Chapitre 18 : L'ombre des montagnes

L'ombre de la grande chaine de montagnes finissait par assombrir l'horizon du groupe malgré la nuit éternelle de la Terre Noire. Comme Cétus avait été un rappel de leur mission à venir, la barrière de roche qui s'élevait devant eux semblait davantage décidée à leur mettre des bâtons dans les roues. Car, ils le savaient, la traversée allait être rude.

Pourtant, personne ne voulait en parler.

Personne à part Orestt.

— Tu te souviens de notre arrangement ? demandait le jeune homme alors que Sheireen réapparaissait à sa gauche.

— Oui.

Il s'évanouissait pour se retrouver de l'autre côté de la clairière qu'ils avaient choisie pour l'entrainement de la soirée. Sheireen le suivit.

— Nous approchons des montagnes.

Il disparaissait avant d'apparaitre dans un arbre à grosses branches. L'elfe aux cheveux bleus se téléporta juste au-dessus.

— Je sais.

Le brun sauta de son perchoir en soufflant :

— Bon, on arrête de tourner autour du pot.

— Et l'exercice ?

— Tu le maitrises très bien. D'ailleurs, je n'ai plus rien à t'apprendre sur la téléportation.

— On arrête là, c'est ça ?

— Dans deux jours, vous atteindrez le Say, le fleuve qui sépare la Terre Noire de la grande chaine de montagnes. Il vaut mieux que tu dormes les prochaines nuits plutôt que tu traines avec moi, ricanait-il.

Sheireen se renfrogna et il ajouta :

— La traversée va être dure et qui sait ce que vous trouverez derrière.

— Wesiria.

— Pas si vous déviez. Au sud, ce sont les terres inconnues, Sheireen. Vous en avez parlé dans votre groupe au moins ?

Le silence de la jeune femme valait plus que mille mots, ils n'y avaient tout simplement pas pensé.

— Quelle équipe et quelle mission, se moquait le brun. Vous n'êtes que des enfants envoyés à la rescousse d'une enfant plus importante que vous. Votre entrainement a été bâclé.

— C'est faux, nous sommes des dragonniers... commençait Sheireen.

— Ne dis pas n'importe quoi, vous n'avez même pas été sacrés. Vous ne portez aucunes armoiries. Et où sont vos dragons ? Une escouade suicide, voilà ce que vous êtes.

— Pourquoi ? Pourquoi tu me dis ça maintenant ? Hein ? Après m'avoir entrainé pendant des jours ! s'énervait l'elfe touché dans son égo.

— Pour que vous renonciez.

Elle leva les bras au ciel, les mots lui manquaient. Croyait-il vraiment qu'ils allaient abandonner maintenant ? Après ce qui était arrivé à Églantine ? Après avoir tant espéré être choisis ?

— Faites demi-tour, dites que la montagne a eu raison de vous, c'est ce qui va arriver de toute façon. Ça ne sert à rien de gâcher des vies aussi inutilement.

— Tu rigoles, j'espère, réussit-elle à articuler.

Son visage pâle ne lui renvoyait que de la réprobation, nul sourire, même plus de moquerie.

— On ne peut pas faire demi-tour.

— Alors, j'espère que les dieux sont de votre côté, concluait Orestt.

Le silence s'installa entre eux. Peut-être ne se reverraient-ils jamais ensuite.

Sheireen se détourna du brun, son visage imprimé sur la rétine, elle s'enfonça dans les bois pour retrouver ses compagnons.

Orestt resta longtemps debout dans cette clairière, attendant.

Enfin, le craquement retentit.

— Tenter de la détourner de son chemin ne faisait pas partie de ta mission, disait l'autre. Que se serait-il passé si elle avait accepté d'abandonner ?

— Elle aurait survécu.

— Peut-être qu'elle va survivre sur ce chemin, qu'en sais-tu ?

— Et toi ? Qu'en sais-tu ? renvoyait le jeune homme.

Le silence revint, au point où Orestt pensa qu'il était reparti, mais l'autre reprit la parole :

— Ta mission n'est pas finie.

