Chapitre 10 : Alliés
Kira s'extirpa de ses draps, impatiente. Comme la veille, elle sortit dans les couloirs d'An Dragal. Ses bottes assouplies par le temps ne faisaient aucun bruit sur la pierre et, lorsqu'elle arriva à la porte du dortoir des garçons, Ezékiel sursauta.
— Désolé, articula-t-elle sans vraiment savoir si le jeune homme verrait assez bien ses lèvres dans la pénombre.
Il ne disait rien et ils sortirent de la tour. De nouveau sur leur gros rocher, ce fut au tour d'Ezékiel de raconter son histoire, revivant en même temps ce moment terrible.
¤
Le garçon dormait dans un lit bien trop grand pour lui. Il ne devait pas avoir plus de cinq ans, pourtant, il n'avait pas peur du noir. Sa grande chambre était pleine de jouets que ses parents avaient achetés. Car sa famille était riche et proche du pouvoir.
Pourtant, depuis que les Sharaka étaient montés sur le trône, leur situation avait quelque peu changé. Ils se faisaient plus discrets, ils ne sortaient plus autant. Cela, même l'enfant l'avait remarqué.
Soudain, un cri de femme perça le silence, réveillant en sursaut le petit brun. Il se leva et, se mettant sur la pointe des pieds, atteignit la poignée de la grande porte pour l'ouvrir et sortir. Il courut aussi vite que ces petites jambes pouvaient lui permettre vers les grands escaliers de la maison.
Et il se figea.
Du haut des marches, il pouvait voir son père debout entre sa mère et des inconnus armés de grandes épées. Ses yeux s'agrandirent de terreur lorsqu'il remarqua le sang qui coulait sur le flanc de sa mère. De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête. Que se passait-il ? Qui étaient ces hommes ? Pourquoi sa mère était-elle blessée ?
Soudain, profitant de sa confusion, sa petite sœur passa en trombe devant lui, dévalant les escaliers. Ses petites jambes s'emmêlant presque dans son empressement de rejoindre ses parents.
Avant qu'elle ne puisse sauter dans les bras de l'un d'eux, un des inconnus enfonça son épée dans son petit corps, coupant sa course effrénée.
Elle ne fit aucun bruit, tombant au sol comme une petite poupée de chiffon tachée de sang.
La femme hurla de désespoir, l'homme se jeta sur celui qui avait tué son enfant.
Le garçon ne bougea pas, fixant la flaque rouge qui s'agrandissait sous le petit corps, les bras ballants.
Le père n'étant pas armé fut maitrisé en un instant, on lui trancha la gorge sans plus de cérémonie. La mère folle de douleur se jeta sur le premier venu, lui lacérant le visage avec ses ongles. Elle fut transpercée comme sa fille.
¤
Le silence tomba sur les deux jeunes gens.
Ezékiel se leva, tournant le dos à Kira. Cette dernière fit mine de ne pas remarquer lorsqu'il s'essuya le visage avec sa manche en reniflant. Elle attendit patiemment qu'il reprenne contenance.
— Qu'as-tu fait ensuite ? articula la brune quand il se retourna pour lui faire face.
— Moi ? Je n'ai pas bougé et les soldats m'ont emmené. Je pensais mourir cette nuit.
Il fit une pause avant de reprendre :
— Je voulais mourir cette nuit.
— Je suis désolé.
— Tu n'as pas à l'être, disait-il brusquement. Tout est la faute des Sharaka.
— Pourquoi s'en sont-ils pris à vous ?
— Avant de se marier à mon père, ma mère était Zalénienne. Ils ont dû l'apprendre, d'une manière ou d'une autre.
Cela expliquait ses yeux beaucoup trop bleus pour un Wesi, pensait Kira alors que le silence se réinstallait. Le jeune homme avait beaucoup parlé, peut-être trop. La brune avait compris sa haine envers les Sharaka, ainsi le statut d'Ezékiel dans son esprit avait évolué. Elle se rendit même compte qu'elle le considérait déjà comme quelqu'un en qui elle pourrait avoir confiance.
