Interclasse n°19

Alors, oui, c'est la fin définitive de mes pauses de 6 mois, apparemment. Contente de vous retrouver ! ♥ Vous avez été nombreux à me demander quand est-ce que j'allais me décider à pondre la suite (et fin) de cette fiction et c'est ENFIN fait ! C'est un chapitre trèèès long mais je ne me sentais pas le cœur à le couper en plein milieu ;). Donc, bonne longue lecture et on se retrouve pour le dernier chapitre (je pense) en septembre !


(Rating R)

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 « Dorian ? »

Sa voix tremblait tellement. Elle lui parut éteinte, faible, comme étouffée sous les battements furieux de son cœur. Simon resserra inconsciemment ses doigts sur son téléphone, le plaquant contre son oreille comme s'il voulait être sûr de capter chaque son qui pouvait lui parvenir de l'autre bout du fil.

Il y eut un silence, qui ne dura probablement que quelques courtes secondes, mais il eut le sentiment d'y être emprisonné pendant une éternité. Puis, une respiration lourde, comme un soupir, résonna contre son tympan. Une soudaine vague de panique passa dans ses veines. Il le connaissait trop bien ; il pouvait si aisément deviner qu'il s'apprêtait à faire ce qu'il avait toujours fait : appeler à l'aide, puis fuir dès qu'on lui tendait la main. Un pas en avant, deux en arrière.

« Dorian, ne raccroche pas. »

Il avait prononcé ces mots en s'efforçant de paraître sûr de lui, ferme, le tout avec une voix chevrotante très peu convaincante ; pourtant, alors que Simon fermait les yeux comme pour se protéger physiquement de l'insupportable « bip » qui s'apprêtait à remplacer le silence contre son oreille, ce fut une voix familière qui lui parvint. Lointaine, éteinte, rauque, mais bien la sienne.

« T'as vu ? Le phare de la Tour Eiffel est encore allumé. »

Simon sentit un frisson remonter le long de son échine. Le phare ?

Ses yeux parcoururent le bout de la rue avant qu'il ne fasse brusquement volte-face, levant le nez en direction de la petite colline qui surplombait la ville, même s'il était proprement incapable de la distinguer dans la nuit. Il avait du mal à respirer, comme si son cœur était remonté dans sa gorge. Même lorsque les « bip » commencèrent à retentir contre son oreille, il mit un long moment à détacher son portable de sa joue et à le glisser dans la poche de son pantalon.

Le phare de la Tour Eiffel est encore allumé. Bien sûr. Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Simon sentit un sourire nerveux s'étendre sur ses lèvres. Il jeta un bref regard vers la maison de Dorian. Il devait prévenir Sarah que son père avait finalement donné signe de vie. À lui, et à lui seul. Ça, ça allait être difficile à expliquer.

Du moins, prévenir Sarah était ce qu'il aurait dû faire. Peut-être.

Mais il n'eut même pas le temps de culpabiliser de son égoïsme avant que ses pieds ne le portent à l'autre bout de la rue, le sang bouillonnant dans ses veines courant jusqu'aux muscles de ses jambes comme pour l'encourager à aller plus vite. Il voulait le voir, seul, sans être forcé de mesurer combien de temps il le regarderait dans les yeux pour ne pas éveiller les soupçons. Il en avait besoin.

C'était lui que Dorian avait appelé. Cette simple idée tournait en boucle dans sa tête et attisait une flamme au fin fond de sa poitrine, comme pour le pousser à courir plus vite. Il y était presque.


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Simon appuya les paumes de ses mains contre ses genoux tremblants, les yeux écarquillés pour lutter contre l'obscurité. Ses cheveux se collaient désagréablement contre son front, tout comme le tissu de ses vêtements contre son dos ruisselant de sueur. Même à l'époque où il était toujours au lycée, son professeur de sport n'avait jamais réussi à le faire courir aussi longtemps.

Il détailla un instant les barrières du chantier qui se dressait devant lui. La plupart d'entre elles avaient déjà été retirées, découvrant un pavillon flambant neuf paré d'une grande baie vitrée au premier étage. Simon lui tourna le dos, passant son regard sur la vue dégagée que la colline offrait sur la banlieue parisienne et, tout au fond, presque entièrement plongée dans le noir, sur la capitale. Le phare de la Tour Eiffel tournoyait lentement, le faisceau se perdant dans le ciel au-dessus de sa tête. Au troisième tour, il suivit le mouvement, tournant sur ses talons vers le bord de la route, là où les arbres abattus découvraient les centaines de lumières dorées des autoroutes.

Adossé contre la portière d'un pick-up rouillé garé de travers, les yeux sombres et cernés de Dorian se lièrent aux siens.

Simon sentit son cœur rater un battement. Soudain, ses jambes lui semblaient peser des tonnes, et tout ce qu'il avait imaginé dire, ou faire, à l'instant où il poserait enfin à nouveau les yeux sur lui s'emmêlaient dans son esprit. Il avait envie de crier de joie autant que de lui en coller une. Il avait envie de repartir aussitôt en courant, tout autant qu'il avait l'irrépressible envie de lui sauter dans les bras. Il avait l'impression de perdre les pédales.

Dorian, les mains enfoncées dans les poches de son jean, redressa le dos et adressa un mouvement de menton en direction de son pick-up avant de prendre lui-même place derrière le volant. D'un pas hésitant, Simon parvint finalement à soulever ses pieds du sol et à traverser les quelques mètres qui le séparaient encore du véhicule. Avant d'ouvrir la portière, il prit une profonde inspiration, comme s'il s'apprêtait à plonger la tête sous l'eau. C'était plus ou moins l'idée qu'il se faisait de se retrouver enfermé dans la voiture de Dorian, isolé du monde extérieur et plongé dans un silence pesant.

