bien. Jayden parlait beaucoup d'Amara et des souvenirs qu'il avait avec elle, ce n'était jamais des choses tristes, mais joyeuses qui me renvoyaient toujours vers ma propre expérience de jumelle. Mon cœur se serrait à l'idée de devoir lui cacher l'existence d'Alex, à chaque jour qui passait, j'avais de plus en plus envie de lui raconter toute la vérité... sauf que tous les mensonges que j'avais proférés jusqu'à maintenant me l'empêchaient. Que penserait-il une fois qu'il saurait de quoi il était véritablement question ? Je savais qu'il m'en voudrait, alors je gardais le silence, même si j'avais l'impression que ce dernier me consumait un peu plus chaque jour.

Mais sous ses caresses et ses baisers, j'en oubliais jusqu'au fil de mes pensées. Lors de ces moments, plus rien n'avait d'importance, hormis lui et moi.

Je le découvrais sous divers aspects, il est doux, tendre, rigolo... il me faisait vraiment tourner la tête. Il adorait les livres et le cinéma, mais avec un gros problème avec les adaptations cinématographiques de livres, il était pointilleux jusqu'au moindre détail. Ainsi, il m'avait avoué, il ne regardait aucun film issu d'un livre qu'il aurait lu avant. Et il ne lisait jamais de livre s'il avait déjà vu le film. Pour lui, c'étaient deux univers différents qui ne devaient pas être mélangés, au risque de ne plus apprécier.

Il m'avait beaucoup questionné par rapport à ma passion pour la photographie. Quand cela avait commencé et pourquoi. Je lui avais tout raconté sans omettre le moindre détail, hormis tout ce qui avait un rapport avec Alex bien évidemment. Pour faire court, lorsque j'étais petite, je croyais vraiment qu'en prenant un cliché, ce dernier resterait à jamais gravé dans ma mémoire et qu'il me serait donc impossible de l'oublier. Je pensais que l'appareil photo était un objet magique qui saisissait ces instants et les gravait à jamais dans notre mémoire.

Les croyances d'une petite fille, rien de plus. En réalité, tout avait commencé lorsque ma grand-mère avait été diagnostiquée de la maladie d'Alzheimer. Nous étions petits, Alex et moi, pas plus de cinq ans si ma mémoire était bonne. Cela faisait quelque temps déjà qu'elle oubliait certaines choses ou en faisait d'autres très bizarres, comme ne pas éteindre le gaz ou encore se promener dans la rue et ne pas être capable de rentrer à la maison. Certains détails que ma mère avait remarqué au fil du temps et qui avaient fini par prendre de l'ampleur, à un tel point, qu'elle n'avait plus pu prendre soin de ses petits-enfants.

Après son diagnostic, ma mère nous avait expliqué au mieux à Alex et à moi ce qui lui arrivait. Nous étions peut-être petits, mais nous avions compris que c'était quelque chose de très grave et que notre mamie bientôt n'aurait plus aucun souvenir de nous. À l'époque, j'étais tellement triste que ma mère m'avait offert ma première caméra jetable en me certifiant qu'elle était magique et que tous les clichés que je prendrais, perdureraient pour l'éternité. Alors j'avais commencé à tout photographier et à chaque fois que j'allais voir ma grand-mère dans sa résidence, je les lui montrais. Chaque semaine pendant un an, jusqu'à ce qu'elle cesse de parler ainsi que de marcher. La maladie l'avait frappée de plein fouet et l'avait ravagée. Elle s'était éteinte à petit feu pendant trois ans. À la fin, elle était en état végétatif. J'avais huit ans à l'époque.

Voilà comment avait commencé ma passion pour la photographie, afin d'aider ma grand-mère à ne pas oublier. Après tout, n'était-ce pas ce que nous craignions tous ? Oublier ou être oubliés ? Même si j'avais été effacée de sa mémoire comme l'on gomme un dessin au crayon sur une feuille, son calvaire était resté ancré dans la mienne.

