Chapitre 26 : Veille

— T'as une sale gueule, remarquait Neik.

Kira lui jeta un regard de travers alors qu'ils arrivaient dans le sous-sol du château.

— Je veux dire que tu as l'air fatigué, c'est tout, disait-il en levant les mains dans un mouvement d'apaisement.

— Je dors mal.

Elle ne dormait pas assez surtout. Mais, il était hors de question qu'elle lui parle d'Orestt et de ses tentatives vaines de le retrouver depuis maintenant trois jours. L'intrus avait tout bonnement disparu sous ses yeux pour ne plus être aperçu dans le palais.

Cela aurait pu être une bonne nouvelle si Kira n'avait tout simplement pas l'impression qu'il soit parti et se faisait juste plus discret. Maintenant qu'il connaissait bien le château, il pouvait bien toujours être là clandestinement. Et si quelqu'un d'autre qu'elle lui mettait la main dessus, elle pourrait avoir des problèmes.

— Peut-être que tu devrais aller voir le guérisseur... commençait l'homme.

La brune secouait la tête, hors de question.

— Ça va passer, ne t'inquiète pas.

Neik haussa les épaules, quittant le champ de vision de la jeune femme pour rejoindre son dragon. Kira se dirigea alors vers la grande cavité qui abritait Maraxès.

Mais, alors que la dragonne déroulait son long corps écailleux, la Wesi aperçut une silhouette sur sa gauche. Kira rejoignit le reptile l'air de rien, derrière elle, elle entendait Neik lui lancer :

— J'y vais, tu me suis ?

Les deux bras levés, elle lui signa qu'elle arrivait en espérant qu'il se souvenait des gestes, tout en continuant son avancée le plus naturellement possible. Elle entendit le dragon du chevalier sortir des sous-sols, battant furieusement des ailes pour prendre de l'altitude, et lorsqu'elle fut sûre qu'elle ne serait pas dérangée, Kira se tourna vers l'ombre qui n'avait pas bougé.

Appuyée contre la roche humide, elle semblait attendre que la chevalière s'approche.

Ce qu'elle fit. La main sur le pommeau de sa grande épée, Kira avança de quelques pas dans sa direction.

— J'ai vu que tu me cherchais, disait l'homme.

« Qui est-ce ? » demandait Maraxès dans son esprit.

« Un intrus. »

Le dragon sortait de sa grotte pour suivre sa chevalière. Devant l'apparition du reptile, Orestt ne broncha pas. Maintenant qu'elle voyait son visage et qu'elle était sûre d'à qui elle avait affaire, Kira tira sa lame de son fourreau dans un chuintement.

— Du calme, je veux juste discuter.

— On a déjà discuté.

— Tu devrais arrêter de me chercher, tu t'abimes la santé pour rien. Je ne vais rien faire contre tes chers Sharaka. Je cherchais juste des informations. Informations que tu aurais pu m'aider à trouver pour que je parte plus vite d'ailleurs...

— Ce ne sont pas mes chers Sharaka ! articulait-elle alors qu'il continuait de parler.

— Pourtant, tu m'as l'air bien fidèle. Au point de me traquer depuis trois jours.

Elle ne répondait pas, Maraxès grondait doucement derrière elle. Il souriait.

— J'ai touché une corde sensible ?

— Qu'est-ce que tu me veux ?

— Si tu veux tout savoir, tes yeux me font penser à ceux d'une amie et j'avais espéré que tu en serais une aussi. Peut-être me suis-je trompé...

La jeune femme fronça les sourcils, c'était quel genre de raison ça ? Ce type était complètement taré.

— Oui, tu t'es trompé.

« Que fait-on, Kira ? Nous ne pouvons pas tarder plus. Neik va s'inquiéter. »

La dragonne avait raison. Orestt lui faisait perdre son temps.

Elle rangea son arme et demanda :

— Tu es là pour te rendre ou juste pour me faire perdre mon temps ?

Il disparut pour apparaitre tout près d'elle.

— Je voulais voir si tu avais changé d'avis.

