(UN)LUCK ME
「
stray kids
urban fantasy, strangers to friends
informations : l'univers s'inspire de celui de la série de his dark materials de philip pullman ; il a été écrit pour le défi littéraire de kimgoldessstories
」
Mauvais œil et malheur.
Ces mots s'accrochaient à Yang Jeongin comme une seconde peau. On avait commencé à le décrire de cette façon alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Il venait de souffler sa dixième bougie lorsque son daemon avait pris sa forme définitive : celle d'un sublime chat noir dont les yeux verts pétillaient de malice. Son existence tout entière avait changé ce jour-là. Adieu l'enfant prodige dont les parents ne cessaient de vendre les mérites à toutes les personnes qui croisaient leur chemin. Adieu Yang Jeongin et ces grandes choses abstraites auxquelles on le destinait depuis sa naissance. Bonjour au jeune adulte dont la seule mention du prénom faisait trembler d'effroi quiconque l'entendait. Bonjour au Yang Jeongin dont la vie se résumait désormais à fuir les œillades méfiantes de ceux qui remarqueraient son compagnon à quatre pattes.
« Jeongin ! l'interpela une voix qui résonna dans son esprit. Pars ici ! »
Sa capuche recouvrant ses cheveux noirs, Jeongin dirigea ses prunelles émeraude vers leurs jumelles. Assise sur une poubelle, sa queue se balançant de droite à gauche, son daemon l'attendait tapi dans l'ombre d'une ruelle. Les mains enfoncées dans ses poches et ses doigts serrant de précieux trésors, le jeune adulte se faufila entre les figures humaines et leurs daemons de toutes les formes. Il s'appliqua pour ne pas toucher le moindre corps. Pour se transformer en un grain de poussière, insignifiant et invisible à l'œil nu. Pour cesser d'exister durant quelques secondes. Personne ne devait remarquer sa présence. Personne ne devait entendre sa respiration. Les battements impatients de son cœur accéléraient à mesure que ses pas le rapprochaient du félin qui se camouflait à l'abri des regards.
« Au voleur ! cria une femme dans son dos. Au voleur ! C'est le chat noir ! Au voleur !
— Merde, pesta-t-il entre ses dents. »
Les êtres humains et leurs animaux parlant s'agitèrent autour de lui. Une énergie nouvelle s'empara de leurs corps et leurs mouvements chaotiques débarrassèrent Jeongin de son invisibilité. Dans les yeux qui se posaient sur lui se mélangeaient méfiance, colère et peur. Ils savaient. Ils savaient tous que son aura irradiait de cette malchance qu'on associait aux chats noirs. La panique anima leurs membres et ils firent des pas de côtés comme s'il était atteint d'une maladie incurable.
« Je ne risque pas de vous transmettre mon mauvais œil, pensa-t-il. »
Les murmures se propagèrent dans la foule comme une épidémie mortelle et ils se transformèrent en d'assourdissantes accusations. Feulements, grondements et autres cris d'animaux s'abattirent sur lui comme de terribles critiques. Puis vinrent ces aboiements que Jeongin ne connaissait que trop bien. La cadence de ses pas s'accéléra par instinct. Il parvint à rejoindre la ruelle où l'attendait le chat noir quelques secondes avant que deux immenses bergers allemands ne se lancent à sa poursuite. Pourquoi ne les avait-il pas remarqués plus tôt ? Leur présence annonçait celles de deux policiers.
« Cours ! cria-t-il au chat noir alors qu'une mâchoire puissante s'ouvrait dans un aboiement sonore dans son dos. »
Sa capuche quitta ses cheveux noirs alors que ses jambes accéléraient. La plante de ses pieds frôlait à peine l'asphalte et contournait avec adresse les obstacles jonchant sa route. Le félin au pelage noir le précédait de quelques mètres. Il bondissait au-dessus des poubelles abandonnées dans l'étroite ruelle. Ses yeux verts analysaient son environnement à la vitesse de l'éclair. Jeongin le suivait à la trace et il cherchait à ignorer les grondements qui se répercutaient contre les façades derrière lui.