Capturer un instant et le rendre éternel, c'était ce que je voulais, ni plus ni moins.

Et j'avais rendu un moment avec Cole éternel, l'ayant photographié alors qu'il dormait à poings fermés à côté de moi. Il avait l'air tellement paisible, si bien. Nous avions parlé de ses insomnies et de la culpabilité qui le rongeait depuis tant d'années. Ainsi, si un jour je le voyais dormir pendant plusieurs jours d'affilé, je ne devais pas m'en inquiéter, mais selon lui, dormir auprès de moi l'apaisait. Il l'avait d'ailleurs déjà remarqué la nuit où je l'avais ramené de la fête de Greg complètement bourré. Mais cette fois-là, cela devait être à cause de tout l'alcool qu'il avait ingurgité et non à moi.

Mais si je pouvais l'aider à trouver le sommeil, alors j'en étais heureuse. Et je considérais le fait de l'avoir auprès de moi toutes les nuits comme un véritable cadeau. Lui aussi m'apaisait et dans ses bras, tout prenait un sens nouveau, moins dramatique.

Même si au matin, la réalité me frappait à nouveau.

— Je trouve que c'est une bonne chose qu'ils aient décidé de ne pas faire une telle atrocité à ces gens, opina Ivy en pinçant un bout de son sandwich au beurre de cacahuète et à la confiture de fruits rouges.

— Ouais, ouais, râla Sojiro, assis à côté de moi. Mais du coup on n'a plus d'article et il faut recommencer tout à zéro ! J'en ai ras le bol !

Je soupirai et essayai de me mêler à la conversation, car je me rendais bel et bien compte que j'étais dans la lune, ou plutôt... toujours dans ma chambre, avec Cole.

— Pauvre chou, se moqua Ivy, tu n'auras pas ton prix Pulitzer pour le moment.

Mon camarade de journalisme esquissa un sourire malsain et lui fit un doigt d'honneur, quant à moi, j'essayais de réprimer un rire. Il n'était quand même pas croyable. Ces pauvres gens pouvaient continuer à squatter le Grace Hall et lui, la seule chose qui l'inquiétait c'était qu'il n'avait plus d'article ? En effet, il était fait pour le métier de journaliste, prêt à se jeter sur n'importe quel carcasse dans le seul but d'en sortir bénéficié à la fin. Je croyais qu'il voulait écrire cet article pour dénoncer et ainsi venir en aide aux sans-abris, mais à croire que j'avais été trop candide sur ce coup.

— J'avais un putain de scoop.

— Tu devrais te réjouir pour ces gens, ne pus-je m'empêcher de répondre. Ils auront toujours un toit au-dessus de la tête, vaut mieux ça que rien du tout. Et si le maire n'a pas pu arriver à ses fins, tant mieux dans ce cas. Tu trouveras autre chose, alors arrête de chialer.

Son petit soucis m'énervait quand même assez. Il aurait d'autres articles à pondre, après tout comme disait le dicton : un de perdu, dix de retrouvés.

— Je te rappelle tout de même que notre article était prêt et qu'il allait être publié ce mois-ci dans le journal du bahut, dit Soji en se tournant vers moi et en me regardant avec dédain, comme si j'étais une pauvre crétine qui ne comprenait rien à la situation. Tout notre travail pendant le dernier mois – il claqua des doigts – est parti se faire foutre !

— Ce n'est pas la fin du monde, soupirai-je. Il y a des choses bien plus importantes qu'un article pour le journal d'un lycée.

Il écarquilla les yeux en m'entendant prononcer de telles paroles et finalement, me foudroya du regard. Peut-être qu'il n'avait pas envie de l'entendre, mais ça ne rendait pas la chose moins vraie.

— Ouais, je vois bien que tu ne prends pas ça au sérieux. Je croyais t'avoir prévenue pourtant.

— Je prends cette activité très au sérieux, bien au contraire, répliquai-je. Mais toi, tu es en train d'en faire des caisses !

Il fit claquer sa langue contre son palais et se leva, avant de prendre son plateau et partir, sans dire un mot. Voilà, je venais de meurtrir ses sentiments.