— J'aurais pu le parier, ricanait le brun. Où je vais cette fois ?

— À An Wesiri.

Surpris, Orestt n'eut pas le temps de demander pourquoi, que le craquement retentit de nouveau, signe que, cette fois, il avait disparu.

Il soupira puis disparut à son tour. N'étant jamais aller à la capitale de Wesiria, il se dirigea en premier lieu dans un village Wesi, proche de la frontière avec la Terre Verte, qu'il avait visité plus jeune. Le bourg avait été évacué, le front ne devait pas être loin, ainsi se faufila-t-il rapidement, mais surement jusqu'au champ le plus proche, disparaissant dans les hautes plantations, direction An Wesiri.

Sheireen, qui ne se doutait pas que son professeur d'infortune était déjà bien plus proche de son objectif qu'elle, arriva au campement de ses compagnons. Un joyeux feu avait été allumé, pourtant, aucun ne semblait détendu. L'heure de la discussion avait sonné.

— C'était mon dernier entrainement, disait-elle en s'installant près des flammes.

Un silence accueillit ses paroles, ils attendaient la suite.

— Nous approchons de la chaine de montagnes et je veux savoir si vous êtes tous prêts à l'affronter.

— Alors, ça y est, on en parle ? soupirait Léarco.

L'elfe grimaça apparemment, elle aurait dû être un peu plus présente pour ses amis ces derniers temps.

— Oui, la traversée va être dure. Qui sait ce que nous trouverons de l'autre côté, déclarait-elle, reprenant les mots d'Orestt à contrecœur. Je veux savoir si vous êtes toujours motivé. Personnellement, je n'abandonnerai pas.

— C'est vrai, cette traversée de la Terre Noire a d'abord été difficile avec le départ d'Églantine, puis des plus calmes, intervenait Oma.

— Ces événements pourraient vous donner envie de faire demi-tour... commençait Sheireen.

— Il est hors de question que nous fassions marche arrière, s'exclamait le blond.

Étonnée par son énergie, Sheireen ne sut que répondre et chercha le regard des autres. Elle croisa celui d'Oma, amusée.

— Qu'y a-t-il ? demandait l'elfe.

— Tu n'es vraiment pas observatrice. Ou alors Léarco est très doué pour dissimuler son identité.

— Comment ça ? demandait Seth.

— Je ne peux pas abandonner cette mission, tout simplement parce que Zalénia est ma sœur, révélait le blond avec un sourire contrit.

La jeune femme en resta bouche bée, depuis tout ce temps, elle partageait cette mission avec le prince de Zalia, l'ainé de Sa Majesté.

— Pourquoi tu ne nous as rien dit ? intervenait Seth, aussi perdu que sa sœur.

— Je ne pensais pas passer aussi inaperçu à l'académie, avouait-il gêner. Je n'avais pourtant rien changé, pas même de prénom. Mais lorsque personne n'est venu m'importuner, j'ai préféré rester tout aussi discret. Je suis un soldat comme vous.

— Il faut croire que tu n'as pas fait assez d'apparitions en tant que prince pour qu'on te reconnaisse, rigolait Oma.

— Merci de n'avoir rien dit, Oma.

— Je ne voulais pas me mêler de ce qu'il ne me regardait pas, haussait les épaules la rousse.

Sheireen s'était perdue dans ses pensées, la révélation de Léarco avait tout changé. Que se passerait-il si le prince mourait en montagne ? La Reine avait-elle envoyé son propre fils dans une mission suicide comme le suggérait Orestt ?

— Sa Majesté t'a laissé partir ? demandait-elle au garçon.

— Je ne lui ai pas laissé le choix. Il s'agit de ma sœur, je ne pouvais pas rester sans rien faire.

La détermination du garçon balaya les peurs qu'avait instillées Orestt dans son esprit. Il ne s'agissait plus de sauver une princesse inconnue, mais de retrouver la sœur d'un ami.