Puis l'animal aux poils noirs comme une nuit sans étoiles s'engouffra dans un chemin étroit entre deux maisons. Jeongin ne douta pas une seule seconde de son daemon et il s'engouffra dans l'interstice exigu qui séparait les deux façades. Il ne rencontrerait aucune difficulté pour se glisser entre eux. Les deux énormes chiens s'arrêtèrent à l'entrée de la ruelle. Leurs corps tendus dans sa direction attendaient un ordre qui les autoriserait à bondir dans sa direction. Deux hommes habillés d'un uniforme austère — il n'y avait aucun doute sur leur statut de policier — apparurent derrière eux. Leurs lèvres s'étirèrent dans un sourire carnassier alors qu'ils remarquaient sa présence dans l'ombre du chemin.
« Rends-toi, foutu chat noir ! lui ordonna un policier aux visages couverts de cicatrices plus ou moins récentes. »
Jeongin répondit à son injonction par un sourire malicieux. Ils étaient bien naïfs de penser qu'il se rendrait sans opposer la moindre résistance. Jeongin savait comment on traitait les chats noirs. Le jeune adulte adressa un coup d'œil à son daemon. Ce dernier s'apprêtait à bondir sur ces tuyaux qui traversaient la ville. Il attendait le moment parfait. Un aboiement résonna dans la ruelle, annonçant que les deux policiers perdaient patience. Il n'en fallut pas plus pour que les pattes arrière de l'animal le propulsent sur les canalisations. Jeongin s'empressa de l'imiter. Les policiers et leurs daemons canins ne possédaient pas assez d'agilité pour s'inventer équilibriste. Un sourire victorieux étirant ses lèvres, Jeongin tendit ses majeurs en direction des deux hommes et il s'empressa de rejoindre le chat noir qui s'éloignait.
« Ils vont nous retrouver, remarqua l'animal en jetant un coup d'œil aux silhouettes furibondes qui rétrécissaient à chacun de leurs pas. Il ne pleut pas et ils ont assez de flair pour nous suivre à la trace.
— Tu es bien défaitiste aujourd'hui. »
Le chat noir posa ses yeux sur lui. Jeongin lut un mélange de reproches et d'inquiétude dans la mer d'émeraude. Son daemon n'aimait pas lorsqu'il se montrait insolent envers des personnes qui le pourchassaient. Ça finissait toujours par se retourner contre eux. Le jeune adulte en avait conscience, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. L'arrogance et la rage s'érigeaient comme unique bouclier contre cette ostracisation qu'il n'avait jamais demandée. On fuyait les chats noirs comme la peste de peur de se retrouver sous ce mauvais œil qui collait à leur image. Jeongin l'avait remarqué à la dure quand il avait remarqué ses affaires dans des cartons et les visages de ses parents qui lui intimaient sans un mot de quitter cette maison dans laquelle il avait grandi.
« Ils ne monteront jamais, admit le chat. Mais on ne peut pas rester là indéfiniment. »
Les deux policiers et leurs daemons canins se trouvaient si loin que leurs silhouettes avaient disparu. Le chat noir s'arrêta. Sa queue se balança de droite à gauche alors qu'il observait son environnement à la recherche de potentielles menaces. Aucun danger ne semblait les attendre alors il s'assit sur le large tuyau. Jeongin l'imita. Ses jambes pendaient dans le vide. Il ne risquait pas sa vie en chutant de cette hauteur, mais il prenait le risque de se blesser. Le jeune adulte plongea ses mains dans les poches de son gilet et il en extirpa le trésor pour lequel ils l'avaient pourchassé : une miche de pain dur. Un gargouillement sonore provoqua les vibrations de son ventre et un miaulement affamé échappa à son daemon.
« C'est toujours moi qui m'occupe des tâches compliquées, bouda-t-il en cassant le pain avant d'en offrir la moitié à l'animal. T'es pourtant plus discret que moi, Mong.
