Chapitre 50

                

            

Mon esprit est engourdi, ma tête est lourde. Je ne ressens plus la douleur, grâce aux médicaments que me donnent les infirmières, mais malgré ça, malgré cette prescription efficace, je n'arrive pas à récupérer le sommeil que j'ai perdu. Je suis encore épuisé. Je pourrais m'endormir maintenant, alors qu'il n'est que quatorze heures.

Je pourrais, mais malheureusement pour moi, je n'y ai pas droit.

                 

— Oh ! On parle de lui ! s'écrie Jooheon, assis sur la chaise accolée au lit, un magazine planté devant les yeux. Song Kang-Oh, quatrième président général du groupe Seven Dragons. Aussi appelé le Diable, lorsqu'il était plus jeune... Oh, une photo de lui en costume traditionnel !

— J'ai enfin trouvé ce fichu magazine ! s'écrie Sunyoung, arrivant en trombe dans la pièce. J'ai dû faire cinq librairies avant de le choper !

             

Est-ce que voir un homme assis dans un lit d'hôpital ne vous suffit pas ?

Je ne sais même pas ce qui me retient de les foutre à la porte. J'ai besoin de repos, ils devraient s'en douter.

                        

— Je l'ai trouvé facilement pourtant...

— Ah, je pensais pas que t'étais du genre à aimer la presse people, marmonne le plus jeune, boudeur.

— Tu sous-entends quoi par là ? Hein ?

                  

Faussement énervé, cet idiot se lève de son siège, fonce vers son collègue et enroule la nuque de ce dernier de son bras, avant de lui frotter brusquement le crâne du dos de ses doigts.

                     

— Tu me fais mal !

— Ah oui ?

— Vous me fatiguez, tous les deux, soupiré-je, à bout de patience.

— Désolé, souffle Joo, tout en relâchant sa prise sur Sun.

— Vous arrivez à vous reposer lorsqu'on n'est pas là ? s'enquit ce dernier.

— Pas vraiment... Quand vous n'êtes pas là pour gueuler à tout-va, ce sont les infirmières qui rappliquent, soupiré-je, excédé.

                           

Comme si avoir été touché par balle à l'épaule et au ventre n'était déjà pas suffisant, non... En plus de ça, je dois me coltiner migraine sur migraine à cause du choc que j'ai reçu à la tête, une trace immonde autour du cou, des bleus et courbatures plein le corps, et deux imbéciles heureux qui hurlent à la place de parler.

Ils ont de la chance que les médicaments me rendent amorphe, parce que sans ça, et sans mon corps endolori, je les aurais déjà fait dégager à coup de pied dans le bide. Blessures ou non.

                                  

— Dès qu'elles le peuvent, elles s'amènent avec une excuse bateau, tout ça pour vous approcher, marmonne Sunyoung, assis sur la chaise près de la table. Et faudrait les voir dans leur bureau. Vous les excitez toutes comme pas permis. Elles ne jettent même pas un oeil sur moi, conclut-il, d'une moue triste.

— Forcément, ricane Jooheon. T'as vu ta tête ?

— Ça veut dire quoi, ça ?

— Et moi, qu'est-ce que je dois dire ? râlé-je à mon tour. J'en peux plus... Et impossible de bander sur ce médecin. Il va falloir–

                            

Quelques légers coups contre la porte me coupent dans mon élan. Blasé, les yeux clos et la tête appuyée nonchalamment contre le coussin, je laisse la personne entrer.

Sans doute encore une infirmière venue prendre ma température, ou je ne sais quelle autre connerie.

                           

— Quand on parle du loup, soupire Sun, d'une même pensée.

— C'est moi, entend-on alors, d'une voix d'homme.

— Encore ? baragouiné-je, fixant ce beau médecin poser une boîte de chocolats sur la table de lit. Tu n'as vraiment rien d'autre à faire ?

— Je suis de repos aujourd'hui. Si ça te plaît pas, c'est le même prix.

— Et donc, tu viens gaspiller ton précieux temps à mes côtés ? Tu me flattes, Wonnie.

