Chapitre 6 : Discussion nocturne
Kira fixait l'obscurité, guettant les bruits alentour. Plus le temps passait, moins elle dormait. Elle n'arrêtait pas de penser, aux Sharaka, à sa famille, à sa survie et, il fallait bien se l'avouer, à Ezékiel.
Depuis qu'elle s'était enrôlée — ou plutôt, depuis qu'on l'avait enrôlé —, elle n'avait qu'une idée en tête : atteindre les Sharaka. Évidemment, elle avait peur d'eux, mais elle avait des questions à leur poser.
Il s'était passé quelque chose durant sa petite enfance, elle ne savait pas quoi, mais la cicatrice juste sous ses seins en témoignait. Large d'une dizaine de centimètres, une lame semblait l'avoir transpercée. Comment avait-elle survécu ? Elle n'en savait rien. Qui lui avait fait ça ? Elle ne le savait pas non plus.
Ce qu'elle savait, c'est que les Sharaka n'y étaient pas inconnu, elle se souvenait d'eux, seulement d'eux. Aucun autre souvenir avant ses sept ans.
Elle s'était même surprise à croire que ces parents n'étaient pas ses vrais parents. Après tout, sa mère n'avait pas paru triste lorsqu'on l'avait emmené.
Kira secoua la tête, faisant bruisser ses couvertures, ce n'était pas le moment de penser, elle devait dormir. Pourtant, elle n'y arrivait pas. Elle ne l'aurait avoué à personne, mais elle avait toujours légèrement peur du noir et depuis l'attaque de nuit des trois garçons, ça ne s'arrangeait pas. À chaque craquement, bruissement et autre bruit qui ne signifiait rien, elle se réveillait. Elle détestait ne pas pouvoir voir si quelqu'un approchait.
L'aube arriva rapidement, trop rapidement, Kira n'avait dormi que quelques heures lorsque les cloches sonnèrent le réveil. Elle se leva difficilement, s'habilla mécaniquement puis sortait à la suite des autres filles. La brune se traina jusqu'à l'extérieur de la tour où, comme les autres, elle se mit à courir dans le froid des montagnes.
Tous les matins, c'était pareil, ils devaient courir pour avoir droit à leur petit déjeuner. C'était fois-ci, Kira était épuisée et se trouvait dans les derniers coureurs, mais elle continuait avec détermination. Elle était plutôt frêle, ainsi lui fallait-elle chacun de ses repas pour tenir les entrainements difficiles d'An Dragal.
La pluie s'invita alors que la jeune femme commençait son dernier tour de la tour.
Lorsqu'elle eut rejoint la grande salle, trempée, certains avaient fini de manger. Kira récupéra de quoi se sustenter, ignorant les railleries de Dario et Atzo qui avaient bien remarqué sa fatigue et s'installa dans un coin.
La brune ne s'était pas encore fait d'amis ici, peut-être devrait-elle tenter de s'ouvrir un peu plus aux autres. Elle aurait bien aimé pouvoir discuter avec Ezékiel, mais ce dernier était toujours suivi des deux colosses et clairement, eux semblaient plus qu'adapté au régime des Sharaka. Certes, elle aurait pu aussi devenir amie avec l'une des filles de son dortoir, pourtant aucune ne lui inspirait confiance. Elles étaient toutes musclées et méchantes, de vraies brutes. Le cliché parfait des femmes Wesi. Kira était persuadée que c'était ainsi que les Zaléniens les voyaient, des barbares sans cœur. Or ce n'était pas le cas de tous, bien heureusement. Et la brune comptait bien leur prouver un jour.
Il fut rapidement l'heure de reprendre les entrainements. Kira avala ce qu'il restait de son repas, débarrassa puis rejoignit l'une des salles de combat. Celle de la brune était l'une des plus grandes, pouvant contenir une quarantaine d'apprentis.
Les murs de pierre recouverts de bois et le sol de terre battue donnaient une impression de chaleur qu'il n'y avait nulle part ailleurs à An Dragal. Les apprentis se mirent en rang, arme au poing, attendant le programme de la journée.
Un homme, leur supérieur, entra ensuite et annonça :
— Aujourd'hui, pour vous préparer à toute éventualité, vous combattrez à deux contre un.
Évidemment, Kira se retrouva contre Dario et Atzo, pour le plus grand contentement de ces derniers. Ils semblaient encore déçus qu'Ezékiel ne l'ait pas tué et comptaient bien remédier à ça.
Au début, la brune resta sur la défensive, jaugeant ses adversaires. Elle n'avait encore jamais combattu contre eux. Ils étaient un peu gauches, mais très forts. Chacun de leur coup faisait vibrer ses os jusqu'à ses dents. Pourtant, elle les trouvait bien moins intimidants qu'Ezékiel. Elle avait vraiment eu peur face au garçon alors que là, elle ne ressentait rien, si ce n'est du dégout.
Elle finit par attaquer et après plusieurs feintes, elle désarma Atzo puis put s'occuper pleinement de Dario, le plus grand des deux. Elle enchainait les coups d'estoc, surchargeant le garçon lorsqu'un poids la frappa au dos, manquant de la faire tomber. Elle se retourna et vit Atzo qui la menaçait de ses poings.
Elle grimaça en parant la lame de Dario avant de faire signe à l'autre de retourner au sol.
— Je ne suis pas encore mort, disait-il.
Atzo se jeta sur elle tandis que Dario lançait une nouvelle attaque. Instinctivement, au dernier moment, elle roula sur le côté. Dario se prit donc le poing d'Atzo dans le nez alors que son épée se plantait dans le ventre de son comparse.