Je levai les yeux au plafond et poussai un long soupir avant de pousser mon plateau devant moi. Cette journée ne se terminerait-elle donc jamais ? Je n'avais envie que d'une seule chose : être le soir et me retrouver à seules avec Cole, que ce soit dans ma chambre ou quelque part ailleurs. Tant que j'étais avec lui, tout m'allait.

— Soji est très perfectionniste, tenta Ivy de le défendre.

— Je sais bien, mais il me gonfle. C'est très égoïste de sa part de réagir de cette manière. Il devrait être content, au lieu de geindre comme un gamin à qui on aurait enlevé sa sucette.

— Ça lui passera.

Je m'en fichai si cela lui passait ou pas, je n'étais pas près de le supporter. Encore heureux que le cours de journalisme d'aujourd'hui avait été annulé à cause de l'absence de Miss Kowalski. Je ne me sentais pas d'attaque à devoir le supporter pendant deux heures consécutives.

— Vu que tu n'as pas journalisme aujourd'hui, ça te dit de venir au Starbucks avec moi ? On pourrait aller au cinéma aussi, ce serait chouette, tu ne trouves pas ?

Je contemplai cette idée, elle n'était pas mal, mais une bien meilleure vint m'effleurer l'esprit. Lors de mon arrivée au manoir, Piper m'avait certifié que je pouvais utiliser la salle de cinéma à ma guise, tout comme la piscine. Et si au lieu d'aller payer pour un film qu'on n'était pas certaines d'aimer, on se faisait une après-midi détente au manoir ?

Devrais-je demander la permission à Cole avant ? Est-ce que ça le gênerait qu'Ivy vienne à la maison ?

Je me posai trop de questions, si je lui demandais, mon amie trouverait ça bizarre par rapport à mon comportement habituel. Non, je ne demanderai à personne, pas même ma mère. Je n'allais rien faire de mal, simplement amener une amie à l'endroit où je vivais.

— Ça te dit de venir à la maison ? Les Coleman ont une salle de cinéma.

Mon amie écarquilla les yeux et battit ensuite des paupières, comme si elle avait du mal à croire ce que j'étais en train de lui dire.

— Euh... ouais, d'accord. Je ne pourrais pas rentrer tard cependant. Je dois être à dix-neuf heures chez moi, c'est mon couvre-feu.

Mon dieu, mais elle vivait à Alcatraz ou ça se passait comment chez elle ? Je la plaignais vraiment, lorsqu'elle parlait de sa maison, sa mine devenait terne et sans joie. J'avais cru comprendre que ses parents étaient de fervents pratiquant catholiques et très strictes quant à son éducation. Mis à part Soji, je ne l'avais jamais vue s'approcher ou parler à d'autres garçons.

Ça me faisait de la peine franchement.

— Tu veux rester dormir ? On commandera des pizzas et on se goinfrera au pop-corn !

J'étais presque certaine que ça ne gênerait pas ma mère, elle serait heureuse de connaître mon unique amie au lycée et en connaissant Ivy, elle ne pourrait être que conquise. La douceur de cette fille était tout simplement inouïe.

— Je ne sais pas, ils n'aiment pas me savoir dehors la nuit.

— Dis-leur qu'on a un travail à faire en binôme pour demain et qu'on finira tard cette nuit. Tu n'auras même pas à aller chez toi pour chercher des affaires, je t'en prêterai.

Elle semblait dubitative, même si l'idée lui était alléchante, je le savais. Cette fille rêvait de liberté et sa famille lui coupait les ailes à chaque fois qu'elle voulait prendre son envol. Alors, je voulais lui donner un petit coup de pouce.

— Je te donnerai une réponse à quinze heures, répondit-elle finalement en se levant. Là je dois aller en cours de littérature.

— À plus tard, lui répondis-je d'un sourire.

Elle en esquissa un également et partit.

