7
Mercenaires.
Tueurs.
Assassins.
Meurtriers.
Une infinité de synonymes déferla dans l'esprit de Shun, la laissant abasourdie. Des Mercenaires du Chaos, ceux qu'elle pensait ses ennemis, ceux avec qui elle s'entraînait depuis deux ans. Comment était elle censée réagir ? Cette simple révélation remettait en question des années de pratique, d'apprentissage et de compréhension du monde. — Parfois, il faut être capable de s'ouvrir à d'autres horizons , affirmait Salvarode dans son esprit. Ce n'était pourtant pas un autre horizon auquel elle se soustrayait.
Un univers, voilà ce qui aurait réussi à le décrire parfaitement. Une véritable galaxie mélangeant abysses et montagnes, pentes et montées, mensonges et vérités. Une véritable remise en question du monde, de la vie, de la mort et de ce qui s'ensuivait. Une trahison.
Elle se sentait souillée. Dans la fosse, deux autres apprentis froncèrent les sourcils, eux aussi étonnés par cette révélation incongrue. Étonnés ? Ce mot était bien en dessous de ce qu'ils ressentaient tous. Un brisement au cœur, une sensation de battement raté, le sang qui n'afflue plus aux veines.
Ils étouffaient.
Était ce cela, la cérémonie d'initiation de chaque apprenti ? Arrivaient il en pensant être Marchombres, avant d'obtenir comme choix de rejoindre le côté obscur ou de fuir à tout jamais ? Cette technique était exécrable, dégoûtante. Le fair—play semblait avoir disparu face à une technique lâche et volatile, dont personne d'autre n'aurait osé faire preuve. Le pire n'était pas la surprise, ni le mensonge. Le pire ? C'est qu'elle s'y attendait.
— Tu aurais pu utiliser plus de tact, tout de même. souffla Essindra à Nillem, sans doute prise de compassion face à la jeune apprentie. — Une révélation de la sorte...
– Lorsqu'on enlève un pansement, mieux vaut tirer d'un coup sec plutôt que laisser pourrir la situation. Il ne reste plus qu'à voir si la plaie cicatrise ou, à l'inverse, s'infecte.
– Malgré cette métaphore de folie, il n'empêche que tu aurais pu être plus doux.
Nillem acquiesça trop rapidement pour avoir réellement retenu la leçon, mais Essindra n'en tint pas vraiment compte. A vrai dire, ses paroles pseudo—réconfortantes s'adressaient plus au public qu'à l'homme à ses côtés. Comptaient ils continuer encore longtemps cette comédie absurde ? Cela fatiguait Shun. Les révélations trop importantes l'avaient épuisés, presque éteinte.
Rien ne la préparait à ce qui allait s'ensuivre.
— Sur cette révélation visiblement inattendue, nous allons devoir annuler la Rej'kah. Pour le cas d'Ellana, nous...
– Ellana ?
– Tu la connais ?
Impossible d'affirmer qui des deux avait crié le plus fort, mais ces hurlements réunis formaient sans doute un concerto à eux tout seuls. L'interrogation de Shun, au comble de l'étonnement, réunissant surprise et espoir mêlés à une once de nostalgie d'une époque prospère mais révolue. La réponse de Nillem, à l'inverse, rassemblait colère et haine sur un fond délicat d'amour refoulé, mal dissimulé. A ses côtés, le visage d'Essindra n'avait jamais paru aussi tendu, comme si le seul nom de la fille à la tresse parvenait à l'énerver. Il semblait régner entre les deux un climat de conflit guerrier, létal et destructeur.
— Bien sûr que je la connais, ce serait plutôt à moi de vous poser la question !
Les deux camarades s'échangèrent une œillade complice, détrompée par le sérieux de leur regard. Ellana, Nillem et Essindra étaient irrémédiablement liés, quoi qu'ils puissent en dire. Cela se voyait à des centaines de kilomètres à la ronde, comme on aurait pu se rendre compte d'un mirage étourdi le long d'une route. Étrange, mais plausible lorsqu'on y réfléchissais. Après tout, ils possédaient tant de secrets...
— C'est une longue histoire, concernant les Marchombres ainsi qu'une greffe accordée à une seule des deux âmes sœurs. répliqua nostalgiquement Nillem sous le regard soupçonneux d'Essindra. — Nous n'avons pas le temps d'en discuter. Toi, comment la connais tu ?
– C'est une longue histoire, concernant les basses cours d'Al-Far ainsi qu'un règlement de compte ayant mal tourné. répliqua Shun, le sarcasme à peine voilé. — Cependant, je n'ai pas non plus le temps d'en parler. Ou plutôt, qu'aurais—je à en dire ? Vous la connaissez sûrement mieux que moi.
– N'en sois pas si sûre. Personne ne la connaissais vraiment, ici. C'était un véritable mystère ambiant, un mirage...
– Excusez moi ?
L'intervention du sosie de Luffey – décidément, les deux se ressemblaient bien trop – stoppa Nillem dans ses divagations philosophiques. Son masque d'examinateur se remit tout de suite en place et lorsqu'il accorda la parole au jeune homme, toute trace d'égarement avait déserté son visage.
— Je ne connais pas du tout l'Helena dont vous parlez, mais... forcément, si vous en parlez, c'est qu'elle est dangereuse pour nous. Si elle nous menace, il faut se défendre, et pour se défendre, il faut d'autres combattant. Ne serait ce que dans cette salle, on est au moins trois apprentis. Et vous voudriez interrompre la Rej'kah, nous supprimant ainsi l'occasion de faire nos preuves ? Cela va dans le sens opposé de votre réflexion, mais bon... C'est vous qui voyez.
La tirade du garçon se termina par un sourire narquois, qui ne fit même pas remonter les lèvres du jury en une esquisse de rire. Ici, seuls les personnes importantes pouvaient donner des ordres – et, sans même le savoir, le garçon venait de briser l'une des règles d'or du Code des Mercenaires.
Si Nillem grimaça affreusement, Essindra tenta de passer outre.
— C'est vrai. A l'avenir, essaie toutefois de demander plus classement ? Je te préviens dans ton propre bien, crois moi.
Manière subtile de lui faire comprendre que ni lui ni elle ne toléreraient un autre écart de sa part. Le garçon acquiesça gravement. Il semblait déjà regretter son brusque accès de témérité.
— Que tous ceux voulant participer à la Rej'kah s'approchent pour un commencement imminent.
Le garçon sortit des rangs habilement, son éternel sourire se plaquant de nouveau sur ses lèvres. Visiblement, la leçon n'avait pas servie à grand chose. Il émergea ensuite deux autres apprentis, une jeune fille brune aux grands yeux effrayés et un garçon presque blasé.
Deux filles. Deux garçon. La parité parfaite.
Une fabuleuse harmonie qui n'attendait que de plonger dans le chaos.
— Êtes vous prêts ?
Un — oui collectif résonna dans toute la salle, porteur d'angoisses refoulées et d'impatience à peine voilée.
— Dans ce cas, nous pouvons officiellement déclarer la Rej'kah ouverte. Bonne chance à tous – et essayez si possible de rester en vie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top