Chapitre 21 : Ascension
Derrière eux, le lac source du Say n'était plus qu'une tâche miroitante sous le soleil déclinant de fin de journée. Les quatre compagnons avaient bien avancé dans leur ascension, mais ils commençaient à ralentir sous la fatigue. La pente sous leurs pieds devenait de plus en plus abrupte.
Léarco guidait le groupe avec détermination, lançant des mots d'encouragement à celui ou celle qui se mettait à trainer. Aucuns d'entre eux ne se plaignait, mais lorsque le prince décida que la saillie située quelques mètres au-dessus d'eux serait leur lieu de campement, un souffle de soulagement jaillit des lèvres d'Oma.
La rousse avait beau être la plus forte au combat du groupe, ses jambes n'étaient pas les plus renforcées. De plus, la traversée de la Terre Noire semblait l'avoir un peu rouillée, comme si l'inactivité des derniers jours avait eu raison de son endurance.
Enfin ! s'exclamait Seth en s'asseyant sur un rocher, son sac rebondissant à ses côtés.
— Fais attention, si tes affaires roulent jusqu'en bas, nous ne ferons pas demi-tour, lui disait sa sœur.
— Tu n'auras qu'à te téléporter pour aller les chercher, faisait remarquer le plus jeune du groupe.
Sheireen roula des yeux avant de se retourner vers Léarco qui allumait un feu.
— Quand penses-tu que nous atteindrons le col ?
— Demain dans la journée, du moins je l'espère.
L'elfe se tourna vers l'amont, les yeux plissés pour essayer d'apercevoir leur but. Il semblait bien y avoir un passage moins haut que les pics, mais la neige réverbérait le soleil couchant, l'empêchant d'en distinguer plus.
— Il n'y a pas encore de neige où nous sommes, mais plus haut, il fait encore froid. Il faudra faire très attention, avec l'arrivée du printemps, les risques d'avalanche sont grands, intervenait Oma en suivant son regard.
— Oma a raison, disait le blond. En plus, la pente va devenir plus qu'abrupte, le risque de chute grandit lui aussi. J'ai pensé à tous nous attacher à une corde, au cas où.
— Si je comprends bien, les choses sérieuses commenceront demain.
Les deux autres acquiescèrent doucement. Léarco se releva, les deux mains tendues vers le tas de branches sèches qu'il alluma sans un mot. Seth se précipita vers la source de chaleur, l'air commençait à se faire frais.
Tous les quatre serrés les uns contre sur la petite corniche, ils firent griller leur reste de viande fraîche avant de s'endormir emmitouflé dans leurs grandes capes. Oma se chargeait du premier tour de garde malgré le peu de chance de se faire attaquer sur le flanc d'une montagne, il fallait rester prudent. Après tout, ils étaient à découvert, les flammes faisant surement un point plus que repérable au milieu de tous ces rochers.
Lorsque son tour de veiller arriva, Sheireen laissa libre ses pensées, le regard perdu dans les étoiles. Ces dernières semblaient plus proches, à moins que l'absence d'arbre pour la protéger de la vue des cieux lui donne cette impression. L'elfe n'avait pas l'habitude de prier, pourtant, ainsi exposée à la voute céleste, elle ne put s'en empêcher. Sans vraiment savoir à quels dieu ou déesse elle s'adressait, elle pria pour que cette mission réussisse, pour que personne ne meure inutilement. Les mots d'Orestt lui revinrent alors à l'esprit.
« Faites demi-tour, dites que la montagne a eu raison de vous, c'est ce qui va arriver de toute façon. Ça ne sert à rien de gâcher des vies aussi inutilement. »
La montagne allait-elle réellement les arrêter ? Pour le moment, l'ascension n'était pas des plus périlleuses, fatigante tout au plus, mais si Léarco et Oma avaient raison, le danger pouvait apparaitre n'importe quand.
Et de l'autre côté, ce sera pire.
L'aube arriva bien vite malgré l'ombre des montagnes.
