CHAPITRE 11 †

Un mois plus-tard, Jimin et Suzy cuisinaient ensemble. Le garçon était toujours habillé de ses éternels habits noirs, mais un sourire naissait à présent sur ses lèvres pales.

Depuis ce jour à l'hôpital, il s'est battu corps et âme afin de trouver un juste-milieu. C'était long, dur, éprouvant, mais pas encore gagné. Il se battait toujours autant contre les ombres et ses crises nocturnes avaient presque disparu, il était maintenant capable de dormir sans se réveiller, il était moins malheureux dans les bras de Suzy.

Évidemment, tout n'était pas rose. Il ne pouvait toujours pas se regarder dans le miroir, pensant qu'il était trop moche et gros pour en avoir le droit, il continuait donc de ne manger qu'un repas par jour. Ses maux de tête, ses atroces migraines continuaient de le paralyser, pourtant moins récurrents.

Il se mutilait toujours, cependant avec plus de précautions. Il continuait car les monstres étaient encore là, au fond de lui, lui rongeant les os, la chair et le cœur.

Jimin avait néanmoins compris plusieurs choses durant ce mois, la plus importante, même s'il ne pouvait pas s'en débarrasser à tout jamais, même si jamais les ombres disparaîtraient, il pouvait vivre avec.

Suzy pansait ses cicatrices, Jimin pouvait toujours voir cette lueur de tristesse dans ses yeux, elle s'inquiétait pour lui. Et évidemment, il en était désolé.

C'était donc devenu une habitude pour les deux coréens de cuisiner ensemble. Suzy était très douée pour concocter des plats, et Jimin se régalait à chaque fois.

– Chimchim, tu as reçu un message, annonçait Suzy.

Posant la cuillère en bois sur le plan de travail, elle attrapa le cellulaire de son protégé et lui tendit. Le jeune homme s'en empara et le déverrouilla afin de le lire à Suzy :

– Nous vous rappelons que vous devez venir une semaine avant votre euthanasie pour procéder à plusieurs examens. Cordialement Hôpital Bruxelles II.

Jimin avait lu à voix basse, il clignait des yeux. Non, il n'avait pas oublié, le jour de sa mort programmée. Il s'était simplement efforcé de ne pas le mentionner devant elle. Parce qu'il savait qu'elle le prendrait mal, mais l'heure était arrivée. Il ne pouvait plus faire semblant et prétendre que l'euthanasie était une histoire ancienne. Car, malheureusement, cet événement était toujours inscrit à la case du calendrier de sa vie. Et il comprit que la conversation qu'il redoutait allait arriver, et qu'il ne pourrait pas l'éviter. Le seul moyen de ne pas l'affronter et qu'il fasse une crise, sauf que cela était du ressort des ombres, ce sont elles qui décidaient. Ça a toujours été et se sera toujours elles, qu'il le veuille ou non.

À l'entente de ces mots, Suzy cessa toute activité et son visage se tendit immédiatement. Elle était belle, très belle, mais à ce moment, elle était tellement triste, Jimin sentait son cœur se serrer.

Cette femme qui se battait pour lui, qui mettait sa vie sociale et privée entre parenthèses, qui l'aimait d'un amour profond, cette femme qu'il continuait à blesser par ses actions involontaires.

Il n'était qu'un prototype qui ne méritait pas l'amour et l'attention qu'elle lui apportait. Il était un abruti de première, incapable d'agir comme un humain, parce qu'il n'en était pas un. Il voyait qu'elle souffrait, mais il était si impuissant face à elle. Il voulait changer pour elle, mais il avait besoin de temps. Rien ne se faisait en un claquement de doigts et Suzy devait vivre avec.

– Que vas-tu faire ? demandait Suzy, la voix tremblotante.

Jimin posa le téléphone sur le plan de travail à sa place initiale. Puis, nerveux, il enlaça Suzy par-derrière, entourant ses bras autour de sa taille, les mains de Jimin se posaient sur le ventre plat de la jeune femme. Son menton se posait doucement sur l'épaule de la coréenne et il fermait les yeux.

– Je ne sais pas, murmurait-il.

Une mèche noire de ses cheveux tombait dans le coup de Suzy, elle frissonna au contact de ses cheveux. Elle ne bougeait pas et restait stoïque.

