II.

- Et une journée de plus de finie...

Marco soupira un bon coup en déverrouillant sa porte d'entrée et il fronça les sourcils d'incompréhension sur le moment en remarquant que les lumières étaient allumées dans son appartement. Refermant la porte derrière lui, un petit sourire étira ses lèvres lorsqu'il vit l'autre paire de chaussures sur le seuil. C'est vrai qu'il avait désormais un nouvel invité. Il peinait encore à s'y faire. Ça lui faisait drôle de se dire qu'il avait quelqu'un qui l'attendait le soir.

Et ça devait d'ailleurs justement être auprès de lui que devait se trouver Lixy puisque d'ordinaire elle était là à l'attendre quand il rentrait de l'hôpital.

Il se déchaussa dans un silence des plus pesants, silence qui ne collait guère au caractère de son « ami ». Et il se doutait déjà comment il allait retrouver ce dernier. Sans doute dans le même état que les derniers soirs.

Traversant la petite cuisine après avoir délaissé son manteau, le mois de novembre arrivant avec des températures plus fraiches, il arriva dans ce qui semblait être la pièce à vivre. C'était un salon de taille modeste avec le strict nécessaire en mobilier, soit un canapé contre un mur, deux bibliothèques pleines de livres et une commode contenant quelques bibelots, une télévision dans un angle, et au centre une table rectangulaire avec quatre chaises dont l'une était occupée. Occupée par le fameux brun qu'il logeait. Celui-ci semblait d'ailleurs plutôt pris à vrai dire, pianotant furieusement sur le clavier de son ordinateur, entouré de feuilles éparses sur la table, des écouteurs enfoncés dans ses oreilles.

Marco profita du fait qu'il ne paraissait pas encore l'avoir remarqué pour s'adosser avec nonchalance à la chambranle d'une porte inexistante pour l'observer un peu. Il n'avait jamais vraiment eu l'occasion de l'admirer autre qu'au lit et le changement de contexte le rendait tout aussi attirant.

Et il était tout à fait appréciable à regarder, là, avec ses mèches de jais désordonnées, preuves de passages répétés d'une main fatiguée lors de réflexions. Il voyait ses sourcils se froncer légèrement devant l'écran lumineux et sa lèvre inférieure se faire mordiller, comme dans un geste aguicheur. Il pouvait voir les yeux gris, qu'il connaissait avec une lueur perverse, plus sérieux, concentrés probablement sur un texte ou un diaporama quelconque.

Il ne regrettait vraiment pas de l'avoir choisi parmi la multitude de profils sur ce site ce soir-là. Ace était un jeune homme très séduisant qui n'allait, à son avis, que s'embellir par la suite. Peut-être était-ce pour cela qu'il sentit une douce chaleur se répandre en lui en le matant, une chaleur non causée par l'excitation mais plutôt la fierté d'avoir un aussi beau, et performant, sex friend.

Ce fut presque à contrecœur que le blond se risqua à jeter un coup d'œil à l'horloge pendue à un mur. L'heure tardive et la propreté dans laquelle il avait retrouvé sa cuisine étaient les preuves que le brun avait eu probablement la flemme de se faire à manger et qu'il allait devoir s'y coltiner. Une fois encore. C'était un problème auquel il essaierait de remédier. Probablement lorsqu'il lui aura demandé ce qu'il voulait à manger pour ce soir.

Toutefois, à peine fit-il un pas sur le parquet ciré qu'un miaulement attira son attention et il vit son chat, allongé derrière l'écran de l'ordinateur, se redresser pour s'étirer de tout son long. Ce mouvement sembla perturber le travailleur puisqu'il leva enfin la tête de son écran pour constater que son hôte était rentré. Il se contenta de lui adresser un bref signe de main avant de lâcher un bâillement sonore en s'étirant également, laissant ses écouteurs tomber devant lui.

- La main s'il te plait, le reprit le blond qui s'agenouilla devant la boule de poils qui fonçait vers lui, prête à se frotter à ses jambes. Je n'ai pas besoin de voir tes amygdales.

- Roh... C'est bon..., souffla le jeune homme en éteignant son ordinateur. Je suis claqué...

- Ne penses pas être le seul, crois-moi.