— Tu as des mains, remarqua-t-il. Tu peux attraper plus de trucs. »
Aucune réponse ne compléta les mots du daemon. Jeongin se devait bien d'admettre qu'il avait raison. Si Mong s'occupait de subtiliser de maigres repas aux marchands, il faudra des dizaines d'expéditions supplémentaires pour qu'ils puissent se remplir l'estomac. Le jeune adulte dégusta chaque miette de pain comme s'il découvrait une assiette luxueuse d'un restaurant étoilé. Ils n'avaient rien avalé d'aussi consistant depuis plusieurs jours. Son vendre gronda de contentement. Il resta creux lorsque les dernières miettes de mies disparurent. Un long soupir s'échappa de ses lèvres.
« Je donnerai tout pour manger quelque chose de sucré, espéra-t-il.
— Ou du thon. »
La voix rêveuse de son daemon lui arracha une grimace. Ils souffraient tous les deux de la faim. Tout ça parce que personne ne se risquait à approcher les chats noirs. On refusait de leur sourire. On refusait de leur offrir le moindre travail. Jeongin n'avait plus de lit confortable à rejoindre depuis que ses parents l'avaient chassé. Il n'avait sa place nulle part.
Comme si la météo s'accordait aux maux de son esprit, les nuages pleurèrent une pluie fine sur la ville. Les gouttes se transformèrent en des diamants humides dans le pelage sombre du daemon et dans les cheveux noirs de Jeongin. Le félin feula de mécontentement et reprit sa route. Le jeune adulte se redressa avant de le suivre. Il ne savait pas vraiment où ils se rendaient. Son minuscule appartement se trouvait trop proche de la place. Y retourner signerait son arrestation. Alors ils marcheraient jusqu'à trouver une solution. La semelle usée de ses chaussures glissait sur le métal des tuyaux. Il remercia sa malchance de lui avoir fourni l'agilité d'un félin. Il avait toujours un peu de chance dans sa poisse. Le jeune adulte risqua un regard en direction de la ruelle où ils avaient abandonné les policiers et leurs daemons canins. Au moins la pluie disperserait leurs odeurs et ils finiraient par perdre leur trace.
Jeongin ignorait combien de temps ils avaient déambulé sur les tuyaux surmontant la ville. Il savait seulement que la bruine s'était transformée en une pluie diluvienne. Il peinait à conserver son équilibre. Mong le devançait de quelques pas. Il marchait avec plus de lenteur et son corps paraissait plus lourd que jamais. Ils allaient tous les deux s'enrhumer s'ils continuaient ainsi. Ils devaient trouver un endroit où s'abriter en attendant que l'averse se calme. Alors que ses yeux cherchaient un abri où ils pourraient passer quelques heures, son pied buta contre une irrégularité du tuyau. Il perdit l'équilibre. Son corps bascula dans le vide. La voix du chat noir appelant son nom sonna dans son esprit avant qu'il ne perde connaissance.
***
Quelque chose d'humide et chaud parcourut son visage. Une fois, deux fois, trois fois, puis trop de fois pour qu'il ne puisse vraiment les compter. Un gémissement plaintif s'échappa de ses lèvres alors qu'il bougeait la tête pour échapper à cette sensation désagréable. Ses sens se réveillèrent. Une voix masculine fredonnait avec bonne humeur un rythme qu'il ne connaissait pas. Une couette douce enveloppait son corps comme une seconde peau. Son nez capta les effluves d'un parfum sucré qui provoqua la salivation de sa bouche pâteuse. Ses paupières lourdes se soulevèrent avant de se fermer tout aussi vite en réponse à la luminosité insoutenable de la pièce. Il répéta cette action plusieurs minutes, jusqu'à ce que sa vue se soit adaptée à l'environnement inconnu qui se dévoilait sous ses yeux.
La première chose qui apparut dans son champ de vision prit la forme d'une truffe si proche de ses yeux qu'il ne parvenait pas à deviner l'animal à laquelle elle appartenait. Jeongin eut un brusque mouvement de recul avant de découvrir un chien aux longs poils crème dont la langue pendait de sa bouche. Il se trouvait assis à quelques centimètres de lui et sa queue s'écrasait contre le parquet de la pièce avec une puissance qui délogeait la poussière. Le jeune adulte extirpa une main de son cocon douillet et il passa son avant-bras sur son visage. Le chien l'avait visiblement réveillé en léchant sa peau. Ses yeux émeraude se portèrent derrière l'animal à poil long. Mong se trouvait sur une table en bois. Il dégustait avec appétit ce qui ressemblait à du poisson frais dans une coupelle. Un illustre inconnu se tenait debout à quelques pas de son daemon. Des cheveux blonds descendaient sur sa nuque et suivaient les mouvements de sa chorégraphie improvisée. L'odeur de sucre qui inondait la pièce provoqua le grondement de son estomac. Ce bruit soudain attira l'attention de l'inconnu qui tourna la tête dans sa direction. Jeongin ferma aussitôt les yeux dans l'espoir qu'il ne remarque pas son réveil.
