6 | Échappatoire
[CHAPITRE RÉÉCRIT]
I could make a long list of all my insecurities
Then I could fix 'em, but who would keep me company?
★
L e n a
Peut-être étais-je ridicule, peut-être que ma réaction était un peu exagérée, mais je voulais montrer à Charlie Wheeler qu'il ne m'aurait plus, qu'il ne me heurterait plus. J'avais pleuré à cause de lui, j'avais passé des nuits blanches, pensé à la mort, j'avais arrêté d'essayer d'aller vers les autres, à cause de lui. Alors même s'il faisait comme si de rien n'était, – ou alors il n'évaluait pas jusqu'où il était allé, je voulais lui montrer à quel point c'était grave. Sans lui dévoiler les conséquences de son comportement sur moi. Je ne sais pas pourquoi, mais je voulais lui montrer que j'allais bien et que ce qu'ils avaient fait, lui et ses amis, ne m'atteignait plus. Ce besoin me rongeait de l'intérieur. Peut-être étais-je faible ? Tant pis, tant qu'il comprenait.
Il ne m'a pas suivie, et heureusement. Je ne voulais pas qu'il me voie pleurer comme si on m'avait arraché le cœur et qu'un grand vide s'était installé en moi. Comme si j'étais en train de couler, comme si des centaines de pensées s'immisçaient en moi ; et j'étais incapable de les maîtriser. Ça aurait été lui donner raison. J'étais traumatisée par ce qu'il avait fait quatre ans plus tôt. Ses vieux mots tournaient encore dans ma tête dans une affreuse ritournelle et je me souvenais de sa voix à chaque fois que je me rappelais que je n'étais pas à la hauteur. Quatre années n'avaient pas réussi à effacer les cicatrices indélébiles qu'ils avaient laissées sur moi. Qu'il avait laissées sur moi. Et je savais que jamais elles ne partiraient vraiment.
Et, contrairement à ce qu'il pensait, je n'étais pas parano. J'avais seulement peur de ce qu'il pourrait faire. Je savais qu'il était capable de tout.
J'étais tout de même retournée en salle 102. Ma salle de littérature. Notre salle de littérature. Elle me rappelait trop lui, et je détestais la façon dont il était devenu ma priorité en quelques heures.
Non, jamais je ne tomberais amoureuse de lui. Comment pouvait-il envisager cette possibilité après tout ce qu'il m'avait fait vivre ? Il devait forcément sous-estimer la situation, sinon jamais il n'aurait soumis une telle idée.
J'ai pris mon téléphone pour la centième fois durant la soirée. J'ai regardé les barres de réseau sans espoir, et j'ai ouvert grand les yeux quand j'ai réalisé qu'il y en avait une. Je ne saurais décrire le sentiment d'euphorie qui m'a étreinte et le sourire qui a germé sur mon visage. Un maigre espoir de trouver de l'aide. J'ai ouvert à la hâte mon téléphone en prenant soin de ne pas bouger de l'endroit où j'étais assise, au cas où cette sublime petite barre disparaisse, et j'ai appelé Heaven sans réfléchir. Elle était toujours la première personne à laquelle je pensais. Je savais qu'elle répondrait certainement, son cours de boxe était fini depuis trente minutes.
À la deuxième sonnerie, Heaven a répondu. Sa voix était enthousiaste, fidèle à son habitude, quoique teintée d'une légère inquiétude.
— Hav ! J'ai besoin de toi je t'en supplie, ai-je fait, paniquée à l'idée que la communication stoppe, ce qui allait forcément arriver.
— Len, t'es où ? Parce que je suis chez toi et ta mère me harcèle depuis une demi-heure pour savoir où tu es. Et ton père crie que tu t'es une dépravée car tu rentres tard. Ils sont fous.
J'ai levé les yeux au ciel. J'aurais dû m'en douter. Je les reconnaissais bien dans ces mots. Ils ne m'avaient pas appelée et demandaient à une amie où je me trouvais. Ils ne me faisaient pas confiance, je le savais bien, n'empêche que cela restait douloureux, d'autant que je n'avais jamais dérogé à leurs règles. Je suppose que je ne méritais pas leur fierté, tout simplement, quoi que je fasse.
— Il faut que tu m'aides. Je suis au lycée, Hav !
