Chapitre 17


J'étais entourée de blanc. Rien que de blanc. Et pas du blanc avec différentes nuances, non. C'était du blanc, point.

J'ai toujours aimé imaginer qu'après la galaxie, les planètes et les étoiles, se trouvait un immense univers blanc où flottaient les âmes des personnes mortes. Selon moi, les gens décédés n'allaient pas au ciel mais dans un monde blanc, situé à des milliard de kilomètres de notre galaxie.

Maman a toujours dit que j'ai de l'imagination...

Soudain, j'eus une terrible impression de vertige. Comme si ce blanc allait m'avaler, tel l'a fait la forêt quelques minutes plus tôt. Cette teinte me piquait les yeux. J'avais l'impression que mes iris bleues indigo se brisaient comme du verre fragile et que ma pupille brûlait intensément.

Étais-je morte ?  Étais-je dans l'univers que j'imaginais ? Je voulais retrouver la Terre. Je voulais de l'air, de l'oxygène, avant que je ne m'effondre.

Prise d'une sensation de malaise, je restais pétrifiée au milieu de ce monde, gardant mes yeux clos pour ne pas voir le sol tanguer sous mes pieds. Je savais que ce n'était que dans ma tête. Je savais que c'était la peur qui faisait ça. C'était lâche, d'avoir peur. Ça faisait peur, d'avoir peur. Je n'avais plus cinq ans. Mais, bon, puisque j'étais morte, je n'avais plus à me soucier de cela.

J'entendis des rires moqueurs. J'ouvris un œil et vis mes camarades de la Catégorie jaune. Tiens, eux aussi, ils étaient mort. Mais pourquoi rigolaient-il ? Ce n'était pas drôle ! Nous n'étions plus sur Terre, et cela les faisait rire ? Finalement, j'aurais préféré que le monde blanc ne contienne pas les âmes. Je n'aurais pas ressenti la pression qu'ils portaient sur moi.


***


J'ai encore honte de ma bêtise. Oui, j'étais vraiment folle, au moment où je suis arrivée ici ! Plus rien ne tournait rond, dans ma tête. J'étais littéralement plongée dans une crise de folie. Heureusement qu'Amy et les autres élèves m'ont sorti de ma "rêverie". Même si je ne suis pas très fière qu'ils m'aient vu comme ça, moi, Esther Duvinier, qui doit toujours garder sa dignité, même dans un état second.

Finalement, il n'y a pas que du blanc comme unique décor. Plus loin, en faisant quelques pas -qui semblent flotter dans le vide- nous retrouvons Mademoiselle Lys, entourée d'appareils que je n'avais jamais vus auparavant. Certains me rappellent cependant ceux qu'utilisent les réalisateurs pendant les tournages de leurs films. Au milieu de tous les appareils se trouve une petite scène en bois pas très haute. Et derrière elle, il n'y aucun rideau, aucun décor. Seulement un panneau noir.


Je me repasse encore la scène où j'ai appris qui serait mon personnage.


-Quelle nymphe vais-je jouer ? ai-je demandé.


-Elle n'a pas de nom, ni de texte. Vous ne serez qu'une simple figurante, a répondu ma seconde créatrice.


-Et moi ? s'est écriée Amy, d'une voix presque implorante.


Mademoiselle Lys n'a même pas hésité une seule seconde.


-Pareil.


Les figurants s'assoient sur des fauteuils entourant les appareils. La jeune femme fait répéter les élèves qui jouent les personnages principaux devant ce qui semble être une caméra. Je ne comprends toujours pas où je suis, ni ce que je suis censée faire, mais j'essaie de prendre le même air blasé qu'ont les autres.

Amy, assise à côté de moi, ressemble littéralement à un volcan en pleine éruption.


-Je ne comprends pas comment elle peut me faire ça ! grommelle Amy d'une voix rauque et pleine de rancune.


-Qu'est-ce que tu veux dire ? je m'enquiers.


-Tu as vu le personnage qu'elle m'a attribué ?


-Oui, c'est...


-Une nymphe ! me coupe Amy, comme à son habitude. Une stupide nymphe !


-Mais pourquoi es-tu autant en colère ? je tente de comprendre.