« Je sais que tu ne dors plus. »
Son rire chaleureux l'enveloppa comme le cocon qui lui servait de couverture. Jeongin souleva les paupières et il se risqua à croiser les yeux de l'homme qui se trouvait de l'autre côté de la pièce. Entre ses mains se trouvaient un plateau où un gâteau meringué recouvert de crème fouettée et de fruits frais. Du sucre glacé mouchetait son visage. Il posa le plat au centre de la table et il l'invita à le rejoindre. Jeongin hésita un bref instant, mais un nouveau gargouillement sonore fit fondre ses dernières réticences. Les couettes toujours enroulées autour de son corps, il se traîna jusqu'à une chaise sur laquelle il se laissa tomber. Ses muscles ankylosés lui faisaient souffrir le martyre. Mong posa ses orbes verts sur lui et Jeongin y lut cette inquiétude familière à son daemon. Le chien l'avait suivi à la trace comme s'il cherchait à le soutenir et il rejoignit l'inconnu dès qu'il s'installa sur sa chaise.
« Qu'est-ce que c'est ? demanda Jeongin en désignant le gâteau lorsque l'inconnu lui tendit une assiette.
— Une pavlova, répondit-il dans un sourire. C'est ma spécialité. »
Jeongin planta une fourchette incertaine dans le dessert avant de refermer sa bouche autour d'elle. Le sucre ravit ses papilles et sa faim. Il engloutit sa part sous le regard amusé du cuisinier qui lui servit une nouvelle part dès qu'il eut terminé la première. Jeongin la dégusta cette fois-ci ; lentement pour savourer chaque nouvelle bouchée. Les yeux ambrés de l'inconnu ne le quittèrent pas une seule seconde et ses lèvres s'étirèrent dans un sourire amusé lorsque des gémissements ravis échappaient au jeune adulte. Ce dernier sentit ses joues rougir alors que Mong détaillait leur hôte pour savoir s'il représentait une quelconque menace.
« C'est rare de rencontrer un chat noir. »
Aucune émotion particulière n'animait sa voix. Il constatait quelque chose. Il annonçait un fait que tous connaissaient. Il aurait pu tout aussi bien affirmer que le ciel menaçant annonçait une pluie proche ou affirmer que mettre la paume de sa main sur une poêle encore chaude présageait un risque de brûlure. Jeongin ne pouvait pas vraiment nier ses propos. Les chats noirs se montraient rares. On ne les croisait pas souvent. On ne leur accordait pas d'attention. Même lui n'avait pas souvent rencontré d'autres chats noirs. Leur présence annonçait un malheur auquel tous souhaitaient échapper alors on détournait le regard dès qu'on apercevait un daemon aux allures de chat noir.
« On ne peut pas dire qu'on fasse attention à nous, cracha Jeongin. On nous fuit comme la peste la plupart du temps. »
Les traits de l'inconnu s'affaissèrent dans une expression que le jeune adulte n'avait pas observée depuis que son daemon s'était figé dans sa forme féline. Dans ses yeux miel brillait une peine sincère. Jeongin s'était accoutumé à la méfiance et au dégoût que sa présence représentait. Ses muscles se tendirent instinctivement, comme si un sentiment compatissant évoquait quelque chose de dangereux. Les poils de Mong se hérissèrent et un feulement féroce lui échappa en écho avec les réactions de son corps. L'inconnu esquissa un sourire attristé et son daemon canin gémit de mécontentement. Ses oreilles baissées et ses yeux brillants, il paraissait presque malheureux de cette agitation soudaine. Jeongin bondit sur ses jambes et il s'éloigna le plus possible de la table.