— Je n'ai pas changé d'avis. Je ne me mettrais pas en danger pour un inconnu.

Cette fois, il disparut pour de bon. Kira s'en assura en faisant plusieurs tours sur elle-même.

« Allons-y. » finissait-elle par dire à Maraxès.

La dragonne mauve se baissa pour lui permettre de monter sur son dos et elles sortirent de sous terre.

Elles s'élevèrent doucement dans le ciel au-dessus d'An Wesiri. Neik vint rapidement à leur rencontre alors que l'équipe de la journée descendait en piqué vers leur repos bien mérité.

— Tout va bien ?

Kira leva deux pouces en l'air avec un sourire.

— Je prends l'est aujourd'hui, ça te va ? demandait-il.

Elle lui répondait en haussant les épaules, peu importait la partie qu'elle surveillait, il ne s'y passait jamais rien. Le seul élément notable avait été la fuite de la blonde. Depuis, le calme plat. Non pas que Kira voudrait se voir débordée par des ennemis, mais la nuit allait encore être longue, surtout avec tout le sommeil qui lui manquait.

Après un signe de tête, ils se séparèrent. Maraxès plana au-dessus de la ville, survolant les toitures abimées des quartiers pauvres plongés dans le noir. Tout était calme.

Le soleil avait disparu, il ne restait plus qu'une ligne rouge à l'horizon vers laquelle elles se dirigèrent avant de s'arrêter passer les remparts. La ronde commençait.

Restant à une distance raisonnable de la muraille, Maraxès la longea méthodiquement. Kira devait veiller à son intégrité, ses yeux étaient maintenant rompus à l'exercice et la moindre anomalie lui sautait immédiatement aux yeux. Cette nuit, rien à signaler.

« Tu es sûre que tu vas tenir toute la nuit ? » demandait la dragonne.

« Oui, ne t'inquiète pas. De toute façon, je n'ai pas le droit de flancher. »

Le reptile restait silencieux et Kira comprenait que sa réponse ne lui satisfaisait pas. Elles remontèrent en flèche pour commencer la laborieuse surveillance de la ville à proprement parler.

Les zones les plus pauvres étaient les moins éclairées, Kira devait donc être plus attentive. Les rues étroites et hasardeuses pouvaient cacher n'importe quoi, mais en général, les mouvements que la chevalière repérait ne venaient que d'animaux errants, de personnes n'ayant pas de quoi se payer un toit ou d'un garde. Ces derniers, assez nombreux près des entrées de la ville et des quartiers riches, ne s'aventuraient que rarement dans les coupe-gorge que Maraxès survolait en cet instant.

Lorsqu'un incident survenait, Kira avait le temps de tout arranger avant qu'ils ne rappliquent, leurs armes à la main. Et c'était très bien ainsi.

Aux yeux de la chevalière, les soldats en faction à An Wesiria ne servaient pas à grand-chose. Ils veillaient à l'ordre de la cité, mais c'était surtout les ombres des dragons au-dessus d'eux, qui calmaient les habitants les plus ragaillardis.

Après tout, ils n'avaient même pas réussi à arrêter la blonde dans sa course vers la liberté.

Alors que Kira ruminait, la dragonne mauve passait d'un quartier à l'autre. En dessous d'elles, les habitations devenaient plus grandes, plus solides à mesure qu'elles se rapprochaient des deuxièmes remparts et du palais.

Toujours rien à signaler.

Arrivées proches des portes du château, elles firent demi-tour. La nuit était loin d'être finie.

Cette fois-ci, elles longèrent la partie ouest du port, laissant l'autre côté à Neik, avant de survoler le quartier des pêcheurs, habitations les plus au nord de la ville car les plus proches de la mer et donc du port.

« Il y a quelque chose dans le ciel. » faisait remarquer Maraxès alors qu'elles approchaient des premiers remparts.

Les yeux plissés, la Wesi essaya de distinguer ce à quoi faisait référence la dragonne, mais impossible. Dans le noir, le reptile voyait bien mieux qu'elle.

