Chapitre 27 : En territoire ennemi

Mbyja avait tenu sa promesse et ramené les quatre Zaléniens où ses chasseurs les avaient trouvés, près du fleuve Orka. Elle leur avait même fourni des provisions et quelques petits paquets qui, une fois allumés avec du feu, endormaient des ennemis.

Sans l'aide de Soliss, la communication était redevenue compliquée, mais Sheireen espérait que ses remerciements pour avoir soigné son frère avaient été compris.

Ce dernier marchait derrière elle, expliquant à Léarco quels étaient les noms des différents fruits que leur avaient donnés les Krigus.

— Et ça, c'est le Khajisé, il est très sucré et donne beaucoup d'énerg...

La fin de sa phrase se perdit dans sa bouche et Sheireen se retourna vivement. Seth avait encore perdu connaissance. Il se réveilla presque instantanément, dans les bras de Léarco qui l'avait rattrapé dans sa chute.

Oma accourut vers eux pour observer Seth. Ce dernier se tenait de nouveau debout, comme-ci de rien n'était. Il fit une grimace à sa sœur qui s'inquiétait de plus en plus. C'était la deuxième fois aujourd'hui que le garçon s'effondrait.

Ils ne pouvaient pas entrer en territoire ennemi avec un blessé.

— Ne dis rien, la devançait Seth. Tu ne me renverras pas à Liodas comme Églantine.

Avant qu'elle ne puisse lui répondre, il était déjà reparti, prenant la tête du groupe.

Oma le suivit en trottinant, lançant un regard désolé à Sheireen.

— On ne peut pas continuer comme ça, disait Léarco.

— Je sais.

Il lui passa devant à son tour pour rattraper les autres et l'elfe lui emboita le pas en soufflant. Elle n'arrivait tout simplement pas à se résigner à renvoyer Seth à la capitale. Mais si elle savait que c'était faux, elle avait l'impression qu'il serait plus en sécurité près d'elle.

Elle le regardait marcher avec ferveurs vers l'est, chacun de ses pas tapant avec force le sol comme pour prouver à sa sœur qu'il était assez d'attaque pour continuer.

Ils finirent par atteindre le trou entre les montagnes par lequel le fleuve s'enfonçait en Wesiria. Comme si la chaine de montagnes s'était ouverte en deux pour laisser l'eau passer, deux grands murs de roche surplombaient les flots tumultueux. Les chevaliers ne pouvaient clairement pas passer à pied ou même à la nage.

— Tu ne pourrais pas nous téléporter de l'autre côté ? demandait Seth à Sheireen.

— Non, c'est trop loin et je n'y suis jamais allé. Je t'ai déjà expliqué comment cela fonctionnait.

— Alors, il va nous falloir une embarcation, disait Léarco.

Ce dernier avait déjà déposé ses affaires au sol, retiré son haut et attrapé ce qui se rapprochait le plus d'une hache, sa propre épée. La peau pâle de son dos s'éloigna, se glissant dans l'ombre des arbres. Et bientôt, ils se retrouvèrent tous à couper des troncs pour constituer un radeau. Même Oma, qui ne pouvait encore compter que sur un seul de ses bras, s'occupa d'un arbre.

Lorsque la nuit tomba, ils étaient tous trempés de sueur et épuisés, mais ils avaient récolté assez de bois pour les assembler avec des lianes solides. De son côté, Seth avait fini de tailler deux paires de rames.

— Nous partirons bien avant l'aube, décidait Léarco en serrant le dernier nœud. Il va falloir nous faire discrets et cette entrée dans le royaume doit surement être surveillée.

— Nous allons être une cible de choix sur notre radeau, lâchait Oma. Il faut impérativement que nous touchions terre avant l'aube.

Tous acquiescèrent l'air grave. Leur mission commencerait donc vraiment dans quelques heures.

Sheireen et Léarco tirèrent le radeau jusqu'à l'orée de la jungle où ils avaient décidé de passer la nuit. Puis, ils s'installèrent pour dormir. Oma avait pris le premier quart, mais les autres avaient du mal à s'endormir. Les bruits des animaux nocturnes ou du fleuve non loin n'y étaient pour rien, tous pensaient à la journée qui arrivait.

Lorsque ce fut son tour de veiller, Sheireen n'avait que très peu dormi. Étant la dernière à surveiller le camp et ses camarades, ce fut à elle de les réveiller pour le grand départ.

Il faisait encore bien nuit et les nuages cachaient en partie la lune. Ils rangèrent leurs affaires en silence, puis glissèrent leur embarcation vers les flots.

Alors que Léarco la maintenait en place, chacun monta dessus avec précaution puis il les rejoignit en donnant de l'élan au radeau qui s'engagea entre les montagnes bien plus vite qu'ils ne l'avaient imaginé. Tendu à l'extrême, le petit groupe ne bougeait pas, se laissant dériver.