« Tu peux garder ta pitié pour toi, s'énerva-t-il. Je n'en veux pas !
— Je...
— Pas la peine de gaspiller ta salive, le coupa Jeongin. »
Le jeune adulte parcourut la distance qui le séparait de la porte du logement. Sa main flotta quelques secondes au-dessus de la poignée comme s'il attendait que l'inconnu aux cheveux clairs l'empêche de prendre la fuite. Mais rien ne vint. Il resta immobile et silencieux. Un miaulement impatient échappa à Mong. Ses doigts se refermèrent autour de la poignée puis son poignet l'abaissa. Il ouvrit la porte et une pluie torrentielle apparut de l'autre côté de l'embrasure. Une grimace déforma ses traits. Il détestait la pluie.
« Tu peux rester ici, proposa l'inconnu dans son dos. T'es pas obligé de m'adresser la parole. Tu peux même faire comme si je n'existais pas en attendant que le temps ne se calme. »
Mong se glissa entre ses jambes et il attira son attention par un miaulement plaintif. On reste. Ses prunelles émeraude l'imploraient de ne pas s'aventurer sous la pluie battante. Jeongin n'avait pas la force ou le courage de s'opposer à la volonté de son daemon. Il avait moins envie de prendre la fuite que de marcher sans but sous l'averse. Il rabattit la porte. Satisfait de sa décision, l'inconnu lui adressa un sourire chaleureux qui ne fit qu'accentuer la grimace de Jeongin. Il jeta un bref regard plein de rancune à son daemon qui bondissait au cœur des couvertures abandonnées sur le matelas. Ses muscles restaient tendus comme s'il apprêtait à bondir sur quiconque l'importunerait.
« Pendant que j'y pense, prononça l'inconnu d'une voix amusée. Je m'appelle Seungmin. »
Le regard menaçant du jeune adulte ne parut pas le déstabiliser plus que ça. Il ne se détachait pas de ce sourire en coin qui annonçait sa victoire. Il trouva même l'audace d'émettre un ricanement amusé en réponse à sa mine renfrognée.
« Jeongin. »
Il n'avait pas l'énergie pour prononcer plus de mots, encore moins pour se présenter. Cela lui demanderait des efforts qu'il n'avait pas envie d'investir dans une discussion avec quelqu'un qu'il ne croiserait plus jamais. Il se traîna vers le cocon où son daemon s'était enroulé et tira avec une délicatesse sur l'une des couettes. Mong souleva un œil qu'il referma aussitôt. Le chat noir était plongé dans un demi-sommeil que le moindre danger chasserait. Jeongin s'emmaillota dans la couette et il se laissa tomber sur le matelas duquel il s'était réveillé. Le corps recouvert des pieds au nez, le jeune adulte observa Seungmin et son daemon de l'autre côté de la pièce.
Le garçon aux cheveux blonds ne se détachait de son sourire radieux qu'à de rares instants et son daemon canin bondissait de droite à gauche avec une énergie qui le fatiguait alors qu'il était allongé. Seungmin répondait parfois à voix haute à la discussion mentale qu'il entretenait avec le chien. Jamais l'allégresse ne quittait son corps et Jeongin ne put s'empêcher d'éprouver une pointe de jalousie. Les golden retrievers se faisaient des amis partout. Ils étaient acceptés de tous et tous souhaitaient lier un lien avec eux. Jeongin ne faisait pas exception. Son corps lui hurlait de rejoindre cette bulle de bonheur, mais son esprit lui hurlait qu'ils n'étaient pas différents des autres. Seungmin et son daemon n'avaient rien de différent avec toutes ces personnes qui fuyaient les chats noirs.
« Ils m'énervent à s'amuser comme ça, pensa-t-il.
— Ils ont peut-être de bonnes intentions, tenta de le rassurer la voix de Mong.
