Chapitre 35
Il s'est assis sur le banc de l'abribus, rien de plus.
Juste lui, et quelques souvenirs éparpillés à travers les âges.
Peut-on être imperméable au temps qui passe ?
Il se pose la question, quand il voit le monde courir, alors qu'il reste immobile, à attendre le bus pour rentrer chez lui. Il pense d'ailleurs être le seul, car il n'a jamais vu personne d'autre attendre ici.
Les jeunes cadres actifs, qui lui passent devant comme si il n'existait pas, les mères et pères de famille qui sont accompagnés de leurs mômes insupportables, les vieux, les mégères, ceux qui braillent pour rien, les sportifs qui luttnte contre le vent, les gens à trotinette, à skate, à roller, à pied...
Les adolescents et leurs questions.
Lui et sa mémoire.
Il doit être hors du monde, ou du moins, il voudrait l'être. Les secondes et minutes se décarcassent à passer, trop longues pour certains, et beaucoup trop vites pour d'autres.
Les aiguilles tournent, les battements de son cœur sont imperceptibles.
Il se demande si il est en train de mourir.
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Toujours assis sur le banc de l'abribus, mais ses journés ont maintenant un petit truc en plus.
Izuku, l'étudiant avec des taches de rousseurs, vient souvent lui parler, lui qui n'a rien demandé.
C'est amusant de l'entendre. On dirait qu'il ne sait pas s'exprimer, car il est en permanence gêné, ses mots lui pèsent tant à la bouche, se bloquent tant entre ses lèvres, que s'en est ridicule. Alors, parfois, il se tait, et son silence est doux. Doux comme une étreinte que l'on aurait longtemps attendu, et qui nous réchauffe jusqu'à l'âme.
On parierait qu'il est lui-même conscient de sa communication désastreuse, car ses yeux parlent, quand il ne dit plus rien. Il remplace les mots qu'il ne prononce pas, par des regards que personne ne comprend.
Et puis, Izuku chuchotte, aussi. Beaucoup. C'est à la fois effrayant, et... non, c'est juste effrayant.
Là, ses mots se pressent. Il débite des propos à la file, qu'il serait impossible de déchiffrer à l'oreille. Il écrit ses idées à toute allure, jusqu'en briser son crayon par inadvertance, à s'en crisper les doigts. Il note tout, parce qu'il a peur d'oublier. Et c'est cette peur de l'oubli qui lui donne cette hargne, dans son regard, quand les choses sérieuses commencent.
"Je n'oublierai personne !"
Les gens passent toujours devant lui, sans le remarquer. C'est normal.
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Encore sous l'abribus, et Izuku souffre d'un virus.
Il n'aime pas savoir les autres tristes, cet apprenti-héros. Et quand il sent que quelqu'un est malheureux, il essaye de le rassurer avec ses mots. Le problème, c'est qu'Izuku ne peut pas gérer tous les malheurs du monde; ce n'est encore qu'un enfant, qui ne peut résoudre les problèmes familiaux, l'alcoolisme, les sombres pensées, et la liste est si longue encore...
Il apaise, conseille, se bat du mieux qu'il peut pour eux, mais il ne peut forcer des parents à se remettre ensemble, ou réinventer l'économie japonaise. Du coup, le tacheté pleure.
Il pleure souvent, de l'extérieur. Pour diverses choses, bonnes ou mauvaises, mais toutes les fois, c'est dans un excès théâtral presque comique, de véritables geysers de larmes, qui font demander comment fait-il pour ne pas se déshydrater au bout de deux jours.
Mais il y a toutes ces autres fois, où ses pleurs n'ont plus rien de drôle. C'est un cœur qui souffre, trop sensible et impliqué dans des choses qui le dépassent.
Certains matins, il vient au lycée avec les yeux un peu rouges et humides. Il dit qu'il fait une allergie, ou qu'il est atteint d'une petite maladie. La vérité, il l'a apprit de sa part, bien caché autre part.
- Je pleure chaque soir.
L'adolescent, de l'intérieur, avoue à demi-mots ses peines. Et c'est un bien étrange virus, propre aux héros, que celui de se faire du mal, au nom du bien.
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Ils sont deux, sous l'abribus.
Izuku s'est installé à côté de lui, sur ce banc, après lui avoir demandé si sa compagnie après les cours le dérangerait. Il n'a pas refusé. Être deux à se les geler dans le froid et le vent, ajouter à cela un soudain manque de sujet de discussion, il n'y a pas mieux.
- Tu prends le bus, pour venir au lycée ?
Sa question, qui tente de camoufler le blanc entre eux, lui fait répondre, sur son ton le plus sérieux :
- Habituellement, je préfère prendre le deltaplane ou la montgolfière, mais on m'a retiré mon permis depuis peu. Du coup, je prend le bus, oui.
- Ah...
Le tacheté émit un petit rire gêné, après avoir compris que l'autre se moquait de lui.
- Enfin... Le train, c'est pas mal, non plus, argue t-il, pour relancer un semblant de conversation.
- Pas tellement. Il y a parfois des personnes qui les retardent, en se jetant sur les rails.
- C'est arrivé sur ma ligne, une fois. Un homme dans la trentaine, d'après mes souvenirs. Il a essayé d'en finir.
- Ça alors, comme c'est surprenant, lâche t-il en roulant des yeux. Comment s'est-il raté ?
- Je l'en ai empêché.
- Tu as bien fait. Déranger les autres, en retardant un train, à cause de problèmes personnels, c'est bas. Après ton acte héroïque, il a dû se jeter du haut d'un pont, ou s'est flingué chez lui. Bravo !