« Tu comptes poser ton cul sur ce siège ou on attend l'aube ?, grogna la voix de Dorian à travers l'ouverture de la fenêtre. »

Un silence pesant, disait-il.

Simon s'installa à côté de lui, liant ses mains entre ses cuisses comme pour cacher les tremblements qui les secouaient. Ça sentait la cigarette, et un peu l'alcool aussi. À travers le pare-brise lui apparaissait toujours le panorama sur la capitale, avec la Tour Eiffel dans le coin droit et le ciel complètement noir qui la surmontait, mais il préféra s'en détourner et risquer un regard sur l'homme assis près de lui. Dorian avait posé ses mains contre le volant, légèrement penché en avant, les lèvres pincées. Il avait l'air... fatigué. Encore plus que d'habitude, en tout cas. Son t-shirt était un peu froissé, des cernes violacées soulignaient ses yeux sombres et sa barbe lui parut un peu inégale, comme s'il avait tenté de la tailler dans un miroir peu pratique.

Sans un mot, il plongea sa main dans l'espace sous son siège et en tira deux canettes de bière bon marché avant d'en tendre une en direction de Simon. Il n'avait aucune envie de boire ça, pour être honnête, mais sa gorge sèche le poussa à accepter. L'idée d'avoir quelque chose pour occuper ses mains était aussi plutôt plaisante. Dorian ouvrit la sienne et en avala une gorgée avant de reposer son dos contre son siège, les yeux rivés sur ses doigts serrés autour de la petite boîte métallique.

« T'es vraiment venu, marmonna-t-il d'une voix éteinte. »

Simon n'était pas certain qu'il avait vraiment voulu prononcer ces mots à haute voix.

« Sarah était inquiète pour toi.

— Mmh... »

Il prit une petite inspiration avant de continuer.

« ... Et moi aussi. »

Du coin de l'œil, il vit Dorian fermer brièvement les yeux à ces mots, puis se replonger dans la contemplation de ses doigts. Durant les quelques secondes qui suivirent, il garda le silence, détaillant les lumières de la ville des yeux, reposant sa tête contre son siège.

« Je sais, dit-il finalement. »

Lorsqu'il avala une nouvelle gorgée de bière tiède, Simon observa pensivement le mouvement de sa pomme d'Adam avant de rebaisser les yeux sur sa propre canette encore fermée. C'était quelque chose d'étrange de sentir son soulagement d'avoir enfin retrouvé Dorian se mêler à sa culpabilité d'avoir trompé la confiance de Sarah. Si elle savait... Simon réprima un soupir. Si elle savait qu'il l'avait accompagnée partout dans la ville toute la journée, tout ça pour finalement lui cacher qu'il savait où Dorian s'était réfugié. Et pourquoi ? Parce qu'il voulait être seul avec lui, et rien d'autre. Comme si sa propre inquiétude était plus valable que celle de sa propre fille.

« Mon père était un salaud. »

Simon ne put contrôler un petit sursaut de surprise en entendant la voix de Dorian briser le silence pesant sur la cabine du pick-up. D'un mouvement accompagné par le regard curieux du garçon, il leva sa canette devant lui, comme s'il trinquait avec une entité invisible.

« Il a passé mon enfance et mon adolescence à me dire que j'étais un raté. Et j'ai passé mon enfance et mon adolescence à me dire que jamais je ne finirai comme lui. »

Il rebaissa son bras, porta sa canette à ses lèvres, mais renonça finalement à une nouvelle gorgée avec un long soupir, les pupilles rivées sur la Tour Eiffel illuminée.

« J'ai rencontré Catherine vers mes seize ans et je me suis tiré avec elle. On était jeunes, un peu trop peut-être, mais ma famille n'a pas cherché à me retenir. On s'est... bien amusé à cette époque. On avait rien, mais je ne me suis jamais senti aussi libre que pendant ces quelques années-là. On vivait dans le studio de sa tante, avec un matelas par terre au milieu du salon et pas mal de gens qui passaient dessus. »

Du coin de l'œil, il adressa un regard entendu à Simon, puis se mit à glisser le bout de son doigt sur le rebord de sa canette, retraçant le cercle métallique. Il releva finalement le nez vers le pare-brise lorsque la lueur blanche de la Tour Eiffel passa au-dessus de leur tête.

Simon entendit un petit claquement entre ses doigts, réalisant seulement à cet instant que ses doigts s'étaient resserrés autour de sa canette, la déformant sur un côté. Heureusement qu'elle était toujours fermée. Ses phalanges étaient devenues blanches, presque autant que ses lèvres pincées. Il respirait à peine, comme s'il craignait de faire le moindre bruit et de couper Dorian dans son élan, de l'interrompre en lui rappelant sa présence. Il ne se le pardonnerait jamais s'il perdait sa seule et unique occasion d'entrevoir la vie qu'avait pu mener le si secret Dorian Cohen avant... avant de devenir ce qu'il était aujourd'hui.

