Chapitre 13 : Chevalier du dragon

An Dragal était en effervescence, la visite des Sharaka approchait.

Ils venaient pour sacrer chevaliers les plus anciens apprentis et, enfin, les envoyer au front. Ezékiel, Dario et Atzo étaient trois d'entre eux. Ainsi, Kira ne les avait pas aperçus de la matinée alors qu'elle-même était chargée de nettoyer l'extérieur de la tour.

À coup de balai rageur, elle envoyait les plus petits cailloux loin de l'entrée parmi les rochers les plus proches. La brune savait bien qu'elle n'aurait pas dû être jalouse de ceux qui partaient aujourd'hui, son tour arriverait bien assez tôt. De plus, elle avait peut-être un bon niveau au combat, mais Maraxès refusait toujours d'être montée.

Le soleil approchait du zénith lorsqu'elle lâchait enfin le manche en bois pour récupérer son épée. Les dirigeants ne devaient arriver qu'au coucher du soleil, ainsi avait-elle encore le temps de s'entrainer un peu et de passer voir la dragonne.

Les autres apprentis ne voulaient surement pas quitter leur poste de rangement, ou souhaitaient juste montrer leur implication dans les préparatifs. Sans adversaire autre qu'un mannequin en bois, Kira se lassa vite.

Elle rangea son arme et se trouva de nouveau à l'extérieur, elle contourna la tour sombre puis grimpa de nombreuses volées de marches creusées dans la roche. À chaque embranchement, elle n'hésitait pas, se dirigeant vers la grotte qui abritait Maraxès.

La dragonne l'attendait assise à l'entrée de la caverne. Les yeux perdus dans le lointain, Kira songea qu'elle devrait être en train de voler, pas d'être enchainé à la roche ainsi. Pourtant, la brune ne pouvait rien y faire. On lui avait clairement fait comprendre que si elle ne prouvait pas qu'elle était capable de faire obéir le reptile, Maraxès resterait attachée.

« Kira » la saluait dans son esprit la dragonne.

La Wesi lui adressait un signe de tête avant de se mettre au travail. Elle entreprenait à chaque visite de nettoyer les plaies de la créature. Les chaines qui lui retenaient la patte droite n'étaient pas faites pour servir longtemps et faisaient souffrir la dragonne.

« Pourquoi toute cette agitation ? » demandait Maraxès.

— Les Sharaka arrivent ce soir, articulait Kira.

« Je t'ai déjà dit que tu pouvais parler dans ta tête, ce que tu fais déjà. Mais pas besoin de bouger les lèvres pour moi. »

La brune grimaçait, passer du temps avec des humains lui avait fait prendre l'habitude de signer ou d'articuler en silence pour qu'ils comprennent. Avec Maraxès c'était différent, plus besoin de faire tous ses efforts pour communiquer.

« Désolé, l'habitude. »

« Les Sharaka, ce sont ceux dont tu m'as parlé ? »

« Oui. »

« Pose-leur ta question alors. » disait simplement la dragonne en dégageant sa patte des mains de la jeune femme.

« Ce n'est pas le moment, ils ne me laisseront pas approcher de toute façon. »

Kira l'obligea à reposer sa patte pour qu'elle continue à nettoyer la plaie.

« Tu disais que tu avais besoin de mon aide, je ne vois pas pourquoi. Ils seront là à porter de croc. »

« N'y pense même pas. » disait Kira, catégorique. « Même si tu étais libre, tu ne pourrais rien contre eux. Ce sont des magiciens, Maraxès. »

« Si tu le dis. »

Il y eut un long silence, puis la Wesi, son travail fini, se releva.

« Tu ne m'as toujours pas raconté pourquoi tu en veux autant aux Sharaka toi. » disait-elle avec nonchalance en s'étirant.

« Tu veux tant que ça l'entendre ? Soit. Au début de cette guerre dont je n'ai rien à faire, j'ai été donné à un chevalier nommé Ophélia. Elle était très gentille avec moi, certes, mais elle n'avait d'yeux que pour vos chefs. Elle croyait bien plus en eux qu'en elle. Je lui ai dit que cette guerre était stupide, que ces triplets ne valaient pas la peine qu'elle tue ou se fasse tuer. Elle ne m'écouta pas et devint même plus distante. Arriva le jour où on nous envoya au front. Elle n'était pas prête, j'en étais sûre, mais elle n'écoutait pas mes avertissements. Dès sa première bataille, une flèche lui transperça le cœur. »

La dragonne avait lâché ça d'une traite, sans lâcher des yeux Kira qui ressentit comme un malaise. Insinuait-elle qu'elle devrait l'écouter ?

