Interclasse n°9



« L... Lola ! »

La jeune fille le dévisagea étrangement sous son parapluie puis, ses longs doigts fins serrés sur le manche, elle esquissa un sourire en regardant Simon dévaler les marches du perron et refermer le portail de la maison de Cohen derrière lui. Arrivé à son niveau, il se pencha vers elle pour lui embrasser la joue en guise de salut mais, à la dernière seconde, elle retourna la tête pour poser ses lèvres contre les siennes.

« Qu'est-ce que tu fais ?, demanda brusquement Simon avant de se forcer à sourire. Il n'y a personne, on a pas besoin de faire semblant...

– Tu sens la clope. »

Lola fronça les sourcils et alla fourrer le bout de son nez au creux de son cou, reniflant comme un chien de chasse ; soudain, l'une de ses mains lâcha le manche de son parapluie et tira brusquement sur le col du jeune homme, découvrant sa peau jusqu'à sa clavicule. « Oups. ». Ce fut tout ce que songea Simon en entendant l'exclamation outrée que poussa Lola à la vue des marques rouges ornant sa peau.

« Bah, dis donc ! Tu t'es trouvé une vraie tigresse !, commenta-t-elle en passant le bout de ses ongles sur chaque suçon ou trace de morsure, avant de brutalement saisir le bas de son pull et de le soulever pour découvrir son ventre. T'en as ailleurs, aussi ?

– Arrête ça !, soupira Simon en la repoussant. Écoute, il faut que je te laisse, je dois rejoindre Andréa...

– Ah !, cria Lola en sautillant bêtement sur place. C'est Andréa qui t'a fait ça ?!

– Que... Non ! »

Inutile de discuter, Simon, inutile. Lola pouvait bien croire ce qu'elle voulait, de toute façon. Et ce n'était certainement pas Andréa qui risquait de contredire cette version des faits. Alors, avec un soupir résigné, Simon tourna les talons, jeta son sac sur son épaule, et prit le chemin de son arrêt de bus. Du moins, c'est ce qu'il s'apprêta à faire avant que Lola ne saisisse un pan de son pull entre ses doigts afin de le retenir, le visage déformé par l'hésitation. C'était une chose rare de voir Lola réfléchir avant d'ouvrir la bouche.

« Simon... Je peux rester chez toi, ce soir ?

– Quoi ? Pourquoi ? »

Lola grimaça un sourire lorsqu'il reposa les yeux sur elle, puis fit mine de lever le nez vers le ciel comme une véritable petite diva, une main sur sa taille :

« Je me suis faite plaquée par mon copain.

– T'avais un copain ? »

Comme vexée par son étonnement, elle lui tira méchamment la langue, gloussa à sa propre bêtise, puis se permit de fouiller dans les poches du pantalon de Simon pour en tirer ses clés.

« Allez, file, tu vas être en retard en cours, dit-elle avec un sourire avant de sautiller joyeusement vers la maison de Simon, laissant ses boucles rousses se balancer au creux de son dos avant de s'arrêter brusquement. Oh ! J'oubliais !

– Hm ?

– C'est vraiment gentil de ta part de continuer de rendre visite à ton voisin psychopathe depuis tout ce temps, dit-elle en pointant un index en direction du pavillon de Dorian Cohen. »

Simon sentit un frisson remonter le long de son échine.

« Ouais... Sans doute, marmonna-t-il en forçant un sourire. »

~

« Manon est adorable. »

Simon leva les yeux de l'écran de son ordinateur lorsque cette scandaleuse affirmation parvint à ses tympans. Il était allongé sur son lit, balançant mollement ses jambes dans le vide tout en relisant ses notes de cours. Lola s'était installée à cheval sur ses reins et avait remonté son haut jusqu'aux épaules du garçon ; apparemment, elle n'avait pas trouvé quelque chose de plus intéressant à faire qu'à dessiner quelques faux tatouages au stylo sur la peau de ses omoplates depuis qu'elle s'était désintéressée d'un roman déniché sur une étagère.

« On parle de la même Manon ?, ricana Simon avant de pousser une exclamation de douleur lorsqu'elle lui pinça l'oreille.