C'était un véritable bordel sans nom à l'hôpital avec ce foutu virus. Les patients ne cessaient d'affluer en réanimation alors que le personnel était plus qu'insuffisant pour gérer toutes ces entrées. C'était une torture aussi bien physique que mental et c'était un fléau de devoir décaler certaines opérations vitales pour ces réanimations. Combien de familles étaient venues se plaindre de la perte d'un proche qui avait vu sa greffe repoussée... Il ne comptait même plus le nombre d'heures supplémentaires qu'il avait fait depuis mars. Il était éreinté et ses collègues l'étaient tout autant, certains bien plus jeunes que lui voyant déjà leur santé se faire ronger par cette pandémie qui les accablait. Qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour redevenir étudiant et se plaindre de cours à distance...

Puisque oui, avec Ace ils avaient pu se renseigner sur ce reconfinement par la suite sur Internet et quelle ne fut la joie du brun lorsqu'il avait appris que son université était fermée pour l'instant. La durée d'un ridicule mois n'avait guère refroidi l'euphorie de l'étudiant mais Marco avait préféré être clair sur le sujet dès le début, le prévenant qu'en le logeant ce n'était pas une raison pour qu'il abandonne sa scolarité. Il avait eu alors le loisir de découvrir un côté un peu plus renfrogné et impulsif de son sex friend qui l'avait prévenu qu'il n'était pas « aussi con que les p'tits collégiens », pour reprendre ses mots, et qu'il savait que des cours à distance seraient mis en place.

Par chance, Ace emmenait toujours ses affaires de cours lorsqu'il allait voir le blond puisqu'il fallait malheureusement s'occuper dans le train et qu'il ne pouvait se permettre de prendre trop de retard dans ses cours. Il n'avait eu pas trop de problème sur ce coup-là, les vêtements étaient un autre détail, et avec quelques mails de ses professeurs dès le lendemain, des enseignements à distance par visioconférence furent programmés aux horaires habituels. Puis, même s'il n'aurait pas eu ses affaires, il aurait demandé à Marco un ordinateur ou autre, ne tenant guère à louper ses cours qui mine de rien n'étaient pas aussi gratuits qu'on le pensait. Garp l'aurait tué sinon.

- Au fait, l'interpella le brun en abaissant son écran, tu diras à ton minouche d'arrêter de squatter mes feuilles.

- Tu n'avais qu'à l'enfermer dans la salle de bain, lui répondit simplement Marco en laissant sa main caresser le pelage tricolore de l'animal. Je t'ai pourtant dit de ne pas hésiter à le faire si elle t'embête.

- Ouais, mais après elle me fait de la peine à miauler toute seule.

Le blond leva les yeux au ciel devant cette réponse enfantine et le petit félin se mit à ronronner presque aussi fort qu'un tracteur sous la main de son maître. Etrangement ça ne dérangeait pas Ace qu'elle soit enfermée lorsqu'ils étaient en plein acte. Effectivement, avoir le chat qui vous observait avec ses grands yeux verts quand vous étiez en train de faire votre affaire, c'était le pire tue-l'amour possible.

Testé et approuvé.

- Alors ne te plains pas, se contenta de souffler Marco en se redressant, Lixy se frottant toujours à ses jambes comme en manque d'affection. Au fait, que-

- Ah ! s'écria brusquement le brun en se levant d'un bond.

- Qu'est-ce qu'il y a... ?

Le plus âgé soupira discrètement avant de s'approcher de la table, et par conséquent de la feuille que brandissait furieusement Ace. Celui-ci la laissa s'échouer lamentablement sur la table au milieu des autres et toisa le félin d'un regard noir.

- Lixy ! Qu'est-ce que tu as à dire pour ta défense ?

Il n'obtenue qu'un ridicule petit miaulement désintéressé pour toute réponse et le blond qui s'était tiré une chaise pour s'asseoir se saisit du papier avant de lâcher un petit sifflement de surprise en en voyant l'état.

- Elle n'y est pas allée de main morte dis donc yoi.

- Ça c'est clair ! s'écria le brun en se retournant vers lui, laissant sa coupable s'échapper dans une autre pièce. Elle a complètement bouffé ma feuille ! C'est illisible maintenant !

Ce que Marco supposait être une des nombreuses feuilles de cours de l'étudiant avait eu la malchance de tomber sous les crocs de son chat lorsqu'il s'était concentré sur un autre enseignement. Un texte, probablement à analyser, était criblé de trous, démontrant que Lixy s'en était donnée à cœur joie. Certains coins avaient même été mâchonnés. C'était une sale habitude qu'elle avait et il lui était déjà arrivé de retrouver les dossiers de patients qu'il avait laissé traîner dans un état bien pire. Enfin bon, le pire avait été quand elle avait voulu se frotter à son cactus, mais ça, c'était une autre histoire.

