Lorsque je me réveille le lendemain matin, je me rends compte que la rentrée est lundi. Avoir vu les vidéos de mes parents m'a un peu démoralisée et je resterai bien en pyjama tout le week-end mais Nina veut absolument aller à une soirée d'intégration ou un truc du genre qui a lieu le vendredi.

Elle m'a appelée ce matin pour m'annoncer que c'était non négociable et que je devais me bouger un peu. Ça ne me tente pas vraiment mais personne ne peut résister à Nina. Sa bonne humeur est communicative et puis, cela me changera les idées. Depuis un an, elle est présente pour moi, malgré les conneries et dépressions que j'ai pues faire. À dix-neuf heures j'enfile un jean et un tee-shirt, même si je n'ai aucune idée de ce qu'on est censé porter à ces soirées. Je ne sais d'ailleurs pas ce que sont ces soirées.

Depuis le bal de promo de l'année dernière et l'accident, je ne suis pas vraiment sortie, enfin pas pour le plaisir. À un moment de l'année, j'ai pas mal déconné, pensant que faire certaines choses m'aiderait à tourner la page. Au final, je me suis juste sentie salie. Et même si Nina me force pour m'aider à avancer, pour que je sorte de ma coquille, je ne pense pas que me retrouver au milieu d'une centaine de jeunes, qui risquent d'être bourrés pour la plupart, m'aidera.

Alors que je m'attends à quelque chose d'organisé, la soirée se résume à un regroupement d'étudiants dans des bars, où on est tous entassé les uns sur les autres. Il fait chaud et l'ambiance est oppressante. On ne peut pas bouger sans bousculer quelqu'un. On décide de s'arrêter dans le bar le moins fréquenté. Il semble chaleureux avec ses tables en bois massif et ses décors rouges sur les murs blancs.

Un groupe de quatre mecs vient nous aborder alors que nous sommes à table, ce qui réjouit Nina car elle connaît l'un d'entre eux qui s'appelle Christ. Chose étrange car je passe la plupart de mon temps avec et que je ne l'ai jamais vu. Il est en deuxième année de médecine avec Ryan, les deux autres entrent en première année comme nous.

J'observe les deux garçons qui sont frères, ils se ressemblent un peu, ils sont châtain avec des yeux clairs, même si les cheveux du plus vieux sont plus foncés. Ils sont assez mignons dans leur genre, mais ma ligne de conduite me rappelle que je ne dois pas me laisser aller. Je veux repartir sur de bonnes bases cette année et il est hors de question de me laisser distraire par des mecs, aussi beaux soient-ils. Je remarque néanmoins que contrairement aux autres les frères ne parlent pas et ont l'air comme moi de subir cette soirée.

Christ et Nina sont en pleine conversation, je m'évade dans ma tête, ne prêtant plus attention à ce qu'ils se racontent depuis dix bonnes minutes. Après un certain temps, Nina me ramène à la réalité pour me dire que Christ et l'autre bavard, Robbie, nous proposent d'aller dans un bar à chicha qui se trouve un peu plus loin.

Je ne suis pas emballée à cette idée mais on dit que l'Université est le moment rêvé pour expérimenter de nouvelles choses et je n'en ai jamais fait, alors on va essayer. Et puis si j'en ai marre, je pourrai toujours trouver une excuse pour rentrer me coucher.

Après dix minutes de marche, on se retrouve dans un bar nommé "les trois pucelles". « Super nom pour un bar... » me dis-je tout bas. Je trouve l'endroit un peu miteux, les garçons se dirigent directement dans une salle au fond à droite qui était cachée par un grand rideau opaque.

Le gérant arrive et les salue, ils commandent « comme d'habitude. » C'est typiquement le genre de mec que je n'affectionne pas, ils doivent passer tous leurs vendredis soir ici, à tirer sur le tube. Je ne me sens pas à ma place et je n'ai qu'une envie, c'est d'aller me blottir sous ma couette, ça sera toujours plus agréable que cet endroit.

Finalement, mon expérience s'arrête à m'asseoir dans ce bar. Moi qui voulais tenter de nouvelles choses, je ne suis pas servie. « Je veux bien découvrir des trucs mais je n'ai aucune envie de mettre ma bouche là où cinq autres personnes ont mis la leur. » pensé-je. Et puis sans même y toucher, j'ai déjà la tête qui tourne. La fumée me donne la migraine. Je ne sais pas comment ils font pour y passer des soirées entières. Christ n'a d'yeux que pour Nina et c'est réciproque, les trois autres tirent sur la chicha sans un mot, ce qui rend l'ambiance morose.

Je sais d'avance que je vais entendre parler de ce Christ pendant un moment. Elle tombe amoureuse au premier regard et malgré ses échecs, elle continue de croire en l'amour. C'est une éternelle optimiste, ce qui est mon opposé. Mais on se complète en quelque sorte. Je la mets en garde sur certains points et elle essaie de me faire voir le bon côté sur d'autres.

Les deux frères, eux, n'ouvrent pas la bouche. Le plus vieux discute un peu avec Robbie, ils parlent de la fac et des cours qui nous attendent. Evan, le plus jeune, semble perdu dans ses pensées. Je me détache de mon corps et laisse mon esprit vagabondé où bon lui semble. Malheureusement pour moi, il ne décide pas de penser à des choses agréables.

Pendant plus d'une heure, je ressasse le passé. Mes parents auraient tellement honte de moi. Je me suis totalement éloignée de la fille qu'ils ont connue. J'ai fait connerie sur connerie l'année dernière. Là, je veux repartir sur la bonne voie et je me retrouve dans un endroit démodé avec quatre garçons que je ne connais pas.

La culpabilité m'assaille et j'essaie de penser à autre chose mais c'est peine perdue. J'imagine leurs réactions en me trouvant dans un lieu comme celui-ci. Ma mère aurait été horrifiée et m'aurait ordonné de me désinfecter en rentrant. Mon père, lui, aurait sûrement mis la pression à ces pauvres gars pour savoir ce qu'ils faisaient avec « des gamines » comme nous. Cette idée me fait sourire, car même si j'aurais eu honte, je donnerais tout l'or du monde pour le vivre.

À la fin de la chicha, Christ propose de finir la soirée chez lui, mais moi j'ai assez donné pour ce soir, je m'excuse et rentre chez moi. En arrivant, je m'effondre sur le canapé sans même me changer, épuisée de cette soirée. Le sommeil m'emporte en quelques minutes.