Chapitre 9 : Orestt
Un village suspendu dans les arbres s'étendait au-dessus d'elle. Il n'y avait personne, car il ne servait que les soirs de pleine lune. Sheireen se souvenait des soirées qu'elle avait passées ici avec d'autres enfants et quelques adultes.
Beaucoup de choses avaient changé depuis.
Mais elle n'avait pas le temps de se perdre dans ses souvenirs, il y avait urgence. La fleur dont avait parlé Rowenn se trouvait dans l'espace sacré dont parlait sa mère, l'elfe en était presque sûre. Lui restait-il maintenant à en trouver l'entrée.
Elle marchait vers l'ouest, suivant un sentier, qui pouvait très bien l'éloigner de son but comme l'en rapprocher, lorsqu'elle sentit quelque chose d'étonnement froid se poser sur sa nuque. Ses poils se hérissèrent et sa main alla instinctivement à la garde son épée.
— N'y pense même pas, disait une voix masculine dans son dos.
Comment était-il arrivé derrière elle sans faire bruisser les fourrées ? Sheireen écarta les doigts, puis leva doucement la main. Elle hésitait à user de ses pouvoirs, aussi novice soit-elle, ils pourraient lui sauver la vie, mais elle ignorait à qui elle avait affaire.
— Qu'est-ce que tu me veux ? demandait-elle.
— Je t'ai vu apparaitre de nulle part, qui es-tu ?
— Je peux me retourner ? Pour voir à qui je parle.
— Non. Qui es-tu ? répétait-il.
La pression de la lame sur son cou s'accentua.
— Sheireen.
— Mais encore ? Ce lieu est désert habituellement.
— Je suis à la recherche d'une fleur pour sauver une amie.
— Ça ne m'explique pas comment tu es apparue de nulle part.
— C'est de la magie, c'est tout. Je me trouvais sur la Terre Noire, j'avais besoin d'aller sur la Terre Verte pour trouver cette fleur.
— Tu es chevalier ? Ou quelque chose comme ça ?
— En quelque sorte, oui.
— Tu es bien loin du front.
— Je te l'ai dit, je suis à la recherche d'une fleur.
— Hum.
Il semblait bien méfiant aux yeux de Sheireen. D'ailleurs que faisait-il ici ? Ce lieu ne servait que les nuits de pleine lune et il avait l'air de le savoir.
— Et toi ? Qui es-tu ?
— Personne.
— Très bien, Personne. Tu comptes me laisser partir ?
Pour seule réponse, la lame disparue de sa nuque. L'elfe aux cheveux bleus se retourna vivement, mais il n'était plus là. Étrange.
N'ayant pas le temps de comprendre ce qu'il venait de passer, Sheireen continua sa marche tout en restant sur ses gardes. Le soleil avançait au-dessus des feuilles, il fallait qu'elle se dépêche. Accélérant le pas, elle faillit sursauter lorsqu'au détour d'un gros tronc l'attendait un jeune homme.
Brun, habillé de noir, le visage pâle et maigre, ses yeux noirs lui donnaient presque l'aspect d'un mort.
— Tu n'es pas dans la bonne direction, disait-il en soufflant.
Il se décolla du bois d'un coup de hanche, laissant entrevoir une courte épée sur son côté droit. Il était plutôt grand, sa maigreur accentuant cet effet, il se mouvait avec élégance, ses pas ne faisant pratiquement aucun bruit. Ce n'était pas un elfe, que faisait-il si proche d'un lieu sacré ?
Comprenant qu'il s'agissait de « Personne », Sheireen dégaina sa lame.
— Du calme, je ne vais pas te faire de mal. J'aurais pu te tuer de nombreuses fois tout à l'heure et maintenant, tu sais.
— Qu'est-ce que tu me veux ? demandait encore une fois l'elfe.
L'autre souffla, puis comme s'il se résignait, il lui dit :
— Je te dis juste que tu n'es pas sur le bon chemin si tu veux rejoindre le lieu sacré des elfes là.
— Pourquoi je te ferais confiance ?
Il souffla à nouveau et disparut pour réapparaitre face à elle, son visage bien trop près.
— Parce que je suis comme toi, imbécile.
Sheireen en resta bouche bée, était-il une aura noire aussi ? Pourtant, Rowenn lui avait dit qu'elle était unique et rare. Comment était-ce possible ?