– Tu parles d'un grand frère ! Je suis sérieuse, tu sais. Elle est vraiment mignonne. J'aurais tellement aimé ne pas être fille unique. C'est d'un ennui mortel. »

Elle posa ses mains à plat sur les épaules du jeune homme et, en sentant l'extrémité de ses cheveux roux lui chatouiller la nuque, Simon devina qu'elle s'était penchée vers lui avant même que ses petites lèvres ne déposent quelques baisers au creux de son cou. Il n'en était pas certain, mais il eut l'étrange impression qu'elle les plaçait volontairement à l'endroit exact où elle avait remarqué les marques rouges parsemant sa peau. Au fur et à mesure, elle remonta jusqu'à son oreille, et soupira tout près de son tympan :

« En fait, je ne suis pas faite pour vivre seule. Je ne supporte pas bien la solitude... »

Simon vit sa main passer par-dessus sa tête pour fermer l'écran de son ordinateur, puis elle redressa son dos et appuya sur ses côtes pour le forcer à se retourner face à elle. Inutile de discuter, songea une fois de plus Simon avec un soupir ennuyé. Si Lola voulait jouer, il savait qu'elle gagnait toujours. Alors, roulant avec une lenteur excessive sur le dos, il se contenta de lui adresser un regard las qui arracha un rire amusé à la jeune femme tandis que, d'un mouvement de tête, elle rejetait ses longues mèches orangées dans son dos, découvrant son cou blanc. Que Simon pouvait la trouver belle. Il avait toujours trouvé ses petites tâches de rousseur adorables et son regard rieur incroyablement craquant, et c'était toujours le cas.

Au fond, il ne savait pas ce qui l'empêchait d'en tomber amoureux. C'était comme si son cœur et le sien étaient séparés par un mur invisible, et pas une seule fissure ne venait le faire trembler, pas même lors des nuits qu'ils passaient ensemble. Un jour, il avait cru être capable de le surmonter. Il avait cru être capable de forcer le destin, de donner lui-même naissance aux sentiments qui lui échappaient. C'était le jour où Lola et lui avaient roulé au sol en se tenant les côtes, paralysés par un fou-rire. Pourquoi, déjà ? Une publicité à la télévision, sans doute. Une bêtise de ce genre-là. C'était quelque chose qu'il pouvait partager avec elle. Ils suffoquaient tellement ils riaient, et ils en étaient venus à faire l'amour sur le tapis du salon en écoutant une annonce pour des produits laitiers.

Et il n'était pas tombé amoureux.

« Tu veux voir ma culotte ?

– Arrête, grogna Simon en bloquant ses mains lorsqu'elle tenta de le chatouiller. »

Lola releva la tête avec une moue boudeuse et son attention fut soudainement attirée par la fenêtre. Le soleil, qui commençait déjà à disparaître derrière les toits, projetait une lumière orangée sur son visage, soulignant le brun de ses iris au sein de son visage pâle. Lorsque Simon redressa le dos pour pouvoir, à son tour, regarder les derniers rayons du jour peindre les quelques nuages en nuances de rose, elle glissa légèrement sur ses genoux mais resta tout de même contre son torse, tirant sur ses mains pour dégager ses poignets de l'emprise du jeune homme mais, au lieu de se détacher de lui, elle attrapa ses doigts et les emprisonna soudain entre les siens.

Et puis, tandis qu'un rayon lumineux força Simon à plisser les paupières, elle serra. Elle serra ses doigts, collant sa peau contre la sienne jusqu'à ce que leurs articulations deviennent totalement blanches mais, à l'instant où la légère douleur attira l'attention de Simon vers elle, elle baissa brusquement la tête.

« Ne me regarde pas, crétin. »

Alors Simon retourna aussitôt les yeux vers la rue, observant les tuiles encore couvertes d'eau de pluie des toits briller une dernière fois avant que l'ombre de la nuit, grandissant de seconde en seconde, ne les consume une à une. L'eau accumulée dans les gouttières s'écoulaient doucement sur les allées des jardins et, au même instant, Simon sentit deux, trois, quatre gouttes tièdes chuter sur la peau de ses doigts et glisser entre ses phalanges et celles de Lola. Dans le reflet de la vitre, il pouvait voir les épaules de la jeune fille tressauter et son propre visage trouble, impassible, qui l'ignorait.