— Je vais passer devant, disait le blond. Ensuite, je propose que nous suivions cette formation : moi, Seth, Sheireen et Oma.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, intervenait Sheireen. Ce n'est pas contre toi Oma, mais je pense que je devrais fermer la marche, au cas où tes jambes faibliraient.
La rousse acquiesça avec un sourire.
Ça me va très bien, tout le monde sait que c'est la force de mes bras qui font ma force.
Ils rangèrent rapidement leurs affaires avant de s'attacher tous ensemble le long d'une corde que Léarco avait pensé à prendre. Puis l'ascension reprit.
Rapidement, il leur fallut s'aider de leurs mains pour avancer et ne pas tomber. La pierre commençait à être glissante, cassante par endroit même et, plusieurs fois, l'un d'entre eux faillit glisser en ratant une prise. Leurs équipements étaient rudimentaires. Leurs bottes n'adhéraient pas autant que l'auraient fait des chaussures spécialisées et leurs gants étaient peut-être un peu trop fins. Mais ils gagnaient du terrain, le col ne semblait plus si loin.
Ils finirent d'ailleurs par l'atteindre bien avant le coucher du soleil.
Il y avait de la neige partout à cette hauteur, le vent s'engouffrait entre les deux murs de pierre qui les entouraient, sifflant et les gelant jusqu'à l'os. Alors que ses trois compagnons se précipitaient de s'éloigner du vide, Sheireen se tourna vers le panorama. Faisant fi des rafales et du froid, son regard se perdit vers l'horizon, survolant la Terre Noire qu'ils avaient traversée, se heurtant à Cétus, glissant vers Liodas et enfin, apercevant difficilement le vert des forêts de sa Terre.
Jamais ils n'étaient montés aussi haut, même avec leurs dragons encore trop jeunes.
La corde entourée autour de ses hanches se tendit à son extrême, manquant de lui faire perdre l'équilibre, lui rappelant que les autres ne pouvaient pas aller bien loin si elle ne suivait pas. Ainsi se détourna-t-elle de la vue pour les rejoindre.
Ils s'étaient empressés de créer une sorte de mur de neige pour protéger le feu du vent. Rudimentaire, la construction semblait pourtant assez solide et les flammes brillaient déjà entre les trois silhouettes mains tendues vers la source de chaleur.
— La nuit va être rude, disait Oma alors que l'elfe souriait face à la chaleur.
— Reposons-nous un maximum tant que nous avons le temps, nous ne pouvons de toute façon pas entamer la descente aujourd'hui, lui répondait Léarco. Mais avant, finissons notre abri.
Il les fit s'écarter avant de faire fondre la neige au sol, révélant la pierre tout aussi froide. Seth et Oma semblaient s'être mis d'accord pour continuer le mur de glace, à la force des bras pour la rousse et par la magie pour l'elfe.
Sheireen les observait, cherchant comment s'occuper. Il faisait froid et rester immobile dans le vent n'était certainement pas la meilleure chose à faire. Ainsi commença-t-elle à faire le tour de grand passage, allant d'un côté à l'autre, farfouillant avec ses bottes dans la neige pour essayer de comprendre si de la végétation poussait ici de temps en temps. Elle tomba sur un ruisseau presque entièrement gelé et remplissait sa gourde.
Rien de bien passionnant, seulement un lieu de passage pour le vent et peut-être pour les gens comme eux.
Lorsqu'elle retourna au campement, il faisait déjà plus sombre et leur abri était bien avancé. Sheireen aida à finir le dôme qui leur servirait de toit et enfin, ils purent se poser au sec.
Le feu avait réchauffé le sol et le vent ne parvenait plus jusqu'à eux, ils purent donc commencer à cuisiner. L'eau qu'avait ramenée l'elfe fut bouillie puis on y ajouta des herbes et de la viande séchée, bientôt, une douce odeur de ragout embauma leur igloo. Les quatre compagnons mangèrent vite avant de glisser dans les bras de morphée. Sheireen prit le premier tour de garde. Emmitouflée dans sa grande cape, elle surveillait les alentours depuis l'entrée lorsqu'un craquement la fit sursauter.