« Je ne..., murmura Dorian en bougeant à peine les lèvres, je ne me suis jamais vraiment posé de questions sur... moi. J'en avais pas grand-chose à foutre de ce que les gens qui me plaisaient avaient ou n'avaient pas entre les jambes, et Cath non plus. C'était que pour une nuit, de toute façon. Parfois elle était là, parfois non, et c'était la même chose pour moi. On s'envoyait en l'air dans les chiottes d'un bar, tous les deux, ou plus nombreux, et puis on rentrait et on oubliait tout ça jusqu'à la prochaine fois. J'imagine que ça doit faire un peu bohème dit comme ça. C'était peut-être le cas. Mais ça ne pouvait pas rester éternellement comme ça. »

Cette fois-ci, Dorian tourna la tête vers lui, et ses yeux cernés se plongèrent dans ceux de Simon durant quelques longues secondes, les lèvres closes. Il ne savait pas bien ce qu'il était censé percevoir à travers ses iris sombres, presque noirs. Il n'y voyait aucun regret, mais plutôt une... supplication. Comme s'il détaillait son visage avec la crainte d'y trouver le moindre jugement quant au mode de vie qu'il avait pu mener. Simon se contenta d'un hochement de tête, si léger qu'il doutait que Dorian soit capable de le remarquer, mais il ne ressentait aucune envie d'émettre le moindre son. Pas maintenant. C'était la vie de Dorian, son passé, et il n'avait aucun droit d'avoir une quelconque opinion là-dessus. Ce n'était pas ce qu'il attendait de lui.

C'était peut-être un simple tour de son imagination, mais il crut voir un petit sourire creuser la joue de Dorian avant qu'il détourne le regard.

« Après quelques années, Cath avait un boulot stable qui la passionnait, et moi, je bossais à l'usine en rêvant toute la journée de foutre la tête du patron qui nous hurlait dessus dans un broyeur. On se faisait engueuler toute la journée et quand je rentrais, c'était Catherine qui prenait le relais et on enchaînait les scènes de ménage jusqu'à ce qu'on s'endorme. Je savais qu'elle avait commencé à voir un autre homme régulièrement, et son regard sur moi a commencé à changer. Je crois qu'elle m'aimait presque autant qu'elle me détestait, à cette époque. »

Maintenant, Simon avait envie d'ouvrir sa bière tiède.

« Un jour, elle a téléphoné à l'usine. Je m'en souviens comme si c'était hier. Elle m'a dit « je suis enceinte, maintenant on arrête les conneries ». Elle a rompu avec son amant et moi, j'ai... j'ai démissionné. Je ne sais même pas pourquoi. Je me suis dit que ce gosse, il était pas de moi, que c'était le sien. Et que j'avais pas besoin d'un boulot merdique pour m'occuper d'un gosse qui n'était pas le mien. »

Sarah.

« Mais j'ai su que c'était ma fille dès l'instant où j'ai posé les yeux sur elle à la maternité. Elle avait déjà l'air de vouloir étriper tout le monde, pas de doute possible. »

Simon entendit un petit gloussement lui échapper malgré lui, et planta ses dents dans sa lèvre comme pour se punir lui-même. Il avait du mal à imaginer Sarah en tant que bébé, mais même seize ans plus tard, c'était vrai qu'il était difficile de concevoir qu'elle puisse être la fille d'un autre homme que Dorian.

De toute façon, Dorian ne sembla pas entendre son rire, ou y prêter attention.

« Au lieu d'avoir neuf mois pour me faire à l'idée de devenir père, j'ai eu l'impression que ça m'était tombé dessus du jour au lendemain. J'avais commencé à vivre en faisant des travaux pour des connaissances, et un type que j'ai aidé a dû penser que je m'en tirais bien puisqu'il m'a trouvé une place sur les chantiers de sa société. Cath a pensé que je commençais à remonter la pente, à... à trouver ma place. Mais tous les soirs, je les regardais toutes les deux et je me disais... merde. Comment j'en suis arrivé là, déjà ? »

Il pencha légèrement sa canette vers lui pour regarder la quantité de bière qui restait à l'intérieur, puis la posa à ses pieds en poussant un profond soupir.

« Les gars du chantier finissaient tous les soirs dans un bar pourri du coin. J'ai commencé à y aller, juste pour un verre, et au final, pour être le dernier parti. Tout me semblait bon pour rentrer le plus tard possible, à l'heure où Cath et Sarah étaient déjà endormies toutes les deux. Lors de mes jours de repos, Sarah me posait des livres sur les genoux pour que je lui fasse la lecture, et je refusais toujours. Quelques années plus tard, elle poussait son ballon dans mes pieds en me disant que le père de ses copains jouaient au foot avec eux, et moi, je refusais. Elle me parlait de ces chansons qu'elle écoutait en boucle, de ces garçons à l'école qui lui tiraient les cheveux et à qui elle donnait des coups de pieds dans les couilles ou je ne sais pas quoi... »

Il eut un mouvement d'épaules, mais Simon fronça légèrement les sourcils en réprimant un sourire. Il avait peut-être rêvé, mais il avait cru entendre une pointe de fierté secouer sa voix sur sa dernière phrase. Mais lorsqu'il reprit la parole, elle redevint plate, inanimée, rauque.

« Et puis, un jour, elle a... abandonné. Elle a arrêté d'essayer. Et elle a arrêté de m'appeler « papa ». Elle avait compris que je ne serais jamais vraiment père... son père. Ce jour-là, moi aussi, j'ai compris quelque chose. J'ai réalisé que mon père avait raison à mon sujet, qu'il avait toujours eu raison de me considérer comme un raté, et que j'étais devenu un salaud. J'étais devenu comme lui. »

Cette fois, il avait envie de l'interrompre. Peut-être pour empêcher ces pensées d'envahir l'esprit de Dorian, ou simplement pour lui rappeler sa présence, il ne savait pas vraiment. En fait, il s'en moquait. Le voir serrer ses doigts sur le volant du pick-up pour camoufler ses tremblements, c'était pire que tout. Alors, même s'il devait dire quelque chose de maladroit, c'était toujours mieux que le silence, que de le laisser se répéter que c'était un « salaud ». Il l'avait déjà bien assez pensé chaque soir où il s'était retrouvé en tête-à-tête avec une bouteille de whisky.

