Chapitre 5


(Quelques sujets sensibles sont abordés dans ce chapitre. À lire avec prudence pour ceux craignant cela!)

Elle était médusée. Elle n'avait pas totalement échoué, car elle était arrivée à se stabiliser avant de complètement tomber à la renverse, mais elle était loin d'avoir réussi malgré tout.

Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi. D'ordinaire, elle arrivait à tout sans lever le petit doigt... Pourquoi cette fois-ci avait-elle été une exception?

L'ensemble de sa promotion l'avait vue . Elle pouvait déjà sentir les moqueries et les railleries arriver, en même temps que les jugements. Elle en avait assez, assez que les autres observent sa vie ainsi...

Enfin... Était-ce vrai...? N'était-elle pas justement heureuse au plus haut point lorsque le regard de quelqu'un se posait sur elle...? 

Que lui arrivait-il, au final...? Que voulait-elle vraiment, qui était-elle réellement...?

Elle ne savait pas. Juste le fait de rater cet exercice de manœuvre, pourtant on ne peut plus basique, l'avait totalement déboussolée. Si elle n'était pas fichue de réussir un truc aussi simple, avait-elle réellement sa place au sein de l'armée...?

Tandis que les autres apprentis soldats prenaient congé, direction un repas bien mérité, Willie n'avait eu d'autre choix que de rester, l'instructeur souhaitant lui parler seul à seule.

Elle se tenait ainsi là, juste à côté du sergent Shadis, la tête baissée et les mains tremblantes, qu'elle tordaient dans tous les sens, ainsi que ses ongles qui lui rentraient dans la peau, y compris celui qu'elle s'était rongé quelques instants plus tôt.

Ce dernier saignait toujours, mais elle ne prêtait aucunement attention à ce détail. Elle était beaucoup trop concernée par son propre état mental ; elle avait l'impression d'étouffer, et avait même du mal à respirer.

Elle se serait évanouie si l'instructeur ne l'avait pas appelée de sa voix intimidante, la clouant littéralement sur place.

-Tu te fous de qui au juste, Carter? Tout le monde réussi, et toi rien? Il aurait peut-être fallu être un peu plus attentive pendant les cours, non?

Sa phrase puait le second degré et l'ironie, Willie en était parfaitement consciente. Elle était terrifiée. Elle savait ce qui allait suivre : pas moyen qu'elle puisse rester dans l'armée avec toute cette histoire.

Elle allait devoir retourner travailler dans ce bar qu'elle s'était empressée de fuir, avec ce vieux tavernier pervers, qui passait plus de temps à lui tripoter les fesses qu'à servir ses clients.

Elle pouvait aussi dire adieu à sa famille. Il lui serait quasiment impossible de retrouver les siens dans ce gigantesque territoire derrière les murs ; l'armée était effectivement la solution qui pouvait lui permettre, éventuellement, de chercher sa famille disparue, avec une chance non négligeable de réussite.

Mais là... Tout tombait à l'eau. Elle en pleurait, littéralement. Même la peur que lui inspirait d'ordinaire Shadis n'était rien face à la terreur de cette prise de conscience. Elle était foutue. Tout cela pour avoir essayé de paraître cool aux yeux de ses camarades...

La bonne blague.

-Comme tu es la seule a avoir échoué, je fais une exception pour une fois. Tu as du potentiel, mais à faire l'imbécile tu ne risques pas d'aller bien loin en continuant sur cette voie. Prends ça comme une aubaine qui ne se représentera jamais, c'est ce que je te conseille.

Les yeux pleins de larmes, la rousse releva la tête, croisant le regard sévère de l'instructeur à travers l'épais rideau qui floutait sa vision. Elle n'y croyait pas.

-Attends pas de moi quoi que ce soit de plus, Carter. Je veux que tu viennes ici, demain à la même heure, pour me montrer un truc un peu mieux que ce que tu as réussi à me sortir aujourd'hui. Dernière chance bien entendu. Remercie tes camarades, si certains avaient échoué tout comme toi je n'aurais pas été aussi clément.

Sans rien ajouter de plus, le sergent avait tourné les talons, laissant Willie, larmoyante et perdue, essayant de digérer les informations qu'elle venait de récolter.

Alors... Il lui restait une petite chance malgré tout...? pensa-t-elle en baissant les yeux sur ses mains, recouvertes de petites marques en forme de croissant, que ses ongles avaient laissées derrière eux.

Son doigt ne saignait plus, heureusement. Elle était soulagée au plus haut point. Pas pour son doigt, bien sûr.

