Chapitre 19 : Quotidien
Une ligne de lumière brillait à l'horizon, sonnant la fin du tour de garde de Kira. La jeune femme commençait à se faire à ce rythme de vie. Vivre la nuit, dormir le jour. Pourtant, elle commençait fortement à trouver tout ça bien redondant.
Il ne se passait jamais rien pendant ses rondes. La guerre était si loin à l'ouest que les seuls conflits que devaient régler les chevaliers étaient des problèmes entre bourgeois ou paysans. En général, leur présence menaçante suffisait à calmer les esprits les plus échauffés.
Maraxès se détourna de la lumière du soleil pour ramener la chevalière vers le château. De l'autre côté des tours du palais, elle pouvait discerner la silhouette de Neik sur son propre dragon faire de même. Il était temps d'aller se reposer.
Le reptile mauve se glissa dans le trou, plongeant sous la forteresse.
C'était surtout pour cette dernière que les rondes étaient épuisantes, Maraxès devait voler pendant des heures au-dessus de la ville tandis que Kira avait seulement à rester éveillée, à garder l'œil ouvert et à faire attention aux moindres mouvements dans la nuit.
Kira sauta du dos de la dragonne dès qu'elles furent sous terre et s'étira avec bonheur.
— Prête pour un entrainement ? disait son collègue en la rejoignant.
L'autre souffla en arrêtant ses activités.
— Ne me regarde pas comme ça, rigolait l'homme. Il faut bien s'activer de temps en temps, sinon on risque de rouiller.
Kira abdiqua en silence, suivant son camarade dans les escaliers de pierre pour rejoindre le château. Ils ne s'étaient exercés qu'une seule fois ensemble depuis l'arrivée de la jeune femme et cette dernière en avait bavé.
Les deux chevaliers arrivèrent rapidement dans une des cours de la forteresse. Celle-ci, dédiée à l'entrainement des soldats, était vide à cette heure matinale.
Alors que Neik s'échauffait, la Wesi crut apercevoir un mouvement sur l'une des coursives en bois qui surplombait la cour. Pourtant, il n'y avait personne.
— Qu'y a-t-il ? demandait l'autre en remarquant sa déconcentration.
Kira désigna l'endroit où elle avait cru voir une ombre et ajouta en silence, articulant et signant en même temps :
— Il est tôt, qui peut-être debout à cette heure-ci ?
— Surement un serviteur, ne t'inquiète pas. Ceux-là sont toujours debout, je ne sais pas comment ils font, mais je suppose qu'ils n'ont pas le choix avec tous ces nobles qui demandent tout et n'importe quoi à n'importe quelle heure.
Kira acquiesça doucement, pourtant, elle avait l'impression que Neik se trompait et elle mourait d'envie d'aller investiguer. Ou alors c'était son envie plus que discutable de s'entrainer qui jouait.
— Et puis, même s'il y avait un intrus, les gardes sont là pour ça, lançait le brun en se positionnant pour attaquer.
Résignée, la chevalière l'imita, lame en avant et il se jeta sur elle.
Le choc, Kira y était préparée et l'acier de son épée crissa contre celle de Neik. Son air concentré aurait pu arracher un sourire moqueur à la jeune femme si elle ne le prenait pas au sérieux. On aurait d'ailleurs pu croire que rester planqué à la capitale pendant que d'autres mouraient au front aurait pu rendre les chevaliers en faction à An Dragal mous et faibles, or, se serait oublié que l'homme qu'elle combattait restait le bras armé des Sharaka. Il se devait, comme ses collègues et elle-même maintenant, de rester le plus fort possible.
Elle le repoussa et attaqua à son tour, se fendant avec rapidité pour viser le côté moins protégé de son camarade. Mais ce dernier était parfaitement conscient de ses faiblesses et para aisément.
Ils échangèrent de nombreux coups, transpirant dans leurs armures alors que le château les protégeait toujours du soleil, jusqu'à ce que Neik change de rythme et mette au sol Kira dans un mouvement purement incompréhensible pour la cadette.
Sonnée et couverte de poussière, la brune attrapa la main que lui tendait son adversaire et se releva.
— Tu as tenu plus longtemps cette fois-ci, disait l'homme. Mais dès que je change mes habitudes, tu te laisses déborder.
Kira fit la grimace, il avait totalement raison, elle se reposait beaucoup trop sur ses bases.
— On s'y remet.