« Je ne vois rien. Qu'est-ce que c'est ? »

« Je ne sais pas, mais, nous n'allons pas tarder à le savoir, ça se rapproche. »

Elle se posa sur le mur de la ville, le cou tendu vers la chose. Kira patientait, la main posée sur la garde de son épée et les yeux sondant le ciel.

Alors, elle le vit.

« C'est un dragon. » disait en même temps Maraxès dans son esprit.

Elle décolla et, en quelques battements d'ailes, elle fut à une altitude suffisante pour intercepter le visiteur. Ce dernier planait doucement vers eux. Il ne semblait pas agressif pour le moment.

« Il est rouge. »

Une pensée traversa l'esprit de Kira avant de disparaitre. Non, ce n'était pas possible que ce soit lui.

« Est-ce qu'il y a quelqu'un sur son dos ? » demandait-elle.

« Je crois que oui. »

Un frisson traversa la chevalière alors que le dragon écarlate arrivait enfin à leur niveau. Elle était si concentrée sur le nouveau venu, qu'elle n'entendit pas tout de suite que quelqu'un arrivait derrière elle jusqu'à ce que celui-ci lui crie :

— Kira !

C'était Neik. Mais Kira ne se retourna pas pour le voir. Car à son nom, celui qui montait le dragon rouge avait relevé la tête. Ses cheveux noirs étaient un peu négligés, son menton était recouvert d'une barbe de trois jours et ses yeux étaient cachés par un bandage, mais Kira le reconnut immédiatement.

Ezékiel.

Elle ouvrit la bouche, prête à lui souhaiter la bienvenue, le submerger de question, mais elle n'en fit rien. Elle pouvait bien articuler ce qu'elle voulait, aucun son n'en sortirait jamais et le jeune homme ne semblait pas en état de pouvoir lire sur ses lèvres ou même suivre ses mains.

— Tout va bien ? demandait Neik. Qui est-ce ?

— Un ami, signait-elle sachant que l'homme connaissait le mouvement.

— Je suis un ami, disait d'une voix faible Ezékiel. Je... je suis blessé. On m'a envoyé à An Wesiri. J'ai une lettre.

Il lâcha avec prudence le pic auquel il s'accrochait jusque-là et clissa sa main dans le petit sac qui pendait à son cou pour en sortir un bout de papier sale. Il le tendit dans le vide.

Kira étant la plus proche, elle l'attrapa, lu les quelques lignes et la signature avant de le passer à son collègue sans lâcher son ami du regard. Avait-il seulement remarqué qu'elle était là ? Il avait entendu son prénom, elle en était sûre, il y avait réagi, mais en avait-il déduit sa présence ?

— Très bien. Je vais t'escorter jusqu'au château, disait Neik.

Il fit un signe au dragon rouge et se dirigea, sans un mot pour Kira, vers le palais. Ezékiel et sa monture passèrent à côté d'elle en silence et bientôt, ils furent loin.

La jeune femme resta figée ainsi quelques instants. Maraxès avait repris la ronde, mais Kira était tout sauf attentive. Neik revint rapidement à son poste et la nuit continua sa longue et tranquille vie.

Lorsqu'elle posa enfin pied-à-terre, Kira s'empressa de rejoindre les couloirs du château, ignorant complètement son coéquipier. Elle marchait d'un pas si rapide que les serviteurs devaient s'écarter vivement à son passage.

Et, enfin, la jeune femme déboula dans la pièce basse de plafonds du guérisseur.

— Ma Dame ? disait l'homme à la calvitie plus que naissante.

— Quelqu'un est arrivé cette nuit, signait-elle avec rapidité. Je dois le voir.

Le médecin, qui était bien le seul à la comprendre correctement dans ce palais, répondit :

— Oh oui, le soldat. Suis-moi.

Il passa devant le gros meuble où reposait toutes ses concoctions, louvoyant entre les livres abandonnés sur le sol et ouvrit une petite porte derrière son bureau. Kira le suivit avec bien moins d'agilité alors qu'elle l'entendait dire :

— Ezékiel, quelqu'un est là pour vous.

