Short Story 5 - Le train de la mort
Il était exactement 18h34 lorsque le train pointa enfin le bout de son nez. Jimmy avait les mains dans les poches de son pull-over pendant qu'Aron observait les rails avec une expression stupéfaite. En effet, c'était la première fois que ce dernier voyageait en train. Sa bouche avait pris la forme d'un O et il balançait son corps d'avant en arrière comme s'il s'apprêtait à effectuer un saut périlleux.
– Fais gaffe ! l'avertit Jimmy. Si jamais tu tombais, tu serais condamné.
– Pourquoi ? demanda Aron en se tournant vers son frère, les yeux exorbités.
– Parce que ces rails sont comme des aimants, répondit Jimmy d'un ton docte. Dès le moment où tu les toucherais, tu y serais collés à tout jamais.
Aron recula, le visage glacé de terreur.
– Eh oui, ajouta Jimmy en hochant la tête de haut en bas. Apres cela, il ne te resterait plus qu'une chose à faire : attendre la mort.
Effrayer Aron était l'un des passes temps favoris de Jimmy. Lorsqu'il avait su que son petit-frère et lui devaient se rendre chez leur tante Michèle, il avait pensé que leurs parents les y conduiraient comme d'habitude ; mais grande fut sa surprise quand on lui annonça que cette année, qui coïncidait aussi avec son treizième anniversaire, ils s'y rendraient tout seul, comme des grands. Il voulait donc que leur voyage soit aussi terrifiant que possible afin que son petit frère puisse s'en souvenir jusqu'à la fin de ses jours.
Le train stationna. Les portières s'ouvrirent telles la bouche d'un monstre libérant tour à tour une panoplie d'hommes et de femmes, chacun allant dans sa direction.
– Allons-y ! dit Jimmy en prenant la main d'Aron et en l'entrainant vers l'une des ouvertures.
Ils entrèrent et bifurquèrent aussitôt vers la droite. Leur compartiment n'était plein qu'à moitié, ce qui convenait parfaitement à Jimmy. Il aurait toute la latitude d'imaginer comment ficher une peur bleue à son petit frère. Certains sièges étaient de couleur rouge, d'autres de couleur bleus.
– Asseyons-nous sur les bleus, proposa Jimmy.
– Pourquoi pas les rouges ? demanda Aron en pointant les sièges du doigt. Le rouge est ma couleur préférée !
Jimmy tourna lentement sa tête vers son frère, donna à son visage une expression qu'il voulait terrifiante, puis déclara :
– Parce que le rouge est la couleur du sang Aron. Et d'après ce que j'ai entendu, toutes les personnes qui, par malheur, s'assoient sur l'un de ces sièges, eh ben...
– Eh ben quoi ? demanda Aron, la gorge devenue soudainement sèche.
– Je préfère ne pas te le dire, répondit Aron en secouant la tête, les yeux fermés, feignant par cet acte la peur et le trouble qui le submergeaient.
Sa petite comédie fonctionna à merveille, car Aron, complètement terrorisé, courut vers l'un des sièges bleus et s'y assit promptement. Jimmy jubilait.
Les portes du train se refermèrent et la machine se remit en mouvement.
Jimmy se mit aussitôt à explorer du regard leur compartiment, à la recherche d'une personne intéressante dont il pourrait se servir pour tourmenter Aron. Il n'eut pas besoin de chercher longtemps.
En effet, juste devant eux, se trouvait un homme chauve, au teint aussi noir que les ténèbres. Les quelques cheveux qui peuplaient son crane étaient ternes, et semblaient être sur le point de prendre à leur tour la poudre d'escampette.
L'homme tenait dans ses mains une valise qu'il avait posée sur ses genoux. Il était vêtu d'une chemise blanche délavée et d'un pantalon marron. Ce fut la valise, particulièrement, qui attira l'attention de Jimmy. Dès qu'il la vit, il eut comme l'impression qu'une sueur froide coulait aussitôt sur son échine. Sa frayeur fut tellement grande qu'il en oublia même le projet machiavélique qu'il avait fomenté pour son petit frère.