Mais lorsqu'il ouvrit la bouche, ce fut Dorian qui retourna brusquement la tête vers lui, les traits tirés et les sourcils froncés.

« Tu comprends, Simon ? »

Ses yeux se plantèrent froidement dans les siens, puis, lentement, ils abandonnèrent ses pupilles pour glisser sur ses cheveux, retracer la ligne de sa mâchoire, avant de s'accrocher à ses lèvres. Les siennes se pincèrent légèrement, comme pour retenir vainement ses paroles.

« Toi, t'es arrivé, et je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais pas à te faire fuir comme j'ai fait fuir Cath et Sarah. Et encore moins pourquoi je ne voulais pas que tu prennes la fuite. J'aurais dû te laisser partir l'hiver dernier. Et jamais je n'aurais dû accepter de venir chez toi.

— Ce n'était pas..., commença Simon avant de s'interrompre lui-même, surpris par sa voix éteinte.

— Cette fille, Lola. »

Dorian poussa un soupir, puis fut secoué d'un bref ricanement sans joie en passant sa main dans ses cheveux lorsque Simon écarquilla les yeux. Lola ? Qu'est-ce qu'elle venait faire dans cette histoire ?

« J'ai un peu parlé avec elle, après le repas chez tes parents. Elle, et toi... Vous ressemblez à une parodie de couple. Je ne sais pas pourquoi mais j'étais... furieux. Après toi, ton abruti de père, vos familles parfaites, et après elle, aussi. J'arrivais pas à me calmer, rien à faire. J'ai eu l'impression de ne plus rien contrôler, plus rien du tout. Je me suis défoulé sur toi, comme si ça pouvait arranger les choses... Et puis sur Sarah aussi, juste parce qu'elle était là, et que c'était encore plus facile. Je n'ai pas revu Lola et ses paroles me trottaient dans la tête, ça me rendait dingue.

— Ses paroles ?

— Elle croit que tu te tapes ma fille, je crois.

— Qu... Quoi ?!, s'étrangla Simon en bondissant sur son siège. Mais qu'est-ce qu...

— Elle m'a dit à quel point elle était dégoûtée par l'idée que tu sois avec quelqu'un si jeune... »

Un fin sourire teinté d'ironie creusa sa joue, mais ses doigts se resserrèrent sur son volant avant qu'il n'achève sa phrase.

« ... mais que t'étais prêt à tout lorsque t'es amoureux. »

Ses yeux quittèrent ses lèvres pour se lier à nouveau aux siens, mais cette fois dénué de cette froideur qui dressait un mur invisible entre eux. Son regard semblait plus empreint d'une curiosité prudente, comme s'il craignait et guettait sa réaction.

Et, honnêtement, Simon ne parvenait même pas à laisser la moindre émotion prendre possession de son visage. Il se contentait de soutenir son regard, mordant sa joue, concentré sur les battements de son cœur résonnant au fin fond de sa poitrine.

Amoureux. Il ne pouvait pas dire qu'il avait souvent ressenti une telle chose en vingt-et-un ans. Peut-être jamais, même. Dès qu'il ressentait une affection un peu trop forte envers quelqu'un, il se contentait de balayer cette possibilité en se disant qu'il ne s'agissait que d'admiration, ou de luxure. Il se persuadait que ça n'irait jamais plus loin que ça. Et il ne parvenait pas à comprendre pourquoi ça ne fonctionnait pas en ce qui concernait Dorian.

« Tu sais, le fait que tu ne dises rien ne fait qu'empirer les choses, là.

— J'arrive pas à savoir ce que je devrais dire. »

C'était le moins qu'on puisse dire. De la luxure, donc ? Satisfaire ses pulsions avec Dorian n'avait pas... suffi. Si c'était le cas, il aurait pris la fuite définitivement, et jamais il ne se serait retrouvé à traverser la moitié de la ville en courant comme un dératé, après avoir passé tant de temps à en arpenter les rues en guettant chaque silhouette dans l'espoir de le reconnaître à un croisement ou un autre. Jamais il n'aurait suivi Sarah en ressentant la même anxiété qu'elle à l'idée qu'il puisse lui être arrivé quoi que ce soit. Jamais il n'aurait ressenti une telle douleur chaque fois que Dorian lui claquait la porte au nez après avoir fini son affaire.

« Contente-toi de me dire que c'est faux !

— Que j'aime Sarah ? Ça oui, je peux te le dire, c'est faux.

— Non, que tu... que t'aimes quelqu'un. Tout court. »

Simon grimaça un sourire sans joie en détournant les yeux, se plongeant dans la contemplation des lumières de Paris en joignant ses mains moites autour de sa canette.

Il pouvait dire « non ». Ce n'était pas si difficile, au fond. Dorian pousserait probablement un soupir de soulagement en entendant ce simple mot.

Non, rassure-toi, je ne t'aime pas. Et toutes ces choses qu'il avait fait, qu'ils s'étaient dit depuis la première fois que Simon avait posé un pied chez lui ? Du vent. Simon sentit un léger arrière-goût désagréable envahir sa bouche et cessa de torturer inconsciemment l'intérieur de sa joue entre ses dents. Son habitude ridicule de chercher son regard dès que Dorian était dans son champ de vision, son besoin stupide de sentir la chaleur de sa peau ou ses mains caresser la sienne ? Ce n'était rien. Il connaissait par cœur la moindre cicatrice sur ses bras et son torse, son odeur, ses sourires, les poils noirs ou gris de sa barbe, la petite ride qui se creusait sur son nez lorsqu'il fronçait les sourcils, mais tout ça ne valait rien.