Tous campés sur leur décision de continuer, ils mangèrent avant de se coucher. Le premier tour de garde fut pour Seth. Sheireen dormit longtemps avant que Léarco ne vienne la réveiller lorsque ce fut son tour.

Assise près des braises pratiquement éteintes du feu de la veille, l'elfe regardait ses camarades dormir. Elle avait déjà perdu Églantine, allait-elle en perdre un autre ? Serait-ce la traversée qui aurait raison du suivant ?

Elle soupira, reportant son attention sur les environs. Ce n'était pas le moment de douter, ils avaient choisi.

Le moment de les réveiller arriva bien vite, et après un petit déjeuner frugal, ils repartirent.

Mais ils étaient las de cette Terre et malgré le danger qui les attendait à sa sortie, les jeunes gens n'avaient qu'une hâte, retrouver le bleu clair du ciel. Les plantes et autres insectes luminescents ne les émerveillaient plus, le soleil leur manquait plus que tout. Plus que sa chaleur, c'était sa lumière et l'absence de couleurs qui les impactaient le plus. Car sous le ciel noir et la lumière pâle de l'écosystème lumineux de la Terre noire, rien n'était vif. Pas de rouge, d'orange ou de jaune. Pas de vert plein de vie dont avait l'habitude Sheireen et Seth sur la Terre Verte. Même leurs cheveux semblaient avoir terni.

Pour ne rien arranger, il s'était mis à pleuvoir. Les trempant jusqu'aux os.

Ainsi, lorsque les arbres s'espacèrent et que le Say se fit enfin entendre, ils levèrent tous la tête à la recherche de l'astre. Il ne pleuvait plus, il faisait pourtant encore noir, mais une lueur, comme une aube permanente, irradiait des montagnes.

Ils accélérèrent le pas.

La lumière augmentait à mesure que les pics enneigés se rapprochaient.

Ce fut le Say qui les arrêta brusquement. Ce dressant sur leur chemin, le fleuve déchainé par les averses de la veille ne comptait pas les laisser passer aussi facilement.

— Comment allons-nous passer ? demandait Seth apeuré par les flots malgré son affinité à la magie de cet élément.

— Une embarcation ne tiendrait pas sur un tel courant, disait Oma par-dessus le vacarme du fleuve. Et ne pensons même pas à tenter la traversée à la nage, ce serait du suicide.

Un silence couvert par les remous de l'eau accueillit ses paroles.

— Je peux essayer de passer, finissait par dire Sheireen.

— Mais ? intervenait Léarco.

— Mais je ne sais pas si j'arriverai à tous vous faire passer. J'ai réussi à téléporter Églantine jusqu'à Liodas, mais elle était inconsciente et seule.

— Et bien, il est temps de tester tes limites, souriait le prince.

Tout d'abord, l'elfe fixa la rive d'en face, essayant de ne pas voir l'immense distance qui la séparait de sa destination. La technique d'Orestt prenait-elle en compte le déplacement sur une si grande étendue ? Impossible de le savoir sans avoir essayé.

Ainsi, sans plus d'hésitation, Sheireen disparut.

C'était comme si elle avait retenu son souffle pendant une éternité lorsqu'elle réapparut de l'autre côté, les pieds si proches des tourbillons d'eau. L'elfe s'en écarta en vitesse avant de faire signe à ses amis de l'autre côté. Elle les voyait parler entre eux, mais ne pouvait les entendre. De ce côté-ci, en plus du bruit du fleuve, le vent frappait fort, lui sifflant aux oreilles, la préparant à ce qui les attendrait lors de l'ascension tant redoutée.

Elle les rejoignit, maintenant qu'elle s'était tenue de l'autre côté, il serait plus simple d'y amener ses compagnons.

— Qui veut passer en premier ? demandait-elle.

Ses trois compagnons hésitèrent, le premier serait celui qui déterminerait si Sheireen était capable de transporter quelqu'un de conscient avec elle.

— Moi, finissait par dire Léarco, devançant Seth.

