Chapitre 32 : Anneau
Quelqu'un tambourinait contre quelque chose. Peu importait contre quoi l'individu frappait, Kira aurait pu jurer que c'était contre son crâne. Alors en réponse, elle claqua de la langue de façon énervée avant de grimacer de douleur. Le choc de sa langue contre son palais lui avait fait l'effet d'une claque.
Impossible de se rendormir maintenant.
Kira ouvrait donc les yeux. La lumière qui entrait par la toute petite fenêtre était faible, mais suffisante pour qu'elle puisse déterminer où elle se trouvait. Elle ne se rappelait plus comment elle était arrivée dans sa chambre, d'ailleurs, elle portait encore ses vêtements de la veille.
La bouche pâteuse comme un lendemain de cuite, elle rejeta ses couvertures pour aller ouvrir à l'entêté qui frappait à sa porte.
— Kira ! Enfin !
Neik avait une sale tête. Mais probablement qu'elle ne devait pas mieux présenter actuellement, alors elle ne lui fit pas remarquer et signa :
— Quoi ?
— Est-ce que ça va ?
— Viens-en au fait.
— Il s'est passé quelque chose pendant que nous dormions.
— Je n'ai rien entendu.
— Moi non plus. Suis-moi.
Le crâne toujours aussi douloureux, Kira obéissait avec toute la mauvaise volonté dont elle était capable. Les pieds trainants, elle se mit à répondre à Neik qu'avec ses claquements de langue.
— Je crois que j'ai été drogué, disait le Wesi. Et à ta tête, j'ai l'impression que toi aussi. Nous allons avoir des ennuis pour ne pas avoir empêché ce qu'il s'est passé.
Ils ne marchèrent pas longtemps avant d'arriver dans une salle ronde où l'odeur de mort fit grimacer Kira. Les tapis originellement bleus avaient pris une teinte violacée et de nombreux tableaux présentaient des traces rouges balafrant les visages et les paysages. Plusieurs serviteurs étaient occupés à nettoyer la scène de carnage. L'un d'entre eux leur passa tout proche en trainant un cadavre au corps désarticulé.
Pour une fois, Neik resta aussi silencieux que sa coéquipière et ils restèrent ainsi à observer la scène pendant un long moment. De nombreuses questions embrumaient leurs esprits. Combien de soldats étaient morts pendant que les deux chevaliers dormaient ? Était-ce une armée qui avait attaqué le château ? Comment les deux autres chevaliers chargés de surveiller le palais la journée n'avaient pas pu voir les assaillants attaquer ?
Mais surtout : Comment allaient réagir les Sharaka ?
Alors que cette dernière question avait pris toute la place dans leurs têtes, les figeant sur place, des portes claquèrent derrière eux, bientôt suivies de pas rapides et de frottements de tissus épais.
Un long frisson parcourut la colonne vertébrale de Kira et les poils de sa nuque se hérissèrent alors que les pas s'arrêtèrent derrière elle. À ses côtés, Neik se retourna pour découvrir de qui il s'agissait avant de brusquement s'agenouiller.
Kira, se doutant de l'identité des nouveaux arrivants, se retourna la tête baissée avant d'imiter l'homme.
Les Sharaka ne dirent rien et les contournèrent pour parfaitement entrer dans la pièce circulaire. La jeune femme ne put voir leur expression faciale, trop occupée à fixer le sol, mais elle pouvait entendre la respiration rapide de l'un d'entre eux, comme ci ce dernier tentait de contenir sa colère.
Elle les entendit faire le tour de la salle, s'arrêtant de temps en temps, mais toujours sans un mot. Elle les imaginait se pencher au-dessus d'un cadavre, puis faire une pause devant le tableau d'un membre de leur famille recouvert de sang pas encore tout à fait sec.
— Cette énergie, disait soudain l'un des trois souverains.
— L'obsidienne était ici, lui répondait l'un de ses frères. Cela ne fait aucun doute.
— Une telle puissance de destruction chez les Zaléniens. Quel gâchis.
— Nous devons la récupérer.
L'autre acquiesça et comme toujours, le troisième ne prononçait pas un mot.
Les triplets repassèrent autour des deux chevaliers, leurs lourds drapés les effleurant. Et ce fut tout. Pas un mot pour leurs soldats ou même leurs serviteurs. Rien, pas de cri, pas de punition. Quelque chose semblait les avoir détournés de leur colère, quelque chose qui échappait à Kira dont le cœur n'avait cessé de cogner dans sa poitrine.
Alors que les pas s'éloignaient, le sol devant les yeux de la jeune femme se mit à tanguer. Une sueur froide coulait doucement le long de sa colonne vertébrale alors que sa tête s'était mise à chauffer dangereusement.
Neik se redressa avec vivacité, il semblait revivre, comme si il venait de passer à côté de la mort en personne. Et alors qu'il allait proposer à sa coéquipière d'aller prendre un petit déjeuner bien mérité, il remarqua le malaise de Kira.
