Chapitre 29 : An Wesiri

— Tu aurais pu la tuer, faisait remarquer Sheireen.

— C'est vrai, j'aurais pu, mais je ne l'ai pas fait, répondait-il en rangeant son mouchoir.

— Et pourquoi ?

— Serait-ce de la jalousie, ricanait le brun.

— Elle a entendu notre conversation.

— Et alors ? Normalement, lorsqu'elle se réveillera, nous serons déjà loin. D'ailleurs, je vais lui éviter des problèmes inutiles.

Il se baissa et souleva la Wesi endormie puis disparue avec elle. Lorsqu'il réapparut, Sheireen attendait les bras croisés et les sourcils froncés.

Elle ne dit rien, car Seth l'avait rejoint.

— Il sait faire comme toi ! remarquait l'elfe impressionné.

— Oui, mais pas le temps de t'expliquer. Comment vont les autres ?

— Ça peut aller. Par contre l'autre équipe est dans un sale état.

— Comment ça ? Vous les avez trouvés ?

Seth acquiesça et il conduisit sa sœur jusqu'à une autre cellule, plus reculée.

— Nous n'avons pas de temps à perdre, disait Orestt dans leur dos. Il fait déjà bien jour, d'autres vont venir.

Oma et Léarco aidaient trois de leurs compagnons d'entrainement à sortir de derrière les barreaux. Sheireen les reconnut malgré la crasse et les blessures : Kryss, Swan et Kala. Ils étaient vraiment mal au point, mais surtout, ils n'étaient plus que trois. Qu'était-il arrivé au reste du groupe ?

— Sheireen, l'appelait Léarco. Ils ne pourront pas s'enfuir à pied. Je n'aime pas t'utiliser ainsi, mais il va falloir que tu les évacues.

Elle acquiesçait avec gravité avant d'ajouter :

— Nous devons mettre en place un plan. Ça ne sert à rien d'être à cinq dans les couloirs du palais.

— Je confirme, intervenait Orestt. Moins vous serez nombreux, moins vous attirez l'attention.

— Nous ne savons même pas où aller, faisait remarquer le blond. Peut-être devrions-nous séparer et ratisser le château.

— Je sais où aller, ne vous inquiétez pas pour ça. Je peux y amener Sheireen. Une fois celle que vous recherchez délivrée, Sheireen n'aura qu'à se téléporter vers vous, proposait le brun.

— Je viens avec vous, insistait Léarco.

— Et pourquoi ? Tu as l'air blessé, tu risquerais de nous ralentir.

— Orestt arrête, c'est sa sœur celle que nous recherchons, intervenait Sheireen.

— Zalénia, princesse de Zalia, ajoutait Léarco.

— Hum, intéressant.

Pendant ce temps, Oma avait ausculté les trois blessés, pansant ce qui pouvait l'être maintenant et surtout, leur donnant de quoi apaiser la douleur.

— Tout est bon, Oma ? demandait Sheireen.

— Ils ont besoin de soin, mais je ne peux rien faire de plus. Il faut faire vite, emmène-les où tu peux.

Alors l'elfe attrapa la main de Kala et de Swan, leur expliqua rapidement ce qui allait se passer et disparut avec elles. En quelques instants, elles firent un trajet incroyable, passant d'un royaume à l'autre, pour réapparaitre à Liodas, capitale de Zalia. Sheireen n'avait pas vraiment réfléchi, et comme pour Églantine, elle s'était téléportée chez les magiciens.

Cette fois, il n'y avait personne dans le grand hall, mais elle n'avait pas le temps de chercher de l'aide. Ainsi, disparaissait-elle de nouveau.

Il y avait de l'agitation dans les cachots lorsqu'elle arriva. Elle ne prit pas le temps de demander ce qu'il se passait et attrapa Kryss, Seth et Oma en même temps, ignorant la fatigue qui l'envahissait déjà. Il fallait faire vite.

Une fois dans la tour des magiciens de Zalia, elle laissa Oma et son frère s'occuper des blessés, comptant sur eux pour gérer la situation. Ils étaient en sécurité maintenant.

Dans le sous-sol du château d'An Wesiri, Léarco et Orestt se tenaient côte à côte, lame au clair, lorsqu'elle réapparut enfin. Elle vacilla un coup, se tenant la tête pour réduire les vertiges.

— Ça va aller ? demandait Orestt. Il n'y avait pas grand-chose sur lequel puiser de l'énergie ici.

— Ça ira.

Elle remarqua alors le sang sur la lame du brun et le corps d'un garde qui gisait près des marches.

— Quel est le plan ?

— Nous allons devoir sortir de ce sous-sol. Une fois dans les couloirs, ça devrait aller, mais il va falloir cacher vos cheveux. Le blond et le bleu ce n'est pas monnaie courante ici.

Léarco semblait déjà avoir réfléchi au problème et attrapa le casque du soldat mort. Il l'enfila puis s'approcha du garde endormi et s'empara de son épée pour rendre son deuxième poignard à Orestt. Pour Sheireen, il ne restait plus qu'une cape qui comportait, heureusement, un capuchon.