Sans perdre de temps – car il avait appris que dans ces moment-là chaque seconde était précieuse – il se retourna pour repérer la seule personne qui, dans ce train, était capable de l'aider. Quand il l'eut trouvée, il murmura à l'oreille de son frère :
– Attends-moi ici. Je reviens tout de suite.
Arrivé auprès de la personne concernée, il dit :
– Monsieur le contrôleur, j'ai quelque chose à vous dire.
L'homme – brun, grand, avec une moustache épaisse – observa Jimmy avec intérêt, les sourcils froncés. Il n'avait jamais été interpelé de la sorte depuis qu'il occupait ce poste.
– Qu'y a-t-il jeune homme ?
Jimmy jeta un coup d'œil furtif vers le vieil homme avant de répondre.
– Je crois que ce monsieur là-bas, murmura-t-il en le pointant du doigt, transporte une bombe dans sa valise.
Le contrôleur faillit avoir une crise cardiaque à l'écoute du mot « bombe ». Il regarda Jimmy avec ahurissement. Il se demanda si le jeune garçon n'était pas en train de lui faire une plaisanterie. Mais Jimmy était on ne peut plus sérieux, et dans ses yeux brillait une lueur d'inquiétude.
– Une bombe ? répéta le contrôleur tout doucement. Qu'est-ce qui te fait dire cela ?
– Avez-vous entendu parler de cet homme qui récemment fit sauter un train, tuant ainsi la plupart des passagers ?
– Bien sûr. Cet incident a fait la une des journaux.
– Eh bien, continua Jimmy, dès que j'ai vu la valise de ce monsieur, j'ai eu un sentiment étrange. J'ai eu la certitude que la même chose était sur le point de se produire.
– Mon garçon, dit le contrôleur avec un air de reproche, tu as regardé trop de films policiers. Regarde un peu ce monsieur! C'est un vieil homme qui doit surement être en train de vivre ses derniers jours. Pourquoi ferait-il une chose pareille ?
– Je n'en sais rien, répondit Jimmy avec impatience. Pourquoi les gens font ce qu'ils font ? Pourquoi agissent-ils de telle ou telle manière ? Je n'en ai aucune idée ! Ce que je sais c'est que cet homme cache quelque chose, et c'était mon devoir de vous le dire.
Le contrôleur était face à un dilemme. S'il s'avérait que le garçon avait raison, il courait quand même de grands risques ; si au contraire, c'était une fausse alerte, il aurait dérangé un passager pour rien et il se retrouverait dans une position ridicule. Il pourrait même perdre son emploi !
– Bien, dit-il après quelques instants de silence. Je vais aller lui parler.
Sur ce, il commença à s'avancer vers l'individu indiqué par Jimmy, son cœur battant à un rythme irrégulier. Il arrangea sa casquette qui pendait un peu sur le côté et la remit à l'endroit. Le vieil homme, quant à lui, avait le regard perdu dans le vide, contemplant le beau paysage qui s'étendait devant lui. Il n'était pas encore 19h, mais le ciel avait déjà fermé ses yeux.
Lorsqu'il fut à son niveau, le contrôleur prit une profonde inspiration et dit :
– Bonsoir monsieur.
Le vieil homme leva les yeux vers lui.
– Bonsoir, répondit-il.
Sa voix était étrangement suave pour quelqu'un de son âge, ce qui fit grimper d'un échelon l'épouvante de Jimmy.
– Je suis désolé de vous déranger, mais je vais devoir vous demander d'ouvrir votre...attaché-case pour voir ce qu'il contient.
– Pourquoi ? demanda le vieil homme tout en gardant un visage de marbre. Il y a un problème ?
– Simple mesure de sécurité, répondit le contrôleur en priant le ciel qu'il n'ait pas à s'expliquer davantage. Il valait mieux pour lui qu'il fût le plus vague possible.
A sa grande surprise mais aussi à son grand soulagement, le vieil homme s'exécuta sans émettre une autre objection. Il ouvrit son attaché-case qui était de couleur bleu velours sous les yeux anxieux du contrôleur et de Jimmy qui avait discrètement regagné sa place. Aron observait la scène en silence, conscient que quelque chose de très important était en train de se produire.
Cependant, au grand dam de Jimmy, la valise était...
– Vide, dit le contrôleur, soulagé.