Les deux brutes s'effondrèrent au sol, l'un tenant son nez, l'autre son ventre.
Kira ne put s'empêcher de rire et elle fut bientôt rejointe par d'autres. Parmi les apprentis, Ezékiel n'avait manqué aucun moment de ce magnifique combat et riait maintenant aux larmes devant l'échec cuisant des deux grands garçons. Voyant que Kira le regardait, il sécha ses larmes et retourna combattre.
Les deux idiots furent évacués et l'entrainement reprit de plus belle jusqu'au crépuscule.
De retour dans son lit, le supplice continua. Malgré sa grande fatigue, Kira n'arrivait pas à fermer l'œil. La jeune femme se demandait pourquoi Ezékiel l'avait laissé en vie cette fameuse nuit.
Alors que la nuit commençait à se faire vieille, la Wesi se leva. N'y tenant plus, elle quitta son dortoir pour rejoindre celui des garçons bien décidés à trouver des réponses en la personne d'Ezékiel.
Prenant soin de ne pas réveiller les autres jeunes hommes, et surtout les deux brutes, elle se faufila jusqu'au lit du brun. Elle le secoua doucement. Une lame vint se poser délicatement sur sa gorge, Kira se figea, les yeux plantés dans ceux grands ouverts du garçon.
Le Wesi mit quelques secondes à la reconnaitre et chuchota avec froideur :
— Qu'est-ce que tu veux ?
Elle lui fit signe qu'elle voulait sortir pour parler tout en désignant Dario et Atzo ainsi que les autres occupants du dortoir. Il sembla réfléchir puis rangea son couteau avant de se lever.
— Faisons vite, il commence à se faire tard.
Elle opina de la tête, puis s'éloigna. Ils sortirent sous la lune, à la recherche d'un coin tranquille. La jeune femme grimpa sur un gros rocher plat et s'assit, attendant que le brun la rejoigne.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il une fois à ses côtés avant d'ajouter avec sarcasme. Je ne t'ai pas épargné pour que tu viennes me réveiller en pleine nuit.
— Désolé, articula-t-elle sans bruit.
Un déclic se fit alors dans le cerveau d'Ezékiel, et il demanda :
— Tu es muette, c'est ça ?
Kira acquiesça avec un sourire triste.
— Désolé, je n'avais pas fait attention. Je pensais que tu ne voulais juste pas nous parler. Tu aurais eu bien des raisons avec toutes ces brutes.
— Dario et Atzo ?
Grâce à la lumière de la lune, Ezékiel pouvait suivre les mouvements de ses lèvres, tentant t'en bien que mal de lire ce qu'articulait la brune.
— Ceux-là sont les pires. Ils me suivent comme des chiens, espérant que mon statut social déteigne sur eux. Ils ne se doutent pas que je hais tout de ce royaume, disait-il avant de se reprendre. Je ne devrais pas dire ça.
Il rigolait amèrement avant d'ajouter :
— Autant que je le sache, tu pourrais être une espionne envoyée par les Sharaka.
Kira s'allongea sur le rocher en rigolant, s'il savait.
— Tu voulais me demander quelque chose ? brisait le silence le brun.
— Pas spécialement, articulait-elle doucement. Je me demandais juste si tu étais comme moi ou pas. J'avais comme un pressentiment. Je voulais savoir si tu étais digne de confiance. Et surtout, pourquoi avais-tu l'air si triste pendant notre combat ?
Sa silhouette se figea, il avait tellement envie de tout lui dire. Mais c'était en se méfiant de tous qu'il avait survécu jusque-là.
— Je ne sais pas si je peux te faire confiance, non plus.
— Nous sommes dans une impasse, disait-elle en silence tout en se relevant.
— Je pourrais te le révéler, si tu me dis quelque chose en échange. Quelque chose qui m'assurerait que tu ne révèleras à personne ce que je t'aurai dit.
— Soit.
— Tu acceptes ? Comme ça ? Sans hésitation ?
Elle haussa les épaules, son instinct lui disait de lui faire confiance. Kira attrapa un bout de papier dans sa poche et commença à écrire.
« Je suis ici pour atteindre les Sharaka. Voilà mon but. J'ai quelques questions à leur poser. Ainsi, je m'entraine pour devenir la meilleure, pour qu'ils n'aient pas le choix de me répondre. »
La brune lui tendit le petit mot.
Ezékiel resta sans voix quelques instants, se demandant si elle se foutait de lui. Puis, il demanda :
— Que veux-tu leur demander ?
« Je suis amnésique. Je ne me souviens pas de mon enfance. J'ai seulement des flashs qui me reviennent de temps en temps et une belle cicatrice, comme si une épée m'avait transpercé. » ajouta-t-elle sur le papier.
— Et qu'est-ce que tu vois ? demanda le brun en se penchant un peu plus vers elle, curieux.
« Du sang, beaucoup de sang. Et de la douleur. Alors que je me traine difficilement de cet océan de sang, trois personnes entrent dans la pièce. Je les reconnais, leurs visages sont sur toutes les pièces du pays. Les Sharaka. Ils sourient avec cruauté et demandent à quelqu'un de m'emmener. Ensuite tout se brouille. Je suis persuadé qu'il s'est passé quelque chose d'horrible dans ma famille et que les Sharaka n'y sont pas inconnus. Je veux donc pouvoir demander en personne aux Sharaka ce qu'il m'est arrivé. »
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