Pour l'heure, cependant, elle n'avait pas vraiment envie de retourner auprès de ses camarades. Elle avait besoin d'être un peu seule ; la simple idée de se retrouver au beau milieu d'une foule la terrorisait toute entière.

La nuit tombait déjà en cette journée de janvier ; et, au lieu de se diriger vers le réfectoire, elle opta à la place pour le lac, là où elle avait l'habitude de se rendre quand tout allait mal.

Elle reniflait toujours, les pleurs ne s'étant toujours pas calmés depuis plusieurs longues minutes à présent. Elle arriva néanmoins plutôt vite devant l'étendue d'eau tant attendue, et se laissa tomber à même le sol.

Elle se roula en boule, et laissa ses pleurs se déverser autant qu'ils le souhaitaient. Il lui restait encore une chance, elle ne devait pas l'oublier. Tout n'était pas perdu.

Elle allait retrouver les siens, coûte que coûte. Elle allait faire des efforts, elle allait réussir cette fois-ci.

Elle passa de longues heures ainsi, en uniforme, à sangloter au pied du lac, alors que la lune était à présent haute dans le ciel. Elle avait manqué le repas, mais n'avait pas du tout faim pour autant.

Les yeux gonflés et la gorge sèche, elle décida finalement de se redresser, et rentra à pas lents dans son dortoir, où elle s'effondra sur son lit sans même prendre la peine de se départir de son uniforme.

Elle voulait juste dormir. Elle voulait juste échapper à ce monde pourri, au moins une fois.

Mais personne ne l'écouta. Et encore moins ses plus sombres cauchemars.

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-Gosse de merde, en plus de m'avoir coincé ici, il faut que tu me fasses chier encore davantage?? Tu te fous de qui, au juste? Oh, je te cause saloperie!!

Elle ne savait même pas quoi dire. Oui, elle n'était pas à la hauteur des attentes de son père, mais était-ce une raison pour lui de la traiter de cette manière? Tout ce qu'elle pouvait répondre, c'était des pleurs silencieux.

Même la gifle qu'elle reçu de son père ne débloqua pas sa langue. Elle restait muette, comme toujours. Elle avait appris, à ses dépends, que parler ne faisait qu'aggraver les choses à chaque fois.

-Même pas foutue de faire ce qu'on lui demande!! Qu'est-ce qui m'a collé un môme pareil, sérieux?? s'époumona-t-il en rouant sa fille de coups de pieds. Je t'ai jamais rien demandé, alors fait un effort pour une fois! Ou alors est-ce que tu as l'intention de passer ta vie à rien foutre, à profiter de mon fric comme ta catin de mère?

Cette dernière qui, justement, était assise en retrait, ses autres filles dans les bras, pleurant à chaudes larmes tandis que son aînée subissait la fureur de son père, comme souvent. Elle avait beau vouloir défendre sa petite Willie, cela ne servait à chaque fois à rien.

Pire, même. Lorsqu'elle avait le malheur de se dresser entre son mari et la plus grande de ses filles, cela ne faisait qu'accentuer la colère de l'homme, qui se défoulait sur Willie encore davantage, encore plus violemment, cette fillette de même pas dix ans qui était malgré tout la responsable de tous ses maux.

La petite fille sentit que les coups venaient de s'arrêter, après un temps qui lui avait paru interminable, et elle entendait la respiration lourde de son père, essoufflé de l'avoir cogné. Elle regrettait presque les coups, maintenant qu'elle savait ce qui l'attendait derrière.

Elle n'eut même pas la force de se débattre lorsqu'elle sentit une main empoigner ses cheveux roux, et lorsqu'elle fut traînée à même le sol jusqu'au placard sous l'escalier.

A présent enfermée, la fillette se retrouva avec elle-même, avec ses pensées et ses remords. Pourquoi n'arrivait-elle pas à faire ce que son père lui demandait? Ce n'était pas grand chose pourtant, d'autres enfants de son âge y seraient parvenus à sa place...

Et s'il avait raison, et si elle était tout simplement irrécupérable, inutile? Allait-elle, au moins une fois, réussir à faire quelque chose dans sa vie...?

Pour l'heure, elle ferma les yeux, les mains sur la tête, en chantonnant entre deux mentions de son nom complet la mélodie que lui avait apprise sa maman, dont elle ne se remémorait que les deux dernières phrases.

"Et dans la nuit noire je te murmure ces quelques mots tendres...

Tout vient à point à qui sait attendre."

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