                                

Notre relation a toujours été celle-ci... C'est amusant, quand on y regarde de plus près. On semble se détester, alors que ce n'est pas du tout le cas. On se comprend, on se supporte, on s'entraide. C'est ça qui fait notre force. On s'apprécie sans vraiment savoir pourquoi. J'imagine que c'est une question de feeling.

Debout devant la fenêtre, il regarde le paysage extérieur, les mains dans les poches.

Nous faisions plus ou moins la même taille lorsque nous nous sommes rencontrés. On devait avoir quoi ? Quinze ans, tout au plus ?

Il ne lui a pas fallu deux ans avant de me dépasser de pas mal de centimètres.

Je n'aime pas me sentir petit face à un homme. Je déteste même ça plus que tout. Mais avec lui, je n'ai jamais eu ce problème. Sans doute parce que je l'ai connu lorsqu'il faisait ma taille.

                     

— On va prendre l'air, un peu ? place-t-il, tourné vers moi.

— Avec plaisir.

— Tu sais marcher ? s'enquit-il, une fois debout devant le lit.

— Je suis noyé sous les antidouleurs, je pète la forme.

                          

Pour appuyer mes paroles, je retire rapidement la couette de mon corps et m'assieds au bord du lit. Jooheon n'attend pas plus longtemps pour accourir vers moi avec une veste, qu'il pose sur mes épaules.

J'ai parfois l'impression d'avoir engagé des baby-sitter, plutôt que des yakuza.

Je laisse Hyungwon mener la marche, après avoir enfilé le vêtement chaud.

                                   

— Profitez-en pour vous reposer un peu, vous deux, placé-je, à l'adresse des deux chihuahuas de garde qui me fixent en attendant un ordre. Je ne suis même plus votre boss, et pourtant, vous êtes toujours là.

— Vous serez toujours notre boss, patron ! s'écrie Joo, déterminé. On vous suivra quoi que vous fassiez !

                                  

Je soupire bruyamment en réponse et quitte la chambre, pour suivre mon docteur préféré.

Heureusement pour moi, il prend son temps pour marcher. J'aurais sans doute dû trottiner si jamais il avait pour idée d'utiliser correctement ses grandes et fines jambes.

Côte à côte, nous avançons en silence.

Même après toutes ces années passées loin l'un de l'autre, notre amitié n'a pas changé. Et même à l'heure actuelle, je ne sais pas si c'est une bonne ou mauvaise nouvelle.

J'arrive encore à me dire que parfois, si je n'avais pas recroisé son chemin, jamais je n'aurais été obligé de devenir yakuza.

Mais ce sont des idioties... Même sans lui, Kang-Oh aurait trouvé un moyen de m'enrôler.

                                     

— Ils sont fatigant, mais ils tiennent à toi, s'enquit-il, avant de s'asseoir sur un banc, dans le parc appartenant à l'hôpital. Tu devrais en être touché.

— Tu crois que j'ai pas déjà été assez touché ces derniers temps ?

                               

Un habituel soupir, suivi d'un roulement d'yeux me répondent et, amusé, je prends place à ses côtés, le bras valide maintenant inconsciemment mon abdomen.

                           

— Tu as bien dormi cette nuit ?

— J'étais complètement drogué, alors bien sûr.

— C'est le principal alors. Le sommeil, c'est important.

— Je sais, docteur. Sans doute aussi important que de pouvoir se défouler dans une cage.

                   

Il continue ses questions, après un ricanement bref.

                         

— Alors ? Comment ça va se passer maintenant ? Jooheon m'a expliqué toute l'histoire... Qu'est-ce que tu vas devenir, maintenant que ce gars est sûrement mort ?

                              

Il fixe le paysage face à nous, les jambes croisées, les mains toujours flanquées dans les poches et attend ainsi ma réponse. Tout en imitant ses gestes, je lui offre alors ce qu'il désire.

                           

— Je me suis fait expulser. Avec tout ce qui s'est passé, ma si belle image de yakuza irréprochable s'est bien trop dégradée. Il valait donc mieux enlever toute source de problèmes. Kang-Oh a pris la bonne décision.

— Tu parles de ça comme si c'était une punition.

