2. Révélations
- Je ne sens plus mes jambes, déclara Peter au bout d'un kilomètre de marche.
C'était un défaut très énervant chez lui : il avait une tendance à exagérer, insupportable aux yeux d'Ari. Quand elle surprit le regard d'Ariane, Sam leva les yeux au ciel et fit mine de se jeter dans le fossé qu'ils longeaient. Enfin, ils virent le camp. Il y avait entre cinq ou six tentes – tipis, un grand feu surveillé par deux gosses âgés d'à peine onze ans, une table surchargée de provisions. Alban était assis devant deux ou trois garçons armés de gros gourdins. Ils avaient à peu près le gabarit de Maxence, celui qui accompagnait Alix.
Ariane n'hésita pas à traverser le camp. Peter regardait tour à tour Crystal et les autres et elle, si vite que ses cheveux s'agitaient autour de sa tête. La jeune fille leva les yeux au ciel et s'arrêta près d'Alban. Ce dernier se retourna, et hurla :
- Qu'est-ce que vous attendez pour la démolir ?!!
Elle se jeta au sol tandis que les trois gaillards levaient leur gourdin. Ari eut vaguement conscience que les autres se précipitaient et arrivaient à son niveau. Elle roula sur le sol et deux des gourdins s'abattirent dans le sable. Le dernier percuta Ashley de plein fouet, et l'adolescente s'étala sur le sable.
- MAIS T'ES MALADE ?! Hurla Peter en s'accroupissant près d'elle. Ari se leva, improvisant mentalement un discours.
- Quoi ? Qu'est-ce que vous foutez là, vous d'abord ?
- On est venus te prévenir, il y a un danger. Quelqu'un. Tu penses pas que c'est pas normal, quand des enfants ne reviennent pas, quand tu les envoies dans la forêt ?
- Ils...
- Alix et Maxence sont partis en vacances ? Elliot s'est suicidé de désespoir ?
Le visage du blond s'éclaira soudain et il reprit de l'assurance :
- Peut-être qu'il s'est suicidé, t'en sais rien !
- Tu es au courant qu'on a retrouvé son co... Ses morceaux avec Carmen, Peter et moi ?
Alban vit dans ces paroles une échappatoire.
- D'ailleurs elle est où votre Carmen ? Moi je sais ce que vous faites ! Vous les avez enlevés kidnappés si tu préfères, et elle les garde prisonniers !! Où sont-ils ?
La voix d'Ariane se fit glaciale, comme lorsqu'elle avait parlé à cet interphone avant de brûler le micro :
- Elle a été abattue il y a moins de dix heures.
Alban pâlit.
- Tu mens. C'est... Pas possible...
- Alban ?
Peter cria quelque chose qui ressemblait à « Yasmina... » Yasmina quoi ? Ce n'est que quand Alban s'écroula devant elle en roulant des yeux qu'elle se souvint d'un Hercule Poirot qui l'avait particulièrement marqué : Les Quatre.
- Oh mon Dieu, dit-elle en se mettant à genoux à côté du garçon. Peter glissa pour s'asseoir à côté d'elle.
- Jasmin jaune. Hercule Poirot, Les Quatre, écrit par Agatha Christie.
- Attends une seconde... Quand on est arrivés ici tu ne connaissais même pas les initiales A.C.
Peter écarquilla les yeux, et se tapa la tête du plat de la main.
- Mais je l'ai lu... Tu avais ramené des romans...
- Il n'en faisait pas partie.
Il n'y avait qu'une seule solution. Mais Alban était plus urgent. Ariane, aidée par Peter, poussa le blond pour le faire basculer sur le dos. Peter posa la tête sur le cœur du mourant.
- Ça bat presque plus !
Il étouffa une autre exclamation.
- Il est mort !
- Et ça te surprend encore ? Pitié...
- Non mais j'ai été surpris, c'est tout.
- Ok. Et Ashley ? Elle va bien ?
Ariane dut prendre sur elle pour ne pas le secouer comme un prunier.