Peut-être y est-il allé un peu trop fort, parce que le regard d'Izuku se ternit d'un coup.
- Je ne veux pas être un héros pour cautionner le malheur.
- Mais tu ne peux pas non plus forcer les autres à vivre.
Du coin de l'œil, il voit son bus arriver. Avant de se lever pour partir, il sent la main de l'adolescent frôler la sienne.
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Izuku lui a donné son numéro de téléphone. Il ne sait pas comment le prendre.
Il vient tout le temps lui parler, l'invite à manger à sa table, passe sa journée à ses côtés. Les autres ne remarquent pourtant rien, car aucun commentaire n'est fait. Tant mieux, quelque part.
Ils sont amis, maintenant, non ?
Il s'est fait la réflexion alors qu'il achetait des affaires pour son chaton, Nya, dans un magasin spécialisé. Si ils sont proches, c'est plutôt une bonne nouvelle ? Bien sûr. La compagnie du vert est loin d'être déplaisante, ce serait même plutôt l'inverse, mais...
Cela sonne si faux.
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Parfois, Izuku lui prend la main, et commente à quel point elle est froide. Il réplique que la sienne est couverte de cicatrices, et que ce n'est pas mieux.
Il se blesse souvent. Partout. Tout le temps. Et ce serait mentir que de dire que cela ne l'énerve pas, au moins un peu.
- Tu devrais penser un peu plus souvent à toi. Tu ne feras pas long feu, sinon.
Midoriya ne l'entend pas, il préfère parler, avec la bouche ou les yeux, sans tenir compte de sa propre vie.
- Et bien, je mourrai, alors.
Cela lui donne l'envie de le gifler.
- Tu parles de sujets dont tu es bien ignorant.
- Pas plus qu'un autre, lui rétorque t-il. Ma mort se doit d'être utile, pour les autres.
- Un héros mort ne sert pas à grand-chose.
- Les actes qu'il commet durant sa vie, si.
Ils parlent souvent de ce genre de chose, quand ils sont entre eux. Ils sont loin d'être d'accord, mais cela prouve bien qu'ils sont différents.
Enfin, il croit.
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Avant d'hurler, penser à penser.
Oui, bien sûr.
Cela pouvait-il se dérouler autrement ?
Ah ah. Si prévisible.
Que faire, à présent ?
Il sait.
Il est trop tard pour faire machine arrière, il ne peut ni oublier, ni agir comme si il n'avait rien vu, rien entendu.
Ne pas céder à la panique, trouver un plan, et... et...
Ils sont tous condamnés.
Trop tard.
Il n'aime pas ça.
Il n'aime pas aimer comme ça.
Mais il le faut.
Parce que maintenant que son cœur est au courant, maintenant qu'il connaît la vérité, il doit jouer sur les mots.
Donc.
Il répond.
- Moi aussi.
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Sur ses bras ne figurent aucune trace de cicatrice récente.
- Je ne me fais pas de mal, je te le jure.
Oui, il le remarque bien, et qu'est-ce que cela le rassure ! Mais cela n'explique rien.
- Donc, tu te trimballes avec un lame de rasoir au lycée, sans raison particulière ?
Sa question reste en suspens quelques instants, avant qu'Izuku ne se lève de son lit, le quittant. La chambre, remplie de figurines et autres produits dérivés All Might, est plongée dans l'obscurité. Après tout, il se fait tard, presque minuit, et ils sont en pyjamas. Seule la lampe colorée du vert apporte un peu de lumière jaunâtre dans la pièce, ce qui leur permet de se voir.
- En fait... Je l'ai volé, avoue t-il, gêné. Elle se trouvait dans un tiroir, dans la chambre d'une des personnes de ma classe. Je pensais... l'aider, en faisant cela.
Il soupire.
- Tu es réellement stupide. Et c'était qui ?
Il baisse les yeux, murmurre sa réponse si honteuse;
- Yuga.
Il blémit.
- Putain.
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- Tu m'aimes ?
♤ : Mentir.
◇ : Dire la vérité.
♧ : Éluder.
☆ : [Ne rien dire.]
☆ : [Ne rien dire.]
Il se retourne dans les draps, se mure dans un mutisme froid.
Les bras d'Izuku se glissent sur son ventre, et bientôt, il sent son torse se coller contre son dos.
- Ça fait longtemps qu'on n'a pas dormi ensemble... Tout va bien ?
Son souffle chaud s'échoue dans son cou. Il a envie de se pelotonner contre lui, de s'assoupir en paix, et d'être enfin tranquille avec ses sentiments.
- On n'aura qu'un seul essai, pour demain. Le plan, soit on le réussit... soit c'est la fin. Tu devras te débrouiller un moment sans moi, et tu traîneras dans des endroits dangereux.
Sa voix, rendue rugueuse par le manque de sommeil, n'impressionne nullement l'autre.
- Ne t'inquiètes pas, ça ira, les héros vivent pour le danger !
- Et ils meurent aussi à cause de lui.
Izuku ne répondit pas à cela.
- Shinso...
- Quoi, encore ?
- Pourquoi tu t'es mis en colère, quand j'ai voulu vendre les babioles ? C'est censé être important, pour moi ?
Merde.
- Et aussi... pourquoi ma mère, elle ne te voit pas ?
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De : Mirio
Nejire, t'es passée où ?! Là, c'est VRAIMENT le bordel, avec Tamaki !
00h05, lu.
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