Dans tous les cas, il était vrai que désormais plus de la moitié des phrases étaient incompréhensibles. A moins d'avoir une bonne connaissance en la matière.

- Ne dit pas ça Ace, soupira le blond avec nonchalance. Je pense que si tu réfléchis un peu tu devrais réussir à déchiffrer ton texte.

- Tu te moques de moi, c'est ça ?

Le regard noir que lui avait lancé le brun sur le coup l'aurait peut-être dissuadé de se moquer de lui, chose qui n'était d'ailleurs pas le cas, et pour le lui prouver il reposa la feuille en pointant une ligne au hasard.

- Qu'est-ce que tu lis ?

Ace s'approcha, gardant sa distance de sécurité, et fronça les sourcils d'incompréhension. Ce type le prenait vraiment pour un gamin ou quoi ?

- « Tis oun did-... » et j'arrive pas à lire la fin du mot. Je vois juste qu'il se termine en iota et pareil, ce qu'il y a après « sà » m'est incompréhensible. C'est « ora » ?

- La traduction à côté ne t'aide pas ?

- Excuse-moi de ne pas être bilingue, souffla le plus jeune en levant les yeux au ciel avant de se prendre une chaise. C'est que toi tu arrives à tout lire peut-être ?

Le sourire confiant qu'il eut en retour ne lui plut pas trop.

- « Tis oun didàxsei sé allos hé tà sà ommata ? », lu le blond avec un accent presque parfait.

Le visage d'Ace s'était déconfit au cours de la lecture et il se reprit en grognant :

- C'est bon, fais pas le malin, on connait pas tous Euripide sur le bout des doigts en grec ancien.

Quelle mauvaise foi, ne put s'empêcher de constater Marco.

- Et comment ça se fait que tu connaisses ça ? l'interpella le brun qui avait ramené la feuille vers lui dans le but d'essayer de comprendre le reste de son texte.

- J'avais pris cette option lors de mes études. Avoir les noms de maladies ou des médicaments en grec c'est bien plus pratique dans certains cas, surtout qu'on utilise assez souvent le linéaire B.

- Tes études ? Mais ça date !

Le blond préféra éviter de relever le sous-entendu fait par-rapport à son âge, âge qui n'avait jamais rebuté le plus jeune lorsqu'ils s'étaient connus, et demanda calmement :

- Tout ça c'est pour faire professeur ou un truc du genre ?

- Loin de là, répondit Ace, gardant les yeux rivés sur les caractères. Je fais des études d'archéologie et j'ai pris un CCLA-G en plus. Cela peut toujours m'être utile.

- Et tu veux aboutir sur quoi yoi ?

Ils n'avaient jamais vraiment eu l'occasion de discuter simplement. D'ordinaire par messages ou appels c'était juste des paroles pour se chauffer, la routine, et lorsqu'ils se voyaient ils ne parlaient guère plus. Ils échangeaient un peu si le trajet du brun s'était bien déroulé, cherchant à aguicher l'autre entre deux mots, puis après ils passaient à l'acte. C'était aussi simple que ça. Par la suite ils conversaient de si tout s'était bien passé autour d'une boisson, s'il n'y avait pas eu de douleur, inconfort ou autre, et que essayer la prochaine fois.

Les confidences sur l'oreiller n'étaient pas pour eux. Lorsqu'ils se voyaient c'était pour prendre du bon temps, ni plus ni moins. Ils n'en avaient rien à faire que l'un ait eu telle note en telle matière, se soit disputé avec un tel tel jour, ou que l'autre ait soigné tel patient de telle maladie. Le plaisir avant tout. Point.

- J'aimerai bien faire anthropologue spécialisé en Grèce, avoua finalement le brun après de longues secondes de silence.

Etrangement, Ace en savait plus sur Marco que Marco en savait sur lui. Non pas que Marco avait été plus bavard que lui mais comme c'était chez lui qu'ils se retrouvaient il avait eu l'occasion d'en apprendre plus à ses dépends. Par exemple, il avait eu la chance, ou non, d'apprendre que le blond était un grand chirurgien dans un hôpital lorsque celui-ci avait été appelé d'urgence pour une opération un soir alors qu'ils étaient « occupés ».

Alors que le brun en dévoile un peu plus sur ses études n'allait pas le tuer. Du moment qu'il restait dans la limite du raisonnable ça allait.

- J'attaque ma dernière année de licence et je vais aller jusqu'au doctorat je pense, continua-t-il presque songeur. Il y a énormément de choses à découvrir sur ces sujets qui sont extrêmement vastes, tu n'imagines pas à quel point c'est fascinant ! Le passé est tellement plus riche que le présent et il est ce qui façonne notre avenir !