Elle était toujours comme ça. Lola était cette fille qui ne savait pas pleurer, même lorsqu'elle souffrait d'un chagrin d'amour. Lola était cette fille qui laissait son propre optimisme la consumer. Lola était cette fille qui laissait toujours son cœur déborder avant de laisser ses larmes couler.

Et Simon, au fond, aurait préféré ne jamais les voir.

~

« Ne rentrez pas trop tard !

– T'inquiète, papa, soupira Simon avant de fermer la porte d'entrée derrière lui. »

Lola avança d'un pas bondissant vers le portail, levant les bras au-dessus de sa tête pour s'étirer avec un gémissement de bien-être. Elle inspira une grande bouffée d'air frais puis, un large sourire sur les lèvres, elle s'enroula autour du bras de Simon et l'entraîna sur le trottoir en se mettant à lui parler de quelques bars sympathiques de la capitale. De toute façon, elle savait que le jeune homme la laisserait choisir où ils se rendraient. C'était toujours le cas. En fait, c'était toujours elle qui choisissait tout. Où ils mangeraient, où ils passeraient la nuit, ou même l'heure à laquelle ils rentraient. Simon se laissait porter sans broncher. Ça avait quelque chose... d'agaçant. Lola, elle, elle aimait les hommes qui ne se laissaient jamais marcher sur les pieds, têtus comme une mule, prêts à la contredire. C'était peut-être pour ça que ses relations amoureuses se terminaient toujours au bout de quelques semaines, mais elle craignait bien trop l'ennui et la routine pour se caser avec un gentil garçon.

Même la perspective de passer quelques heures le nez dans une choppe de bière ne l'excitait pas plus que ça. Simon non plus, d'ailleurs. Elle avait envie de quelque chose de nouveau, quelque chose de neuf, quelque chose qui la ferait frissonner, pas se sentir dépérir comme si elle avait déjà la cinquantaine.

À leur âge, au fond, il était encore temps de faire toutes les bêtises qu'ils voulaient. Ou, plutôt, qu'elle voulait.

Alors, lorsque ses yeux tombèrent sur la maison de monsieur Cohen, un sourire décidé éclaira soudain son visage. En une fraction de seconde, elle avait saisi le poignet de Simon et le traîna avec une force surprenante vers le portail.

« Lola ! Qu'est-ce que tu fais ?, s'enquit le garçon avec une pointe d'inquiétude dans la voix lorsqu'elle remonta l'allée jusqu'au perron de l'habitation.

– Tu sais, je pensais à quelque chose, dit-elle en se retournant vers lui, joignant ses mains dans son dos. Martin et moi, on ne s'est jamais excusés pour la bombe à eau qu'on a jeté à ton voisin alors qu'il venait à peine d'emménager. Tu en as porté la responsabilité tout seul, mais je tiens tout de même à lui demander pardon à mon tour. Après tout, je suis aussi coupable que toi ! »

Simon arqua un sourcil suspicieux, mais elle l'ignora volontairement et sonna à la porte. Tout en écoutant l'écho qui leur parvint, elle se mit à se balancer sur ses pieds, comme impatiente, puis se pencha vers l'oreille du garçon avec des étoiles dans les yeux :

« Et puis, j'ai vraiment envie de trouver cette cave dans laquelle il cache les corps de ses victimes... »

Oui, songea Simon en levant les yeux au ciel. C'était cela, la vraie raison qui la poussait à s'intéresser soudain à Dorian : ses fantasmes d'aventure invraisemblable. Elle serait Sherlock Holmes, et il serait John Watson, comme lorsqu'ils étaient enfants. Mais, à son grand soulagement, Cohen ne semblait pas décidé à les accueillir chez lui.

« Mince, il n'est pas là, soupira Lola avec un air boudeur.

– Ce n'est pas étonnant, son pick-up non plus, lui fit remarquer Simon en pointant son pouce vers l'allée du garage vide. »

Et c'était exactement la raison pour laquelle il n'avait pas frôlé la crise cardiaque à l'idée de se trouver là en compagnie de Lola. Puisque Dorian n'était pas là, elle n'aurait qu'à se trouver une autre occupation, et elle oublierait vite le « fameux psychopathe » qui avait emménagé à côté de chez lui.