Le fleuve faisait le bruit de tonnerre et plusieurs fois, ils manquèrent de heurter un rocher, mais le courant leur était favorable et bientôt, ils passèrent de l'autre côté des montagnes. Il y avait bien une tour de garde, mais personne ne semblait y être réveillé, aucune lumière ne brillait aux fenêtres et aucun soldat ne patrouillait à son sommet.

Méfiants, les Zaléniens n'accostèrent pas encore, laissant le fleuve les emporter plus avant dans les terres. L'aube approchait.

— Le courant ralentit, faisait remarquer Seth.

Il se pencha et sa main se balada dans l'eau avec douceur avant de briller légèrement. L'elfe tentait de contrôler les flots pour les éloigner encore un peu de la tour de garde dans leur dos. Une ligne lumineuse était apparue à l'est, il fallait faire vite.

Sheireen et Léarco commencèrent à pagayer avec force tandis qu'Oma lançait des regards dans tous les sens. Le ciel se colorait doucement.

Soudain Seth s'affala contre le bois, son bras, dont la lumière avait disparu, se faisant balloter par les flots.

— Merde, disait la rousse.

Elle tirait le corps inconscient vers le centre de leur embarcation, le mis sur le dos et écouta sa respiration. Sheireen avait lâché sa pagaie pour se précipiter vers son frère qui reprenait déjà connaissance.

— Désolé, marmonnait-il.

— Sheireen ! criait Léarco.

L'elfe se détacha de Seth pour reprendre son poste les dents serrées.

— Nous devons accoster. Il y a une forêt de ce côté, disait Oma en tendant le bras vers leur gauche.

Continuant à pagayer, les deux Zaléniens rapprochèrent l'équipage du bord alors que Seth reprenait doucement ses esprits. Le bois tapa contre la pierre et Sheireen sauta sur la terre ferme. Elle attrapa la main de son frère pour le tirer vers elle, puis elle aida Oma et enfin Léarco les rejoignit. Le radeau fut emporté au loin, mais ils ne s'attardèrent pas pour le regarder disparaitre.

Ils se mirent à courir vers les arbres, Seth faisant de son mieux pour suivre la cadence.

Soudain, un bruit de cavalcade gronda dans leur dos.

— Dépêchez-vous, hurlait Léarco.

Sheireen jeta un regard en arrière, quatre cavaliers étaient à leurs trousses, avalant la distance qui les séparait d'eux. Elle vit aussi Seth qui s'épuisait à sprinter ainsi et elle sut qu'elle aurait dû le mettre en sécurité bien avant ça. Il allait tomber, ce n'était qu'une question de temps et la forêt semblait si loin.

Alors elle ralentit, le laissant la dépasser, puis s'arrêta complètement.

L'elfe fit volte-face, dégaina son arme et se mit en position. Il fallait que les autres atteignent le bois, là-bas, les chevaux ne passeraient pas et des hommes à pied seraient bien plus simples à combattre. Peut-être pourraient-ils même ensuite récupérer les chevaux ?

— Sheireen ?! Qu'est-ce que tu fais ?! criait Seth.

— Avancez, je vous rejoins.

Les cavaliers approchaient toujours aussi rapidement. Le sol tremblait. L'elfe pouvait voir leurs lames scintiller dans la lumière de l'aube. En un instant, ils étaient sur elle.

Sheireen balança son épée, tranchant la patte avant d'un des chevaux. Elle n'eut pas le temps d'observer la chute impressionnant du cavalier, se téléportant en arrière pour faire de même à une autre monture. Tant pis pour les chevaux. Une lame passa proche de son visage, mais elle avait encore disparu.

Alors qu'elle réapparaissait, elle se heurta à Léarco. Elle remarqua alors qu'ils n'avaient pas suivi ses consignes et se tenait tous les trois dans son dos, en position de combat.

— Je vous avais dit de continuer à courir ! sifflait-elle.

— On ne pouvait pas te laisser seule ! répliquait Oma.

Les deux cavaliers restants leur tournaient autour, l'un des deux autres se relevant de sa chute plus loin. L'autre restait inconscient, écrasé par sa monture.

— Très bien, attrapez mes mains, ordonna Sheireen.

Ils obéissaient, mais alors que l'elfe allait de nouveau se téléporter, mais avec ses amis cette fois, une chaine s'enroula autour de son cou. Le toucher du métal la brûla immédiatement et elle lâcha ses compagnons pour l'agripper à pleine main.

Elle hurla lorsque ses paumes fumèrent contre les maillons. Impossible de s'en libérer ainsi. La douleur était si forte qu'elle était incapable de parler ou de tout simplement desserrer sa mâchoire.

Alors, elle tenta de disparaitre quand même, faisant signe aux autres de l'attraper de nouveau. Mais elle n'en était plus capable, l'énergie lui manquait, c'était comme-ci plus aucune trace de magie ne coulait en elle. Sheireen tomba à genoux.