— La dernière fois que des personnes nous ont approchés avec de bonnes intentions, on a terminé dans un sale état. »
Une larme solitaire traça un sillon invisible sur la tempe du jeune adulte dont les souvenirs douloureux s'éveillaient. Il avait trop donné sa confiance à des personnes qui ne la méritaient pas. Trop de personnes avaient tenté de savoir si les chats noirs attiraient le mauvais œil en l'approchant. C'était un défi lorsqu'il était au collège. Ses camarades de classe l'approchaient et laient des amitiés factices avec lui. Des amitiés auxquelles il croyait avec ferveur. Des amitiés qui n'existaient que dans son esprit. Puis un des garçons qu'il pensait être son ami s'était cassé le bras en sa présence. Les véritables intentions des autres se réveillaient. Ils l'avaient insulté de tous les noms et frappé jusqu'à ce que ses côtes de se fêlent. Ses parents n'avaient pas daigné s'inquiéter lorsqu'il était revenu chez lui le corps et le cœur en miette. C'était un chat noir après tout.
Des sanglots agitèrent les épaules du jeune adulte. Le corps minuscule de Mong quitta son cocon pour se lover contre lui. La chaleur du corps de l'animal calma la douleur lancinante qui ne quittait jamais son cœur et les pleurs qui asséchaient ses yeux. Il capta les orbes ambrés de Seungmin fixés sur lui. Les derniers barrages à ses sanglots bruyants cédèrent. Il se sentait comme un enfant incapable de retenir ses larmes, comme ce garçon trop jeune que ses parents avaient mis de côté dès que l'apparence de son daemon ne leur avait pas plu. Les traits de son hôte se murent d'inquiétude, mais il n'amorça pas le moindre mouvement dans sa direction. Jeongin l'en remercia. Il n'avait pas besoin de recevoir encore plus de pitié. Un glapissement échappa au chien lorsque Seungmin l'empêcha de le rejoindre. Il secoua la tête de droite à gauche pour le dissuader de se précipiter vers lui. Comme s'il bouchait, l'animal s'allongea en travers du chemin de Seungmin qui ne put retenir un soupir entre l'amusement et le désespoir. Il se pencha pour passer une main sur sa tête blonde.
« Ne va pas le brusquer, prononça-t-il dans un murmure que Jeongin entendit à peine. Je ne veux pas le faire fuir. »
***
« Tu penses que tu pourrais m'aider un peu dans mon travail ? »
Ces mots avaient échappé à Seungmin quelques semaines après leur première rencontre. Le jeune adulte s'était pourtant promis de ne plus jamais croiser sa route, mais ses pas finissaient toujours par le conduire vers le logement de celui qui l'avait recueilli lorsqu'il cherchait du calme. Le daemon canin bondissait dans tous les sens dès qu'il apercevait sa silhouette et Seungmin esquissait ce sourire si communicatif qu'il peinait à ne pas lui répondre. Les barrières érigées autour de son cœur se fragilisaient par l'assaut constant des discussions et des rires. Jeongin appréciait sa présence plus qu'il ne se l'avouerait jamais et Mong ne semblait plus se plaindre des constantes demandes d'attention du golden retriever. Il se contentait de l'ignorer lorsqu'il l'ennuyait. Jeongin avait appris que le chien au pelage clair s'appelait Sonä et que sa forme s'était figée plus tard que les autres daemons. Seungmin avait presque quinze ans à l'époque et il se souvenait à peine de cette époque. Il se souvenait seulement de cette sensation d'avoir un avenir incertain et Jeongin avait envié cette idée d'avenir changeant.
« Tu fais quoi comme travail ? »
Seungmin cuisinait. Il cuisinait beaucoup et s'était spécialisé dans la pâtisserie. La curiosité avait poussé Jeongin à accepter la proposition. Ils se retrouvaient presque tous les jours dans une pâtisserie branchée de la ville où des clients venaient de la région entière.
***
Yang Jeongin se tenait debout dans la cuisine attenante à la pâtisserie lorsqu'un client pénétra dans l'établissement. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour remarquer le félin au pelage noir allongé contre la porte. De la farine décorait son visage et ses cheveux quand il entendit un hoquet de stupeur d'une personne de l'autre côté de la porte. Il connaissait ce son par cœur. Il le connaissait depuis qu'il avait soufflé sa dixième bougie. Sa gorge et son estomac se nouèrent sous le coup de l'angoisse alors qu'il observait la scène depuis la minuscule fenêtre de la cuisine.