« Il est probablement encore à son travail..., s'entendit-il marmonner, par besoin de perturber la réflexion inquiétante qui transparaissait sur les traits fins de la jeune fille.

– Qu'est-ce qu'il fait, comme boulot ? Boucher ?

– Mais non. Enfin, je ne crois pas... »

En réalité, c'était même surprenant qu'il ne soit toujours pas rentré à une heure si tardive. Il lui arrivait parfois de disparaître jusqu'au lever du jour, mais cela restait rare. Ça l'était devenu encore plus depuis que Simon et lui avaient commencé à se voir, mais, bien entendu, il ne se risqua pas à formuler ces pensées à voix haute.

Lola haussa les épaules puis, les bras ballants, descendit les marches du perron avec la même moue qu'un enfant à qui l'on aurait refusé un tour de manège. Simon, en revanche, était rayonnant. Pas de chance, cocotte, chantonnait-il joyeusement dans ses pensées, avant que l'arrêt brusque de sa copine ne le ramène brutalement sur Terre. Il n'y resta pas longtemps, cela dit : dès qu'il la vit écarquiller les yeux et bondir dans l'herbe du jardin, Simon ferma les yeux et se sentit chuter en Enfer. Elle avait une idée. Oh non, par pitié. Lola avait une idée.

« Peut-être qu'on pourrait passer par la fenêtre ! Regarde ça, si tu me fais la courte échelle, je suis sûre que je pourrais l'atteindre...

– Et on passera la nuit chez les flics, geignit Simon en plaquant sa main contre son front, s'efforçant d'oublier qu'il avait lui-même un jour envisagé ce genre d'entrée "forcée". Lola, allons-nous en.

– Tu n'as vraiment aucun sens de... »

Un crissement de pneu, depuis le bout de la rue, couvrit la fin de sa phrase. Aussitôt, la lumière jaune et dansante de deux phares illumina la chaussée, puis s'étendit au trottoir et vint les éblouir avant qu'un coup de frein brusque ne résonne à leurs oreilles. Le portail émit à son tour une plainte et, à l'instant où les phares s'éteignirent et qu'une portière du véhicule claqua, Simon sentit Lola se rapprocher de lui, tendue.

Mais, lorsque l'homme, de sa démarche lente et incertaine, approcha assez d'eux pour qu'ils parviennent à discerner son visage dans l'obscurité, Simon réprima une exclamation de surprise. Dorian, à quelques pas devant lui, les yeux mi-clos, une veste sur l'épaule et une petite bouteille de bière penchant dangereusement vers le sol à la main, s'arrêta soudain en remarquant leur présence. Même immobile, il tanguait de gauche à droite comme s'il se tenait sur un bateau en pleine mer.

« Merde, mon jardin est devenu une garderie..., marmonna-t-il en portant sa bouteille à ses lèvres, avalant d'une traite les deux ou trois gorgées d'alcool qui y restait avant de la poser aux pieds de la poubelle.

– Ton psychopathe est complètement pété, ricana Lola au creux de l'oreille de Simon, étouffant son rire sous sa main. »

Oui, c'était le cas de le dire. C'était même étonnant qu'il soit parvenu à conduire jusqu'à chez lui dans cet état sans rentrer dans un arbre ; finalement, l'état de son pick-up n'avait plus rien de surprenant s'il avait pour habitude de zigzaguer en pleine nuit au milieu de la route, frôlant chaque poteau. C'était un miracle que Dorian soit indemne mais, quelque part, Simon eut la soudaine envie de lui bondir à la gorge et de l'étrangler jusqu'à ce qu'il rende son dernier souffle.

Il buvait.