- Oui. Sam s'occupe d'elle...
- O.K. Parfait.
Peter ouvrit la bouche pour répondre mais elle lui cloua le bec.
- PETER JONES ESPÈCE DE TRAÎTRE !! TU AS LU LE JOURNAL DE MA VIE ! COMMENT J'AI PU TE FAIRE CONFIANCE ? T'ES VRAIMENT RIEN QU'UN SALE TYPE !!!
Il ne fut pas surpris, mais recula. Elle reprit son souffle.
- Ça fait beaucoup trop longtemps qu'il faut que je te dise. T'ES HORRIBLE ! JE TE HAIS ! TU N'ES RIEN D'AUTRE QU'UNE SALE PETITE MERDE !
Il se leva, et s'éloigna. Sam accourut.
- T'aurais pu m'attendre, j'avais connard et plaie gangrénée en réserve.
Ariane secoua la tête et se précipita vers Ashley.
- Tu vas bien ? Oh désolée c'était bête.
Ashley esquissa difficilement un sourire.
- Tu sais... Ce qui est drôle ? C'est que Peter m'avait raconté qu'il voulait te demander exactement la même chose quand... Tu étais...
Elle marqua une pause pour avaler sa salive.
- Enfin, que tu avais une flèche plantée dans le bras.
Ariane se souvint de la douleur cuisante.
- Pff, ça va pas changer grand-chose. Comment tu te sens ?
- Mal, répondit-elle aussitôt. J'ai l'impression d'avoir le cerveau qui se liquéfie, mais en même temps, c'est comme si une petite boule à l'intérieur persistait à gonfler, à pulser.
- Aïe, dit Ari.
- Exactement.
Ariane réussit malgré tout à sourire.
***
- Aïe, aïe, aïe.
- Je sais.
Peter marchait devant. Ariane espérait de tout son cœur qu'il se sentait mal. Elle, elle avançait à côté de Crystal, au même rythme qu'Ashley qui était soutenue par Sam et Nathan.
- Ça fait vraiment mal, répéta Ashley.
- Je sais aussi, répondit Sam. Ne t'en fais pas. Si on réussit à retrouver l'herbier que Carmen a normalement laissé sur le camp – si elle l'a réellement ramené – on devrait pouvoir chercher les plantes médicinales pour te soigner.
- Si il, ouille !, y en a... Tu sais, c'est pas comme dans les bouquins ou les films, là ; on va pas trouver des plantes comme par magie. Y a des saisons, des endroits. Est-ce que vous avez AU MOINS réfléchi à un plan B ?
- Oui, je l'ai fait, dit Ariane d'un ton exaspéré, et si tu n'étais pas contente tu n'avais qu'à le faire toi-même.
- Et sinon, dit Nathan d'une voix toujours tremblante, comment est-ce qu'Alban est mort ? Quelle est la cause ?
Ils avaient laissé le camp des vingt – dix-neuf maintenant – tous seuls, pour aller sur l'ancien campement à la recherche de l'herbier de Carmen. Des filles les avaient poursuivis en les harcelant de questions jusqu'à la lisière de la forêt.
- Jasmin jaune. Ça bloque petit à petit le système nerveux. Il y avait sûrement quelqu'un de caché pour lui envoyer une fléchette... ça tue.
Sam tordit la bouche en une grimace songeuse.
- Mouais. Ça se tient. Comment tu le sais ?
- Dans un Hercule Poirot, le meurtrier procède ainsi. Dans deux Hercule Poirot, en fait, si ma théorie se tient. Dans Les Quatre, le jasmin jaune, et dans La mort dans les nuages, la fléchette.
- Donc notre meurtrier est Agatha Christie, plaisanta Sam.
- Elle est morte, rétorqua Ariane en riant.
Sam s'assombrit soudain, et Ari se douta que ce changement brutal d'expression d'avait rien à voir avec le fait qu'Agatha Christie soit décédée depuis un bout de temps.
Non.
Ce qui avait provoqué ce basculement d'humeur, c'était que le campement était en vue.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top