— Tiens, disait Orestt en lui tendant une longue épée. Je l'ai prise à la Wesi de tout à l'heure.

— Mais, et toi ?

— Je suis plus à l'aise avec les armes courtes.

Il lui montra la rapière et le poignard qui ornaient sa ceinture avec un air satisfait. Elle n'eut le temps de faire un quelconque commentaire, que du mouvement se fit entendre en haut des marches. La jeune femme resserra sa prise sur l'arme qu'on lui avait donnée et, alors qu'elle s'apprêtait à s'élancer dans les escaliers à la rencontre de l'ennemi, Léarco lui attrapa le bras.

— Qu'est-ce qu'il y a ? On n'a pas de temps à perdre.

— Justement. J'ai une idée.

Dans son autre main trônait un petit paquet marron.

— Orestt, tu peux nous faire sortir d'ici comme Sheireen si j'ai bien compris ? demandait le blond.

L'autre acquiesçait sans vraiment comprendre ce qu'il voulait faire.

— Parfait. Tu nous téléportes où tu peux à mon signal.

— Quel signal ? disait Orestt alors que Léarco s'avançait dans l'escalier.

Il claqua des doigts et une flammèche vint lécher le paquet rempli d'herbe. Alors que de la fumée commençait à s'en échapper, le jeune homme le lança vers l'étage du dessus en claquant la porte. Il redescendit rapidement, attrapa la main d'Orestt et ils disparurent tous les trois.

Ils réapparurent dans un grand couloir au bout duquel un épais brouillard envahissait doucement l'espace. Il y avait déjà plusieurs soldats inconscients.

— Suivez-moi. Maintenant, il va falloir être discret.

Orestt s'élança à l'opposé des cachots d'un pas rapide. Ils marchèrent ainsi ce qui sembla une éternité à Sheireen. Chaque croisement pouvait cacher une armée de garde. Chaque serviteur croisé pouvait donner l'alerte. Le casque de Léarco lui couvrait bien la tête, mais la capuche de Sheireen laissait un peu à désirer, si quelqu'un attardait suffisamment son regard sous le tissu, il pouvait repérer les cheveux bleus de l'elfe.

Ils ne dirent pas un mot jusqu'à ce que le brun les arrête dans une grande salle ronde. Les murs étaient recouverts de tableaux représentant les rois et reines qu'avait connus Wesiria. Alors qu'Orestt farfouillait autour d'une peinture d'une dame et son mari bondonnant, Sheireen remarqua une avec trois petits garçons identiques. Aucun ne souriait, l'un semblait perdu dans ses pensées, un autre fusillait du regard quiconque entrait dans la pièce et le troisième regardait ses frères avec admiration.

L'elfe réalisait qu'il s'agissait des Sharaka lorsqu'Orestt fit pivoter le cadre qui l'intéressait, attirant l'attention des deux Zaléniens.

Derrière le panneau en bois, un soldat attrapa vivement sa lance, surpris de voir les trois inconnus. Il chargea et fut à terre l'instant d'après, maitrisé par Orestt.

— Allez-y, ordonnait ce dernier. Je vais garder l'entrée.

Sheireen s'élança donc dans l'étroit couloir jusqu'à une porte en bois, Léarco à sa suite. À eux deux, ils réussirent à enfoncer la porte, les fibres cédant sous leur poids. Derrière, ils découvrirent une chambre, sur le lit était assise une jeune femme blonde.

Cette dernière se retourna vivement à leur entrée fracassante, et alors, son visage fatigué s'illumina.

— Léarco !

Elle voulut se lever pour lui se jeter dans ses bras, mais une chaine la retint par le poignet droit. Ce fut donc Léarco qui s'avança pour la prendre dans ses bras. Ils restèrent enlacés quelques instants sous le regard attendri de Sheireen.

Lorsqu'ils se séparèrent, Zalénia souleva son poignet en implorant :

— Sortez-moi de là, par pitié.

Son frère dégaina sa lame et l'abatis avec force sur le métal qui se brisa. L'énergie sembla revenir à la blonde qui fit quelques pas assurés avant de suivre les deux soldats dans le petit couloir.

Sheireen, qui ouvrait la marche, se figea soudain à mi-parcours. Des bruits de combat résonnaient jusqu'à eux. Le corps tendu à l'extrême, elle allait se jeter dans la bataille quand, encore une fois, Léarco l'arrêta.

— Lâche-moi ! Orestt est tout seul, il faut que nous allions l'aider !

— Il est hors de question que nous amenions Zalénia dans la bataille.

— Mais, Orestt... commençait l'elfe.

— Téléporte Zalénia avant de le rejoindre, la coupait Léarco avec un air grave.