Simon était là, et il continuait à boire. Il ne s'était pas attendu à ce qu'il renonce totalement à l'alcool pour ses beaux yeux, bien entendu, mais était-ce trop demandé qu'il ressente la moindre gêne à l'idée de témoigner de son comportement destructeur juste sous ses yeux ? Après tout, c'était sur cela que reposait leur... accord. N'est-ce pas ? Peut-être n'était-ce qu'une excuse que Simon, ou Dorian, avait volontairement intégré afin d'assouvir leurs pulsions sans culpabilité, peut-être qu'il n'avait jamais eu l'intention de cesser de boire pour le simple plaisir de toucher Simon, mais il avait eu envie d'y croire. Pire, Dorian lui avait donné l'envie d'y croire, par son comportement avec lui, par ses paroles, par ses gestes.

Curieusement, Simon se sentait aussi insulté par ces quelques gorgées que si Dorian l'avait regardé droit dans les yeux et lui avait affirmé que ce n'était que quelques doux mensonges.

« Tu devrais aller te coucher, lâcha soudainement Simon d'une voix éteinte. »

Il sentit les yeux de Lola se lever vers son visage à ces mots, joignant ceux de Dorian. Il leva un pied en avant, pencha vers la droite, reposa le pied à plat en écartant les bras pour retrouver son équilibre, inspira profondément, jeta un regard d'adieu à sa bouteille vide puis se traîna vers le perron.

« Il est encore tôt..., parvint-il à marmonner entre ses dents, retournant chacune de ses poches à la recherche de ses clés.

– Pas pour toi. »

Une odeur étrange avait imprégné ses vêtements. Une odeur de renfermé, de tabac, d'alcool, le tout mélangé. Une fois parvenu à brandir son trousseau de clé devant son nez, il se mit à le tourner et le retourner durant de longues secondes sous le regard amusé de Lola et celui désabusé de Simon, puis rata quatre fois le trou de la serrure avant de parvenir à déverrouiller sa porte.

« Vous voulez boire quoi, les mômes ?

– Rien. Va te coucher, répondit Simon dans un grognement, tout en le poussant vivement à l'intérieur.

– Tu m'accompagnes ? »

Simon sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque lorsqu'il vit Dorian lui adresser un regard chargé de sous-entendus par-dessus son épaule. Du coin de l'œil, il perçut le mouvement de surprise de Lola, mais elle fut secoué d'un éclat de rire incontrôlable. Ouf.

« Bien sûr que non !, répondit-il d'une voix hachée.

– Et toi ?, demanda aussitôt Dorian en retournant la tête vers Lola, qui eut un sourire.

– Pas ce soir, navrée. »

Merde. Simon porta machinalement son poing contre son torse en entendant le ricanement de Dorian, massant sa poitrine pour en chasser la pointe de douleur qui l'avait traversée. Lola agita mollement la main et, à l'instant où Simon claqua la porte à quelques centimètres à peine de Dorian, il crut le voir esquisser un mouvement en retour. Crétin.

« Il est marrant, dit-elle en bondissant joyeusement vers le portail, qu'elle poussa très légèrement pour ne pas heurter le pick-up garé en travers du trottoir. »

Simon émit un grognement. Marrant. Ouais, c'est ça.

~

Il pleuvait des cordes depuis des jours.

Simon leva le nez de l'écran de son ordinateur, abaissant son casque sur sa nuque pendant qu'il regardait les gouttes marteler les carreaux. Au loin, le tonnerre lui parvenait ; il adorait ce son, il adorait se laisser bercer par la musique de l'orage. Elle avait quelque chose de relaxant et, cette dernière semaine, il avait définitivement besoin de cela. Si seulement Manon cessait de glousser comme une idiote devant la télévision...

« Baisse d'un ton, tu veux ? »

La jeune fille, affalée sur le canapé, lui jeta un regard mauvais. Eux qui avaient généralement une relation toute à fait acceptable, ou cordiale même lors de leurs mauvais jours, n'avaient pas cessé de se chamailler comme durant leur enfance depuis la nuit que Lola avait passé chez eux. Souvent, leurs parents intervenaient pour interrompre leur échange de noms d'oiseaux avant qu'ils n'en viennent aux mains, mais ce soir-là, tous deux se trouvaient encore au travail, abandonnant leurs rejetons à leurs batailles.

Manon attrapa la télécommande et leva le son de son émission ; aussitôt, son frère ferma son ordinateur et alla la lui arracher des mains sans aucune douceur, le rebaissant jusqu'à ce que les enceintes n'émettent plus qu'un murmure incompréhensible.