Tendant l'oreille, la jeune femme n'entendit rien de plus.
Elle resta tout de même sur ses gardes jusqu'à ce que Seth prenne la relève.
— Fais bien attention, j'ai entendu des bruits étranges, lui disait-elle avait de s'allonger.
Son frère acquiesça, pourtant, il ne fut pas aussi attentif que sa sœur et faillit s'endormir à plusieurs reprises.
À l'aube, rien ne s'était passé et ils reprirent la route rapidement. Léarco semblait inquiet ainsi, Oma lâcha :
— Toi aussi ces nuages te préoccupent ?
Il ne répondait pas, le regard soudain perdu vers l'horizon qui se déployait devant eux. Personne ne leur avait dit ce qu'il se trouvait derrière la grande chaine de montagnes. À leur gauche, à l'est se dressaient encore de nombreux pics, surement la frontière sud de Wesiria. À l'ouest et au sud, comme infini, s'étendait une forêt telle qu'ils n'en avaient jamais vu. Les arbres étaient immenses et leurs feuilles ne disaient rien aux jeunes gens, pas même aux deux elfes. Une sorte de brume semblait remonter du sol et tourbillonnait entre les branches.
Au pied de leur montagne coulait un nouveau fleuve qui s'enfonçait ensuite en Wesiria, glissant entre les parois rocheuses.
Leur porte d'entrée chez l'ennemi.
— Allons-y, disait seulement le prince.
On aurait pu penser que la descente serait plus facile que la montée, or, ce fut l'inverse. C'était comme marcher à reculons, car au début, la pente était encore plus raide que de l'autre côté. Ils devaient ainsi faire de l'escalade, trouvant à tâtons la prochaine prise où faire reposer leur pied.
Les nuages devenaient de plus en plus sombres au-dessus de leur tête, les plongeant dans une pénombre dangereuse. Le vent soufflait de plus en plus fort, gelant leurs extrémités, rendant chaque mouvement difficile.
— Je crois voir que la pente se radoucit plus bas ! criait Léarco. Tenez bon !
Soudain, les nuages lâchèrent ce qu'ils retenaient depuis le début de la journée. Un mélange de pluie et de neige s'abattit sur les quatre compagnons. Leurs capes furent trempées en quelques instants, les tirant vers le vide par leur poids.
Ils accélérèrent la cadence.
Alors, Sheireen entendit de nouveau un craquement. Il semblait venir d'au-dessus, ainsi leva-t-elle la tête, à la recherche de sa source. Et elle comprit.
Les craquements s'intensifièrent alors qu'un morceau de montagne se détachait du flanc.
— Avalanche ! hurlait-elle à ses compagnons.
Elle essaya d'attraper la main d'Oma qui se trouvait la plus proche alors que le tsunami de neige déferlait vers eux dans un bruit de tonnerre.
— Attrapez-vous entre vous ! Si on se touche tous, je pourrais nous téléporter ! criait Sheireen les doigts si proches de ceux de la rousse.
Le choc fut terrible.
Comme un troupeau de chevaux au galop la neige les percuta de plein fouet. Le gant d'Oma resta dans la main de Sheireen alors que le monde tourbillonnait autour d'elle. Peut-être tenta-t-elle de se téléporter, mais elle perdit connaissance très vite sans savoir si cela avait marché.
Lorsqu'elle se réveilla, seule sa tête ressortait de la neige. Le soleil lui caressait le visage et lui réchauffait le bout du nez. Papillonnant des yeux, Sheireen mit quelques instants pour se souvenir de ce qu'il s'était passé.
Paniquée, elle s'extirpa de la masse avec énergie avant de regarder autour d'elle.
Elle avait dévalé la montagne et se trouvait maintenant bien plus proche du pied. Tout autour d'elle s'étendait un océan de blanc, aucune trace de ses amis. Le morceau de corde pendait autour de ses hanches, coupé net.
Seth ! Oma ! Léarco ! criait-elle dans le silence ouaté d'après catastrophe.