— Kira ? Est-ce que ça va ?
La chevalière eut à peine l'énergie de secouer la tête. Elle tenta tout de même de se redresser, mais se fut le mouvement de trop. Tout devint noir et elle s'effondra.
La jeune femme n'eut pas l'impression d'avoir été inconsciente longtemps, pourtant, lorsqu'elle se réveilla, elle était allongée sur un lit. Ce n'était pas le sien et elle mit quelques instants à reconnaitre la pièce.
— Kira ? Tu es réveillé ? demandait celui qui occupait normalement ce lit.
Elle hocha la tête avant de se rappeler qu'il ne pouvait pas la voir, ainsi elle claqua une fois de la langue.
— Neik nous a expliqué ce qu'il s'est passé, disait Ezékiel. Le guérisseur a assuré que tu irais mieux après une bonne sieste.
L'aveugle se rapprocha de la muette, un long bâton l'aidant à ne pas se prendre les pieds dans les meubles et à garder une bonne direction. Il s'assit sur le lit et Kira attrapa sa main.
— Neik ? écrivait-elle avec ses doigts.
Dehors il faisait nuit, son coéquipier devait déjà être en vol au-dessus de la ville.
— Sous les conseils du guérisseur, il t'a laissé ici pour que tu puisses dormir quelques heures. En revanche, il va falloir que tu le rejoignes au plus vite. Si j'ai bien compris, vous êtes de garde cette nuit.
La brune lui lâcha la main et sauta du lit. Il fallait qu'elle se dépêche. Que se passerait-il si une autre attaque avait lieu et qu'elle dormait encore ? Elle siffla deux notes en espérant qu'Ezékiel comprenne qu'elle le remerciait puis s'éclipsa.
Elle ressentait encore légèrement la fatigue qui l'avait fait perdre connaissance, mais elle se sentait nettement mieux et puis elle n'avait pas vraiment le choix. Ainsi traversait-elle au pas de course le palais pour rejoindre sa chambre. Elle y enfila son armure, mais ne trouva pas son épée.
Où avait-elle pu la laisser ?
La pièce n'était pas vraiment grande, loin de là, et ne comportait que très peu de mobilier. Impossible de rater une lame longue d'une soixantaine de centimètres à l'intérieur. Pourtant, Kira s'obstina à retourner sa chambre. Elle ne pouvait pas prendre son tour de garde sans arme.
Dans son empressement, elle ne remarqua pas le petit objet argenté qui avait été laissé sur la commode qu'elle déplaçait, bien décidée à voir si son épée ne s'était pas glissée derrière par magie. Ce ne fut que lorsqu'un petit bruit métallique heurta la pierre du sol, qu'elle s'arrêta.
Intriguée, Kira se pencha pour l'attraper. C'était un anneau en argent des plus banal. Il ne comportait aucune décoration ou ornement. Alors que la jeune femme l'examinait à la lumière, un souvenir flou lui revient en mémoire.
¤
Un grincement de porte, un grognement d'effort avant qu'elle ne sente le moelleux d'un matelas dans son dos. Tout était brumeux autour d'elle. Les bruits semblaient si lointains, pourtant une voix parvient jusqu'à elle.
— Je t'emprunte ta lame, mais en échange je te laisse mon anneau. Je reviendrais peut-être le reprendre un jour.
La porte grinça de nouveau mais avant de claquer, il ajouta :
— Tu verras, il est un peu spécial.
Elle pouvait entendre son sourire dans sa voix.
Puis le battant se referma derrière lui, laissant Kira dans son cocon duveteux sans rêve.
¤
Nauséeuse, la jeune femme avait serré le poing sur l'anneau. Elle se souvenait maintenant, elle se souvenait de tout. Ce qu'elle avait surpris dans les cachots, les Zaléniens et surtout, Orestt qui la droguait pour pas qu'elle les gêne.
Il lui avait pris son arme. Probablement, avait-il tué avec son arme les soldats de la salle ronde.
Le poing toujours serré, elle l'abattit contre le sol. Elle aurait pu empêcher ce massacre. Et si les Sharaka l'apprenaient...
De rage, elle balança l'anneau dans un coin de la pièce avant de se lever et de quitter sa chambre.
Kira courut jusqu'à l'armurerie où elle récupéra une autre épée avant de se précipiter dans les sous-sols du château. La fatigue n'était plus qu'un lointain souvenir, avalée par un tourbillon d'émotion. Parmi elles, la peur et la colère dominait, comme toujours.
Maraxès l'attendait avec impatience.
La Wesi grimpa sur son dos et sans un mot, elles sortirent de sous terre.
Une fois bien haut au-dessus d'An Wesiri, Kira dit dans l'esprit de la dragonne :
« J'ai beaucoup de choses à te raconter, Maraxès. »
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