3 | Panique
[CHAPITRE RÉÉCRIT]
I'm never last picked
I got a cheerleading chick
★
C h a r l i e
Quand elle a prononcé ces mots, j'ai senti un tremblement dans sa voix. Léger, quasiment imperceptible, mais elle a tremblé. Avait-elle si peur de moi, pour s'empêcher de réagir de cette façon ? Ou ne voulait-elle seulement pas l'admettre ? Sincèrement, je crois que je n'aurais fait aucun commentaire tellement j'étais dépassé par la situation.
Je me suis demandé comment on avait pu en arriver là. Vingt minutes plus tôt, j'étais encore dans les vestiaires, en train de fumer les cigarettes qu'avait apportées Thomas, avec mes potes, au lieu d'assister à un des derniers cours de basketball de l'année ; et à présent, je me retrouvais avec Lena Raven dans le hall éteint de notre lycée, un vendredi soir, le jour des vacances scolaires. La vie est vraiment bizarre, parfois.
J'étais en train de réfléchir à ce que nous étions censés faire quand j'ai croisé son regard. Il n'était pas normal. Pas insolent comme d'habitude. Et puis c'est allé beaucoup trop vite. Tout d'un coup, Raven a commencé à respirer plus rapidement, ce qui a eu don de me tirer de mes pensées. Je me suis tourné vers elle, presque paniqué. Bon sang, cela faisait seulement deux minutes que nous avions réalisé la catastrophe dans laquelle je nous avais mis, et elle commençait déjà à faire n'importe quoi. Elle était en quelque sorte sous ma responsabilité, à présent, et tout ce qu'il se passerait, quoiqu'il se passe, serait de notre faute à tous les deux. Je ne savais pas quoi faire ni quoi dire. Qu'est-ce qu'on est censé faire dans cette situation ? Et surtout, qu'est-ce qu'il se passait, au juste ?
— Lena ! (C'était la première fois que je la nommais par son prénom. Je me suis mordu la lèvre.) Raven, qu'est-ce que tu fais ?
Elle n'a pas répondu et a continué à respirer bien trop fort pour que ce soit normal, et je me contentais de la regarder. Je me suis retenu de faire une recherche sur Google pour savoir ce qui lui arrivait. Évidemment, ça lui arrivait maintenant, et en face de moi. J'ai soupiré, refusant d'admettre que j'étais légèrement inquiet. J'espérais juste qu'elle ne mourrait pas. Était-ce un symptôme d'une crise cardiaque ? D'une embolie pulmonaire ? Avoir une mère médecin ne m'était d'aucune utilité. Et si elle mourait, peut-être qu'on croirait que je l'avais tuée. Avec les antécédents judiciaires de ma famille, j'aurais fini en prison avant même d'avoir pu promettre que je n'y étais pour rien.
Au bout d'un moment, à mon plus grand soulagement, elle s'est un peu calmée, mais je voyais qu'elle faisait des efforts pour se contenir. Sa respiration s'est stabilisée, elle a arrêté de trembler et ses yeux ont trouvé les miens. Elle m'a regardé d'un air gêné. Ça avait duré moins d'une minute, pourtant j'avais eu l'impression que ça avait duré une heure. Je n'ai pas fait de commentaire et l'ai observée en silence, attendant qu'elle s'explique, ou du moins qu'elle dise quelque chose.
— Petite crise de panique. Je ne m'excuserai pas, c'est ta faute. Wheeler, je... Il y a une manière de sortir d'ici, n'est-ce pas ? elle me regardait d'un air suppliant qui contrastait avec le début de sa phrase.
L'agacement est revenu d'un coup. Voir son haut de tailleur vert qui devait coûter le double du salaire de ma mère et son visage de fille parfaite a fait monter une colère irrépressible en moi. Une colère que je connaissais si bien.
Que dire ? Non, il n'y avait pas de manières, c'était évident. Et elle le savait. Ce n'était pas censé être elle, l'intello ?
— Hum, viens. Sûrement que les portes de secours sont encore ouvertes, ai-je répondu, m'efforçant d'être calme.
« Ça ne durera que quelques minutes, une heure au plus. On va sortir de là. Calme-toi. »
Elle a levé les yeux au ciel. C'est bon, elle avait repris son caractère habituel. J'ai soupiré, pas certain que ce soit mieux, finalement.
— Toutes les portes sont forcément fermées ! Nous sommes en vacances !
— Pourquoi tu me demandes, alors ? ai-je craché.
