Chapitre 10
— Ce que j'ai à dire est très important, nous informe le modérateur et meilleur ami de Bec avec sérieux. Regardez ma caméra.
Une icône caméra à droite de son pseudo est affichée. J'appuie et sa caméra se met en grand sur mon téléphone.
Alfonso apparaît enfoncé et détendu dans son fauteuil noir en similicuir. Quoique, les muscles de son visage sont un peu crispés...
Visage en forme de diamant, cheveux noirs courts, teint mat et yeux marron ; son physique italien frôle la perfection des mannequins. Ses mâchoires prononcées et ses pommettes saillantes lui donnent un air ténébreux. Sa barbe de trois jours est bien taillée et épouse la forme de son menton. Avec plus d'observation, je remarque que ses joues sont écarlates et le coin de ses lèvres tressaille.
Il porte une veste noire ouverte sur un tee-shirt gris moulant son torse. Une tache de transpiration est visible entre ses pectoraux.
Son décor est composé de plantes vertes, de guirlandes lumineuses, de néon avec son pseudo et de goodies tels que des posters et des figurines. Son fond est plus sombre, contrairement à son visage qui est illuminé. Je soupçonne l'utilisation d'au moins une Ring Light. Il a un micro devant sa bouche et un casque vissé sur sa tête. Le parfait look d'un streamer sur la plateforme Twitch.
— Bien, maintenant que vous me voyez tous... Ce qui m'est arrivé, cet après-midi, est un traumatisme douloureux. Autant physiquement que mentalement. C'est pourquoi je vous prie de ne pas rire.
Le silence que suit cette déclaration est profond. Nous attendons tous le fin mot de l'histoire.
Alfonso penche la tête vers ce que j'imagine être son bureau. Il farfouille plusieurs secondes, avant de redresser le menton vers sa caméra.
— Tout a commencé au Basket. Comme d'habitude, j'ai un entraînement de 4 à 5.
Je dépose mon téléphone sur le plan de travail pour transvaser ma nourriture dans mon assiette. Pendant ce temps, Alfonso fait durer le suspense en détaillant les entraînements et le match. Et tout ceci, avec une intonation grave.
— Tout se passait bien. Jusqu'au drame. Je... ne sais pas comment c'est arrivé. Je courrais vite, comme un petit lapin. Non, non. Je galopais comme un cheval. Mais un beau cheval, hein !
Je glousse bêtement en l'imaginant courir sur un terrain.
Alfonso éclate de rire à ses mots. Son fou rire est communicatif, tout le monde s'esclaffe.
— Un peu de sérieux, je vous prie, reprend-il après avoir raclé sa gorge. Donc, comme je disais, je courrais. David a foncé sur moi avec le ballon. J'allais lui subtiliser. Je me voyais déjà avec, à vrai dire.
De nouveau, il marque une brève pause en closant ses paupières. Il inspire profondément. Je suis obnubilée par son récit. Qu'a-t-il pu lui arriver de grave pour tous nous convoquer ? Le fait qu'il prenne son temps m'agace. D'autant plus que le live de Bec a commencé et que je suis à la bourre.
— Je me suis viandé la gueule, ok ? J'étais étalé comme une merde au sol ! Ma main a ripé sur le ballon et je me suis retourné le petit doigt. Voilà. J'ai mal. Vous comprenez ? Je souffre le martyre.
Il lève sa main devant sa caméra. Son doigt est un peu gonflé et rouge. À cette vision, je grimace comme si j'avais mal à sa place.
— Tu n'es pas allé à l'hôpital ? l'interroge Sev, soucieux.
— Bah non. Flemme, ça va prendre trois heures pour rien. Par contre, je vais me faire un pansement. Vous serez scotché du résultat !
Ah, ça pour l'être, je le suis déjà ! Comment peut-il être aussi détaché ?
Je me dé-mute pour le questionner. Ou du moins, l'inciter à consulter un médecin.