Il était plutôt surprenant de voir Ace s'étalait sur un sujet qui semblait réellement le passionner. Tout en restant dans la limite de ses études et sans parler de ses fréquentations ou autre, il prenait plaisir à faire l'éloge de ses études. Même si Marco n'était pas un expert en la matière, cela ne le dérangeait nullement d'en apprendre un peu plus sur ce qu'étudiait son locataire. Puis même si ça aurait été le cas, il n'aurait eu le courage de l'interrompre tant s'était plaisant de voir cet éclat dans ses yeux argentés.

- Et donc tu préfères étudier les morts, résuma finalement assez grossièrement le blond amusé par le paradoxe de leur domaine de prédilection.

- Ouais, les vivants c'est trop chiants sérieux, puis les morts ont toujours pleins de secrets à nous dévoiler.

- Ce n'est pas faux, mais ça ne doit pas être amusant de côtoyer des ossements tous les jours.

- Et de côtoyer les vivants alors ? Quand un gars vient se plaindre d'un rhume mais qu'il a le corona en ayant contaminé une dizaine de personnes sur son passage alors qu'il aurait gentiment pu rester chez lui au chaud. Des os sont bien plus obéissants, crois-moi.

Le raisonnement arracha un petit sourire amusé à Marco qui ne pouvait que confirmer. Il était vrai que si l'être humain avait su respecter les règles imposées ils ne se retrouveraient pas cette situation.

- Sinon, je voulais te demander qu'est-ce que-

Toutefois, une sonnerie interrompit le blond et Ace se tourna aussitôt vers son portable dont il avait reconnu la mélodie de Relic Song. Marco avait suivi son regard et lorsque ses yeux se posèrent sur l'écran bleuâtre où il y avait le petit téléphone vert sur lequel il fallait cliquer ou non, il sentit son cœur se serrer étrangement. Étreint d'un sentiment qu'il n'avait plus eu l'occasion de rencontrer depuis longtemps.

Un sentiment qui s'accentua quand il vit le brun s'en saisir rapidement en lui adressant un signe de tête désolé avant de se lever et de décrocher, s'éloignant vers la salle de bains, un grand sourire aux lèvres.

Le contact qu'il avait vu se prénommait Femme de ma vie <3.

Et il venait de briser une des règles.

--------------------------------------

Attention : Je ne critique nullement les collégiens dans ce chapitre, la réflexion faite par Ace pouvant s'appliquer à tout scolarisé ayant vu le confinement comme un moyen de lâcher ses études.

Hey, j'espère que ce petit chapitre vous a plu sans pour autant vous paraitre un peu condensé. Je rappelle que j'ai un nombre limité de chapitres et qu'il faut faire avancer les choses tout en suivant une trame logique. Ici c'était le petit chapitre avec l'étape "devoirs" et je peux vous confirmer qu'Ace a raison d'être fatigué avec le distanciel. Personnellement je fais du 8h-18h tous les jours (même le week-end, ne travaillant mes textes que les soirs). Je ne doute cependant de l'état de fatigue de Marco et je suis de tout cœur avec les soignants en cette période.

Sinon, j'ai glissé une petite référence sur le thème du prochain chapitre et félicitations à ceux qui la trouveront. Concernant celui-ci, il ne sortira que mercredi soir à une heure tardive puisque notre président doit s'exprimer ce soir-là et ce qu'il dira sur le confinement (un possible rallongement ?) influencera mon histoire. Pour rappel, les personnages le vivent en même temps que nous d'où ma limitation de huit chapitres totaux.

J'ai fait référence au texte d'Euripide, Hélène, avec le vers 580 où Hélène questionne Ménélas. Le texte original donne : {Ἑλ.} Τίς οὖν διδάξει σe ἄλλος ἢ τὰ σὰ ὄμματα ; (= Qui d'autre que tes yeux t'instruira donc ?). Je vous avais donné une transcription phonétique pour la fiction et j'espère que les hellénistes ne m'en veulent pas (oui, écrire du grec comme ça pique les yeux).

Bon courage en cette période où il faut rester chez soi, prenez soin de vous, ne restez pas seuls dans votre coin en cas de problème, restez sociables. "L'humain est un animal social" - Aristote.

(P.S : Une médaille à la personne qui devine l'identité de celui ou celle ayant appelé Ace)

CCLA-G = Certificat de Compétence en Langue Ancienne, ici Grecque.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top