Les prières à Tussaro, le dieu des soins, semblaient comme flotter aux dessus de leurs têtes, comme incapables de percer les feuillages des arbres et le ciel sombre de cette Terre.

Léarco, les yeux plongés dans le feu, essayait de ne pas perdre espoir. Sheireen était partie depuis si longtemps. Seth semblait dans le même était que lui, prostré contre un arbre, il ne lâchait pas des yeux Églantine, toujours inconsciente et de plus en plus pâle. Une fine pellicule de sueur recouvrait sa peau, luisant dans la lumière dansante des flammes que le jeune homme alimentait.

C'était Oma qui priait.

En appelant à tous les dieux qu'elle connaissait, mais surtout à Tussaro, le dieu des soins, la rousse se cassait la voix en vain, ils le savaient tous. Pourtant, les garçons ne disaient rien. Qui étaient-ils pour détruire tous ses espoirs ? De plus, Sheireen avait dit qu'elle s'en occupait. C'était en elle que Seth et Léarco puisaient leurs espoirs.

Peut-être les prières d'Oma avaient effet, à moins que ce ne soit la confiance des jeunes hommes, soudain l'elfe aux cheveux bleus apparue.

Sans un mot, elle s'élança vers son amie. Une fois à genou, elle sortit des fleurs de son sac.

— Seth, j'ai besoin d'eau. Nous allons faire infuser les fleurs pour qu'elle puisse les boire. Elle ne peut pas mâcher dans son état.

L'autre, surpris, mis quelques instants avant d'obéir.

— On pourrait aussi faire un emplâtre sur sa plaie, proposait Oma de sa voix éraillée.

— Oui, c'est une bonne idée. J'ai bien fait d'en prendre plusieurs.

Tous s'activèrent alors, Oma écrasant les fleurs dans un petit bol tandis que Seth et Léarco en faisaient infuser d'autres au-dessus du feu. Pendant ce temps, Sheireen observait la plaie.

L'odeur était atroce et les veines sombres semblaient s'être étendues. Combien de temps était-elle partie ? Et si elle avait été trop lente ?

— Peut-être qu'on aurait dû amputer, marmonnait Sheireen.

— Peut-être, oui, disait Oma qui l'avait entendu. Nous ne sommes pas des guérisseurs, Sheireen. Tu ne peux pas t'en vouloir. Rowenn nous a indiqué une plante, nous faisons de notre mieux.

L'elfe hocha la tête, même si elle ne pouvait s'empêcher de ressasser.

Enfin, Léarco s'approcha avec un bol fumant. Ils attendirent le temps qu'il refroidisse un peu, puis, soulevant la tête de la blessée, Oma la fit boire. Goutte par goutte, il fallut un moment pour que tout le liquide soit ingéré. Toujours inconsciente, la rousse lui appliqua la pâte sur la plaie.

Puis, ils attendirent en silence. Ils avaient fait ce qu'ils pouvaient.

— Notre mission doit continuer, nous devons repartir, finissait par lâcher Léarco tout en évitant les regards de ses coéquipiers.

— Mais, nous ne pouvons pas la laisser là ! s'indignait Seth.

— Nous avons déjà perdu du temps, commençait Oma avant d'ajouter en voyant la tête des deux elfes : Mais nous ne pouvons abandonner une camarade.

— Y a-t-il quelqu'un d'assez près qui pourrait venir la chercher ? Nous ne pouvons pas attendre qu'elle se réveille et même à ce moment-là, elle sera trop faible pour nous suivre, disait Léarco.

Sheireen était restée silencieuse, son regard perdu dans les flammes ressassait la discussion qu'elle avait eue avec Orestt.

Le jeune homme n'avait jamais essayé de se téléporter avec quelqu'un d'autre, mais cela ne voulait pas dire que c'était impossible.

Mais était-ce vraiment le moment d'essayer ?

Soudain, quelqu'un formula la question à voix haute :

— Sheireen, tu ne pourrais pas la ramener à Liodas ?

C'était Léarco, il la fixait avec ses yeux marron pleins de confiance. Il n'était pas le seul. Qu'avaient-ils tous à la regarder comme ça ?

— Je n'ai jamais fait ça, ça pourrait être dangereux.