Elle entra dans la pièce, découvrant le jeune homme assis sur un lit rudimentaire. Il se tenait dos à l'entrée, mais répondait quand même :

— Qui ?

Le vieil homme se tourna vers Kira, attendant de savoir comment il devait l'introduire.

— Une amie que tu ne peux malheureusement pas entendre.

À ces mots, le brun se retourna approximativement vers la porte en lançant :

— Kira ?

Cette dernière se figea devant les blessures qui défiguraient le visage du chevalier. Elle s'était demandé toute la nuit pourquoi les bandages qu'elle avait vus lui passaient sur ses yeux. Elle avait imaginé des scénarios, mais rien ne l'avait préparé à ça.

Une longue plaie en pleine cicatrisation passait d'un côté à l'autre de son visage, traversant ses yeux.

La réalité frappa Kira comme un coup de poing. Ezékiel était aveugle.

— Kira ? redemandait le blessé. Est-ce bien toi ?

Alors elle se rendit compte qu'elle ne pourrait plus jamais lui parler, car elle était muette et lui aveugle. Il ne pourrait plus lire sur ses lèvres ou apprendre la langue des signes. Celui qu'elle considérait comme son seul ami lui paraissait maintenant inaccessible pour toujours.

— C'est bien elle, disait le docteur.

Peut-être qu'Ezékiel arriva à la même conclusion qu'elle, car il se leva brusquement, les mains en avant. Il se dirigea tant bien que mal vers la source des paroles du vieux.

— Où est-elle ? Kira, où es-tu ?

Le guérisseur attrapa la main de son patient et la guida doucement vers l'épaule de Kira qui tressautait sous les sanglots qu'elle essayait de réprimer. Son visage était déformé par la tristesse, mais il ne pouvait pas le voir.

— Kira...

Ses doigts rencontrèrent son visage et il lui sourit.

— Comment ? articulait la jeune femme.

Le docteur répétait la question à voix haute et Ezékiel répondit :

— Un coup d'épée. Un seul coup d'épée m'a rendu aveugle. Je ne peux plus combattre maintenant.

— Et ton dragon ?

De nouveau, le vieux servait d'interprète.

— Rubyrion sera donné à un autre chevalier. Je ne suis plus d'aucune utilité sur un champ de bataille, Kira. Ils n'allaient pas me laisser un dragon.

La chevalière attrapa brusquement la main du garçon qui se baladait encore sur sa joue, comme se remémorant ses traits, pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas d'accord.

— Qu'y a-t-il ?

Elle resserra sa prise le regard déterminé.

— Elle ne semble pas de votre avis, disait le médecin avec un sourire.

— On n'a jamais entendu parler d'un guerrier aveugle, soufflait Ezékiel, désabusé.

— Je vais t'aider, lâcha Kira en silence. Je n'abandonnerais pas tant que tu ne serais pas aussi fort que tu l'étais.

Le vieux répétait calmement.

— Kira, je n'étais pas si fort que ça, c'est seulement toi qui te berçais d'illusions. Un coup d'épée à suffit pour me mettre hors d'état de combattre. Et puis, comment voudrais-tu m'aider ? Nous ne pouvons même pas communiquer sans l'aide de quelqu'un.

La brune sera les dents, il n'avait pas tort sur ce dernier point.

— Si je puis me permettre, disait le vieux. Il existe bien d'autres manières de communiquer pour quelqu'un qui ne peut pas parler. Évidemment, il y a la langue des signes que Kira maitrise, mais tu ne peux pas la voir.

Les deux jeunes gens attendaient la suite, guettant les mots qui allaient peut-être leur redonner espoir.

— Il vous reste à tous les deux l'ouïe et le toucher. Il y a les sifflements, les claquements de langue, les tapotements ou même les symboles dessinés sur la paume de la main. Tout est possible, il ne vous reste qu'à apprendre l'un de l'autre.

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