– C'est un cadeau pour mon fils, déclara le vieil homme d'un visage neutre. Que pensiez-vous qu'elle contenait ?
– Oh rien, rien, répondit le contrôleur, mal à l'aise. Je vous prie de m'excuser de vous avoir importuné.
Il se tourna ensuite vers Jimmy qui, rouge de honte, aurait voulu se trouver n'importe où sauf dans ce train. Ne pouvant exprimer sa colère avec des mots, de peur que le vieil homme ne l'entende, le contrôleur se contenta de lui lancer un regard noir puis partit sans lui accorder plus d'attention.
Le départ du contrôleur coïncida avec leur arrivée, ce qui constitua une énorme consolation pour Jimmy. Il avait horreur de passer pour un idiot, ce que son grand frère Quentin ne manquait pourtant pas de lui rappeler qu'il était.
– On est arrivé ? demanda Aron.
– Oui.
Pour Aron, c'était un vrai miracle. Il se leva rapidement, passa devant son frère en courant et alla se poster devant les portes du compartiment.
- He ! s'exclama Jimmy. Attends-moi !
Il se leva à son tour et entreprit de rejoindre son frère, mais à ce moment-là il sentit qu'on lui attrapait son bras droit. Il se retourna. C'était le vieil homme. Un large sourire trônait sur son visage, dévoilant des dents aussi jaunes que le soleil.
– C'est dommage, dit-il d'une petite voix pour que Jimmy soit le seul à attendre. Tu y étais presque.
Aussitôt il plongea sa main droite dans sa poche et en sortit un petit objet qui ressemblait à une seringue. Mais Jimmy savait que ça n'en était pas une car il y avait de petits boutons dessus.
– Lorsque j'ai vu que tu t'intéressais à mon attaché-case, j'ai su qu'il me fallait agir au plus vite. Quand tu t'es levé pour aller voir le contrôleur, j'ai profité de ce moment pour la placer dans ma poche.
Jimmy fixait le vieil homme avec une expression de surprise mêlée de terreur. Ses soupçons étaient donc fondés. Cet homme était un danger public, un danger qu'il fallait absolument stopper...
Mais alors qu'il était toujours perdu dans ses pensées, il se mit subitement à reculer, ses yeux toujours posés sur le vieil homme qui l'observait en souriant. Il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser que c'était en fait Aron qui était en train de l'entrainer de force vers la sortie. Lorsqu'il revint à lui, il était malheureusement déjà trop tard. Les portières du train étaient en train de se refermer.
C'était comme si on lui avait soudainement jeté un seau d'eau glacé sur le corps. Le vieil homme continuait d'afficher un sourire narquois alors que le train se mouvait, doucement d'abord, puis de plus en plus vite.
– Non ! s'écria Jimmy ! Arrêtez ! Que quelqu'un arrête ce train ! Arrê...
Il s'interrompit brusquement. Les personnes qui attendaient sur le quai l'observaient, certaines avec une curiosité polie tandis que d'autres semblaient penser qu'il était complètement paranoïaque.
Tout d'un coup, il n'était plus aussi sûr de lui. Ce vieil homme transportait-il vraiment un engin explosif ? Et même si c'était vraiment le cas, qui le croirait ? Il n'était qu'un jeune garçon de treize ans. On ne le prendrait certainement pas au sérieux. Que devait-il faire ? Aron vint interrompre ses pensées.
– Jimmy ! Qu'est-ce que tu fais ? Ils nous attendent !
– Ils ? répéta Jimmy en se tournant vers son petit frère.
En guise de réponse, Aron pointa du doigt des gens qui se trouvaient un peu plus loin. Sa tante Michèle leur faisait de grands signes de la main. Quentin était à ses côtés, observant ses frères avec un air qui signifiait clairement qu'ils ne lui avaient pas manqué du tout. Jimmy les avait complètement oubliés. Toute son attention était focalisée sur le vieil homme du train et sur son attaché-case.
A contrecœur, il résolut de suivre Aron, en dépit des sombres pensées qui remuaient dans sa tête. Ils étaient presque arrivés à leur niveau lorsque soudain...
BANG !
Il y eut une grosse explosion, et ce fut la fin du monde.
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