Il n'y eut aucune réponse. La jeune femme se laissa tomber au sol. Dans sa main, elle tenait encore le gant d'Oma. La montagne avait-elle eu raison d'eux comme l'avait prédit Orestt ?
Un liquide chaud coulait le long de sa tempe puis de sa mâchoire avant de s'échouer dans la neige. Portant deux doigts dans ses cheveux, elle découvrit une blessure ouverte, son crâne avait-il cogné un rocher ? Depuis combien de temps était-elle inconsciente ?
L'elfe attrapa une poignée de neige et la pressa contre sa tête en grimaçant. Elle avait eu de la chance. Mais était-ce aussi le cas de ses amis ? Ou étaient-ils encore ensevelis ?
Elle se releva, bien décidée à les retrouver.
La jeune femme se mit à marcher, appelant en boucle ses compagnons. Ses vêtements étaient trempés, mais le soleil l'empêchait de trop grelotter. Ce dernier était d'ailleurs bien puissant de ce côté-ci des montagnes, la neige n'allait pas faire long feu en aussi basse altitude.
Sa progression ralentissait déjà, Sheireen s'épuisait à faire de grands gestes à chaque pas. La neige si blanche sous le soleil lui brûlait la rétine et l'empêchait de bien voir. La peur de rater le moindre indice ou signe de vie la terrifiait.
Heureusement, l'elfe pouvait compter sur son ouïe et lorsqu'un gémissement perça en aval en réponse à ses cris, elle dévala la pente sans hésitation. Elle dérapa dans la poudreuse, tombant presque de précipitation avant d'arriver près de la source du bruit.
Sheireen se mit à creuser.
— Oma ! s'exclama-t-elle face au visage de son amie.
L'elfe extirpa la rousse de son cocon de froid et se mit à tenter de la réchauffer en la frottant avec ses mains. Oma tenait son bras droit contre son corps en grimaçant.
— Où sont les autres ? demandait la rescapée en grelottant.
— L'avalanche les a emportés eux aussi. Je ne les ai pas encore retrouvés.
— Continuons de chercher, ils ne peuvent pas être loin.
La jeune femme se releva, encore un peu chancelante. Elle enroula sa cape autour de son bras blessé, l'immobilisant de son mieux.
Puis elles se mirent à avancer, criant à s'en déchirer la gorge sans se préoccuper de se faire entendre par quelqu'un d'autre que leurs amis.
Les deux soldates descendaient doucement la pente lorsqu'un nuage de vapeur s'éleva dans le ciel, leur regard en cherchèrent rapidement la source et découvrirent Léarco les mains en feu et le corps recouvert de neige. Il semblait s'être frayé un chemin dans la poudreuse à coup de flammes.
Elles se mirent à courir, mais soudain, avant d'avoir rejoint le garçon, Sheireen s'arrêta net.
Derrière le blond, en contre bas, gisait une forme indistincte, une touffe bleu clair frissonnait au gré du vent à l'une des extrémités. Oma aussi l'avait vu et se précipitait déjà vers elle.
C'était comme si le monde s'était arrêté, il n'y avait plus que cette silhouette et cette couleur dans le champ de vision de l'elfe. Léarco s'était rapproché d'elle et lui disait quelque chose, mais elle ne l'entendait pas, il n'y avait que se bourdonnement persistant dans ses oreilles.
Les mots d'Orestt résonnaient de nouveau de son esprit, est-ce que cette mission valait le coup de perdre son frère ? Il était trop tard pour se poser la question. Seth était là, si proche, inerte.
Sheireen sentait la présence de Léarco à ses côtés et elle était reconnaissante que ce dernier ne tente pas de la toucher ou même de lui parler de nouveau. La peur et la tristesse avaient enserré son cœur, elle avait d'ailleurs l'impression qu'elles l'avaient remplacé par une boule qui grossissait doucement, lui coupant la respiration. Était-elle en train de mourir ? Était-ce possible de mourir de peur ?
— Il respire ! s'exclamait soudain Oma, ramenant l'elfe à la réalité.
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