Elle était totalement insupportable, surtout lorsqu'elle prenait ses airs de princesse casse-pieds. J'ai croisé son regard – elle me haïssait à un point... – puis elle a baissé les yeux. J'ai esquissé un sourire en coin. Elle n'avait pas changé. Toujours aussi vulnérable malgré sa posture confiante. Seule la haine l'aidait à ne pas s'effondrer.
Elle a tiré une de ses mèches rousses – tic qui, je l'avais remarqué avec le temps, marquait sa gêne ou son mécontentement, ou les deux – et a soupiré.
— Tout ça, c'est de ta faute, Wheeler !
— Comment je pouvais savoir que Jones allait fermer le lycée vingt minutes après la sonnerie ? C'est tôt, non ? Surtout qu'il sait que tout le monde à sport à cette heure-ci, on était tous dans les vestiaires.
— Je m'en fiche, que ce soit tôt ! C'est écrit dans le règlement intérieur, on doit être sortis au bout de dix minutes maximum. C'est les vacances, il était pressé. De même que tous les lycéens qui sont sortis en trombe. On ne peut pas lui en vouloir, et puis il fait ça depuis qu'on est en seconde, tu devrais être au courant ! Et maintenant, je me retrouve coincée ici avec... toi.
Une grimace de dégoût s'est installée sur son visage constellé de centaines de tâches de rousseur. Je n'ai pas relevé le fait qu'elle avait lu le règlement intérieur. Je ne savais même pas de quelle couleur étaient les feuilles sur lequel il était imprimé. Ni même s'il était imprimé, en fait.
— Et puis qu'est-ce que tu me voulais, à la fin ? s'est-elle exclamée. Pourquoi m'avoir retenue ?
— Pas le choix, je t'ai vue, j'ai su que je devais venir t'emmerder.
Faux. Mais inutile de le lui dire.
J'avais trop de fierté pour lui dire que je l'avais apostrophée alors que je n'avais aucune envie de le faire. Tout ça, c'était de la faute d'Alice. Et de la faute de Raven, aussi. Parce que tout était de sa faute, c'était plus simple comme ça.
— Le vocabulaire, a-t-elle grommelé entre ses dents.
J'ai levé les yeux au ciel à mon tour.
— Je vais appeler mes parents, a-t-elle annoncé. Avec un peu de chance, ils convaincront Mr. Jones de revenir nous ouvrir.
On voyait sur son visage qu'elle n'y croyait pas une seconde, mais je n'ai pas posé de questions. Parfois, il vaut mieux se taire.
Le problème, à Blue Springs, c'était que le lycée dans lequel nous étions scolarisés était tellement paumé que le personnel était très peu nombreux – il se limitait à une vingtaine d'agents d'entretien, qui s'occupaient aussi du réfectoire, en plus de quelques profs qui étaient arrivés là on ne sait comment. Pas beaucoup de gens pour nous aider, en somme.
Lena a brandi son téléphone de bourge et a fait défiler sa liste de contacts. Dix au maximum. Son doigt s'est arrêté sur le nom de Beatrice Raven – elle n'avait même pas pris la peine de renommer sa mère. J'ai supposé qu'elle ne savait juste pas renommer un contact, ce qui ne m'aurait même pas étonné étant donné qu'au vu de ses nombreuses heures passées à lire et à réviser, au aurait dit une bourgeoise des Temps Modernes – et a appelé. La sonnerie a retenti pendant plusieurs secondes. Vide intersidéral, elle était tendue. Personne n'a répondu à son appel. Je l'ai vue se mordre l'intérieur de la joue et tirer sur une autre mèche. Elle a ensuite essayé de contacter James Raven, sans résultat plus convainquant.
Elle n'a rien dit pendant quelques secondes, les yeux posés sur l'écran vide. Je savais ce qu'elle ressentait, mais ne n'avais aucune envie de la réconforter. Elle méritait son malheur. Elle a ensuite posé son regard translucide sur moi et m'a demandé :
— Et toi ? Tu n'appelles pas tes parents ?
J'ai secoué énergiquement la tête. Le résultat serait le même que le sien – à part si ma mère raccrochait directement au lieu de ne pas répondre. Et inutile d'avoir cette honte devant elle.
Elle a haussé les épaules, l'air de ne pas comprendre, et a repris sa mèche entre ses doigts blancs.
— Je vais essayer d'appeler la police.
Elle m'a lancé un regard désabusé. J'ai eu soudain très envie de lui rendre la gifle qu'elle m'avait mise quelques minutes plus tôt, et dont je gardais toujours la brûlure sur la joue. Mais je savais que jamais je ne ferais ça. Le simple fait d'y penser me donnait envie de vomir. Je ne voulais pas ressembler à Tobias, de quelque manière que ce fût.