— Quand tu n'as personne sur qui compter, que tu as un beau casier judiciaire et pas de thunes, oui, ça a tout d'une punition, soufflé-je, distrait. Mon territoire va être partagé entre plusieurs clans, va falloir que j'aille bosser ailleurs.

— Bosser ailleurs ? Ils vont t'aider ?

— Pas vraiment et c'est mieux comme ça. J'ai pas mal d'argent, que j'ai volé à Minhyuk, je vais certainement pouvoir monter une nouvelle boîte grâce à ça.

— Tu veux pas juste quitter ce milieu ? râle-t-il, retournant à sa contemplation des arbres.

                           

Je sais qu'il s'inquiète sincèrement pour moi... Il fait semblant de ne pas tenir à moi, mais je sais que c'est faux. Il ne m'aurait pas aidé ainsi, durant toutes ces années, si ce n'était pas le cas.

Et c'est d'ailleurs pour cette raison que j'hésite toujours entre lui donner tort ou raison.

Lui aussi, j'aurais dû le faire sortir de ma vie le plus vite possible... Mais non, à la place de ça, alors que je l'avais fait, il a fallu que je saute à nouveau dedans à pieds joints.

Qu'aurais-je fait sans lui ? Que serais-je devenu ?

                     

— Je suis dans mon élément ici, réponds-je, d'un haussement d'épaules. Tu connais un autre boulot où on peut frapper ses hommes à coups de pied sans qu'on nous pose des questions ?

— Me fais pas rire. Personne ne voudrait travailler avec un type comme toi, de toute façon.

— Un type comme moi ? m'enquis-je, curieux. Et je suis quel genre de type, au juste ?

                            

Il ne sait pas quoi répondre. Il se contente de fixer le ciel, sans jamais se prononcer.

De plus en plus irrité, j'insiste un peu.

                               

— Ah... Je vois, souris-je. Le genre qui couche avec des hommes ?

— Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, conclut-il rapidement.

                           

Il n'a pas changé...

Nous sommes restés trois ans, éloignés l'un de l'autre. Je me doutais qu'il n'aurait pas bougé d'un poil, mais lorsque je l'ai revu, ce jour-là, assis sur le parquet de chez lui, en train d'implorer les hommes de Kang-Oh, pour que sa maison soit épargnée de la vente, ça m'a fait un choc.

Rien n'avait changé... Sa voix, son style vestimentaire, sa posture, sa douceur. En trois ans, rien n'avait changé chez lui.

Comment cela pouvait-il être possible ? En trois ans, je savais pertinemment que tout avait changé en moi. Alors, pourquoi est-ce que lui était resté coincé dans le passé ?

Qu'aurait-il fait, si je n'avais pas supplié à mon tour Monsieur Song, pour qu'il épargne cet abruti et sa famille ?

Pratiquement à cause de lui, je me suis retrouvé avec des dettes aussi grande que sa putain de maison et j'ai dû, par la force des choses, rejoindre les rangs de Kang-Oh.

Je n'ai jamais regretté cette décision, mais malgré tout, je suis curieux... Curieux de voir comment auraient évolué les choses si j'avais fermé ma gueule.

Si Hyungwon savait ça, je suis certain qu'il s'en voudrait jusqu'à sa mort et même au-delà.

Il ne pourrait jamais comprendre que quoique j'aie pu faire, avec ou sans lui, mon avenir aurait été le même. Qu'est-ce que je ne serais pas prêt à faire pour lui ?

                     

— Hyungwon...

— Mmh ?

— Pourquoi tu as choisi Kihyun à ma place ?

                        

Surpris de ma soudaine question, il tourne sa tête vers moi, un sourcil arqué, et répond sans même réfléchir.

                               

— Donc pour toi, je n'avais le choix qu'entre vous deux ?

— Ne t'accroche pas aux détails, tu veux ?

                        

Il semble agacé. Agacé de devoir réfléchir, ou agacé de devoir trouver une réponse sans me faire de mal, telle est la question.

                               

— J'y ai jamais réfléchi, se contente-t-il de dire.

                         

Tu as raison, c'est bien plus simple ainsi.

                                     

— Il t'excitait plus que moi ?

— Quoi ? s'offusque-t-il. Mais non abruti, il ne s'agit pas que de ça !