Léarco et Oma se mirent autour d'elle pour la protéger alors que Seth essayait de dérouler la chaine. Ses doigts subirent le même sort que ceux de Sheireen, mais il persista, tirant sur les maillons alors que sa sœur commençait à tourner de l'œil.

La rousse tenait en respect l'un des cavaliers avec sa longue épée, mais était bien incapable de s'approcher assez pour attaquer. À ses côtés, Léarco faisait de grands mouvements avec sa propre lame qu'il avait recouverte de flamme d'un coup de main. Les chevaux semblaient craindre le feu et se cabraient lorsque les hommes leur ordonnaient d'avancer.

Alors, l'un des Wesi lança une nouvelle chaine. Cette dernière s'enroula autour du bras droit du blond. Immédiatement les flammes s'éteignirent et sous la douleur, il faillit lâcher son arme. Mais il serra les dents et tira fermement dessus, faisant tomber le Wesi de sa monture.

Dans sa chute, l'homme resta accroché à la chaîne, entrainant Léarco avec lui. Ils se mirent à se battre au corps à corps, roulant entre les sabots du cheval qui paniquait.

Alors Sheireen perdit connaissance.

Les combats continuèrent autour d'elle, mais lorsqu'elle se réveilla, elle n'était plus au même endroit et ses mains avaient été liées dans son dos. Il faisait nuit, un feu brûlait à quelques pas d'elle. Allongée au sol, elle ne voyait nulle part ses amis.

La tête lui tournait, son cou la faisait toujours souffrir, mais elle tenta de se redresser.

— Vous aviez raison, elle n'est pas morte, disait un homme dans son dos.

Ses grosses bottes passèrent proche, mais il ne s'arrêta pas, rejoignant ses camarades autour du feu.

— Il aura fallu que tu ailles pisser pour t'en rendre compte, ricanait un autre.

Maintenant assise, Sheireen eut tout le loisir d'observer les Wesi. Ils n'étaient plus que trois, l'autre avait dû succomber à ses blessures. Deux d'entre eux arboraient des barbes de trois jours et des cheveux d'un noir de jais coupé court tandis que le dernier, qui semblait plus vieux, avait une belle moustache grise et une longue toison poivre et sel. Les flammes donnaient l'impression que leurs visages fatigués ondulaient doucement.

Un seul cheval était accroché plus loin.

Alors, elle remarqua Léarco qui avait été attaché à un arbre. Il semblait inconscient.

L'elfe fit alors un tour d'horizon et découvrit que ses amis étaient éparpillés autour du feu. Seth dormait, ses mains liées dans le dos alors qu'Oma ne lâchait pas les Wesi des yeux. Son bras blessé avait été ramené dans son dos pour lui attacher les bras, on pouvait lire la douleur sur ses traits.

Sheireen se reconcentra alors sur elle-même. Ils ne l'avaient pas attaché avec une simple corde, l'elfe pouvait sentir la froideur du métal, mais ce n'était pas la chaine qui lui avait fait perdre tous ses moyens. Ainsi essaya-t-elle d'invoquer le feu pour les faire fondre. Pas d'étincelle, pas même de fumée ne s'échappa de ses paumes. Alors, avec l'énergie qui lui restait, elle tenta de se téléporter. Mais le décor ne changea pas autour d'elle, d'ailleurs aucune énergie ne fut dépensée. Elle était tout bonnement vide de magie, ou du moins n'arrivait-elle pas à y accéder.

Alors elle analysa la situation.

Elle était la plus proche du feu et des soldats, peut-être pourrait-elle attraper de quoi se libérer ?

Les soldats gardaient leurs lames dans leurs fourreaux à leur ceinture, peut-être, si elle agissait vite ?

Et ensuite ? Admettons qu'elle arrive à attraper une arme, que pourrait-elle faire avec les mains dans le dos ? Et ses amis ? Il n'y avait qu'Oma de réveillée et elle était blessée.

— Qu'est-ce que tu nous veux ? lâchait l'un des Wesi en croisant son regard.

— Je crois que tu lui plais, plaisantait un autre.

Sheireen lui lança un regard noir qui les fit rire tous les trois. Puis ils l'ignorèrent de nouveau, reprenant leur discussion là où ils l'avaient laissé. Ils ne semblaient pas vraiment choqués de la perte d'un de leur collègue, parlant de ce qu'ils allaient faire une fois qu'ils seraient à la capitale. Boire, manger et se retrouver en charmante compagnie, voilà tout ce qui semblait leur importer.

L'elfe ne manqua pas une seule parole jusqu'à ce que le feu ne devienne braise et qu'ils décident de dormir. Alors, elle continua à veiller, guettant une opportunité, cherchant comment se sortir de ce mauvais pas. Mais elle était encore si faible, était-ce les menottes qui lui aspiraient son énergie ?

La lune commençait déjà à descendre dans le ciel, lorsqu'elle s'assoupit.

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