— Tu crois vraiment qu'ils n'ont que ça à faire ? Il vont croire que c'est une blague.
Je ne l'ai pas écoutée et j'ai attrapé mon téléphone. J'ai essayé de l'allumer, sans succès. La batterie était déjà morte, j'avais oublié de le charger dans la nuit.
— Essaye, je n'ai plus de batterie, ai-je ordonné.
Elle n'a pas paru apprécier mon ton mais s'est exécutée. Au bout de quelques secondes, ses yeux se sont écarquillés et sa bouche s'est entrouverte sans prononcer un mot. J'ai soufflé, espérant obtenir une réaction de sa part. Des larmes perlaient au bout de ses cils. J'ai réalisé que peut-être que c'était grave. Je lui ai arraché son téléphone des mains et j'ai regardé l'écran. Et j'ai compris. On n'avait plus de réseau. Bon sang, on n'avait plus de réseau ! Pas la moindre petite barre, et pour internet c'était la même chose. Le WiFi était gratuit au lycée mais, visiblement, la borne avait été débranchée.
— Ne pleure pas, Raven, ai-je tenté.
Je n'avais pas besoin d'une fille qui pleurait par-dessus le marché. Je l'ai secouée par les épaules et elle a sursauté en bondissant en arrière. Même si elle était bizarre, elle avait eu une réaction.
— Tu avais du réseau il y a quelques minutes, je ne vois pas pourquoi il serait coupé pendant des heures. Il faut juste attendre un peu, ai-je ajouté.
Elle a secoué la tête, pessimiste.
— Non, Wheeler. Si mes parents n'ont pas répondu tout à l'heure... je ne sais pas, mais peut-être que je n'avais pas vu et... Et si nous ne pouvions appeler personne pendant les deux prochaines semaines ? Et si nous étions vraiment enfermés, Wheeler ?
J'ai tenté de garder mon calme au cas où on reste vraiment longtemps ensemble. Mieux valait ne pas envenimer la situation dès le premier jour. Je crois que je ne réalisais pas encore ce que représentaient deux semaines. Ma seule préoccupation était que j'étais censé rejoindre les autres le soir-même pour une soirée au bord de la rivière, et que tous mes plans tombaient à l'eau.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? On sera enfermés. Et on sortira dans deux semaines. Ce n'est pas très long, deux semaines. Et je suis sûr qu'ils vont remarquer qu'on a disparu.
J'en étais plus sûr pour elle que pour moi. Ma mère n'était presque jamais à la maison, jamais elle ne se rendrait compte que je n'étais plus là. Ma sœur était si habituée que je dorme un peu partout qu'elle avait arrêté de s'en occuper, et nous fonctionnions sous un accord tacite : nous ne nous mêlions pas de ce que faisait l'autre. Et mes amis partaient tous en vacances, et ils croiraient que mon absence à la soirée était due à une fille quelconque que j'avais réussi à séduire.
Mais elle... Elle, elle avait une famille. J'avais cru comprendre qu'elle était fille unique, ses parents devaient donc se soucier uniquement d'elle. Elle avait deux meilleurs amis que je voyais souvent autour d'elle. Quelqu'un ce rendrait donc forcément compte de la disparition soudaine de Miss Parfaite.
— Très bien. Euh, en attendant, je vais aller m'installer dans une salle, d'accord ? Et toi dans une autre. Et on passera les deux prochaines semaines comme ça, jusqu'à ce que le lycée rouvre. Sauf si quelqu'un avertit la police ou que le proviseur se pointe par hasard ici en plein milieu des vacances. On restera isolés l'un de l'autre.
Elle a insisté sur ces derniers mots et s'est raclé la gorge. Elle n'était pas à l'aise, et son mépris se voyait à quinze kilomètres à la ronde, si ce n'est plus.
— Moi, je propose autre chose.
— Quoi donc ? a-t-elle demandé.
Je savais que ma proposition n'allait pas lui plaire. C'était évident, il ne fallait pas oublier que mon interlocutrice était Lena Raven, tout de même. Mais j'avais envie de tester. Peut-être même de m'amuser. Encore aurait-il fallu qu'elle se montre un peu plus réceptive que cela, j'avais l'impression de parler à une coquille vide.
Mais ça valait le coup d'essayer.
— Que dirais-tu de profiter, l'intello ?
Le petit « intello » glissé comme si de rien n'était, juste pour lui rappeler que nous n'étions toujours pas amis, et que ça ne risquait pas d'arriver.
~ Plagiat interdit ~
≈2100 mots
Publication le 19/04/23
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