Chapitre 8
— Que se passe-t-il ? posé-je, observant Joo regarder par la fenêtre, une cigarette entre les lèvres.
— Le gamin qui traîne devant chez nous depuis une semaine, marmonne-t-il. Je crois que c'est une connaissance de Hyunwoo. Il l'a fait pleurer... Sûrement un petit ami collant. Je n'aurais jamais cru qu'il puisse être gay.
Un petit ami collant ?
Que c'est étonnant.
Curieux, je me penche un peu plus et fixe à mon tour la personne accroupie contre le poteau installé face au bâtiment.
Il est rare de croiser une jeune femme avec des cheveux aussi courts.
Pourquoi reste-t-elle bêtement plantée là, sous cette forte pluie, sans capuche, alors qu'il l'a fait pleurer ?
Que représente-t-il pour toi, pour que tu sois à ce point déterminée, ma toute belle ?
— Il est où, là ? questionné-je, terminant d'un même mouvement mon bâton de nicotine.
— Il nettoie les chiottes. Je ne sais pas pourquoi il reste devant, alors que Hyun est allé lui parler. Vous allez où patron ?
— Je vais à la supérette, ma réserve de préservatifs diminue dangereusement.
— Ne vous déplacez pas pour ce genre de choses, boss ! râle-t-il. Demandez à Hyun !
— Je te le laisse. Manifestement, tu aimes le prendre pour ta femme de ménage, conclus-je, tout en jetant mon mégot dans une poubelle non loin. Et puis, si tu savais le plaisir que je prends lorsque le petit vendeur du 7-Eleven me voit acheter des capotes. Son air gêné de petite pucelle me fait frémir la queue. Ah au fait, Jooheon... Tu devrais vraiment soigner ta vue.
— Pourquoi ? Pourquoi, patron ?
Je quitte ainsi le bâtiment, sans prendre le temps de répondre à cette question inutile, le parapluie récupéré dans mon bureau en main.
À mon retour, le rouge aux joues de ce petit vendeur toujours en tête, je m'arrête devant le corps trempé de cette pauvre gamine.
Je n'arrive pas à savoir si cette histoire m'ennuie ou m'amuse.
Protégée sous mon parapluie, elle m'observe m'accroupir face à elle.
Regardez-moi ce petit visage triste et innocent... Comme c'est mignon.
— Si tu cherches des stages, tu n'es pas au bon endroit, je ne prends aucun stagiaire.
Redressée dans la seconde, elle se met debout et me fixe de ses petits yeux larmoyants, les sourcils froncés.
— Vous êtes le patron de mon frère ? pose-t-elle, légèrement énervée. Il ne peut pas travailler pour vous, mon frère n'est pas quelqu'un de mauvais. Virez-le, s'il vous plaît ! s'écrie-t-elle, en s'inclinant.
— Je suis de ton avis, réponds-je, debout à mon tour, une nouvelle cigarette allumée. Mais je suis désolé, je ne compte pas m'en séparer tout de suite. Il m'amuse bien trop.
Son frère, mmh ?
Une histoire amusante, donc.
Ses expressions sont si divertissantes à regarder. Elle ne cesse d'osciller entre peine et colère.
Osera-t-elle me défier un peu plus ?
Les sourcils toujours froncés, elle finit par agripper la manche de ma veste et continue ses suppliques.
— Mon frère n'est pas un jouet ! Il ne mérite pas tout ça ! S'il vous plaît, redonnez-lui sa liberté !
Ses larmes me feraient presque de la peine.
J'aurais bien envie de lui faire plaisir.
Dommage pour elle, elle n'a aucune valeur à mes yeux.
— Ça suffit, Jung ! élève la voix Hyunwoo, apparu comme par magie à nos côtés. Rentre à la maison, tu vas tomber malade.
La tête baissée, elle continue de pleurer, alors que mon garde du corps se place derrière moi, pour me suggérer de rentrer à l'intérieur du bâtiment, une main posée dans le bas de mon dos.
Je m'exécute machinalement, silencieux, et rejoins rapidement le canapé de mon bureau, pour m'y allonger.