Lui semblait un peu plus léger, surement cela faisait-il longtemps qu'il n'avait pas dit tout cela à voix haute. Il paraissait aussi un peu gêné de lui en avoir dévoilé autant.
— Tu n'étais pas obligé de tout me dire, disait en silence Kira. Nous ne sommes pas amis.
— Peut-être.
Il se tut de nouveau puis ajouta :
— Que dirais-tu qu'on soit alliés ?
Kira descendit à son tour du rocher. Une fois à son niveau, elle lui tendit une main amicale. Il la serra avec un sourire. Aucun des deux ne savait où les mènerait cette alliance faite sous la lune, mais ils étaient heureux de ne plus être seuls face aux Sharaka.
Ils restèrent ainsi quelques instants avant de regagner la tour puis leur lit respectif.
Kira ne fut réveillée par aucun bruit jusqu'à ce que l'heure de se lever arrive. Bien qu'elle n'ait pas beaucoup dormi, elle se sentait plus reposée que les jours précédents et lorsqu'on leur annonça que certains d'entre eux devaient se rendre dehors après leur course puis leur petit déjeuner, elle ne put s'empêcher d'être un peu excitée.
Elle croisa Ezékiel, mais ils ne se saluèrent pas. Le brun était toujours fidèlement suivi par Dario et Atzo ; or Kira ne voulait pas que ces derniers apprennent les discussions nocturnes qu'ils avaient eues ensemble. Et encore moins leur alliance.
Soudain, une rafale de vent détourna son attention du trio qui s'éloignait. Un dragon vert atterrit non loin, bientôt suivi d'une dizaine d'autres de différentes couleurs. Voilà pourquoi elle était si excitée.
— Je vais vous appeler chacun votre tour pour vous attribuer un dragon, disait un soldat.
Habillé d'une armure en cuir similaire à tous les apprentis d'An Dragal, il ne devait pas avoir quitté la tour depuis longtemps. Il appela tout de même chacun d'entre eux, finissant par Kira.
On lui désigna une dragonne violette tenue un peu à l'écart. Pourtant, contrairement aux autres, il ne précisa pas son nom.
— Elle n'a pas de nom ? demandait silencieusement Kira à l'homme.
— Hein ?
Manifestement, il ne savait pas lire sur les lèvres, mais quelqu'un intervint :
— Elle demande le nom du dragon.
C'était Ezékiel.
— Ah. Et bien, nous n'avons jamais réussi à savoir, ma belle.
Hésitant entre l'envie de lui enfoncer son poing dans le nez et sa curiosité, Kira ne répondit pas. Elle n'eut d'ailleurs même pas le temps de remercier le brun qui était déjà reparti.
Elle se dirigea donc vers la dragonne.
Cette dernière paraissait déjà agacée d'être là. Lorsque Kira fut un peu plus proche, elle remarqua quelques cicatrices sur les membranes de ses ailes. Ce dragon avait déjà connu le champ de bataille.
— Quel est ton nom ? tenta la brune silencieusement.
Les dragons pouvaient-ils lire sur les lèvres ? Et si ce n'était pas le cas, comment allait-elle communiquer avec elle ?
Surement était-elle trop proche, à moins que la question n'ait brusqué le reptile, mais cette dernière se retourna pour lui envoyer un coup de queue. Kira recula en se protégeant avec les bras, mais fut tout de même propulsée quelques mètres plus loin, dans la poussière.
— Tu n'as vraiment pas de chance avec celle-là, disait le soldat qui s'était approché.
— Comment ça ?
— Tu veux savoir pourquoi, c'est ça ? demandait-il.
Elle acquiesça, un peu agacée, Kira s'était habituée à ce qu'on puisse lire sur ses lèvres. Évidemment, elle pouvait utiliser la langue des signes, mais il était encore moins probable que cet homme la comprenne.
— Son premier chevalier est mort au combat. Depuis, quiconque essaie de l'apprivoiser finit blessé voir mort.