N'est-ce pas, Dorian ?

« Je crois que j'en ai un peu marre de mentir. Pas toi ? »

Le visage dénué de toute expression, Simon retourna lentement la tête vers Dorian. Il le dévisageait, les lèvres entrouvertes et les yeux écarquillés. Dans d'autres circonstances, Simon aurait sans doute explosé de rire de le voir si stupéfait, mais à cet instant, il ne trouvait pas ça amusant du tout. S'il se permettait le moindre sourire, Dorian allait sauter sur l'occasion pour tourner tout ça en dérision. Il le connaissait trop bien.

Alors il se contenta de le fixer, silencieusement, jusqu'à ce que ses mots s'inscrivent dans les pensées de Dorian. Et dans les siennes.

Qu'est-ce que tu vas faire, Dorian ? T'enfuir ? T'énerver ?

Il s'en foutait.

C'était vrai, finalement : sans mensonges, il voulait que Dorian sache, et, plus que ça encore, il voulait que cette idée devienne une certitude pour lui-même. Ce n'était pas que de la luxure, ou n'importe quoi d'autre. C'était plus que ça.

Dorian retourna finalement la tête, en cillant brusquement comme s'il avait enfin repris le contrôle de son corps. Il ferma la bouche, puis la rouvrit sans qu'aucun son n'en sorte, les yeux rivés sur son volant comme s'il réalisait trop tard qu'il aurait pu appuyer sur le klaxon pour couvrir la voix de Simon et ne surtout pas entendre sa dernière phrase. Tant pis.

« Je t'avais dit qu'il ne fallait surtout pas que tu... enfin, que ça arrive, grogna-t-il entre ses dents.

— S'il suffisait de dire « ne tombes pas amoureux de moi ! » pour s'assurer que ça n'arrive effectivement pas, ça se saurait.

— Mais tu... »

Dorian eut un mouvement, comme s'il voulait retourner la tête vers lui, mais qu'il se forçait à se concentrer sur autre chose que le visage de Simon. Probablement pour empêcher sa voix de le trahir avec le moindre tremblement.

« Je t'ai prévenu, Simon, je t'ai dit que je n'étais pas quelqu'un de bien. »

Simon haussa vaguement les épaules, un sourire en coin. Il avait pensé et repensé à cette simple phrase trop souvent pour qu'elle puisse servir d'argument convaincant.

« Ça ne m'a pas arrêté quand il s'agissait de me faire sauter, ça ne va pas m'arrêter pour l'étape supérieure non plus. »

Cette fois-ci, Dorian lui adressa un regard en coin mauvais, pinçant les lèvres, mais l'observa poser sa canette à ses pieds sans dire un mot de plus. Il y eut un bref silence, quelques secondes suspendues dans le temps, avant qu'il ne parvienne à pousser un long soupir, trop long pour qu'il paraisse naturel, comme s'il cherchait à combler le silence avant de trouver ses mots.

« Simon, continua-t-il finalement en s'efforçant de prendre un ton ferme, j'ai... quarante-quatre ans ! Quand tu en auras trente, j'aurai déjà passé la cinquantaine ! Et quand tu atteindras quarante ans, moi, je serai sans doute à la retraite ! C'est... ça ne mène nul part. C'est ridicule. »

— Ne t'inquiète pas, je changerai tes couches, promis. »

Simon lui adressa un sourire entendu, mais Dorian se contenta de lui lancer un nouveau regard mauvais. Cette fois, il pensait à lui mettre la tête dans le pare-brise, il en était à peu près sûr.

Mais au lieu de ça, un rictus s'étendit sur ses lèvres, comme s'il n'était pas parvenu à camoufler totalement son amusement derrière un agacement feint. Il se retourna légèrement vers lui, reposant un bras contre son volant et s'accoudant de l'autre contre le cuir de son siège. À la façon qu'il avait de le dévisager, Simon était intimement convaincu qu'il cherchait à lui faire baisser les yeux. À briser son assurance, pour qu'il puisse se servir de la moindre hésitation de sa part comme d'une arme. Il cherchait n'importe quoi pour le convaincre, ou se convaincre, qu'il n'était pas si sûr de ses sentiments, de ce qu'il lui demandait, ou de ce qu'il attendait de sa part. Il ne pouvait pas être sérieux. Et si Simon lui montrait le moindre signe de faiblesse, il parviendrait probablement plus facilement à... à garder ses distances. À ignorer la voix dans sa tête qui tentait de le forcer à être honnête, envers Simon comme envers lui-même.

« Quand j'avais ton âge, je rêvais de rejoindre l'armée et d'aller en Amérique, reprit-il avec ce sourire narquois. Toi, ton aspiration, c'est de devenir gérontophile ?

— Et le pire, c'est que ton héritage n'en vaudrait pas la peine. »

Ils furent tous les deux secoués d'un bref rire silencieux, peut-être un peu nerveux, mais ni l'un ni l'autre ne détourna le regard. Un fin sourire et les yeux liés, ils laissèrent le silence retomber sur la cabine du véhicule. Mais ce n'était pas un silence lourd, ni pesant, rien de tout ça. Ils avaient écouté leurs rires s'éteindre alors que la même pensée se dessinait dans leur esprit.