— Excusez-moi, patron, entends-je, après de longs instants. Je vais faire en sorte que ça ne se reproduise plus.
Tu ne peux pas me promettre une telle chose. Surtout pas avec une soeur aussi déterminée et courageuse.
Défier et hurler sur un chef de clan mafieux... Peu de personnes auraient eu cette audace, il faut lui reconnaître ça.
Elle doit certainement tenir ça de son frère.
Cet homme grand et fort... Même sans le connaître, on peut voir combien il n'a peur de rien.
Mais ce qu'on peut voir également, c'est combien il peut être doux et sensible.
Il suffit de voir la tête de chien battu qu'il me fait actuellement. Debout, collé contre le mur à côté de la porte d'entrée, le dos bien trop droit, il me regarde, de ses adorables petits yeux coupables.
— Approche.
Voilà pourquoi il a traîné à me suivre jusqu'ici. Il est allé chercher un essuie pour éponger un minimum la pluie l'ayant noyé lorsqu'il nous a rejoint dehors.
Il avance, avec ce tissu-éponge autour de la nuque et son air tristounet toujours planté sur son visage presque indéchiffrable. Je me redresse alors et l'observe supprimer peu à peu l'espace qui nous sépare.
Sa chemise blanche, trempée, lui colle à la peau. Ses pectoraux et abdos sont visibles au travers de celle-ci et plus mon regard se perd sur ce corps de Dieu, plus ma queue suinte de désir.
Planté debout devant le dossier du canapé, il s'accroupit au bout d'un court instant, pour placer son visage face au mien.
Il n'est qu'à quelques centimètres de moi. Son souffle se répercute contre ma bouche et inconsciemment, j'en viens à imaginer sa bouche pulpeuse me sucer.
Je suis plus que certain qu'il doit faire ça comme un pro.
— Pas aussi près, idiot, soufflé-je, en attrapant l'essuie, pour frotter sans ménagement ses cheveux mouillés.
D'un regard neutre, il se laisse faire.
Son visage paraît si doux et fragile, ainsi caché par l'essuie. Il ressemble à un mignon petit enfant en quête de tendresse...
Dommage pour lui, ce mot m'est inconnu.
— Viens t'asseoir, ordonné-je ensuite, tout en balançant le tissu spongieux dans un coin de la pièce.
Le cul rapidement posé à mes côtés, le dos droit et les mains posées sur ses genoux, il attend que je dise ou fasse quelque chose, le regard perdu sur le paysage qu'offre la baie vitrée du bureau.
— Vous ne vous ressemblez pas...
— Mes parents voulaient une fille, explique-t-il, sans bouger d'un poil. Ils l'ont recueillie lorsqu'elle avait cinq ans. J'en avais dix.
— Je vois.
Voilà pourquoi elle est tombée amoureuse de toi.
— Et aujourd'hui, pourquoi l'ignores-tu ?
— Je n'ai pas vraiment envie d'en parler, murmure-t-il, après avoir baissé la tête pour observer ses cuisses.
Pourquoi veux-tu me cacher les histoires croustillantes, Hyunnie ?
Je veux tout connaître de toi.
— Mais moi, je veux.
Allongé à nouveau, la tête posée sur ses cuisses, je l'observe tenter avec courage de ne pas perdre mon regard.
Il est bien trop adorable, à vouloir me cacher combien il est mal à l'aise. Combien il souffre.
Montre-moi, Hyunwoo. Explique-moi la raison de tes blessures.
— Si tu ne veux pas que je lui donne raison et que je te vire, surtout, n'hésite pas à te confier à moi, placé-je, nonchalant.
Quelques longues secondes plus tard, alors qu'il caresse avec une délicatesse qui m'écœure les cheveux, il finit par répondre.
— On était proche, durant notre enfance. On s'entendait bien, commence-t-il, calme en apparence. Lorsqu'elle est entrée dans l'adolescence et que nous partagions la même école, plusieurs de mes amis la trouvaient un peu trop proche et pensaient qu'elle avait des sentiments pour moi. Je l'ai toujours considéré comme ma soeur, je ne voulais pas lui faire de mal, alors j'ai commencé à m'éloigner d'elle. Lorsque je suis entré à l'internat, après avoir réussi mon examen de police, j'ai remarqué qu'elle avait quelque peu changé. Plus le temps passait et plus elle se refermait sur elle-même. Elle ne parlait plus, ne souriait plus et semblait vide de toutes émotions.