-Parce que je mérite mieux qu'être une simple figurante ! J'ai énormément de talent, je pourrais incarner une déesse ! s'écrie-t-elle comme si cela allait de soit, et je trouve ses paroles terriblement prétentieuses.


-Mais... Si tu n'interprètes pas un personnage aussi important, cela veut sans doute dire que Mademoiselle Lys pense que tu n'as pas encore les capacités...


Amy siffle tout en croisant les bras sur sa poitrine et nous restons silencieuses.


Mademoiselle Lys nous appelle. Les figurants doivent regagner l'espace de tournage.


Je suis complètement perdue. J'ignore ce que je dois faire, si je dois suivre les autres ou si mon personnage a des actions propres. Autour de moi, les élèves s'activent, règlent les appareils et jettent de temps à autres un coup d'œil à leurs textes.


Ma seconde créatrice remarque soudainement ma présence.


-Ah oui, Duviner ! Vous êtes nouvelle à Grimm, c'est vrai !


Elle se dirige vers Jason.


-Esther n'a encore jamais fait de seconde création. Pouvez-vous lui expliquer ?


Le garçon me regarde et son visage devient pâle.


-Euh... Vous êtes sûre ? bredouille-t-il, comme s'il se rappelait des moqueries qu'il avait tenues à propos de moi toute à l'heure.


-Mais oui, voyons ! râle la jeune femme. Expliquez-lui comment ça se passe, moi, je n'ai pas le temps !


L'adolescent recoiffe ses mèches rebelles du revers de la main et m'adresse un sourire faux tout en me faisant visiter le petit lieu dans lequel nous nous trouvons.


-Ici, ce sont les "effaceurs". Ils suppriment les couleurs des vêtements des acteurs, pour les changer dans la "machine à descriptions".


-Qu'est-ce que la "machine à descriptions" ?


-Dedans, on range tous les détails que nous achetons au Quartier littéraire.


-Les détails ? Comment ça ? Ils s'achètent ?


-Oui ! Bien sûr qu'ils s'achètent ! s'exaspère l'adolescent. Il y a des vendeurs de guillemets, de points finaux, de tirets, d'adverbes, de déterminants et même d'adjectifs ! Il suffit de se rendre au Quartier littéraire.


J'écarquille les yeux, ne comprenant pas un mot de ce qu'il dit. Je me retiens de lui demander ce qu'est le quartier littéraire.


Jason poursuit :


-Ici, ce sont les capteurs d'images, qui transmettent ce qu'ils voient à la Syxel.


Il m'interrompt quand il voit que je suis sur le point de lui demander ce qu'est la "Syxel".


-C'est la machine la plus importante. Elle change toutes les images en écriture, grâce aux machines de ponctuations, de descriptions, de verbes et d'autres éléments de vocabulaire et de grammaire.


-Puis, enfin, reprend-t-il, le texte est envoyé aux éditeurs, qui l'impriment et le publient.


Rectification : je ne suis pas perdue. Je suis complètement paumée.


-Bien, maintenant que tu sais tout, on peut commencer la seconde création ! me dit-il en regagnant ses amis le plus vite possible comme s'il voulait m'échapper.


-Une minute ! Où sommes-nous ?


Le garçon se retourne vers moi et ricane.


-Dans un livre, bien sûr !


Là, je n'arrive plus à trouver d'adjectif sur mon état présent. Finalement, j'espère que je suis morte. Tout cela ne peut pas vraiment exister. C'est impossible.


***


Sur le côté de la scène, j'attends mon tour. Je suis censée courir dans une forêt imaginaire à la poursuite de Narcisse et pleurer lorsqu'il me rejette.


-Tu veux savoir pourquoi les seconds créateurs ne m'attribuent jamais de bons rôles ? me dit Amy, qui attend elle aussi le moment où elle montera sur scène.


-Ouais, dis-je, imitant son air blasé.


-Parce que je n'ai pas le physique de l'emploi ! crie-t-elle, d'une voix particulièrement forte.


Et elle me laisse seule pour rejoindre la scène, éclatant d'un rire amer qui sonne incontestablement faux.


Carnet d'Esther

/!\ Si vous trouvez ce carnet, merci de bien le reposer dans le casier d'Esther, entre les piles de chaussettes et les jeans ! /!\

Note, remarque :

Pour la première fois, Amanda Whine m'a paru fragile...






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