Depuis mon échec avec mon interprétation de Shéhérazade, j'ai tourné trois nouvelles vidéos. Dans l'une, je jouais le personnage de Cendrillon et j'arborais une superbe robe bleue faite par les mains habiles de ma mère, couturière à ses heures perdues. J'avais aussi créé un décor de château derrière moi, avec un lustre doré, un rideau rouge et des portraits de rois et de reines imprimés sur Internet que j'avais suspendu sur le mur de ma chambre.

Dans la deuxième, j'étais la mère de Jack dans Jack et le haricot magique. Cette fois, j'avais troqué mes habits de princesse contre une tenue de paysanne et un tablier blanc sale et usé. J'avais l'impression de vivre dans une autre époque, c'était magique...

Enfin, dans ma dernière vidéo, j'étais la belle-mère de Blanche-Neige. J'ai joué une scène où elle interrogeait son miroir magique et j'avais pris avec bonheur un air jaloux et malsain quand il s'agissait de parler de la beauté de Blanche-Neige. Ce rôle me convenait parfaitement, car, comme vous avez pu le constater, je suis particulièrement attirée par les miroirs et le mélange de vérité et de mensonge qu'ils tentent de nous projeter dans notre reflet.

Et pourtant, malgré toutes mes longues préparations, où je faisais attention à chaque détail des costumes que je portais ou des décors devant lesquels je jouais, j'ai échoué. Comment se fait-il que mes vidéos ne plaisent pas au jury ? Qu'est-ce qui cloche ? Je fais pourtant tellement attention au soin de mes vêtements et de la décoration !

Je décide finalement de voir les vidéos de mes concurrents. Je me suis pourtant promise de ne jamais les visionner, pour ne pas avoir l'impression de les recopier quand je fais les miennes, mais je ne peux m'empêcher de vouloir connaître la recette gagnante de ces acteurs très chanceux. Je regarde la dernière performance de SamLy8, lauréate du concours de la semaine dernière. Je découvre avec stupéfaction qu'elle n'est ni déguisée, ni maquillée, ni coiffée comme la Petite Fille aux Allumettes, son personnage. Même le décor n'est pas travaillé. Elle s'est seulement filmée assise sur son lit, avec une boîte d'allumettes et un son de mauvaise qualité. Mais le texte... Il est tout simplement génial ! Je n'ai jamais entendu un dialogue aussi perfectionné et une voix aussi légère et agréable, aux sonorités graves qui peuvent monter jusque dans les aigus. Le rythme de ses paroles, lent et accrochant, est tenu avec justesse comme les vers d'une douce poésie ou les paroles captivantes d'une magnifique chanson. L'émotion que l'actrice transmet me donne des frissons et j'oublie tout : son survêtement de sport, son visage au physique d'adolescente de dix-sept ans, son lit et son mur où sont affichés posters de chanteurs et cartes où se mêlent des messages d'amour et des proverbes sur l'amitié. Je ne vois en elle que la pauvre Petite Fille aux Allumettes, dont la dernière allumette la réchauffera avant qu'elle ne rejoigne bientôt sa grand-mère au ciel.

"Oh,Grand-mère ! Ne disparais pas comme la flamme que produit ma dernière allumette ou celle de la cheminée qui réchauffe les familles heureuses en ce soir de Noël !"

Et la Grand-mère lui dit de venir avec elle au ciel, car il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre.

A ce moment, la vidéo prend fin et ce triste moment suspendu me laisse sous le choc, comme une histoire si belle que l'on voudrait qu'elle ne s'arrête jamais...

Carnet d'Esther

/!\ Si vous trouvez ce carnet, merci de le remettre à sa place, entre le classeur de SVT et le Journal d'Anne Franck, troisième tiroir en partant du haut du bureau /!\

2 juin 2017

Note : A partir du moment où le texte et l'interprétation accrochent, plus rien ne compte : ni les costumes, ni le maquillage, ni le décor...

Prochain défi : Réussir à faire une super vidéo, en rayant de ma liste les cases des trois éléments marqués ci-dessus !