Le silence revint en force, Sheireen détestait ça. Ainsi se leva-t-elle, déterminée à ne pas rester à rien faire. Elle se mit à faire les cent pas autour du feu, se disait qu'elle aurait dû tirer les vers du nez à Orestt quand elle le pouvait. Il semblait avoir appris avec quelqu'un à contrôler ses pouvoirs.

Mais elle aussi avait appris avec quelqu'un. Elle disparut soudain, laissant les autres dans cette clairière qui semblait perdue dans le néant.

Sheireen réapparut dans la tour des magiciens, dans la pièce où l'avait entrainé à se téléporter Rowenn. Ne s'attendant pas à tomber sur quelqu'un, elle sursauta face à un elfe roux. Ce dernier fit surgir deux grosses flammes qui enroulèrent ses poings avant de les faire disparaitre aussi vite en la reconnaissant.

— Sheireen ?

— Sévrar, c'est ça ?

Seth lui avait un peu parlé de lui, et ils s'étaient croisé quelques fois pendant l'entrainement des dragonniers.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu fais partie d'une des deux équipes de sauvetage, tu ne devrais pas être là...

— Où est Rowenn ? J'ai besoin de ses conseils, disait-elle en l'ignorant pour se diriger vers la porte.

— Tu es au courant que tu peux utiliser la télépathie pour lui parler ? Pas besoin de se déplacer. D'ailleurs comment es-tu arrivé ici ? demandait le roux en la suivant de près.

— Je sais, mais je n'ai pas réfléchi et c'est urgent.

Elle paraissait de plus en plus agitée, à tel point que Sévrar lui attrapa le bras et lui dit :

— Du calme.

Sa voix sembla voltiger jusqu'à ses oreilles pour aller l'apaiser et ralentir les battements de son cœur.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.

Ils étaient au milieu des escaliers en colimaçon de la tour, bouchant le passage de quiconque voudrait passer, mais pour le moment, il n'y avait personne.

— L'une d'entre nous est blessée, nous avons fait notre maximum pour la stabiliser, mais nous devons continuer. Je dois savoir s'il est possible pour une personne comme moi de se téléporter avec un passager.

— Une personne comme toi ?

Voyant qu'elle ne comptait pas répondre, l'apprenti magicien continua :

— J'ai lu quelques éléments parlant de la téléportation. Prendre un passager n'est pas impossible, mais cela demande énormément d'énergie. De plus, cela peut être dangereux pour ledit passager...

— Est-ce que ça fonctionnerait avec quelqu'un d'inconscient ? le coupait-elle.

— Sheireen, je ne sais pas et je ne pense pas que Rowenn le sache non plus, il pourrait seulement émettre des hypothèses. La téléportation est une magie pratiquement inaccessible pour le commun des magiciens. Je ne sais pas comment toi, tu fais.

Voyant sa tête déconfite, il lui souriait gentiment, tout en continuant :

— Cela dit, si tu veux vraiment essayer et si je peux me permettre une hypothèse, le transport de passager devrait être plus simple avec quelqu'un d'inconscient. Car si tu m'avais laissé continuer, tu aurais su que c'est l'esprit du passager qui peut être récalcitrant lors du voyage et donc perturber la téléportation.

— Merci, Sévrar.

— Où comptes-tu l'amener ?

— Ici, enfin pas dans les escaliers, mais dans la salle où je suis apparu tout à l'heure. J'ai toute confiance en vous, les magiciens, pour vous en occuper.

— D'accord, j'attendrais alors.

Sévrar cligna des yeux et elle avait disparu. Se demandant comment elle pouvait se téléporter aussi facilement, l'elfe remonta dans la salle d'entrainement. Il fit appeler des guérisseurs puis attendit tout en se promettant de continuer ses recherches sur la téléportation plus tard, Sheireen avait relancé son intérêt pour cette technique.

Enfin, alors que cela ne faisait que quelques instants que le garçon attendait, la jeune femme apparut de nouveau. Dans ses bras gisait inconsciente une brune à la peau très pâle.

Sheireen la déposa au sol et Sévrar s'empressa de passer une main au-dessus de la blessée pour évaluer les dégâts. Il n'était pas guérisseur, mais savait reconnaitre quelqu'un dans un mauvais état. Cela dit, cela ne semblait pas dû à la téléportation.

Sheireen avait réussi à voyager avec un passager, et elle ne paraissait même pas essoufflée.