-Grimm ? Non, je ne connais pas, affirme l'homme d'un air surpris.

-Vous êtes certain de ne pas savoir où cette école est située ? j'insiste.

-Écoutez, mademoiselle... J'habite ici depuis trente ans, me répond-t-il avec un sourire moqueur, qu'il tente de masquer derrière sa barbe blanche et fournie.

Et une quatrième personne qui me prend pour une folle. Suis-je folle, moi aussi ? Je commence à douter de l'existence de l'école.

Je repense aux préventions sur Internet que j'apprends au lycée. Et si mon inscription était une blague ? Et si j'étais trop naïve, comme quelqu'un qui entre toutes ses coordonnées sur des sites web sans même se soucier des conséquences ?

Je n'aurais jamais dû faire de l'auto-stop. Je sais très bien que je suis incapable de me débrouiller toute seule et parler à des gens que je ne connais pas n'est pas mon fort. C'était l'idée de Jeff. Il savait que ma mère n'accepterait jamais que j'entre dans la voiture d'un inconnu; c'est pour cette raison qu'il lui a promis de faire le trajet entier jusqu'à Grimm avec moi. Mais mon professeur de théâtre fait comme bon lui semble et mentir à la mère d'une de ses élèves ne le dérange pas, au point de me laisser courir de graves dangers. Que se passerait-il, si je faisais un malaise dans ce trou paumé ? Si des personnes indignes de confiance me laissaient entrer dans leur voiture ? Et si, en étant trop proche de la route, je me faisais renverser ?

Aussitôt, je me sens ridicule. Ridicule d'avoir perdu mon temps à faire des minuscules vidéos en pensant devenir une grande actrice. Ridicule d'avoir stressé ma mère tout l'été pour qu'elle accepte mon entrée à Grimm. Ridicule d'avoir fait confiance à Jeff et ne pas lui avoir posé plus de questions sur le mystérieux fait qu'il ait pu publier une vidéo de moi. Ridicule de chercher une école qui n'existe peut-être pas. Ridicule d'arrêter des personnes sur la route et les déranger pour avoir plus d'informations sur la région.

A quoi je ressemble, en cet instant ? Accroupie sur le bord d'une route paisible de campagne, mon jean tâché de boue et mes nombreux sacs suspendus aux clôtures d'un champs où me regardent des vaches d'un air curieux ?

Alors que je commence à perdre patience, une camionnette blanche se gare à mes côtés. Un adolescent descend et se poste devant moi, comme s'il avait l'habitude de croiser des adolescentes paumées, aux cheveux roux décoiffés et aux yeux prolongés par des cernes immenses et bleutées.

-Tu vas bien ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette.

Je lui explique la raison de ma venue dans cette région qui m'est complètement inconnue.

-Monte, je cherche le même endroit que toi. Je pense savoir où le trouver.

Il me tend la main. Ce geste de gratitude me réchauffe le cœur un court instant et je commence à croire en ce qu'il me dit. Je lui offre donc ma confiance en l'échange de son sourire radieux et franc qui s'étire jusqu'à ses oreilles.

***

Notre route est longue.

Je n'ose lui demander son nom. Cela pourrait paraître déplacé de lui poser des questions.

En revanche, lui ne s'en prive pas.

-Quel est ton prénom ?

-Esther. Comme les femmes mystérieuses qu'on voit dans les romans policiers.

-Quel âge as-tu ?

-Seize ans et trois mois.

-Qui sont tes amis ?

-Peut-être Cosette. Mais elle n'existe pas, alors je ne sais pas. Les gens ne m'aiment pas beaucoup. Ils me trouvent différente et très laide avec mes cheveux trop étranges. Et je suis d'accord avec eux.

-Pourquoi es-tu ici ?

-Pour trouver un sens à ma vie. Pour réaliser mon rêve.

-Quel est ton rêve ?

Je suis étonnée que l'on arrive si vite à des sujets aussi...secrets.

-Être une autre fille.

Cela peut paraître simple mais c'est vrai. Je suis encore plus étonnée par ma réponse.

-Quel genre de fille ?

-Une fille grande. Aux formes parfaites. Avec des yeux noirs de jais, si sombres qu'ils se fondraient dans la nuit. Et elle serait forte. Courageuse. Aimée. Et aimante.

Bon sang, Esther ! Tu déballes toutes tes pensées devant un inconnu ! Même à ta mère, tu ne dirais pas cela !

Le garçon se tait. Il m'adresse un regard compatissant, ce qui me fait aussitôt rentrer ma tête dans mes épaule d'un air gêné. Je lis dans ses yeux clairs beaucoup de sincérité et de respect. Il me respecte. Étrange mot à dire à mon sujet.

Au bout d'un certain temps, il chuchote d'une voix grave, comme pour lui-même :

-Désolé de te poser des questions aussi déplacées. Cela ne me regarde pas. D'habitude, je suis plutôt timide. Je voulais juste que nous fassions connaissance.

Je lui souris. Étrangement, je prends un certain plaisir à parler de ma vie, de mes envies, à ce garçon aux cheveux châtains et décoiffés. Après tout, évoquer à un parfait inconnu toutes les choses qui me sont restées bloquées dans ma gorge pendant toutes ces années de solitude me fait du bien. Il ne connait pas mon passé. Avec lui, je peux recommencer tout à zéro, lui donner une nouvelle image de moi.

-Au fait, je m'appelle Ethan... dit le garçon au bout d'un moment.

Je hoche la tête, heureuse de ne pas avoir eu à lui poser la question.

Je me détourne et observe les collines verdoyantes qui se mélangent aux champs de tournesols. Tous mes doutes et mon manque de confiance en moi doivent être laissés en arrière. Je ne serai plus cette fille triste et moquée. Si je trouve cette école, je serai plusieurs filles à la fois. Et j'apprendrai à leur ressembler. Car c'est ça, interpréter un personnage. Pour moi, c'est apprendre à ne plus être soi-même.

Et dans mon cas, c'est parfait.

***

Bonjour tout le monde !

Comme vous pourriez le constater, ces derniers chapitres publiés marquent le début de l'intrigue et vous n'allez pas tarder à y entrer. J'aimerais connaître votre avis sur "Si j'étais", avec les plus comme les moins, pour mieux me guider et ne pas me tromper car les scènes qui suivront seront plutôt importantes. Alors ma question est :

Y a-t-il du suspens, qui vous donne envie de poursuivre votre lecture ?

Je vous remercie encore énormément, pour tous les commentaires que vous m'écrivez et les votes ! Cela m'encourage beaucoup !! :)

Bises :*

Clémence Riviers