Chapitre 32
《 À ton humble avis,
quelle est l'une des pires choses qui puisse t'arriver ? 》
La caméra tourne autour d'un lit où repose une adolescente en uniforme scolaire, allongée sur les draps. On voit ses chaussures à côté du meuble, une lampe de chevet à la douce lueur, des murs blancs, une porte simple.
Aucune fenêtre.
《 Les réponses changent, les gens aussi.
Certains ont peur de la mort, du vide, de la solitude... 》
Le visage de la fille se plisse, elle commence à se réveiller.
《 Je sais que tu ne prêtes pas beaucoup d'attention à moi, mais j'aimerai te confier quelque chose.
L'une de mes plus grandes frayeurs. 》
Ses yeux s'entrouvrent, dévoilant galaxies et trous noirs.
《 Ce serait de m'endormir quelque part, et de me réveiller ailleurs. 》
Ses univers s'ouvrent en grand. Ils découvrent le décor quelques millièmes de seconde.
Elle se relève d'un coup, fouettée par un pic fulgurant d'adrénaline, dans un cri muet.
《 Si je m'endors, on peut me faire des choses atroces.
Je ne pourrai me défendre.
Puisque je serai endormie. 》
Elle descend du lit, balaye d'un regard inquiet cette pièce qui n'est pas sa chambre. L'angle de vue se glisse derrière elle.
L'adolescente frissonne, tourne la tête, les yeux écarquillés.
Son corps se raidit d'un coup.
Elle hurle.
Chargement terminé.
La jeune fille se précipite en trébuchant, poursuivie par la caméra.
《 Qui m'aurais récupérée ? Où serais-je ?
Peut-être que je ne pourrai plus jamais revenir. 》
De longs et larges couloirs immaculés, comme un océan à traverser. C'est tout ce que l'on voit, ce qui s'étend à des kilomètres, baignée dans une grande lumière, ce qu'elle peine à parcourir, fuyant l'angle de vue.
《 Généralement, les personnes qui font cela...
Ne sont pas très recommandables. 》
Blanc, la pureté, perfection en toute chose. Tourner à gauche, puis à droite, chercher une quelconque sortie à ce dédale. Elle ne sait pas, ne sait plus où elle en est, si elle est proche de la fin, ou vient à grand mal d'effleurer le début.
La caméra prend de la hauteur, se colle au plafond, araignée gardant ses yeux visés sur l'adolescente.
《 En fait... Nous ne sommes en sécurité nulle part.
Ça me rend un peu triste. 》
Cul-de-sac pour la proie.
L'araignée s'arrête pour se balancer, heureuse de sa victoire, mouvant l'image sous ses ondulations.
《 J'ai de la peine pour toi. 》
La caméra fonce sur la jeune fille.
Chargement terminé.
- Tu ne manges pas ? C'est trop sucré pour toi ?
- Franchement, les japonais sont des tocards en cuisine !
Des grains blancs recouvrent une crêpe.
- Tu connais la définition du mot "sucre" ? Votre pâte d'haricot est dégueulasse !
On montre une table, recouverte de diverses pâtisseries. Choux à la crème, éclairs, Paris-Brest, moelleux et cœurs tendres. Une seule chaise, pour une seule personne.
Son regard est vide, en opposition à son estomac.
- Allez, ouvre la bouche !
Une main pique à la fourchette un généreux morceau de millefeuille, coupé au couteau en plusieurs parts. Le couvert vient taquiner une paire de lèvres.
- MANGE, PUTAIN !
Elle fourre le bout de force.
- Je... Je ne pense pas que c'est comme cela qu'il faut-
- Je sais ce que je fout ! Retourne à la cuisine, toi ! Et fais gaffe à pas te brûler !
- Grand frère désapprouve ce que tu viens de faire.
Des bruits de pas qui s'éloignent, un soupir.
- Allez, t'es une adorable petite poupette toute choupie, si tu finis ça, on ira jouer après, d'accord ?
Pas de réponse.
- "Qui ne dit mot consent." Avale-moi ça.
Chargement terminé.
- Tu as des cheveux tout doux, ça me rappelle mon lapin !
Une main passe et repasse dans des cheveux blonds, s'amuse à le tresser, les boucler telle une tête de poupée.
- Tu ne parles plus beaucoup, depuis le temps. Ça va ?
Silence.
- Je ne comprend pas... Tu es bien traitée, ici, pourtant. Mieux que tu ne le seras jamais chez toi.
Silence.
- Après, si tu as des amis... Oui, tu as des amis, n'est-ce pas ? Hé bien, il y a encore une logique, tu veux les revoir. Mais tes parents ? Tu es sûre ?
Silence.
- Même si ils sont gentils, même si ils te gâtent, même si ils t'offrent de l'attention... non, ne reviens pas à eux. C'est une très mauvaise raison.
Silence.
- Tu es décidément bien muette... Dommage, tu reverras tes géniteurs. Il ne doit plus te rester grand-chose. Un dernier repas, et ça sera la faim.
Chargement terminé.
Le froid s'est glissé dans ses os, a épousé sa peau. Un mariage étrange, où le rythme de son cœur change. Un, deux, trois, elle tremble, le zéro absolu veut son sang. Quatre, cinq, six, mange, la vérité si elle ment.
Un bras est passé autour d'elle, elle le sent. Une caresse en bas du dos, mais aucune chaleur. Ah, si elle meurt...
Elle aurait aimé parler, ce jour-là.
Avant de se faire dévorer par un requin.
Petite tortue face à l'immensité de l'océan.
Te voilà dans les abîmes.
Là où la lumière du Soleil ne passe jamais.
Si tu avais dis qu-
ChArgEmENT TerMInÉ.
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Il vomit son dîner, en sueur, tremblant et fiévreux.
Seul dans sa salle de bain et sa lumière blafarde, il nettoie les dégâts, alors que son crâne se scinde en deux. Il n'entend presque plus rien, ses oreilles sont couverte par la maladie, ses propres propos lui apparaissent comme flous.
C'est juste une très mauvaise grippe, hein ?
Il passe un coup d'eau sur son visage fatigué, se redonne un air convenable.
Il pense à Mirio, et à ce qu'il lui a écrit.
Mais qu'est-ce qu'il lui arrive, à la fin ?
Il ne se comprend plus, son corps et son esprit agissent en dehors de lui, ses mots ne sont plus les mêmes.
Il se sent honteux, à un point inimaginable. Il veut se cacher, dans un tout petit trou de souris, là où plus personne ne pourra le revoir. Non, mieux, un trou noir, un éclat de néant. Disparaître pour de bon dans l'anti-matière, se dissoudre lui et tous ses atomes, ne plus exister au point de vue physique, et ce sera fini pour de bon.
Il essaye de marcher, pour regagner sa chambre, mais ses tripes lui rappellent à l'ordre en se tordant.
Il sent une remontée dans sa gorge, son estomac s'emballe. Il et se dépêche de se pencher vers la cuvette pour y décharger son fardeau.
L'amer renoue avec sa bouche, les reflux assomment son âme.
Dans sa chambre, son téléphone vibre.
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