Un homme d'une soixantaine d'années aux cheveux grisonnants observait Mong avec une angoisse palpable et la souris perchée sur son épaule se précipita vers la poche de son long manteau pour se protéger du danger que le félin représentait.
« Que fait un chat noir dans une pâtisserie ? »
Ces mots suffirent à réveiller Mong. Il se redressa sur ses pattes comme si son petit corps avait été parcouru par une décharge. Jeongin pensa qu'il aurait eu moins mal de recevoir un coup de poignard dans le cœur. Plusieurs semaines s'étaient écoulées sans qu'il n'entende une seule fois cette méfiance.
Elle semblait s'être effacée. Il avait l'impression d'avoir trouvé sa place. Ses yeux verts passaient de la silhouette silencieuse et immobile de Seungmin dont les traits du visage lui paraissaient à jamais invisibles à celle du client terrorisé de l'autre côté du comptoir. Son sang bouillit dans ses veines. Il avait été naïf. Il avait cru trouver une personne qui ne se focalisait pas sur l'apparence de son daemon. Il poussa la porte de la cuisine et celle-ci percuta le mur dans un fracas qui fit trembler les pains qui s'alignaient contre le mur. Un mouvement de recul parcourut le corps du client alors que Jeongin franchit la distance qui le séparait de la porte. Mong marchait dans ses pas. Le battant se referma sur Seungmin appelant son nom.
L'averse alourdit ses vêtements alors qu'il déambulait dans les rues. Les passants s'écartaient sur son passage comme s'il était atteint d'une maladie contagieuse, comme s'il représentait un danger pour les autres. Sa malchance risquait de les atteindre. Seungmin pouvait aussi devenir la victime de son mauvais œil. Il pouvait faire couler son commerce par sa simple présence. Pourtant il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir mal. Il s'était promis de ne plus s'attacher à personne. Ils finissaient tous par le blesser ou il finissait par les blesser eux.
Alors qu'il marchait sous la pluie et que l'eau s'infiltrait par la semelle de ses chaussures, le jeune adulte se rendit compte que la présence du pâtissier avait comblé ce triste vide qui l'habitait depuis quelque temps. Ils étaient devenus amis. Ils avaient ri. Ils avaient parlé de tant de choses qu'il ne se souvenait plus de la majeure partie d'entre elles. Il avait dormi sur un canapé moelleux et pas dans cet appartement miteux dans lequel on le laissait vivre par pitié. Ses larmes se mêlèrent aux gouttes. Il se sentait seul pour la première fois depuis plusieurs semaines.
« Je me sens minable, pensa-t-il en s'abritant sous un porche dans une ruelle déserte.
— T'es sûr que tu ne veux pas entendre ce qu'il pourrait te dire ?
— Si c'est pour entendre le même discours qu'on nous ressort depuis toujours, je préfère rester dans l'ignorance. »
Son daemon ne parut pas convaincu par ses mots. Il ne l'était pas non plus. Il avait beau se répéter que l'isolement ne le dérangeait pas, ses réactions prouvaient le contraire. Il se sentait vraiment comme un con. Il avait rêvé d'une amitié qui n'existerait jamais. Tout ça n'était rien de plus que de la poudre aux yeux. Et il avait été assez bête pour croire que c'était possible.
Jeongin s'engouffra dans une ruelle isolée et glissa contre un mur humide. Ses jambes se collèrent contre son torse où son cœur hurlait de douleur. Ses bras s'enroulèrent autour de ses mollets et son menton se logea entre ses genoux. Mong se glissa dans l'espace qui séparait son torse de ses cuisses. Il le réchauffa.
« Je suis désolé, murmura-t-il. Je suis tellement désolé. »
Ses excuses se répétèrent comme une litanie. Puis il crut entendre son prénom dans une ruelle. Il ignorait combien de temps il avait pu rester à demander pardon au monde entier. La pluie s'était calmée. Son daemon somnolait sans se soucier du monde qui les entourait. La voix répéta une seconde fois son prénom. Jeongin n'eut aucune difficulté à la reconnaître. Son corps lui hurlait de la rejoindre, mais il ne le pouvait pas. Il ne pouvait pas se perdre à cette seule inflexion qui lui faisait espérer une compagnie illusoire.