« Je suis désolé. »

« Tu n'as pas à l'être. Elle aurait simplement dû m'écouter. »

« On m'a dit que tu as carbonisé ton dernier chevalier. »

« Au bout d'un certain temps, on m'a attribué à un homme nommé Fraé, je crois. C'était un vétéran dont le dragon était mort sur le champ de bataille. Je pensais qu'on s'entendrait bien vu que nous avions tous les deux perdu quelqu'un dans cette guerre. Ce ne fut pas le cas. Il était horrible avec moi. Il m'utilisait comme bouclier et je fus blessé de nombreuses fois. Il ne me soignait pas. Un jour, alors qu'il se protégeait du souffle d'un autre dragon avec mon aile, je me tournais vers lui et lui envoyais une gerbe de flammes. Il mourut en quelques instants. Je comptais fuir, mais on me prit en chasse et je fus de nouveau capturé. »

Kira resta silencieuse, elle sentait bien que la discussion était close, ainsi sortit-elle de la grotte. La dragonne mauve la suivit du regard avant de lâcher dans son esprit :

« Tu me fais un peu penser à Ophélia, en moins inconsciente. »

Le reptile rentra dans la cavité, disparaissant de la vue de la brune qui s'était retournée à ses mots.

Kira resta immobile quelques instants, leurs discussions n'avaient jamais été aussi longues, la confiance semblait s'installer entre Maraxès et elle. Confiante, la brune descendit jusqu'à la tour. Le soleil commençait à disparaitre derrière les montagnes, il fallait qu'elle se dépêche. Les Sharaka n'allaient pas tarder.

Une fois au pied d'An Dragal, une grande ombre passa au-dessus de Kira qui s'empressa de rentrer. Les autres, déjà prêts, se précipitaient, à l'inverse, vers l'extérieur, ce qui ne fit que confirmer à la jeune femme qu'elle était en retard.

Dans le dortoir vide, elle se changea en quatrième vitesse et rejoignit les autres.

Les triplets avaient atterri, ramenant les cailloux que Kira s'était embêtés à retirer, et descendaient de leurs immenses dragons noirs. De nombreux petits dragons restèrent dans les airs, comme pour surveiller les lieux depuis le ciel.

Au garde-à-vous, Kira regarda les Sharaka passer dans la haie d'honneur que leur avaient créée les apprentis comme les soldats d'An Dragal. La cérémonie aurait lieu dans la grande salle de la tour, habituellement meublée de nombreuses tables pour les repas.

Tout avait été débarrassé pour l'occasion, ainsi la salle semblait encore plus grande.

Les triplets s'installèrent au bout et la cérémonie commença.

Kira ne fit pas trop attention à ce qu'il se passait, ses oreilles bourdonnaient et ses yeux ne parvenaient pas à lâcher les Sharaka. Elle se souvint vaguement d'Ezékiel qui s'agenouilla devant eux, recevant leur bénédiction et leurs ordres.

Puis les tables furent ramenées et les festivités commencèrent.

Un peu en retrait, Kira les voyait tous beaucoup boire, surtout les nouveaux chevaliers du dragon. Les Sharaka ne se mélangeaient pas avec les autres, discutant entre eux à leur table. Elle ne pouvait pas entendre ce qu'ils disaient, les soldats étaient bien trop bruyants, et il était impossible pour elle de lire sur leurs lèvres, comme ci, ils faisaient tout pour que personne ne puisse voir leurs visages.

Frustrée, la brune quitta la salle, prétextant un besoin de prendre l'air à cause l'alcool. Évidemment, elle n'en avait pas bu une goutte.

Elle n'était pas la seule à vouloir respirer, car dehors, elle découvrit que de nombreux apprentis et nouveaux chevaliers faisaient des loopings sur le dos de leurs dragons. Les regardant faire avec le sourire, Kira sursauta lorsque quelqu'un attrapa son bras. La brune se retourna vivement, prête à en découdre, convaincue que c'était Dario ou Atzo. Elle fut alors étonnée de découvrir Ezékiel devant elle.

— Félicitation, disait-elle en silence.

— Nous partons demain, annonçait le jeune homme.

— Je sais.

Ils se mirent à marcher, ainsi remarqua-t-elle que le brun ne marchait pas droit.

— Tu as peut-être un peu trop bu, Ezékiel.

— Peut-être.

Ce n'était pas pratique pour lui, marcher et suivre les mouvements de lèvres de Kira, la jeune femme décidait donc de le faire s'assoir.

— Tu n'as pas peur que Dario ou Atzo ou n'importe qui nous voient ensemble ? demandait la Wesi.

— Non. Tu sais pourquoi j'ai autant bu ce soir ? changea de sujet le jeune homme, tournant ses yeux bleus vers elle.

— Non.

— Pour oublier pendant quelques instants pour qui je me bats. Mais ça ne fonctionne pas. Ils surplombent la fête, tu sais. On peut les voir de partout. Ils peuvent nous voir, peu importe où nous sommes, dit-il en sortant une bouteille d'une de ses poches.

Il tanguait maintenant, même assis. Kira attrapa alors la flasque et la jeta au loin.

— Tu devrais arrêter de boire. Je comprends ce que tu ressens, c'est pour ça que je suis sortie.

Ezékiel se pencha pour vomir dans un bruit peu ragoutant.

— Désolé, disait-il en se redressant.

— Tu devrais aller te coucher.

Elle n'attendit pas sa réponse et le fit se lever, un bras sous son aisselle, elle le guida jusqu'à son lit. Une fois allongée, elle lui dit en silence :

— Dors, ça ira mieux demain.

— Kira, je ne veux pas mourir sur le champ de bataille. Pas pour eux.

— Tu ne mourras pas, Ezékiel.

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