Ivy avait l'air heureuse de ma proposition et en même temps, craintive. Sans aucun doute à cause de la réaction que ses parents pourraient avoir. J'avais envie de la connaître davantage et l'aider à s'ouvrir un petit peu plus au monde, car bien qu'elle soit ouverte avec Soji et moi, avec les autres ce n'était pas vraiment ça.

Elle avait beau me reprocher de ne pas parler de ma vie avant d'arriver à Fairfield, je ne savais pas grand-chose de la sienne non plus, étant tout aussi secrète que moi, peut-être même plus.

Derrière ce sourire timide et affable qu'elle arborait, se cachait des forces ainsi que des faiblesses dont j'ignorais l'ampleur. Et j'étais vraiment curieuse, elle m'intriguait. Car même si je ne savais pas des masses de choses sur elle, je me sentais connectée à elle. Sa quiétude et sa sagesse étaient apaisantes et elle donnait toujours de bons conseils, très avisés et justes. Elle restait toujours humble et ne prenait jamais les autres de haut.

Cette fille était un diamant en brut, sauf que personne ne l'avait encore découvert.

Soudain, je fus enlevée à mes contemplations par la vibration de mon téléphone au fond de ma poche de jean. En le sortant, je vis qu'il s'agissait d'un appel entrant de Jake.

Depuis samedi, je n'avais pas parlé avec lui et j'avais évité ses autres appels ni répondu à ses messages. J'ignorais pourquoi, mais à chaque fois que son nom apparaissait sur l'écran, je me sentais atrocement coupable. Lui non plus ne devait pas savoir pour Cole, c'était impératif.

Ma vie était un tissu de mensonges.

Je soupirai et finis par décrocher, je ne pouvais plus me faire la malle, sinon il serait capable de se pointer à Eastridge Hills pour vérifier si j'allais bien. Et il valait mieux que j'aie une excuse en béton pour lui expliquer pourquoi je l'avais évité ces quatre derniers jours.

— Allô ?

— Non mais tu étais fourrée où ?! gueula-t-il, m'obligeant à séparer le combiné de mon oreille. Sais-tu seulement à quel point j'étais inquiet, sale gosse ?!

Ouais, comme je le prévoyais, il était furax. Très furax même.

— Désolée, j'ai eu un problème avec mon téléphone, mentis-je, mais maintenant c'est réglé.

En priant pour qu'il se contente de cette excuse.

Sa respiration était agitée, mais peu à peu, il sembla se tranquilliser, son souffle devenant de plus en plus régulier. Il se racla la gorge et reprit :

— Désolé d'avoir crié, c'est juste que je pensais que tu m'évitais à cause de la conversation de l'autre jour.

Oui, je me souvenais parfaitement de cette dernière, lorsqu'il m'avait dit tout le bien qu'il pensait de Cole et où je m'étais vue obligée de le remettre à sa place. Je n'aimais pas la haine aveugle. Que moi je l'ai détesté, j'en avais mes raisons, mais lui ? Je n'en voyais aucune.

Était-ce de la jalousie ? Cela se pouvait bien, pourtant, ce n'était pas le genre d'image que j'avais de Jake. Il ne me semblait pas quelqu'un de jaloux, de rancunier.

— Tu veux que je vienne te chercher après ton cours de journalisme ? Comme ça tu n'auras pas à prendre le bus ?

— Non, ça va. Ma prof est absente et je rentre donc à quinze heures. J'ai des choses à faire.

— Tu es certaine que tu ne m'évites pas, Liv ?

— Sûre et certaine, Jake, mentis-je.

Même si ça n'avait aucun rapport avec notre discussion de samedi dernier, mais plutôt à cause de tout ce qui se passait entre Cole et moi depuis ce jour-là.

Je me voyais très mal faire face à Jake et continuer à parler de Jayden comme avant, tout simplement, parce qu'il découvrirait le pot aux roses.

— Je te sens distante pourtant.

— Mais non, tentai-je de le rassurer en prenant un ton plus détaché. Écoute, je dois te laisser, j'ai mon prochain cours qui va bientôt commencer. On se voit un de ces quatre.