Il s'approcha de l'elfe à la peau noire, plongeant son regard dans le sien comme s'il essayait de déterminer si elle allait réussir ou non. Elle lui attrapa la main sans le lâcher des yeux puis ils disparurent, apparaissant instantanément de l'autre côté, sain et sauf.

Le laissant seul, Sheireen s'attela à faire de même avec ses deux autres amis.

Une fois tous du même côté du Say, l'elfe épuisée annonça :

— Nous allons devoir nous arrêter là pour aujourd'hui. Je suis désolé, mais vous faire traverser a usé une bonne partie de mon énergie malgré le fait que j'ai aspiré celle autour de moi.

En effet, un immense cercle d'herbe brune et sèche, avec pour centre la jeune femme, s'étendait sous leurs pieds. Ses camarades acquiescèrent avec sérieux avant de se remettre en marche.

Il faisait bien plus lumineux de ce côté du fleuve, la flore luminescente avait pratiquement disparu et seuls quelques arbres poussaient çà et là. Ils se réfugièrent sous l'un d'entre eux, espérant ne pas être trop visibles depuis l'autre rive. Ils renoncèrent d'ailleurs à faire un feu.

— Nos provisions sont assez hautes, mais j'aimerais que nous récoltions un maximum de plantes tant que nous le pouvions encore, disait Oma.

— Je peux t'accompagner pendant que Sheireen se repose, proposait Léarco. Seth, tu peux rester ici et surveiller ta sœur ?

L'elfe acquiesça, posant un regard attendri sur Sheireen qui dormait déjà. Les deux autres s'éloignèrent, mais revinrent bien plus rapidement que prévu.

— Il n'y a pas grand-chose de ce côté-ci, heureusement que nous avions déjà beaucoup d'herbes médicinales, expliquait Oma au jeune homme en lui montrant leur faible butin.

— Profitons-en pour nous reposer, nous aussi, lui répondait-il.

Ce fut une très longue nuit, les trois soldats épargnèrent à Sheireen la corvée des tours de garde, ainsi, lorsque le soleil se leva, ils étaient tous en pleine forme. Ce fut d'ailleurs la lumière qui les réveilla, ils n'y étaient plus habitués. Pourtant, elle était encore faible, auréolant les montagnes depuis l'est, leur destination.

Léarco sortit leur carte, jusqu'ici, le trajet avait été simple, mais, dorénavant, il allait falloir être attentif s'ils ne voulaient pas dévier de leur route.

— Nous devons passer par ce col, disait le prince en pointant du doigt un point sur le papier.

Situé au sud-est de la chaine de montagnes, le passage devait leur permettre d'arriver par le sud de Wesiria. Ils seraient alors chargés de ratisser discrètement la région à la recherche de la princesse. Pendant ce temps, la deuxième équipe s'occuperait du nord. Car ils avaient un grand désavantage, personne ne savait où se trouvait Zalénia.

— Nous devons donc longer ce lac pour y accéder, faisait remarquer Seth.

— Oui, mais le terrain est plutôt escarpé, l'ascension commencera dès que nous commencerons à le longer, expliquait Oma. Du moins, c'est ce que j'ai compris.

— C'est bien ça, sinon nous aurions pu traverser le Say plus loin et nous épargner cette partie du trajet à découvert, lui répondait Sheireen.

— Très bien, donc si tout le monde est prêt, nous pouvons y aller, disait le blond en se redressant.

Il plia la carte, la fourra dans son sac et prit les devants.

Bientôt, les arbres disparurent totalement et les cailloux commencèrent à rouler sous leurs pieds. Une légère pente se fit sentir, tirant sur leurs jambes pourtant habituées à la marche. Le soleil faisait son grand retour, leur tapant sur le crâne et les épaules comme pour leur rappeler son existence.

En contrebas, le lac, d'où venait le Say, brillait sous la lumière, leur rappelant que s'ils chutaient, ils découvriraient la fraicheur de ses eaux.

Devant eux, la pente semblait monter jusqu'au ciel.

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