— Je te montrerai une vidéo de mes prouesses physiques, si tu veux.

— Non merci, je n'y tiens pas ! Ça va juste me filer la gerbe.

— Dis pas ça. T'as bien un petit côté voyeur, non ? plaisanté-je, l'air sérieux.

— T'es vraiment pas net comme gars, conclut-il, en secouant la tête, désespéré.

— Je sais, je sais, merci du compliment.

                              

Tu n'y as jamais réfléchi ? Vraiment ? Pas une seule fois ?

Et dire qu'à une époque, ce sont mes cicatrices que tu aimais toucher...

Aujourd'hui, tu dois être si heureux de pouvoir caresser celle de ce petit chien fou.

Tu as arrêté de me caresser lorsque je t'ai avoué aimer les hommes.

Comment as-tu fait avec Kihyun ?

Tu as toujours prôné haut et fort ne pas être gay. Je n'ai jamais insisté, n'ai jamais rien fait pour te rendre mal à l'aise, alors, pourquoi me fais-tu ça aujourd'hui ?

J'ai cette mauvaise habitude de toujours vouloir jouer avec le feu.

Cet abruti de karma ne m'a jamais aimé, de toute façon.

                        

— Je suis fatigué, je vais aller me reposer, soufflé-je, après m'être levé. Maintenant que ces deux abrutis sont partis, je vais pouvoir faire une sieste.

— Bonne idée, dit-il, debout à son tour. Repose-toi bien, tu l'as mérité.

— Bye, doc, le salué-je, déjà en marche vers l'entrée de l'hôpital.

— Prends soin de toi, Kyun.

                                            

Pour quoi faire ?

Ah, je n'ai même pas fait attention que mon téléphone était dans la poche de ma veste.

Sans doute encore un coup de mon baby-sitter.

Qu'aurait-il fait lui aussi, sans moi, cet idiot de Jooheon ? Coincé avec une ordure de yakuza, prêt à sacrifier ses hommes pour éviter les problèmes...

Plus personne n'arrive à porter ses couilles avec dignité de nos jours, c'est affligeant.

                                          

— Allo ?

— C'est moi.

— Ah ! Mon mangeur de Choco Pie préféré ! Alors ? Tout est réglé ? posé-je, longeant le couloir du rez-de-chaussée.

— Bien évidemment, tu nous prends pour qui ?

— C'est parfait. Je vous rends votre liberté dans ce cas.

— Merci mon bon Seigneur, nous n'en demandions pas tant, ironise-t-il.

                                   

Des bourdonnements me parviennent ensuite à l'oreille, mais je ne comprends rien. Bloqué au beau milieu de ce couloir, immobile, le téléphone toujours collé à l'oreille, j'observe, la poitrine serrée, l'homme placé au fond du couloir. Il est aux côtés de deux femmes, certainement sa mère et sa soeur. Elles ont l'air heureuses de le voir. Il leur sourit discrètement, mais même d'ici, je peux percevoir ses prunelles tristes, presque éteintes.

Il ne changera jamais...

Pourquoi ne sourit-il pas sincèrement ? Il est entouré de gens qui l'aiment et qu'il aime, il a retrouvé l'usage de sa queue, alors qu'est-ce qui l'empêche d'être heureux ?

Quel idiot aussi, celui-là...

Un idiot, si beau, droit, innocent.

Trouve la force de sourire, Hyunwoo.

Tu serais encore plus parfait avec un sourire sincère.

Et soigne correctement la cicatrice dessinée sur ta joue. Ne laisse pas cette blessure gâcher la pureté de ton visage.

Sois heureux et recommence à vivre ta vie, honnêtement. Tu n'as rien de mauvais, ne joue donc pas inutilement les bad boy, ça ne te réussit pas.

Sois heureux, Son Hyunwoo. Tu peux au moins faire ça pour moi, pas vrai ?

                    

— Allo ? Allo ? Changkyun ? Eh ! Tu m'entends ? Ouais, bon, bref, adieu.

                        

Ne sois pas aussi borné et stupide et vis ta vie d'une belle façon. Ne la gâche pas avec des personnes comme moi.

                      

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