— C'est ça, ronchonna-t-il, pas du tout convaincu par mon speech.

Je raccrochai et respirai à plein poumons. S'il découvrait ce qui se passait entre Cole et moi, mon frère serait rapidement mis au courant et je me sentirais tellement mal, que je serais obligée de tout arrêter. Et pour le moment, c'était la dernière chose dont j'avais envie.

***

Après la fin des cours, trois minutes après que la cloche ait retenti dans tout le bahut, j'attendais patiemment Ivy, qui ne saurait tarder, près de la sortie.

Pour ce qui était de Cole, ce dernier avait deux heures de retenue, comme chaque jour de la semaine jusqu'à la fin de l'année, comme Mr Shepard le lui avait promis quelques semaines auparavant après s'être bagarré avec ce con en plein couloir. J'ignorais ce qu'il en était de l'autre imbécile, mais j'espérais vraiment que Jayden n'ait pas été le seul puni pour ses actes, même si au fond, ça ne m'étonnerait même pas.

Toutefois, j'ignorais quoi faire. Devais-je le prévenir que je finissais plus tôt à cause de l'absence de ma prof de journalisme ? Ou au contraire, faire comme si de rien était ? D'ailleurs, devais-je lui parler de la petite soirée que je prévoyais avec Ivy ? Si bien évidemment cette dernière obtenait l'approbation de ses parents.

Je regardai en cet instant mon portable tandis que le contact de Cole s'affichait sur l'écran. D'un côté, j'avais la sensation que si je ne lui disais pas, je faisais quelque chose de pas vraiment correct envers lui et d'un autre... je savais que je n'avais pas de comptes à lui rendre sur mes activités, ça ne le regardait pas après tout.

Finalement, je choisis simplement de lui écrire un texto en lui disant que je rentrais à la maison parce que mon cours de journalisme avait été annulé. Je n'attendais même pas de réponse de sa part et rangeai mon portable au fond de ma poche, sans vibreur.

Ivy apparut après quelques minutes supplémentaires, le sourire aux lèvres et en levant les bras en signe de victoire. Mais avant qu'elle n'arrive auprès de moi, Amber passa à ses côtés et la bouscula, la faisant se manger les casiers qui se trouvaient au niveau du couloir. Elle ricana comme la bécasse qu'elle était, suivie de ses deux clones qui avaient moins de personnalité qu'un caillou. La cheerleader traça sa route et au moment où elle arriva auprès de moi, je lui rentrai dedans, comme si elle avait été invisible. Et pour moi, elle l'était totalement. J'ignorais ce qu'elle avait à s'en prendre à mon amie sans aucune raison, mais ça commençait sérieusement à me gaver.

— C'est quoi ton foutu problème, Olive ?! gueula-t-elle.

Mais je ne pris même pas la peine de lui répondre, car comme j'avais déjà dit, pour moi, elle était invisible.

J'avançai ainsi vers Ivy et la saisit gentiment du bras avant de sortir du lycée, la tête bien haute lorsqu'on dépassa l'autre débile qui nous foudroyait du regard et fulminait sur place.

Ce n'était pas la première fois que je me posais de questions par rapport au comportement qu'Amber avait envers Ivyann. Certes, cette fille était une peste avec tout le monde, mais avec elle, ça prenait de sacrées proportions. Avec les autres, elle souriait par devant et critiquait par derrière, démontrant à quel point elle était hypocrite. Mais avec Ivy, les humiliations étaient publiques, aux yeux de tous. Cela devait avoir un quelconque lien avec leur amitié qui s'était brisée lors de leur entrée en secondaire.

— Mes parents sont d'accord pour que je passe la nuit chez-toi, m'informa-t-elle avec un énorme sourire.

Mais ses yeux, eux, étaient tristes. Elle avait beau vouloir faire semblant, je voyais parfaitement que ça n'allait pas. Afin de convaincre son entourage, il fallait tout d'abord sourire avec les yeux et non avec les lèvres.