— Tu t'es peut-être cassé le doigt ? Vaudrait mieux consulter au cas où ça empirerait, non ?
Alfonso s'esclaffe de bon cœur. J'ai la sensation qu'il me prend pour une idiote.
— Je ne pourrais plus le bouger s'il était cassé. Allez hop, je vous fais un tuto pansement maison.
Instantanément, il saisit des objets sur son bureau et le montre fièrement devant son objectif. Il prend une paire de ciseaux et un bandage crêpe qu'il déroule méticuleusement. S'il grimace de douleur quand il enroule le bandage autour de ses deux doigts, il garde pourtant la tête haute.
— Donc, là, vous tournez, explique-t-il avec une attention particulière. Quand vous avez terminé, vous glissez le bout sous un pan du bandage. Si ça ne tient pas, vous pouvez coller avec du scotch ou de la colle.
Je lève les yeux au ciel, hébétée par ses conseils. Ça se voit qu'il n'est pas médecin.
J'arrive dans mon bureau, ignorant la suite de la conversation. Si tous les modos sont présents en vocal pour écouter les idioties d'Alfonso, cela signifie qu'aucun n'est présent sur le live. J'espère que ça n'aura pas de répercussion sur notre rôle.
Le live de Bec est calme. Les messages défilent avec lenteur.
— Puisque vous êtes tous présents, j'ai une autre annonce. Elle est bien plus considérable et tragique que l'autre. Je me sens enfin prêt à vous dévoiler la vérité. Une vérité cruelle.
Encore une ! Est-ce le sujet principal qu'il souhaitait aborder ? A-t-il perdu du temps en nous racontant ses péripéties ?
— Vous n'êtes pas sans savoir que je suis chauffeur privé... J'ai déjà abordé le sujet, mais ce métier n'est pas celui que je rêvais de faire. Je ne m'épanouis pas, les enfants.
Il nous déclare cela avec morosité. L'ambiance s'alourdit. Cette fois-ci, il est sérieux. J'espère qu'il ne va pas davantage nous faire perdre du temps pour une bêtise. Parce qu'Alfonso est bon acteur. À tout moment, il va nous sortir une dinguerie.
— Et donc ? rétorque Rachid. Quel est donc ce métier, si incroyable, pour te mettre dans un tel état ?
Pendant une fraction de seconde, le silence est à son comble. J'avale mes pâtes à la sauce tomate en jonglant sur l'ordinateur et mon téléphone.
— Je souhaitais être flatteur de dindon, révèle-t-il en tremblant.
— Je vais formuler la question, même si j'ai peur de la réponse..., soupire Rachid. Ça consiste en quoi ?
Alfonso hausse une épaule, toujours aussi triste.
— Je vous laisse chercher sur Google. Je reviens !
Il désactive sa caméra et se mute. J'en profite pour chercher de mon côté. Rachid m'imite, car il a la même réaction que moi lorsque je trouve la réponse.
— C'est quoi encore cette connerie ? relance Rachid, agacé, avant d'exploser de rire. Mais qu'il est sot ! Il sait au moins qu'il n'y a pas de dindon à St Tropez ? Oh, déjà l'heure ! Bon, je vous laisse. Je vais regarder Bec en me préparant pour le travail. Bye !
Nous le saluons à tour de rôle. Jusqu'à ce qu'Alfonso revienne, nous restons silencieux, comme des enfants obéissants attendant leur professeur.
— Allez gros chien de Sev, on lance Sea of Thieves, là. On va faire du contenu pour les viewers !
— C'est déjà lancé, mon pote.
Alors là, jamais ! Regarder Alfonso jouer à ce jeu, oui. Mais sans cet abruti de Sev. Il est hors de question que je reste plus longtemps.
— J'y vais, lancé-je. À plus.
— Oh, on dirait que je fais fuir quelqu'un, s'exclame Sev hilare.
Connard !
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