Ils combattirent ainsi jusqu'à ce que le soleil passe au-dessus des toits de la forteresse et n'illumine de ses rayons le sol sablonneux.
Épuisée, Kira s'installa quelques instants les yeux fermés au soleil tandis que Neik s'étirait.
— Au fait, je ne sais pas si tu es au courant, mais nous sommes invités à une des réceptions qu'organisent les gens de la cour de temps en temps.
— Quand ? articulait la brune.
— Ce soir.
La jeune femme ouvrit vivement les yeux pour questionner du regard le Wesi.
— Ne me regarde pas comme ça, je ne pouvais pas refuser.
— Et notre tour de garde ? Et qu'est-ce que je suis censé mettre ? Et dire ? Et surtout pourquoi nous ?
— Du calme, je n'arrive pas lire sur tes lèvres ou à suivre tes mains, tu vas trop vite.
Neik était plus que débutant dans la langue des signes, mais Kira appréciait qu'il fasse l'effort d'au moins essayer de l'apprendre. Il connaissait déjà les signes pour dire « bonjour », « au revoir », « merci », « pardon » et quelques signes plus aléatoires comme « cuillère », « dragon », « patate » et évidemment son prénom.
— Désolé, signait Kira avant de répéter plus doucement.
— Nous passerons juste en coup de vent avant notre ronde, ne t'inquiète pas. Pour ce qu'il y est de la tenue, et bien je suppose qu'on sera tout simplement en armure, riait-il avant d'ajouter : Je pense juste qu'ils veulent rencontrer la nouvelle chevalière du dragon muette. Sans vouloir te vexer, tu risques d'être l'attraction de leur soirée.
La muette grimaça à ses mots, cela risquait d'être tout sauf agréable.
— Bon, allons-nous reposer en attendant.
Il rentra sans plus de cérémonie à l'intérieur. Kira se releva et après quelques étirements, fit de même. Et, après un crochet par les bains du château pour éliminer la poussière et la sueur, elle s'effondra dans son lit.
Le moment de se lever arriva d'ailleurs bien trop rapidement à son gout, l'entrainement que lui avait imposé Neik avait grignoté son temps de sommeil. Pourtant, Kira ne pouvait pas se permettre d'être de mauvaise humeur sachant ce qui l'attendait.
Pourtant, lorsqu'elle vit l'état de l'armure qu'elle était censée porter, son envie de retourner sous ses couvertures augmenta de plus belle. Couverte de poussière et cabossée par endroit, on était loin de l'armure d'apparat que les nobles attendaient surement.
Des voix résonnèrent dans le couloir, attirant son attention. Elle entre-ouvrit sa porte, hésitante. Trois serviteurs chargés d'objets arrivaient au bout du couloir. Ils allaient disparaitre de son champ de vision lorsque Kira se décidait.
La brune sortait en trombe de sa chambre pour les rejoindre. La voyant arriver, le trio s'arrêta.
— Madame, disait la plus vieille en inclinant la tête, bientôt imitée par ses collègues.
— L'un d'entre vous pourrait m'aider ? articulait en silence la chevalière.
Il y eut alors un moment de flottement, ils ne semblaient pas avoir compris.
— Pardon ?
Le feu aux joues, Kira se força à répéter plus doucement, articulant avec patience chaque mot. Elle avait trop pris l'habitude de bien se faire comprendre par Neik.
— Elle a besoin d'aide pour quelque chose, disait le jeune homme de gauche avec un léger accent.
— Oh, lâchait la dame. Et bien, tu n'as qu'à la suivre, le nouveau.
Sur ces mots, elle repartit, suivie de l'autre homme et laissant Kira avec le brun qui l'avait comprise.
Un peu gêné, ce dernier demanda en se frottant la tête :
— Vous avez besoin de quoi ?
— Mon armure est sale et je dois me rendre à la réception de la cour dans peu de temps. Je ne demanderais pas si je n'étais pas pressé, je suis désolé.
— Ne vous inquiétez pas, les serviteurs sont là pour ça non ?
Il lui lâcha un sourire qui se voulait rassurant, mais Kira se dirigeait déjà vers sa chambre.
Lorsqu'il l'eut rejoint, la jeune femme avait déjà commencé à frotter les pièces métalliques avec un chiffon. Le brun s'agenouilla à ses côtés en retenant un soupir, et dans un geste presque trop gracieux, il dégainait son propre bout de tissus.
— Vous êtes chevalière ? tentait le serviteur pour engager la conversation.