C'était ça, en fin de compte. Ces blagues idiotes, ces petites piques qu'ils s'envoyaient depuis leur première rencontre, ces regards. C'était tout ce qui comptait, au final. Dorian le regardait vraiment, maintenant, détaillant les traits de son visage, la couleur de ses iris, de ses lèvres, la forme de son sourire. Il n'avait pas cessé de se répéter, durant ces mois passés avec Simon, qu'il était une « distraction », sans réaliser que derrière ce terme se cachait une réalité qu'il lui échappait : il s'amusait avec lui. Pas à ses dépens, ni en se laissant bouffer par la culpabilité dès qu'il posait les yeux sur lui. Il s'amusait. Et il se sentait parfois étrangement paisible. Ça faisait au moins vingt ans que ce n'était pas arrivé.

Le visage de Catherine se dessina dans son esprit, un souvenir qui lui semblait soudainement bien lointain. « Tu as l'air différent », avait-elle dit un soir. Le soir de son anniversaire, venue chercher Sarah à la fin du week-end avec sa petite voiture rouge. « Tu as l'air différent ». Ses petites dents légèrement écartées avaient mordillé sa lèvre rouge, et ses sourcils fins s'étaient froncés comme si elle tentait de lire dans ses pensées. « Tu as l'air différent ». Dorian réprima un sourire en coin, ses yeux s'arrêtant finalement sur les lèvres du garçon.

Pour un peu, cela aurait pu lui prendre vingt ans de plus à comprendre le sens de cette phrase.

Une exclamation de surprise s'échappa de la bouche de Simon lorsque la main de Dorian relâcha brusquement son volant pour agripper sa nuque, mais elle fut étouffée par les lèvres qui se plaquèrent contre les siennes. Son cœur avait bondi dans sa gorge, et il se retrouva un peu bêtement plaqué contre le dossier de son siège, les yeux écarquillés et les bras ballants.

« Ferme les yeux, crétin, grogna Dorian en se détachant de lui de quelques centimètres à peine. »

Il sembla deviner que Simon s'apprêtait à répliquer, et l'embrassa à nouveau, un peu maladroitement dès qu'il s'aperçut que le garçon lui avait obéi, sentant les muscles de sa nuque se détendre sous ses doigts.

« C'est bien, maintenant, donne la patte.

— Dorian !

— Pardon, dit-il avec un ricanement qui prouvait à lui seul qu'il n'était pas désolé du tout. Mais... je suis sérieux, garde les yeux fermés. Ok ? »

Simon referma les paupières avec un petit grognement agacé, mais ne chercha pas à discuter. Avec lui, il ne savait jamais à quoi s'attendre, et à se retrouver comme ça avec lui, assis à ses côtés dans son pick-up... Il se rappelait si bien cette nuit durant laquelle Dorian l'avait forcé à l'accompagner à cet endroit précis, en haut de cette colline, à côté de ce chantier qui n'en était alors qu'à ses débuts. Ces messages stupides qu'il lui avait envoyés, cette blague ridicule qu'il avait fait avec la main en caoutchouc qu'il avait planqué dans la boîte à gants, son éclat de rire devant la réaction outrée de Simon... Et puis, le vent frais et sa main chaude tirant la sienne pour l'aider à monter sur la plateforme arrière du véhicule, l'odeur de sa cigarette, et le contact de ses lèvres et des poils de sa barbe contre sa peau...

Simon sentit sa main relâcher sa nuque, mais il se força à garder les yeux fermés lorsque le souffle de Dorian ricocha contre la peau de son cou, trahissant un soupir de sa part. Sa façon de l'embrasser... c'était différent de d'habitude. Plus nerveux, confus, mais pas plus doux, comme si une partie de lui avait tenté de rendre leur baiser plus tendre tandis qu'une autre s'y était farouchement opposée. Alors, d'une certaine façon, il comprenait pourquoi Dorian préférait qu'il garde les yeux fermés. C'était sans doute plus facile d'empêcher sa fierté de prendre le pas sur sa raison sans avoir ses pupilles rivées sur lui.

« Je... t'aime bien, je crois. »

Simon rouvrit les yeux, uniquement par besoin de lever les yeux au ciel en l'entendant marmonner ces mots dans sa barbe, mais Dorian ne sembla même pas s'en apercevoir. Il avait eu tort : même sans le regarder, sa fierté était bien trop importante.

« Je veux dire, plus que je le devrais. Raisonnablement. »

Simon retourna la tête vers lui.

« Je sais, ce n'est pas ce que tu voulais entendre. Mais... »

Il porta sa main à sa propre nuque en se redressant, mais cette fois-ci, ce fut Simon qui lui agrippa les épaules et lia ses lèvres aux siennes, attendant de sentir Dorian lui rendre son baiser avant de se séparer de lui. Avec un léger sourire, il hocha lentement la tête :

« C'est pas grave. J'ai saisi l'idée. »

Dorian captura ses lèvres à nouveau, portant une main à sa taille, puis la seconde sur sa hanche lorsque le garçon se hissa maladroitement sur son siège, enjambant les cuisses de Dorian pour s'asseoir à califourchon sur lui. La cabine était si étroite que, dans la manœuvre, son pied heurta l'autoradio qui laissa un morceau d'ACDC exploser dans les enceintes ; avec un bond de surprise, Dorian plaqua sa main sur le bouton OFF, puis la reposa au creux du dos de Simon avec un grognement ennuyé en le sentant glousser contre son cou. Au lieu de le laisser râler contre la brillante idée qu'il avait eu en lui grimpant dessus comme ça, le garçon redressa la tête et se remit à l'embrasser, agrippant le haut de Dorian autour de ses épaules, plaquant son torse contre le sien plus fort en sentant ses propres doigts s'accrocher à ses hanches.