Tant pis pour l'absence d'introduction, il fallait que je fasse le plus vite possible.
— Je ne suis pas sûre de comprendre..., a-t-elle murmuré.
— Je suis restée enfermée avec Wheeler parce qu'il est venu me parler et maintenant on est tous les deux à l'intérieur et lui s'en fiche mais moi...
Je me suis rendu compte qu'un air horrifié avait pris place sur son visage habituellement si doux et compréhensif. Elle n'avait pas l'air particulièrement surprise, mais je pouvais voir les questions qu'elle n'osait pas poser dans ses grands yeux bleus.
— Je suis coincée dans le lycée avec Wheeler, ai-je résumé.
— On est d'accord qu'on parle du même Wheeler ? Celui que je suis censée assassiner ?
— Charlie Wheeler, oui. Hav, il n'y a pas beaucoup de réseau à cause de la tempête d'hier...
— Merde ! Oui. Ils ont rétabli la ligne pour faire des tests mais ils vont couper à nouveau bientôt.
J'ai écarquillé les yeux et une nouvelle vague de stress s'est emparée de moi. Il fallait absolument que je sorte de ce lycée. Quelques heures passées ici avaient suffi à me mettre sur les nerfs. Je ne pouvais accepter la simple vue de Wheeler. Alors passer deux semaines en sa compagnie ? Non merci, j'avais déjà assez donné.
— Hav, il faut que tu appelles la police. Tout de suite. J'ai peur que la communication coupe, alors je ne l'ai pas fait moi-même, mais s'il te plaît, fais-le pour moi. Appelle-les et dis-leur qu'on est là tous les deux, et qu'on a besoin de sortir.
— Ils vont prévenir tes parents...
Pour une fois, ce n'était pas ce qui m'importait le plus. J'avais juste besoin de rentrer chez moi et de pleurer toutes les larmes de mon corps dans le noir avec la musique allumée pour que personne ne m'entende.
— Je ne survivrais pas avec lui pendant deux semaines. C'est trop douloureux.
— D'accord, je comprends. Oui, d'accord Len, je vais les appeler. Je ne pense juste pas que ce soit la bonne...
La communication a coupé d'un coup, faisant disparaître la petite barre de réseau qui m'avait sauvée, noyant la fin de sa phrase. J'ai soupiré, incapable d'identifier l'émotion qui me traversait. J'étais soulagée, évidemment, mais il y avait autre chose. Pour la première fois depuis notre rencontre, je me demandais ce que pensait Heaven. Elle qui, habituellement, était tellement là pour moi, m'avait paru un peu réservée. Comme si elle se sentait coupable.
Coupable pour quelle raison ?
Je suis restée quelques secondes assise sur ma chaise au premier rang, un peu sonnée. J'étais consciente que j'avais besoin de sortir de cette salle, mais le courage me manquait. Pourtant, je commençais à avoir faim et je voulais m'assurer que Wheeler n'était pas déjà en train de détruire le lycée. Pas maintenant que la police avait été prévenue qu'on était là. J'étais trop jeune pour finir en prison.
Tout en prenant une grande inspiration, j'ai posé un pied hors de la salle. Il n'y avait personne dans le couloir. Quand j'ai tourné vers le hall, je l'ai trouvé adossé à un mur, les sourcils froncés, les yeux rivés sur son téléphone. Je n'avais pas été seule à avoir été gratifiée de la présence du réseau, ce soir-là.
En faisant le moins de bruit possible pour ne pas attirer son attention, je me suis dirigée vers la salle des profs – qui allait finir par être vide de nourriture s'il continuait à se goinfrer – et j'ai pris un yaourt. Quelques jours plus tôt, les profs du lycée avaient organisé un repas pour fêter la fin de l'année scolaire, et ils avaient eu la présence d'esprit de conserver les restes dans le petit réfrigérateur de la salle des profs. Une chance, car dans le cas contraire , nous aurions été contraints de fouiller la cantine, ce que je n'aurais pas vraiment apprécié, et que j'allais sûrement devoir faire d'ici quelques jours si personne ne nous sortait de là.
Je suis ensuite revenue dans le hall où Wheeler avait cessé de fixer son portable comme si le réseau allait revenir par la force de sa pensée. Il m'a regardé et a dû remarquer des traces de yaourt autour de ma bouche – ce que je n'espère pas, pour être honnête – car il a su que j'avais mangé. Je me suis éloignée lorsqu'il s'est approché. Fichus réflexes.