L'autre acquiesça absorbé par son travail.
Ils frottèrent et lustrèrent l'armure dans un silence presque religieux et, rapidement, ils arrivèrent à bout de la saleté.
— Merci, articulait Kira alors que le jeune homme se retournait vers elle surement pour lui dire au revoir. Votre nom ?
— Orestt.
— Kira, disait-elle en lui tendant la main.
Celui-ci la serra avec un sourire, sortit et Kira se précipita pour enfiler toutes ses pièces de métal au plus vite. Neik devait déjà l'attendre.
Une fois tout plus ou moins bien attaché, la brune s'élança dans les couloirs aussi vite que l'éclair et aussi bruyamment que le tonnerre. Le chevalier l'attendait bel et bien, il semblait pourtant plutôt amusé face à la scène qu'elle lui offrait.
— Et bien, on peut dire que tu t'es échauffé avant le combat qui nous attend, ricanait-il.
— Désolé, mon armure était sale et...
— Ne t'inquiète pas, leur petite sauterie vient à peine de commencer.
Soulagée, Kira s'appuya quelques instants contre un mur le temps de reprendre son souffle.
— Prête ? finissait par demander Neik.
Elle acquiesça et, enfin, ils entrèrent dans l'arène.
C'était une salle plus petite que ce à quoi s'attendait Kira, pourtant, tout à l'intérieur transpirait la richesse. Il y avait de la nourriture, des boissons et de la musique jouée par quelques musiciens. Pas de traces des Sharaka, surement était-ce pour cela que la salle n'était pas si grande. Si les trois souverains s'étaient joints à la fête, probablement qu'elle aurait eu lieu dans la salle de réception principale du château. Mais la jeune femme doutait qu'ils participent souvent à ce genre de sauterie, comme disait Neik.
Les discussions ne s'étaient pas arrêtées à leur arrivée, mais personne ne les lâchait des yeux et de temps en temps, Kira aurait juré entendre son prénom.
Neik la guida jusqu'à un groupe de personnes qu'il semblait connaitre et la présenta.
— Kira, voici donc Dame Hika et son mari Sir Tomais...
Il cita encore trois prénoms que la brune ne retint absolument pas et les questions commencèrent.
— Nous avons aperçu votre dragon l'autre soir, comment s'appelle-t-il ?
— La couleur de vos yeux est très étonnante, d'où cela vient-il ?
Kira s'efforçait de répondre à chacune d'entre elles, rectifiant le sexe de Maraxès, acquiesçant souvent, mais plus les interrogations s'enchainaient, plus elles devenaient intrusives et enfin, la fameuse question arriva :
— Êtes-vous muette de naissance ?
— Je suppose, du moins je suis muette d'aussi loin que je puisse me souvenir, articulait-elle avec un faux sourire.
Voyant sa gêne, Neik détourna la conversation et, bientôt, il réussit à quitter le groupe avec la brune. Les deux chevaliers attrapèrent de quoi manger avant de continuer le bal des rencontres.
Kira avait l'impression de toujours répondre la même chose, mais tous demandaient toujours les mêmes choses, elle n'y pouvait rien. Elle ne se sentait vraiment pas bien parmi ces gens. Pourtant, ils pouvaient tous lui être utiles, ainsi continuait-elle à acquiescer et à sourire, pensant aux avantages et informations qu'elle pourrait un jour obtenir d'eux.
Enfin, ce fut le moment pour les deux soldats de partir.
Ils traversèrent le château et lorsqu'ils atteignirent les grottes aux dragons, Kira reçut leur fraicheur comme une libération. Le vent s'engouffrait dans la roche dans un sifflement sinistre, mais c'est exactement ce qu'il fallait à la jeune femme, un renouvellement d'air.
— Bonne nuit ! s'exclamait Neik qui s'envolait déjà sur son dragon.
Kira l'imita rapidement, s'élançant dans les cieux sur Maraxès qui n'attendait qu'une chose, que la jeune femme lui raconte sa journée. Ainsi papotèrent-elles un peu le temps que la dragonne ne s'échauffe les ailes et que leurs collègues du jour ne regagnent le château.
« Et bien, ça va être une longue nuit, si je comprends bien. » disait le reptile après avoir écouté la chevalière.
L'autre hocha la tête déjà fatiguée à l'idée de passer la nuit dehors.
Après s'être fait un signe sous les derniers rayons de soleil, Neik et Kira partirent chacun de leur côté.
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