Il ne sut pas vraiment combien de temps s'écoula avant qu'il ne parvienne à se séparer de ses lèvres, de sa langue qui caressait la sienne ou de ses dents qui s'amusaient à mordiller sa peau de temps en temps. Ses genoux étaient parcourus d'une douleur lancinante due à leur position pour le moins inconfortable, mais dès qu'il se redressait légèrement pour les soulager de son poids, c'était le haut de son crâne qui heurtait le plafond du pick-up. Il avait bien senti Dorian ricaner silencieusement à chaque fois qu'un petit « aïe » lui échappait, mais même ce détail ne parvenait pas à le convaincre de renoncer à ses lèvres. C'était comme s'il tentait, plus ou moins consciemment, de rattraper le temps perdu. Pas seulement pour les longues heures qu'il avait passé à courir partout à sa recherche, mais aussi pour tous ces mois qu'il avait passé à esquiver ses baisers d'un mouvement de tête ou en lui claquant la porte au nez. Maintenant, il glissait le bout de ses ongles dans les poils sombres de sa barbe, il passait ses mains dans ses cheveux épais parsemés de mèches grisonnantes, ou retraçait de ses doigts les muscles de son dos ou le dessin de ses clavicules, et il ne recevait aucun regard menaçant, aucun mouvement de recul en guise de réponse.

Il n'avait même pas réalisé à quel point il avait pu en rêver.

Simon rompit leur baiser lorsqu'un grognement quitta la gorge de Dorian. Ses mains étaient passées sous ses vêtements, tandis que son bassin avait commencé à se presser contre le sien. En relevant les bras, Simon le laissa lui retirer son pull en emportant son t-shirt avec, découvrant son torse que Dorian couvrit aussitôt d'une main, caressant sa peau chaude, glissant jusqu'à la ceinture de son pantalon avant de remonter sur son ventre. Lentement, ses doigts passèrent autour de sa gorge pour l'attirer vers lui et ses lèvres effleurèrent le creux de son cou, puis continuèrent leur chemin sur son épaule, écoutant la respiration de Simon devenir plus lourde et s'accélérer.

Entendre ça suffisait à lui donner envie de lui arracher son foutu jean, de transformer ce son en gémissement, ou encore en ces cris de plaisir dont il ne se lassait jamais. Simon n'avait besoin de rien de plus pour pousser son excitation dans ses retranchements. Rien à voir avec ce type qu'il avait cru pouvoir sauter dans ce bar miteux... Raphaël, ou un truc dans le genre.

Dorian pinça amèrement les lèvres en resserrant son étreinte sur les hanches de Simon. Bordel, il était tellement con.

Les bras du garçon enroulés autour de ses épaules, il le renversa contre le siège passager en se hissant au-dessus de lui. Il n'avait même pas la place de reposer entièrement son dos contre le cuir et resta à moitié appuyé contre la portière, relevant ses jambes autour de la taille de Dorian pendant que sa langue explorait son torse. Il pouvait le voir relever ses yeux noirs vers lui dès qu'il émettait le moindre son tandis que les doigts de Simon lui retirèrent son haut à son tour.

Il n'avait aucune idée d'à quel point il le trouvait attirant – d'à quel point il l'avait toujours trouvé attirant. Il en était venu à adorer le moindre détail de son corps, de son visage. Ses cicatrices, cette façon qu'il avait de hausser un sourcil, ses yeux d'un brun clair dévoré par ses pupilles dilatées, son sourire carnassier et les fossettes qu'il faisait toujours apparaître sur ses joues creuses...

Simon releva le bassin du siège lorsque Dorian baissa son pantalon en emportant avec lui son boxer, se redressant juste assez pour le laisser pendre à l'une de ses chevilles. Même lorsque sa main se promena à l'intérieur de la cuisse du garçon en remontant lentement depuis son genou, ce fut tout de même Dorian qui poussa un grognement impatient en voyant les doigts de Simon défaire précipitamment sa ceinture. Serrant les dents comme si cela allait l'aider à garder un minimum de sang-froid alors qu'il les sentit passer sous ses vêtements, il se redressa sur un bras et ouvrit la boîte à gants avant de se mettre à fouiller dans le bazar sans nom qui y régnait.

« Mais... pourquoi tu gardes ça là-dedans ?, demanda Simon en haussant un sourcil curieux, l'observant en tirer une petite bouteille familière et un préservatif.

— On sait jamais, répondit-il vaguement en haussant les épaules. »

En effectuant une petite pression sur le bras de Simon, il lui signifia de se concentrer sur sa tâche et d'arrêter ses questions. Roulant des yeux, le garçon sentit un sourire moqueur se dessiner sur ses lèvres tandis qu'il découvrait Dorian jusqu'à mi-cuisses en tirant d'un coup sec sur son jean.

« Oui, parce que, bien entendu, t'avais pas baisé depuis au moins cinq ans avant de me rencontrer mais, eh ! Un miracle est si vite arrivé ! »

Dorian secoua mollement la tête en le voyant glousser de sa propre réplique et passa une main entre les cuisses du garçon, écoutant son rire s'éteindre pour laisser place à un grognement étouffé lorsqu'il sentit le majeur de Dorian s'inviter en lui. Visiblement très fier de l'avoir fait taire, celui-ci attrapa sa cuisse de sa main libre pour relever sa jambe, laissant son pied reposer près du volant.

« Je ne les ai pas mis là-dedans après ma séparation d'avec ma femme, mais quand le fils de mon voisin a commencé à sécher la fac pour venir me supplier de le sauter à la place. Drôle d'histoire, vraiment. »

Les joues de Simon devinrent cramoisies, mais Dorian ne sut pas vraiment si c'était à cause de ses paroles ou du mouvement de ses doigts entre ses jambes. Les deux, sans doute.

