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– Ainsi tu insinuerais donc les Marchombres réalistes et les Mercenaires du Chaos idéalistes. Toutefois, ne penserais tu pas qu'il en existe un plus défaitiste que l'autre ?
Shun fronça les sourcils, ne comprenant pas où Nillem voulait en venir. En écoutant son esprit, elle aurait voulut répliquer qu'à l'inverse, les Marchombres étaient tout sauf pessimistes quant à l'avenir des populations. Il faut dire qu'ils agissaient toujours dans l'ombre, plaçant leurs espoirs sur le dos de personnes mystérieuses, empêchant ainsi la destruction du monde tel qu'on le connaissait. Ils étaient des héros cachés, des chevaliers intemporels veillant au respect des lois et de la justice. Seulement, la jeune fille comprit dès le premier regard de l'homme que ce n'était pas du tout ce que celui ci pensait.
Et puis, si son esprit l'influençait vers des Merveilleux—Marchombres et des Mauvais—Mercenaires, son cœur chantait une autre chanson, mêlée de remords et de regrets, de doutes et d'incertitudes. Les leçon ambiguë de Salvarode lui revinrent en mémoire.
— La véritable liberté n'est pas sortir le soir et se prétendre contre le système, aussi attirant que cela puisse paraître. C'est être prêt à mourir pour ce à quoi tu tiens, pour tes objectifs, pour tes valeurs. La véritable liberté, on ne la possède pas;on se bat pour l'avoir. La véritable liberté, c'est toi. lui souffla son maître en mémoire.
— Eh bien... hésita Shun, à peine sûre de ce qu'elle allait affirmer. — Pour tout avouer, je n'en ai aucune idée. Les Marchombres partent du principe que rien ne peut changer car tout est déjà écrit à l'avance, et se repose sur des humains qui n'ont jamais souhaités être les porteurs d'un tel fardeau. Ils réfutent le changement en affirmant que cela n'apportera que misère et désolation sans même vouloir jeter un coup d'œil aux bénéfices que pourraient entraîner une autre organisation. Les membres qui ne sont pas de leur avis sont mal considérés, jugés. Les Mercenaires du Chaos, eux, sont ambigus. Ils affirment essayer de rendre le monde meilleure. L'idée est bonne, je l'accorde, mais les moyens utilisés pour le mettre en place sont tout simplement ignobles. Les meurtres, les homicides...
– Des Marchombres ou des Mercenaires, qui possède le plus de sang sur ses mains ?
– Directement, ou indirectement ?
– C'est à toi de juger.
Shun exhala. Un long soupir qui se répercuta contre les murs, la caverne et les esprits effarés. Les questions l'encombraient – ou, pour être plus juste, le champs des réponses possibles et imaginables qui se dressait devant elle lui donnait le vertige. Ne pouvait on pas lui donner des indices, une direction à suivre ? La laisser se débrouiller seule, sans qu'elle ne sache si elle avançait bel et bien, lui donnait le tournis autant que la frustrait.
— Vous ne pourriez pas m'aider, au lieu de répondre avec des affirmations préconçues ? Je ne sais même pas si ce que je raconte est juste.
– Si on t'oriente, cela te fera perdre ta capacité de déduction. Tu ne feras que répéter ce qu'on t'as dit, mais en moins bien. Nous voulons voir ce que toi, tu penses. Justement, qu'en penses tu ?
– Je n'en ai réellement aucune idée souffla l'apprentie énervée. — Tout le monde peut se reprocher des meurtres, même les Marchombres, surtout les Marchombres. Ils ont tués autant d'êtres vivants, voir plus, que tous ceux qu'auront jamais assassiné les Mercenaires, sauf que leurs assassinats sont masqués. Ils disent tuer des "méchants" pour la bonne cause, mais tout dépend du point de vue. Je dois aussi avouer que cela peut remettre en question toute une partie du monde. Seulement, ce n'est pas vrai, pas exactement du moins. Ce que les Marchombres reprochent à la Forêt Sombre, ce sont les meurtres, les massacres de sang froid.
Sa réponse parut satisfaire Nillem, qui enchaîna tout de suite sur un autre point. Shun comprit soudain son raisonnement. Les mots devaient couler de source. Il lui laissait juste assez de temps pour réfléchir, mais pas trop, afin de ne pas douter sur ces interrogations légitimes.
Quand la question suivante arriva, elle était prête.
— Tu as évoquée l'utopie. Je ne suis pas sûr que tout le monde ait compris ce dont tu parlais, ni que tu sois totalement au clair avec toi même. Comment pourrais tu définir ce mot ?
– On ne peut pas le définir. C'est une notion qui n'accepte pas de sens seul, un terme polémique car les phénomènes qu'il engendre sont immense.
– Tu l'aperçois comme le sens négatif du terme. Tu veux conserver la cité, disqualifier tout projet dépassant le futur. L'utopie n'est pas péjorative, tu sais. On peut aussi transformer la cité, la rendre meilleure, par des voies non pas meurtrières mais spécifiques, de manière à transformer le monde.
– A cela je ne peut répondre qu'une seule chose. Outopie. "Le lieu de nulle part". C'est d'ici que vient le terme d'utopie. Cela veut tout dire, non ?
– Oui et non. Outopie, c'est ce qu'en ont retenus les humains. Il existe une variante, un sens caché, que l'humanité tend à oublier de plus en plus vite afin de ne pas laisser les enfants se poser les questions correctes. Le sens premier, le véritable sens, c'est eutopie. "Tout est bien".
– Pardon ? Mais...
Le geste de Nillem stoppa instinctivement l'apprentie dans sa réplique.
— Tu vas dire que tu ne nous crois pas, que cela n'est pas ce qu'on t'a enseigné. Ces différences d'interprétation sont censées être toutes transmises aux enfants, afin qu'ils évitent le dogmatisme aveugle et la condamnation fanatique. Visiblement, ceci n'a pas été respecté. Cela ne m'étonne pas.
Premier silence, oppressant, mélange de haine et de regrets, d'envie de faire un monde meilleur refusé par des ennemis toujours plus forts, toujours plus puissants. Toujours plus aveugles.
— Les dernières répressions de l'utopie ont été meurtrières, dévastatrices. Tu voulais connaître mon point de vue ? Je considère les Marchombres comme des forces conservatrices, dévastatrices, qui réfutent le changement et refusent de surmonter les limites de 'insatisfactions de leur condition d''existence. Ils se disent libres mais sont en vérité enchaînés par leur pseudo libertés, leurs poèmes trompeurs et leurs propos mensonger. Enfermés dans leur résignations, tués par leur propre inaction, leur refus d'évolution les conduira à une triste perte qu'aucun de nous ne souhaite. Je vais être honnête avec toi.Tu es venue dans l'objectif de rencontrer des Marchombres. Tu t'es trompée.
Second silence, probablement le dernier. Shun a déjà comprit. La lutte, l'enjeu, et ce qui en résultera.
Désormais, elle ne se taira plus jamais.
— Ici, nous recherchons l'éveil du mythe, la réalisation de cette utopie dont tu nous vantes les mérites depuis tout à l'heure. On nous nomme plus communément Mercenaires du Chaos.
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