« Donne-moi ça !, cria Manon en lui bondissant dessus et, en se recevant un coup de coude au niveau de l'épaule, elle le poussa avec une telle rage qu'il en perdit l'équilibre et s'écroula sur le rebord du canapé. T'es vraiment chiant, en ce moment ! Fous-moi la paix !

– Ou sinon quoi, tu vas le dire à ta maman ?, ricana-t-il en se redressant. »

Manon fronça les sourcils, ouvrit la bouche, mais renonça à poursuivre cet échange stérile. Parfois, Simon avait le sentiment qu'elle avait, l'espace de quelques minutes, des éclairs de maturité. Lui, c'était plutôt le contraire. Surtout lorsqu'il était frustré. Frustré aussi bien mentalement que « physiquement ».

Il n'avait jamais revu Dorian depuis...

Laissant sa sœur se replonger dans les idioties qu'elle regardait, son regard dériva une nouvelle fois en direction de la fenêtre. Entre les sinuosités de la pluie dévalant les carreaux et par-dessus la clôture, il observa une fois de plus le vieux pick-up de Cohen. La plage arrière était continuellement recouverte d'une bâche bleue à présent, probablement afin d'empêcher l'eau de s'accumuler sur le coffre. Matin et soir, il entendait le moteur ronronner lorsque son propriétaire quittait l'allée du garage ou s'y garait, mais Simon détournait toujours le regard de la fenêtre afin de s'empêcher de le regarder.

Il était incapable de se débarrasser de l'amertume piquante qu'il avait ressenti ce soir-là. Il n'avait même pas jugé utile d'aller, en quelque sorte, s'expliquer avec Dorian. Peut-être aurait-il dû, mais une part de lui espérait qu'il s'inquiète de sa disparition. Eh bien, après des jours de calme plat, Simon était venu à la conclusion que son absence lui était bien égale. Dorian Cohen poursuivait son petit bonhomme de chemin avec son habituel sourire inexistant, sa démarche lourde et son carlin à la langue pendante sur les talons.

Simon ne comptait plus le nombre de fois où il l'avait insulté mentalement – Dorian, pas son chien. Il avait eu envie de hurler dans un oreiller maintes et maintes fois. Et même de lui jeter un autre préservatif rempli d'eau ou de vinaigre à la figure. Et pourquoi pas rempli de vodka, tiens ! Lui qui aimait tant l'alcool !

Évidemment, il n'avait rien fait, si ce n'est pousser un soupir digne d'une jeune mariée guettant le retour de son mari parti en mer dès qu'il entendait Dorian claquer sa porte d'entrée derrière lui. C'était pathétique.

Purement et simplement pathétique.

« T'as raison, murmura-t-il finalement après un énième soupir. Désolé, Non-non.

– Ne m'appelle plus jamais comme ça, grogna Manon sans même le regarder.

– Je vais sortir un peu prendre l'air. D'accord ?

– Hm, hm. »

Devant cette réponse – s'il pouvait même qualifier cela de réponse – Simon esquissa un mouvement pour lui embrasser la joue mais, en voyant Manon pencher la tête pour l'esquiver, il lui donna finalement un grand coup de langue.

« T'es dégueulasse ! Dégage !, hurla-t-elle d'une voix suraiguë en lui jetant un coussin pendant que, tout en ricanant comme une hyène, son frère prenait la fuite vers l'entrée. »

~

Et voilà.

Simon porta une main à ses paupières et se frotta lentement les yeux. De l'autre côté de la porte, il pouvait entendre les petites griffes de Marcel gratter le bois. Comme toujours. Il ne savait pas bien pourquoi ses pieds l'avaient conduit jusqu'au perron, ni pourquoi ses doigts avaient pressé la sonnette sans même lui demander son avis. Peut-être qu'au fond, sa frustration avait pris le pas sur sa raison.

Mais pas question de la laisser gagner le combat. Il n'allait rien faire avec Dorian. Juste... parler. Oui, c'était cela. Ils allaient parler. Et c'était tout.

Simon redressa la tête bien droite lorsque des bruits de pas lourds résonnèrent depuis l'entrée. Parler. Parler. Parler.

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