— Tu leur as dit pour le faux travail ?

Elle hocha la tête alors que nous nous dirigions vers notre bus.

— Ils prennent les études vraiment très au sérieux. J'ai dû inventer sur le tas un sujet qu'on aurait dû travailler. Alors si jamais un jour tu croises ma mère ou mon père, tu leur diras qu'on avait un travail d'Histoire à faire sur le Débarquement en Normandie pendant la Deuxième Guerre Mondiale.

Je faillis éclater de rire pendant que nous montâmes dans notre transport et que nous longions le couloir afin d'aller nous asseoir à notre place habituelle.

On pouvait dire qu'elle avait pensé à tout. D'un côté, je trouvais ça amusant, mais d'un autre pas tellement en réalité. Cela voulait dire qu'elle craignait ses parents, voire avait même peur d'eux.

Derrière ce sourire enjoué et cette gentillesse qui lui étaient propres, la douce Ivy semblait cacher tout autant de secrets que moi. Elle n'avait pas l'air heureuse, même si un sourire arborait toujours ses lèvres et jamais, je ne l'avais entendue se plaindre de quoi que ce soit. Personne n'avait l'air de s'en rendre compte, mais moi, je la voyais vraiment.

— D'accord, acquiesçai-je enfin.

Le sourire qu'elle m'adressa était sincère, tout en elle l'était. C'était l'une des personnes les plus gentilles et bienveillante que je n'avais jamais connues. Pourtant, cachant moi-même des secrets, je savais reconnaître – dans la plupart des cas – les gens qui faisaient semblant et Ivy paraissait être encore plus douée que moi.

Le trajet en bus ne fut pas bien long. Nous descendîmes à notre arrêt habituel et continuâmes notre route à pied jusqu'à Eastridge Hills pendant plus d'un mile.

Mais en arrivant devant l'entrée de la zone résidentielle, là où se trouvait toujours le gars de sécurité, mes pieds refusèrent de bouger et ma respiration resta coincée en plein milieu de ma poitrine tandis que je me maudissais intérieurement.

Jake se trouvait tout juste devant moi, appuyé contre l'un des flancs de sa Camaro. Ivy, qui se trouvait à mes côtés, se raidit de tous ses membres et laissa échapper un hoquet de surprise alors que ses yeux s'écarquillaient et qu'elle me saisissait le bras. Se pouvait-il qu'elle connaisse Jake ?

Ce dernier, en me voyant, s'avança dans ma direction, l'air vraiment pas content du tout. Mais alors pas du tout !

— Tu connais ce voyou ? me demanda mon amie tout bas alors que le voyou en question n'était plus qu'à deux enjambées.

Lorsque mon protecteur fut en face de nous, il détailla Ivy de la tête aux pieds – comme s'il la scannait ou pouvait voir à travers ses fringues –, pour ensuite l'ignorer et se concentrer sur moi.

— Qu'est-ce que tu fais là ? finis-je par le questionner, mal à l'aise de le savoir là.

Cole pourrait arriver, je n'étais pas certaine qu'il accepte de faire ses heures de colle sans rechigner, et le découvrir là ! Nous aurions alors un très, très gros problème et c'en serait fini de moi !

— Je voulais te voir, étant donné que tu m'esquives ces jours-ci.

— Ce n'est pas le moment, marmonnai-je en lançant une œillade vers la jolie blonde qui m'accompagnait.

Mais il n'eut que faire de mon insinuation et continue comme si Ivy n'existait pas.

— Arrête de chercher des excuses et dis-moi ce qui te prend, parce que je ne comprends pas cette soudaine distance qui s'est installée entre nous.

Je levai les yeux au ciel et priai pour que mon amie ne se fasse pas d'idées quant à la nature de la relation que tous deux nous entretenions. Ainsi, je me tournai vers elle et lui dis :

— Attend ici.

Je pris Jake du poignet et l'obligeai à me suivre un peu plus loin, suffisamment pour qu'Ivy ne nous entende pas parler, en espérant qu'il ne se mette pas à brailler.