Ses doigts continuent de voyager à travers ma tignasse à présent désordonnée, alors qu'il me raconte des choses qui l'ont sans doute brisé.
Vas-tu m'expliquer la raison de ton mal-être ? Est-ce à cause de ta soeur que tu es dans cet état ?
Pourquoi tu sembles vide de toutes émotions, toi aussi ?
— Je ne suis pas quelqu'un de très bavard, je n'ai pas osé lui demander pourquoi elle avait autant changé, mais j'ai eu mes réponses un peu moins d'un an plus tard... Alors que j'étais en patrouille dans le quartier de mon enfance, je pensais qu'aller dire bonjour à ma famille serait une bonne idée.
Son expression reste neutre, alors que sa respiration s'accélère.
Il semble très concentré sur les douces caresses qu'il fait à mes cheveux, mais je sais que c'est pour s'aider à ne pas s'effondrer.
J'aimerais tellement pourtant... Voir des larmes sur ce visage si froid, doit être quelque chose de magique.
— Lorsque j'ai ouvert la porte d'entrée, je suis immédiatement tombé dans son regard. Elle ressemblait à une poupée désarticulée, allongée ainsi, sous le corps nu de mon père. Elle ne bougeait pas, ne réagissait pas et se laissait simplement faire... Encore aujourd'hui, c'est ce regard qui me hante lorsque je dors.
Une poupée, tu dis ?
Un peu comme toi ?
— Lorsque mon regard a croisé le sien, ses yeux se sont noyés de larmes instantanément.
Sa voix est basse, presque éteinte.
Il semble traumatisé par ce qu'il a vécu, mais n'exprime aucunement cet état, c'en est impressionnant.
Est-ce possible qu'il soit bien plus brisé encore que sa soeur ?
Que c'est touchant.
— Je me suis jeté sur mon père et j'ai écopé de quatre ans de prison ferme. Aujourd'hui, il m'arrive encore de regretter de ne pas l'avoir tué.
Je crois que j'apprécie de plus en plus ses caresses.
Elles me dégoûtent toujours, mais malgré tout, j'en viens aussi à les aimer.
— Le tuer t'aurait aidé à faire partir les regrets, soufflé-je, distrait, le regard dévorant son magnifique visage. Voilà donc pourquoi tu ne bandes plus.
Muet depuis de bien nombreuses minutes, je comprends que son histoire est ainsi terminée et que plus aucun détail n'y sera ajouté.
Je ne m'attendais pas à ce genre de traumatisme, pour être honnête. Je pensais qu'une telle réaction viendrait d'un passé qui le toucherait personnellement, mais ma foi, chacun réagi à sa manière sur chaque événement.
Après tout, je suis mal placé pour dire qu'un abus sexuel n'est pas quelque chose de traumatisant.
Je me redresse, après une dizaine de minutes à l'observer sous toutes ses formes, allume une cigarette et me dirige vers mon bureau, que je contourne pour observer le paysage extérieur.
J'imagine qu'il n'a pas bougé d'un poil, la colonne vertébrale dans une ligne droite verticale sans défaut, les mains collées à ses jambes. J'imagine aussi que son regard, me brûlant le dos, n'a pas changé d'expression.
D'une main glissée nonchalamment dans ma tignasse pour la recoiffer quelque peu, je prends la parole.
— Tu peux rentrer chez toi. Je ne quitte pas le bureau, j'ai bientôt terminé.
— Je retourne voir si Jooheon a besoin de moi.
— Il aura toujours besoin de toi, râlé-je, recrachant longuement la fumée de nicotine coincée dans mes poumons. Hyunwoo, n'oublie pas que tu travailles pour moi, pas pour lui. Tu n'es pas obligé de dire oui à tout.
— C'est noté... Tenez-moi au courant quand vous avez fini, que je puisse vous ramener.
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