– As-tu conscience que ta réponse ne me convient pas ? Comment peux-tu me laisser si perdue et désorientée ? Jimin !

Je suis folle amoureuse de toi, à en mourir, et tu m'annonces que tu n'as pas pris de décision quant à ta mort ? Comment penses-tu que je me sente ? C'est comme ci mon monde venait de s'écrouler.

Finalement, Suzy avait succombé aux larmes. Les gouttes salées tombaient une par une, sans pause, ni pitié. Elles saccageaient violemment son doux visage. Son corps tremblait à cause des sanglots. Jimin l'enlaça un peu plus, c'était la seule chose qu'il pouvait faire pour la réconforter.

Parce que oui, il n'avait pas encore pris de décision.

D'un côté, il voulait rester en vie, pour elle. Parce qu'il ne savait pas si elle supporterait la vie sans lui. Parce qu'elle était amoureuse, et qu'il reconnaissait être indéniablement attaché à elle.

De l'autre, il voulait quitter ce monde. Même si la douleur avait changé et qu'elle semblait supportable et moins chronique, il continuait de souffrir. Et la douleur le rendait fou, fou au point d'en mourir.

Tout faisait tellement mal, c'était dur, éprouvant et fatiguant. Il avait l'impression de mourir de l'intérieur et rien ne pouvait le guérir.

– Suzy...

La jeune femme hoqueta.

– Jimin...

Son prénom sonnait comme la prononciation d'une dernière prière.

– J'aimerais t'aimer comme toi tu m'aimes, avouait-il.

Suzy se retournait vers lui, mettant fin à leur étreinte. Les yeux de Jimin étaient brillants et ceux de la coréenne étaient rouges. C'était tellement rare que Jimin la laisse le regarder de si près, si profondément. Il était ouvert à elle et elle comprit qu'il y avait peut-être une chance. Que peut-être tout n'était pas perdu. Et c'était le dernier moment pour le faire changer d'avis.

– Je veux juste ton bonheur Jimin, peu m'importe si tu finis ta vie avec moi ou une autre. Ne me laisse pas...

Sa voix laissait transparaître son inquiétude.

– Je suis tellement faible Suzy.

La jeune femme posa ses deux mains de part et d'autre du visage angélique de Jimin. Elle caressait sa peau douce et fermait les yeux, savourant ce moment. Sans doute un des derniers.

– Jimin, je suis convaincue que tu peux y arriver. En un mois, tu as déjà tellement évolué, il te suffit juste de résister. Je suis là pour t'aider, je serai toujours là. Je crois en toi.

Jimin pensait à ces paroles. Il avait là une femme amoureuse et visiblement prête à tout pour lui. Il ne pouvait pas simplement la laisser avec pour seul réconfort des larmes salées. Il devait lui rendre la pareille. Elle avait pris soin de lui alors qu'elle n'était pas obligée. Elle l'avait accueilli alors qu'elle aurait très bien pu partir sans se retourner ce jour-là.

Même si cela impliquait plus de galères et d'horreur, il voulait être fidèle et remercier Suzy.

Parce que durant ces deux mois, il avait aussi compris qu'elle était une femme et pas qu'une fille.

Une femme pleine d'ambition, de joie et de savoir vivre. Une femme intelligente et touchante qui se battait pour les autres autant que pour sa propre vie. Une femme mature et à l'écoute. Il l'admirait tellement à présent. C'était une personne digne de confiance.

– Je suis prêt à tout pour toi Suzy.

– Mais es-tu prêt à abandonner l'euthanasie Jimin ? Je ne veux absolument pas paraître égoïste en t'imposant de rester auprès de moi. Je sais que tu souffres, et je me sens tellement impuissante face à elles.

– Suzy, je ne t'ai jamais demandé de les supporter à ma place, ni de les battre. Jamais tu ne le pourras. Ce que tu fais et bien plus que je ne peux imaginer ou ressentir. Même si je choisis l'euthanasie, je demeurerai à tes côtés. Dans ton esprit, et je l'espère, dans ton cœur.

Les deux protagonistes s'enlacèrent encore une fois. Ils restèrent dans les bras l'un de l'autre toute la soirée, jamais ils ne se détachèrent. Pour rien au monde à ce moment précis, ils n'auraient pensé à se quitter.

Flavie ♡