Il se résista un peu au début, ne cessant de toiser mon amie – que je sentais vraiment très mal à l'aise –, mais finalement céda en se comportant ainsi comme le gentil petit garçon qu'il n'était sans doute pas. Bien que cela fasse deux semaines désormais et que nous nous soyons vus ainsi qu'écris, il planait un mystère autour de lui que je n'arrivais pas à percer. Et cette manière qu'il avait de contempler Ivy, m'intriguait au plus haut point.

— T'es vraiment stupide, s'énerva-t-il en serrant les mâchoires et en empruntant une voix relativement rauque. Tu es amie avec la fille d'un flic, je t'applaudis !

Pendant quelques instants, je ne sus que dire, mon esprit bugga sur la dernière information qu'il avait entendue. Le père d'Ivy était... un poulet ?

Je tournai alors mon regard dans sa direction, elle ne cessait de nous contempler, l'air plus nerveuse que jamais. C'était définitif, elle connaissait bel et bien Jake. Mais de quoi ? Telle était la question.

— Tu connais Ivy ?

— Je connais son daron, un vrai taré ce type ! C'est lui qui m'a arrêté et fait croupir en taule pendant deux ans ! Il est malade, c'est un putain de raciste ! Il m'a fait plonger pour possession de cent grammes de coke alors que je n'avais que dix sur moi, Liv. Avec ton passif, tu ne devrais pas te frotter à cette gringa.

Bordel, ça me prenait complètement au dépourvu tout ça.

J'essayai de réorganiser mes idées, le fait que le père d'Ivy soit policier n'avait rien à voir avec elle. De plus, ce n'était pas comme si j'allais lui raconter tout ce qui était arrivé à L.A.

— C'est mon amie.

Jake me foudroya du regard et me saisit par les épaules pour me donner une bonne secousse, comme s'il cherchait à ce que je reprenne mes esprits.

— Ton amie était là le jour où je me suis fait arrêter par son paternel, elle a été témoin de la raclée que j'ai subie et cette garce, dit-il désormais en la regardant droit dans les yeux et en la pointant du doigt, a menti ouvertement au juge ! Ils ont donc décrété que je m'étais fait tabasser en cellule et non par son cinglé de père !

Il me lâcha et recula de deux pas, jusqu'à atteindre la carrosserie de sa voiture.

— Alors fait gaffe, car sous cet air innocent se cache une petite salope qui n'a aucun scrupule !

Désormais, Ivy entendait absolument tout et Jake ne faisait rien pour l'éviter. Au regard qu'il lui lançait en cet instant, j'en déduisais qu'il avait énormément de rancœur envers elle. Je pouvais comprendre qu'il soit en colère, mais j'étais certaine qu'il y avait une explication logique à ce qu'Ivy avait fait. Elle n'était pas ce genre de personne, je le savais de tout mon être.

— Calme-toi, Jake, essayai-je de relativiser. Ivy est vraiment quelqu'un de bien.

Il cracha par terre sans cesser de la foudroyer du regard.

— Permets-moi d'en douter. Conseil gratuit : ne lui fait pas confiance, elle te trahira.

Puis après avoir tué du regard Ivy une dernière fois, il ouvrit la portière côté conducteur, s'assit sur son siège, la referma et démarra sa voiture. Il faillit me frôler lorsqu'il mit la marche arrière, mais je ne bougeai en aucun cas, pétrifiée sur place. Après avoir fait crisser ses pneus sur le goudron, il décampa en faisant une sortie digne d'une course de rally et la Camaro disparut au coin de la rue. 

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Hey ! J'espère que ce chapitre vous a plu !

Dans ce dernier, on en apprend un peu plus vis-à-vis d'Ivy et de Jake, j'espère que cela vous intrigue 😉

On se retrouve mercredi prochain pour la publication du chapitre 61 et il s'agira cette fois d'un point de vue de Cole !

Je vous souhaite une bonne fin de semaine ainsi qu'un bon week-end !

Tamar 😘

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