Sheireen, les dents serrées, attrapa la main de la princesse puis celle du prince. Il fallait qu'elle termine cette mission, si Orestt était vraiment en danger, il se téléporterait en sureté. Du moins, c'est ce qu'elle espérait lorsqu'ils disparurent tous les trois. Sheireen, de plus en plus épuisée, les fit réapparaitre dans un sous-bois sombre malgré la journée déjà bien avancée.

Elle ne lança pas un regard à Léarco avant de puiser de l'énergie dans les arbres qui l'entourait pour disparaitre de nouveau, arme au poing.

Elle voulait seulement voir si Orestt s'était enfui, ainsi réapparaissait-elle juste derrière le tableau. Elle le poussa légèrement pour apercevoir ce qu'il se passait dans la salle ronde aux portraits. Alors elle le vit. Il se trouvait de l'autre côté de la pièce circulaire et combattait avec l'énergie du désespoir ainsi que ses deux lames. Une vilaine blessure lui barrait le front, faisant dégouliner du sang dans ses yeux.

Mais pourquoi n'était-il pas parti ? Que faisait-il encore là ?

Alors, Sheireen remarqua la chaine enroulée autour du torse du jeune homme. Il lui était impossible de se téléporter.

Sans réfléchir, l'elfe se jeta dans la mêlée.

Il était hors de question qu'Orestt meurt après tout ce qu'il avait fait pour les aider à retrouver la princesse. De plus, Sheireen voulait absolument le questionner sur ses motivations et, surtout, sur ses connaissances sur les auras noires.

L'effet de surprise eut l'effet escompté et Sheireen abattit plusieurs soldats avant qu'ils ne puissent réagir. Bientôt, sa lame et ses vêtements furent barbouillés de rouge alors qu'elle se frayait un chemin vers Orestt. Ce dernier faiblissait à vue d'œil sous l'effet du métal enchanté.

Sheireen était toute proche lorsqu'il tomba à genou après qu'une lame ne lui ait déchiré la cuisse. Son cœur manqua un battement, mais elle redoubla de violence pour le rejoindre et lui retirer ces chaines pour qu'ils puissent fuir tous les deux.

La salle se remplissait de plus en plus, les coups pleuvaient de tous les côtés.

Elle croisa le regard d'Orestt.

Une lame pointa à travers son cou. Une gerbe de sang sombre gicla de sa bouche en un gargouillis terrible et il s'affala au sol.

Sheireen hurla une première fois, oubliant presque tous les soldats autour d'elle. Elle tendit le bras pour essayait d'attraper le garçon qui gisait dans une flaque rouge de plus en plus grande, mais on la tira en arrière. C'était comme si le monde continuait sans elle, elle ne voyait plus que le tas de vêtements noir qu'était Orestt et la couleur du sang. Partout.

Son cœur battait dans ses oreilles, sa respiration se faisait de plus en plus irrégulière alors qu'un poids énorme s'abattait contre sa poitrine. Orestt était mort.

Des mains trop nombreuses la tiraient toujours plus loin du jeune homme. Il fallait qu'elle fasse quelque chose, mais quoi ? Disparaitre et abandonner Orestt ? Elle ne se sentait même pas capable de faire le moindre mouvement.

Elle vit un homme s'approcher d'Orestt, le retournant d'un coup de pied. Elle vit le visage pâle et les yeux voilés de celui qu'elle aurait aimé mieux connaitre. La tristesse et la colère s'emparèrent alors de son cœur, comme après l'avalanche devant le corps inconscient de Seth, elle perdit pied.

Elle suffoquait tandis que la boule d'émotion l'emplissait complètement. Et lorsqu'elle crut qu'elle allait mourir de ce trop-plein, de cette tristesse et de cette colère, elle hurla de nouveau. Les yeux fermés, elle cria jusqu'à s'en déchirer la gorge et se vider d'air.

Il y eut des craquements et les mains la lâchèrent, le brouhaha cessa et elle pensa qu'elle était bel et bien morte.

Pourtant, Sheireen ouvrit les yeux.

Autour d'elle, tous gisaient au sol, les yeux écarquillés et la peau parcheminée. La plupart des tableaux étaient tombés, révélant des fissures dans les murs de pierre. Le silence était si lourd que lorsqu'elle fit quelques pas vers le corps d'Orestt, ses bottes semblèrent claquer bien trop fort. Ses oreilles bourdonnaient encore, elle se sentait si faible, mais elle était vivante.

Arrivée près du jeune homme, elle s'accroupissait et passa ses doigts sur le visage plein de sang. Elle abaissa doucement les paupières pour les fermer à jamais avec un soupir. Tout était de sa faute. À cause d'elle, Orestt s'était retrouvé là, pourtant, sans lui, jamais leur mission n'aurait pu arriver à son terme.

Les larmes lui montèrent aux yeux, mais elle les chassa d'un revers de la main.

Pensant qu'elle ne pouvait pas le laisser là, même mort. Elle le souleva difficilement et, sans un regard pour les soldats qu'elle avait massacré, elle disparut avec le cadavre.

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