Puis la silhouette se détacha dans la ruelle. Ses cheveux blonds collaient à son visage et quelques gouttes s'échappaient de leurs pointes. Ses yeux ambrés s'animèrent en le remarquant recroquevillé contre le mur. Jeongin lut dans ses orbes un mélange de soulagement et de colère. Il franchit la distance qui les séparait par de grandes enjambées, Sonä lui emboitant le pas, et s'accroupit à son niveau. Il leva une main dans sa direction et s'arrêta à quelques centimètres de son visage. Jeongin ne parvenait pas à savoir si cet arrêt était motivé par la crainte de le brusquer ou la peur de toucher un chat noir. Un soupir s'échappa des lèvres de Seungmin et il combla la distance qui séparait la pulpe de ses doigts et son front. Il dégagea quelques mèches mouillées de son front et afficha un sourire rassurant comme Jeongin n'en avait jamais vu.
« Tu es un idiot, lui sourit Seungmin.
— Eh ! »
Ses prunelles miels brillèrent d'amusement en réponse à sa réaction et un léger rire quitta ses lèvres. Ses doigts parcoururent son visage, effaçant les traces de farine sur son visage ou suivant les sillons laissés par ses larmes sur ses pommettes. Jeongin sentit ses joues brûler sous son contact.
« Tu es un idiot, répéta-t-il. Tu es un idiot pour avoir pris la fuite. Tu es un idiot pour croire que la forme de ton daemon puisse me repousser. Tu es un idiot pour penser une seule seconde que tu ne mérites pas mon amitié.
— C'est facile pour toi, grommela Jeongin en chassant sa main. Ton daemon est un golden retriever. Tout le monde vous aime et vous aimez tout le monde.
— Et tout le monde se sert de cet amour qu'on a à donner pour leur propre bonheur sans se soucier du nôtre, compléta-t-il. Tout le monde sauf toi. Tu es mon ami, Jeongin. Et je refuse que tu penses que cela puisse changer à la moindre personne remarquant ton daemon. »
Ses doigts vinrent chercher la tête de Mong et caressèrent son pelage noir. Sonä s'avança vers lui et posa sa truffe contre sa joue. Jamais il ne s'était senti aussi entouré depuis que son daemon s'était figé. Seungmin se redressa et il lui tendit une main. Jeongin s'en empara lorsque son daemon quitta son cocon.
« Maintenant ça va être toi, moi, Sonä et Mong. On emmerde le monde et leurs préjugés parce que je ne me suis jamais senti aussi chanceux que depuis que je te connais. Deal ? il lui tendit son petit doigt.
— Deal ! sourit-il en entrelaçant leurs doigts. »
Ils marchèrent dans les rues pour rejoindre la pâtisserie. Des regards méfiants se posaient sur lui et son daemon félin. Jamais ils ne lui avaient semblé aussi insignifiants. Il n'avait pas besoin de leur avis. Il n'avait pas besoin de se sentir inclus auprès de toutes ces personnes qui se laissaient dominer par leurs préjugés. Il n'était pas seul. Seungmin se foutait de tout ça et tant qu'ils étaient ensemble, les autres pouvaient bien continuer à l'insulter.
« J'ai bien envie de manger une pavlova, suggéra-t-il.
— Je t'apprends à en faire dès qu'on arrive. »
comme je l'ai précisé en début d'os, j'a écrit cet os pour le défis de kimgoldessstories et je ne sais pas trop ce que j'en pense. je crois que je l'aime bien mais je suis vraiment pas sûre. ça a été un peu compliqué de me sortir de mon syndrome de la page blanche qui me suit depuis quelques mois. dans tous les cas, j'espère qu'il plaira à la personne à qui il est destiné.
je me suis rendue compte qu'il manquait une partie entière au milieu qui développait un peu plus leur relation amicale. je ne sais pas du tout où elle est et je vous avoue ne pas avoir le courage de la réécrire. sorry
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