La Wesi grimaça en se relevant. Pourtant, en se rapprochant de nouveau de la dragonne, elle garda une distance respectable tout en la regardant sous un nouvel œil. Elle se demandait si ce n'était pas pour lui mettre des bâtons dans les roues qu'on lui avait attribué ce dragon, lorsqu'un hurlement attira son attention. Dario était passé trop près de la dragonne et essayait maintenant d'éteindre son pantalon qui brûlait. La jeune fille sourit, finalement, elle allait peut-être bien s'entendre avec ce dragon.
Tandis que tous apprenaient à monter leur dragon tandis que les plus anciens comme Ezékiel volaient déjà, Kira ne réussit même pas à approcher le sien.
Assise sur un rocher, elle ignorait Dario et Atzo, qui ne se privaient pas pour la narguer, voltigeant au-dessus d'elle en ricanant sur leurs dragons apprivoisés depuis déjà quelques semaines. La jeune fille détourna le regard et croisa celui d'Ezékiel, qui montait un grand mâle rouge avec aisance. Le garçon haussa discrètement un sourcil, comme pour lui demander pourquoi elle ne persévérait pas. Elle secoua la tête, cette dragonne était impossible.
— Comme toi, articula-t-il avant de s'envoler.
Elle ne sut que penser, pourquoi l'attitude du garçon avait-elle autant changé ? Était-ce parce qu'ils étaient alliés maintenant ? Après l'avoir menacé, il l'encourageait. C'était à ne plus rien comprendre.
Écartant d'un geste ses pensées, elle se releva d'un bond. Elle avait un but à accomplir et ce n'était pas cette dragonne qui allait l'arrêter.
Elle s'avança donc vers le reptile d'un pas déterminé.
Une fois arrivée à quelques pas d'elle, Kira planta son regard violet dans les pupilles noires de celle qui devait devenir son alliée. Elle reçut presque immédiatement un violent coup dans les côtes, lui coupant la respiration. La dragonne l'avait encore attaqué avec sa queue.
La jeune fille vola sur plusieurs mètres et atterrit durement dans la poussière. Elle se releva aussitôt et, sans prendre le temps de s'épousseter, elle se replaça devant la dragonne attachée. Avec un regard mauvais, elle renvoya sa queue vers la jeune fille. Cette fois-ci, elle esquiva et le reptile lui cracha dessus une gerbe de flammes. Kira roula alors immédiatement sur le sol pour éteindre le feu avant qu'il ne fasse trop de dégâts. Puis, elle se remit en place.
Durant tout le reste de la journée, Kira ne fit qu'esquiver les attaques de la dragonne. À l'arrivée de la nuit, elle ne bougea pas, elle comptait bien faire la plier.
Au petit matin, lorsque les autres revinrent pour s'entrainer, elle était toujours au même endroit avec quelques blessures en plus et les sourcils un peu roussis.
À chaque fois que Dario et Atzo passaient à côté d'elle, ils ricanaient, arguant qu'elle était folle et qu'elle ne méritait pas de rester à An Dragal ; ce qui la motivait encore plus.
La nuit arriva une nouvelle fois, aucune des deux ne bougeait maintenant. Un jeu de patience s'était installé entre elles.
Au bout d'un moment, Kira articula quelque chose :
— Je comprends que tu ne veuilles pas de moi, tu sais. Que tu ne veuilles de personne d'ailleurs. Les autres t'ont trahi, abandonné.
La dragonne faisait mine de ne pas être intéressée, pourtant, ses grands yeux ne lâchaient pas le visage de la jeune femme. Peut-être comprenait-elle vraiment ce qu'essayait de lui dire Kira.
— Moi aussi, je ne fais plus confiance à personne. J'ai besoin de savoir et de me venger. Pour ça, j'ai besoin de toi.
Le reptile ne broncha pas. La brune se mit alors à articuler son histoire en silence, prenant son temps pour être sûre que la dragonne comprenne. Pendant son monologue silencieux, le reptile tendit la tête vers elle, attentive.
— J'ai besoin de toi pour arriver à mon but. Peut-être que je pourrais t'aider à arriver au tien ?
La dragonne violette s'ébroua avant de se rouler en boule pour dormir. Alors que Kira allait se laisser tomber au sol, désespérée, une voix féminine résonna dans sa tête :
« Maraxès ».
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