— Tu as mangé ? a-t-il demandé.
— Oui. Mais avec tout ce que tu as englouti tout à l'heure, je te déconseille d'en faire de même.
Ses sourcils se sont froncés et j'ai senti qu'il se retenait d'envoyer une pique. Il s'est contenté de m'adresser un regard noir. Je lui étais reconnaissante pour ça, au moins. J'avais tellement peur de fondre en larmes devant lui. Lorsqu'il s'agissait de lui, je ne faisais plus confiance à mon corps. J'avais l'impression que celui-ci pouvait me trahir à tout moment.
— Tu ne veux pas arrêter de me regarder comme ça, s'il te plaît ? On va devoir vivre quatorze jours ensemble, et je te jure que je n'en suis pas plus heureux que toi. Alors, je t'en supplie, fais au moins un effort.
— Comment veux-tu que je fasse un effort alors que...
Tu m'as gâché la vie durant des années ?
Je te déteste plus que tout au monde ?
Ma mâchoire était tellement serrée qu'elle me faisait mal. Mais au moins, la douleur m'empêchait de dire des choses que je regretterais. Et c'est ce qu'elle a fait. Je suis juste restée là, à attendre d'arriver à dire ce que je ressentais mais, évidemment, ça ne marchait pas.
— Alors que quoi, Raven ?
J'allais sérieusement le taper. J'envisageais même un plan pour le tuer. Ça ne devait pas être si difficile.
— Alors que je te... déteste ?
Je détestais la façon dont ma phrase ressemblait affreusement à une question.
— Je gagne des points bonus si j'agis comme si j'en avais quelque chose à faire ?
— Je réponds simplement, Wheeler. Si tu t'en fiches, ne pose pas la question.
Il s'est dangereusement approché de moi et j'ai dégluti en fermant les poings jusqu'à ce que mes phalanges soient blanches pour m'empêcher de faire un pas en arrière. Tu vas bien. Tout va bien. Pourquoi ça n'irait pas bien ?
Parce qu'il est à un mètre à peine de moi et que je suis incapable de supporter sa présence !
— Je vais t'apprendre quelque chose que tu ne sembles pas avoir comprise, même avec ton QI d'Einstein, Miss Parfaite. Je ne suis pas heureux à l'idée d'être ici avec toi. Là, je devrais être en soirée, pendant que toi tu réviserais ta leçon pour un contrôle dans neuf semaines. Mais tu vois, on est là, malheureusement. Et je fais un effort. (Il a grimacé.) J'essaie d'être un minimum sympa. Même si tu es trop têtue pour t'en rendre compte. Donc, si tu pouvais au moins essayer de faire comme si ma vue ne te donnait pas envie de m'étrangler, ça me toucherait énormément.
Il s'est éloigné de moi et j'ai enfin pu respirer. J'étais excédée. Bon sang, mais pour qui se prenait-il ? Miss Parfaite, sérieusement ? Sa capacité à me faire sortir de mes gongs en deux temps trois mouvements m'exaspérait au plus haut point. Et le pire, c'était qu'il me connaissait trop bien. Parce qu'on savait tous les deux qu'avant, ce n'était pas comme ça. Avant, on était amis. Et jamais nous n'aurions cru que cela finirait de cette façon.
— Tu n'imagines pas à quel point je fais des efforts, Wheeler, ai-je sifflé.
Lorsque ses prunelles bleues se sont plantées dans les miennes, j'ai failli craquer. Ce regard était l'allégorie de la torture. Et il le savait mieux que personne. À ce moment-là, je me suis promis que j'essayerais plus jamais de paraître plus forte que je ne le serai jamais. Parce que j'étais faible, c'est tout.
— Pendant que tu profitais du réseau à faire je ne sais quoi, j'ai appelé la police, me suis-je reprise. Ils seront là bientôt, normalement.
— Tant mieux. Un jour de plus avec toi et je partais en dépression tellement tu es ennuyeuse.
J'ai levé les yeux au ciel. Pitié, faites-moi sortir de là, vite.
~Plagiat interdit~
≈1970 mots
Publication le 26/04/23
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