Il recula de quelques pas, ses yeux plantés dans les siens, attendant une autre réaction que le mutisme. Soudain, la jeune femme comprit comment il avait su. Plus que de l'avoir vu apparaitre de nulle part, il pouvait voir son aura comme elle pouvait voir la sienne en ce moment même. Elle ne l'avait pas remarqué au premier abord, car elle était très fine, très diffuse et collait à ses vêtements, à sa peau, à ses cheveux comme de la poussière. Cependant, comme elle, elle était noire.
Il disparut de nouveau, puis réapparut, une pomme à la main.
Le jeune homme semblait bien mieux maitriser ses capacités que l'elfe.
— Qui es-tu ?
Il roula des yeux, probablement aurait-il préféré une discussion plus intéressante.
— Orestt, de la Terre Noire, finissait-il par lâcher entre deux bouchées de fruit.
— Comment sais-tu où se trouve le lieu que je cherche ? Tu n'es même pas un elfe.
— Je sais beaucoup de choses, haussait-il les épaules. Allez, suis-moi.
Il se détourna, partant vers le nord. Sheireen hésita quelques instants, et si c'était un piège ? Pourtant, le fait qu'il ait la même aura qu'elle l'avait mise en confiance plus qu'elle ne l'aurait dû. De plus, il fallait bien se l'avouer, elle ne savait pas vraiment où elle allait. Ainsi, l'elfe lui emboita le pas en rangeant son arme.
— Tu faisais quoi dans le coin ? demandait-elle une fois à son niveau.
— Rien de spécial, je me baladais.
— Et en vrai ?
Il lui souriait, mais ne répondait pas. Tan pis, tant qu'il la guidait où elle voulait, il pouvait bien être le prince de Zalia que cela ne l'intéresserait pas.
— Tu n'es pas un prince ou je ne sais quoi, j'espère, demandait-elle tout de même.
— Loin de là, pouffait-il.
Ils gardèrent le silence pendant de longues minutes. Orestt marchait vite, il semblait savoir où il allait. Surement aurait-il voulu se téléporter directement là-bas, mais Sheireen ne connaissant pas le lieu n'aurait pu le suivre.
— Tu as l'air plus expérimenté que moi, admettait l'elfe. Peut-on se téléporter avec quelqu'un d'autre ?
— Je n'ai jamais essayé, répondait-il.
— Comment as-tu appris que tu pouvais te téléporter ?
— Je l'ai fait instinctivement, pour fuir. J'ai ensuite appris ce qu'était les auras et, plus particulièrement, les auras noires.
— Qui... ? commença-t-elle.
— Ça ne te regarde pas, la coupait Orestt. À mon tour de poser des questions. Que fait un chevalier aussi loin du front ?
— Je suis en mission pour la Reine, répondait la jeune femme avec ce qu'elle espérait de l'autorité ou au moins de l'assurance.
— En mission ? Pour Sa Majesté ? Rien que ça, ricanait-il.
— Je ne peux pas en dire plus.
— Hm.
Le silence retomba entre les deux jeunes gens. Il s'installa durablement jusqu'à ce qu'Orestt s'arrête enfin. Un chêne se dressait devant eux, assez grand, mais pas immense non plus, il n'avait rien de spécial à vrai dire.
— Tu es sûr que c'est ici ? demandait Sheireen dubitative.
— J'étais là lors de la dernière pleine lune. J'ai vu des elfes sortir de ce tronc.
— Sortir ?
Le soleil se couchait au-dessus des arbres, ses derniers rayons glissants entre les branches du grand chêne. Sheireen fit le tour de large tronc, essayant de comprendre comment sa mère aurait pu traverser le bois. Il n'y avait pas de porte, aucune trappe, et sa main ne pouvait clairement pas passer à travers la surface solide.
La nuit était tombée maintenant, l'elfe cherchait toujours, elle était même montée jusqu'à la cime, au cas où. Pendant ce temps, Orestt installé sur un gros rocher couvert de mousse l'observait attentivement. Combien de temps allait-elle mettre pour abandonner ? Parce qu'il ne voyait vraiment pas comment elle pourrait trouver comment entrer dans le lieu sacré sans que quelqu'un lui dise comment faire. Or, lui-même ne savait pas.
— Bordel ! s'exclama-t-elle finalement en frappant dans une pierre.
Il faisait sombre et Orestt ne voyait plus que sa silhouette. Elle revenait vers lui, lorsque, soudain, les rayons de la lune traversèrent à leur tour le feuillage, illuminant de leur lumière argentée le chêne. Ce dernier semblait briller, alors que Sheireen se rapprochait doucement. L'elfe paraissait comme hypnotisé, elle posa sa main sur le bois.