« Je... Je ne t'ai jamais supplié !

— Ah bon ?, reprit Dorian en accélérant, poussant Simon à se cambrer en plantant ses dents dans sa lèvre. Il me semblait avoir entendu « je t'en prie, Do-do-do-rian, m... »... »

La fin de sa phrase fut couverte par un puissant bruit de klaxon qui sembla résonner entre les arbres et le chantier voisin désert. Secoué d'un sursaut, Dorian retourna la tête vers le volant du pick-up, trouvant le pied de Simon pressé contre celui-ci avant qu'il ne relève sa jambe pour reposer son talon au creux de son dos. Apparemment, il avait encore assez de conscience pour trouver un moyen de le faire taire à son tour.

« Arrête de dire des conneries, j'en peux plus..., murmura-t-il en passant le plat de sa main sur le bas-ventre de Dorian avant de laisser ses doigts se refermer sur sa verge.

— Tu m'étonnes, maintenant que t'as rameuté tous les voyeurs du coin, on a intérêt à faire vite, ricana-t-il en déchirant l'emballage du préservatif entre ses dents.

— Dorian !

— Qu'il est patient. »

Son bras passa sous le bassin de Simon et le retourna sans aucune peine pour le coucher sur le ventre, se replaçant entre ses cuisses en laissant ses yeux se promener un instant sur lui, peut-être un peu cruellement compte-tenu de ses mouvements d'impatience, agrippé au cuir du siège.

Dorian s'entendit grogner inconsciemment. Il était si excitant qu'il aurait pu lui donner ce qu'il voulait sans chercher à le taquiner davantage, mais il savait qu'une fois ses propres pulsions assouvies, il allait se maudire d'avoir laissé passer cette occasion.

Simon redressa la tête en sentant Dorian le pénétrer lentement, mais il parvient tout de même à entendre sa voix malgré le bruit de sa propre respiration saccadée, alors qu'il tentait lamentablement d'imiter la sienne :

« Mais je ne t'ai jamaaaais supplié... »

Simon eut un mouvement de bassin pour se plaquer contre celui de Dorian, lui arrachant une exclamation mêlant surprise, plaisir et indignation. Les mains serrées sur ses hanches avec une telle force que Simon était quasiment certain qu'il aurait deux belles traces rouges le lendemain, il resta immobile durant quelques secondes avant de basculer son poids au-dessus du corps de Simon. Saisissant le rebord du siège d'une main et le dossier de l'autre, il commença à donner des coups de reins, accélérant rapidement son rythme, encouragé par chaque son quittant les lèvres de Simon.

Lorsqu'il ne sentait pas ses dents mordre son épaule ou la peau de son cou, Simon l'entendait murmurer quelques mots, principalement jurer, mais aussi d'étranges compliments inconscients qui, s'il était encore lui-même capable d'avoir une réaction cohérente, l'aurait probablement fait rougir ou éclater de rire. Au lieu de ça, il se contentait d'accompagner ses mouvements, s'efforçant de tenir un minimum sur ses genoux lorsque la main de Dorian passait entre ses cuisses et se refermait sur sa verge, calquant ses mouvements sur son poignet.

« Encore, articula vaguement Simon entre deux gémissements, sentant les doigts de Dorian s'enrouler brièvement autour de ses cheveux comme pour lui signifier qu'il l'avait entendu. »

Comme s'il avait besoin de lui dire, de toute façon. Ses mouvements devinrent plus forts, plus marqués lorsqu'il vit les muscles de Simon se tendre, et il l'entendit bloquer inconsciemment sa respiration tandis qu'une vague de frisson parcourait son corps. Dorian eut à peine le temps de dégager sa main de sa verge pour s'accrocher à sa hanche avant de sentir son propre orgasme embrumer son esprit, s'enfonçant autant que possible à l'intérieur de lui.

Simon prit près d'une minute à trouver la force de rouvrir les yeux, sentant les doigts de Dorian glisser sur sa cuisse avant qu'il ne se redresse.

« Désolé pour ton siège, murmura Simon d'une voix enrouée. »

Sans un bruit, il vit la main de Dorian entrer dans son champ de vision et désigner mollement les paquets de mouchoirs de sa boîte à gants. Bien sûr, il avait pensé à ça aussi, songea Simon en roulant des yeux, un sourire amusé sur les lèvres.

Après quelques instants de silence, il l'entendit se rhabiller et se rasseoir correctement derrière son volant, prenant les jambes nues de Simon sur ses cuisses.

« On va manger une pizza avant de rentrer ?

— Une pizza ? Il est, quoi, deux heures du mat' ?, soupira Simon en luttant tant bien que mal pour garder les yeux ouverts.

— On s'en fout. Allons manger. »

D'un œil mi-clos, Simon le vit mettre le contact, sans le quitter des yeux.

« Tu devrais te rhabiller, avant que quelqu'un te voit. »

Dorian avait prononcé ses mots avec un léger sourire, mais la force avec laquelle il serrait les dents n'échappa pas à Simon pour autant. Tout en s'exécutant, toujours tiraillé entre le besoin pressant de sommeil et son envie de profiter encore un peu de la présence de Dorian à ses côtés, il le couvrit d'un regard curieux.

Peut-être qu'il n'avait simplement aucune envie de rentrer chez lui. D'une certaine façon, si Simon ne rêvait pas éveillé de retrouver son lit et s'il avait été capable de voir l'avenir, il aurait probablement été plus enclin à aller manger cette pizza nocturne.

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