L'écorce sous ses doigts était plutôt chaude, l'elfe ferma les yeux. Sous sa peau vibrait quelque chose, fronçant les sourcils, elle colla son oreille contre le tronc. Sheireen comprit alors qu'il s'agissait de la sève de l'arbre.
Intrigué par son attitude, Orestt se leva pour la rejoindre.
Les paupières toujours closes, la jeune femme poussa son esprit vers l'arbre. Comme à l'entrainement, alors qu'elle devait deviner ce que pensaient ses camarades, elle y alla d'abord doucement. Tâtonnant, glissant, jusqu'à trouver ce qu'elle cherchait. Ici, ce fut comme un point de tension, l'arbre n'avait pas de conscience à proprement parler. Il ne faisait que son rôle de porte et Sheireen était bien décidée à appuyer sur la poignée. Alors, elle poussa.
Orestt vit la main de l'elfe s'enfoncer doucement dans le bois, elle fit un pas, traversant la matière normalement dure. Décontenancé, le jeune homme la regarda disparaitre dans l'arbre.
L'air avait changé autour de Sheireen, les bruits aussi. Tout était étrangement calme, à tel point qu'elle garda les yeux fermés encore quelques instants avant de céder à la curiosité.
Elle se trouvait à la limite d'une grande clairière au centre de laquelle trônait un immense arbre. Des nuages s'accrochaient à ses branches au feuillage changeant. L'elfe fit quelques pas, ses bottes se perdant dans les hautes herbes et les fleurs. Cela lui rappela alors pourquoi elle était là.
Léarco lui avait transmis l'image d'une fleur aux grands pétales jaunes et blancs. Or, la clairière en était remplie, elle n'aurait pas pu se tromper.
Combien lui en fallait-il ? Cela, Rowenn ne l'avait pas précisé. Ne voulant pas en manquer, Sheireen en coupa une demi-douzaine, les rangeant avec délicatesse dans sa besace.
Elle le fit très rapidement, car elle avait cette impression si tenace qu'on la surveillait, qu'elle ne devrait pas être là. Sheireen recula vers d'où elle était venue, mais avant de retraverser le portail, elle exécuta le geste rituel que sa mère lui avait appris pour honorer la déesse Thendrass.
Bien que l'elfe ne soit pas vraiment très croyante, l'endroit lui faisait un drôle d'effet. L'arbre l'attirait avec force malgré cette impression d'être une intruse. Ainsi, s'il y avait bien une déesse de la nature qui régnait ici, elle ne voulait surtout pas la froisser.
La sortie du lieu sacré se fit plus aisément et Sheireen retrouva Orestt en quelques secondes.
— Alors ? ne put-il se retenir de demander.
— C'était... étrange. Je n'ai vu personne, mais il y avait quelqu'un, j'en suis sûre. Au moins, j'ai mes fleurs et personne ne m'a empêché de les prendre.
Le brun acquiesça doucement, presque déçu de ne pas être entré lui aussi. Mais, contrairement à Sheireen, il n'était pas un elfe et ne voulait pas s'attirer d'ennuis inutiles. Il en avait déjà bien assez.
— Je vais devoir y aller maintenant, lui disait Sheireen. Merci de m'avoir aidé.
— Tu n'y serais pas arrivé sans moi, ou du moins ça t'aurait pris bien plus de temps et, si j'ai bien compris, ton amie n'en a pas.
— Au revoir.
— À bientôt, lui répondait Orestt alors qu'elle disparaissait.
Le jeune homme se remit à marcher dans la forêt, retournant vers le petit village vide en ces temps. Le vent s'était levé, mais il entendit tout de même le craquement sec dans son dos. Sans se retourner, le brun s'arrêta et lançait à celui qui était apparu derrière lui :
— Tu avais raison, son aura est incroyable.
L'autre ne répondait pas, attendant la suite.
— Que dois-je faire maintenant ?
— Suis là, elle va encore avoir besoin de ton aide, lui répondait l'homme.
Il y eut un nouveau craquement et Orestt se retrouva de nouveau seul dans les bois.
— Fais chier, murmura-t-il comme ci, on pouvait l'entendre.
Il n'avait aucune envie de retourner sur la Terre Noire. En effet, la terre qui l'avait vu naitre lui en avait aussi fait voir de toutes les couleurs et beaucoup de ses habitants voulaient sa peau. Orestt souffla, tels étaient les ordres. Puis, il ricana, si on lui avait dit qu'un jour, il obéirait à des ordres. Mais il avait une dette à régler.
Le jeune homme grimpa dans une des maisons, ramassa ses maigres affaires et se téléporta sur la Terre de ses ancêtres, illustres inconnus autant pour le monde que pour lui.
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